Depuis le retour d’Aldaron, c’était comme si ma vie toute entière avait changé. Et c’était bien évidemment littéralement le cas puisque j’étais dorénavant un immaculé.

Je n’aurai jamais pensé que redécouvrir les sensations d’un corps soit aussi difficile. Je sais que je suis pe… encore jeune. Mais l’épreuve du premier souffle restera, je pense, à jamais encrée en moi. Après de si long mois à attendre de ressentir le goût. De sentir le sucre entre mes dents. De sentir la chaleur sur mes doigts. De ressentir la douleur de mes cascades. Je ne m’attendais pas à verser mes premières larmes aussitôt ayant retrouvé l’usage de la respiration. Enfin, si. En fait, je savais que je pleurerais contre Aldaron. Parce qu’ayant échappé à la mort, au drame de mon ancienne famille, je pouvais maintenant accompagner Circë dans ses nuits. Rire aux éclats ou pleurer à chaude larmes. J’étais enfin un véritable enfant. Il n’y avait plus cette barrière entre la vie et la mort qui me séparait de tout sentiment.

Les premiers souffles avaient été plutôt compliqués.  Jamais je n’avais senti pareille fatigue. Des douleurs partout. Des pleurs souvent. Ma peau s’était étrangement chargée de fines veinules dorées. Je me demandais si ce changement s’intensifierait en grandissant. Grandir. À quoi j’allais bien ressembler plus tard ? Moi qui n’avais encore aucun avenir. Je pouvais pourtant le dire maintenant. Ulmo Elusis deviendra grand.


2 décembre 1764

L’enfant avait insisté si fort, demandé tellement de fois. Allant même jusqu’à ne plus faire de bêtises avant le grand départ. Pour qu’enfin, le Prince Noir accepte qu’il l’accompagne au Domaine Baptistral. Lui, Ulmo, accompagné de son garde Nounours, était en train de quitter Cendre-Terre pour découvrir un nouveau lieu.
La curiosité et l’excitation étaient à son comble pour le jeune enfant, agrippé sur la selle de sa grande amie Nahui au côté de son père. Quelle sensation était-ce de voler sur le dos d’un dragon ! Une puissance qui n’avait pas d’égale. En survolant la mer, Ulmo se convainc avec des histoires endiablées, qu’un jour, un jour prochain, il serait dragonnier à son tour. Pas besoin d’être lié à un dragon, hein ? Il n’avait qu’à juste devenir super copain avec un dragon pour qu’il accepte d’être sur son dos et le tour serait joué.

Les Elusis arrivèrent au Domaine sous des tonnes et des tonnes de questions d’un petit brailleur entêté. Comment pouvait-il se contenir. Il devait se tenir à carreaux depuis une éternité selon lui. L’enfant se décida cependant à fermer sa bouche lorsque Aldaron et lui furent accueillis au sein du domaine. Préférant regarder de ses petits yeux émerveillés le nouveau monde qui l’entourait. Une excitation silencieuse grandissait alors que leurs pas les menaient dans des couloirs différents les uns des autres. Ulmo savait qu’Aldaron avait des choses importantes à géré c’est pourquoi il allait être accueilli par Valmys, l’un de ses grands frères dont il entendait beaucoup de louanges sans jamais pouvoir mettre un visage dessus. Valmys, un héros au yeux de l’enfant. Qui avait terrassé un tigre géant en chantant dans la lave, si ça c'était pas la classe ! Bientôt le héros serait en face de lui.




3 décembre 1764

Le lendemain de son arrivée, Ulmo était réveillé aux aurores. La veille, il avait eut la chance de découvrir une partie du Domaine et ses mille et uns recoins magiques et enchantés. Comme un château entier ou élèves et maîtres font partie d’un seul et même coeur. Les galeries semblent infinis, un lieu gigantesque et complètement incroyable pour un gamin comme lui.

L’enfant se débarbouilla rapidement et s’habilla en quatrième vitesse avant de sortir de sa chambre qui lui plaisait beaucoup d’ailleurs. Tout ici semblait sortir des histoires qu’ils lisaient dans les livres. Marchant dans le couloir, Ulmo essayait de se faire discret car l’heure était encore bien loin de celle ou il devait rejoindre Valmys. On lui avait bien dit de ne pas faire de bêtises. Aldaron avait été très clair là-dessus. Mais sortir pour assouvir une curiosité débordante n’était pas une bêtise n’est-ce pas ?

Ulmo descendit un grand escalier en colimaçon. Passant devant plusieurs galeries ou déjà des jeunes apprentis déambulaient dans un sens comme dans l’autres avec des bras chargés de parchemins ou de livres. C’était exaltant ! Merveilleux !

Yul porta une main à son petit bidon lorsque celui-ci émit un grondement qui le fit encore sursauter  tant il n’avait pas l’habitude de ressentir pareille faim. Il manger ait plus tard. Ulmo avait une idée bien précise et il devait le faire avant le petit-déjeuner.
Reprenant l’un des chemins qu’ils avaient emprunté la veille, Ulmo arriva dans une grande salle au plafond ouvert vers le ciel rosé. Un petit escalier avait piqué sa curiosité, petit et montant dans la roche, il devait bien mener quelque part. Mais le problème, c’était que l’escalier démarrait déjà plusieurs mètres au-dessus du sol. Y avait-il un sortilège capable de l’emmener là-haut ? Si oui, il devait étudier la question. S’asseyant sur un banc, en faisant balloter ses petits pieds en étudiant la paroie rocheuse pour l’escalader, un mouvement différent des passages des baptistrels autour de lui attira ses yeux dorés. Là, un graärh essayant d’attrapper un singe qui lui même semblait avoir quelque chose dans un patte. Alors déjà, un singe ! Et puis, un graärh ! Des graärhs, Ulmo en connaissait peu. Voir quasiment seulement Nessraya sa nourrice.

Sans se poser aucune question d’ordre de politesse ou de manière, ni même d’ordre plus soutenue, Ulmo quitta le banc en voyant le singe arriver vers lui.

- Et gentil petit singe ! Tu as besoin d’aide ? déclara t’il cette fois-ci en s’adressant au graärh venant. Je vais t’aider. Tu sais, je crois ne jamais avoir vu de singe comme celui-ci ! Il t’a piqué quelque chose ?

Ulmo essaya d’attrapper la bestiole poilu mais rien à faire, on avait presque l’impression que le petit animal se jouait d’eux. Ce qui fit rire aux éclats le garçon de si bon matin.