Tumulte. Ft. Aurore
Je devais bien avouer ne pas trop savoir où j’étais. J’avais pris la route depuis Calastin, sans réel but ou objectif, comme à mon habitude. Il fallait avouer que, depuis la dissolution de la Caste, je n’avais plus de comptes à rendre et j’avais retrouvé cette liberté qui m’était autrefois si chère. Pourtant, cette dernière avait un goût amer. A bien y réfléchir, je ne la souhaitais pas plus que ça. Avoir pu vivre aux côtés des dragonniers et des serviteurs de la Caste, dont beaucoup avaient fini par être mes amis, m’avait montré une facette de l’existence que je n’avais pas connu jusqu’alors, et dans laquelle, plus jeune, je n’aurais jamais pensé me retrouver et me complaire un jour.
Pourtant, c’était à nouveau fini. Je me retrouvais de nouveau seul, sur les routes, à errer sur les chemins. Les premiers mois furent difficiles, car l’acceptation avait mis du temps à arriver, mais l’appel du nouveau monde et de l’aventure avait fini par l’emporter. Pourtant, contrairement à ce que j’aurais pu croire, rien n’était comme avant. J’avais vécu temps de choses extraordinaires sur Ambarhùna. Grâce à Lewyn, et Aramis, j’étais devenu plus fort, et grâce à Aurore, et aux autres, j’étais devenu plus humain. La compagnie avait même tendance à me manquer, parfois, ce qui n’avais jamais été le cas lors de mes jeunes pérégrinations.
J’avançais alors sur l’une des innombrables routes présentes sur l’île humaine, suivant instinctivement un chemin que je ne connaissais encore pas. D’ordinaire, j’avais tendance à ne suivre ces axes routiers que de loin, n’ayant toujours pas une confiance absolue dans les divers mercenaires qui l’arpentaient parfois. Pourtant, aujourd’hui, je n’y avais pas fait attention. De toute façon, l’endroit était désert. En effet, le gros temps n’était pas loin, et j’imaginais que les voyageurs devaient avoir remis leurs départs ou leurs pèlerinages à un jour où la météo serait plus clémente. Sentant alors poindre l’orage, je rabattais ma capuche blanche au-dessus de ma tête, remontant le col de ma veste jusqu’à mon nez pour me protéger du vent qui s’intensifiait. D’ailleurs, je n’avais pas vraiment fait attention, mais la nuit commençait à tomber doucement. J’allais donc devoir trouver rapidement un abri pour attendre jusqu’au lendemain. Poussant un léger soupir, et progressant toujours sur le chemin légèrement boueux, je me mis à regarder autour de moi pour déceler une éventuelle cachette de fortune.
Je me mis alors à repenser à l’impression que pourrait donner un grand voyageur encapuchonné, dont on ne pouvait apercevoir que les yeux, sur un chemin tel que celui-ci. Mon apparence avait certes bien changé depuis que j’avais intégré la caste, puisque mon armure et ma cape étaient désormais blanches et non noires, mais je me doutais qu’elle puisse tout de même rendre inquiet d’éventuels voyageurs qui, comme moi, se seraient mis en tête de braver la tempête. Par sécurité, je fis un petit mouvement d’épaule pour vérifier qu’Ahavarion, Fenris et Gel étaient toujours accrochés à mon curieux fourreau. Je n’avais aucune envie de me battre, mais, dans un monde encore inconnu, il valait mieux se montrer prudent.
La tempête ne tarda pas à se déclencher. Une pluie torrentielle s’abattit alors sur moi, et la route était balayée par d’épaisses rafales de vent, rendant ma progression beaucoup plus compliquée. Heureusement que mon équipement était de bonne facture, et fait pour résister aux pires des intempéries, sans quoi je me serais rapidement retrouvé trempé. Pour couronner le tout, l’orage commença à gronder, proche de nous. Ce n’était décidément pas mon jour, mais je n’avais pas d’autres choix que de continuer à avancer, espérant trouver une auberge ou un refuge le plus tôt possible.
Je ne pouvais pas vraiment dire combien de temps j’avais passé à marcher. Je ne m’inquiétais pas outre mesure, car ce genre de météo était malheureusement monnaie courante lors de mes voyages, mais j’avais tout de même hâte d’y échapper. Je vis alors, sortie de la tempête, quelques lumières qui progressaient vers moi. Elles s’épaissirent pour dévoiler une sorte de grande caravane de carriole qui avançait tant bien que mal sur la route. Ils s’étaient visiblement, eux aussi, retrouvé piégés par la tempête, et avaient décidé de continuer. Une décision logique, puisqu’ils n’auraient pas été en meilleure sécurité en s’arrêtant.
L’un des hommes qui conduisait la tête de la caravane m’aperçut alors. Il cria quelque chose à travers la tempête que je n’entendis pas, puis, plus rien. Je recommençais alors à avancer, me préparant à m’écarter de leur route, mais je n’en eu pas le temps. Une dizaine de guerriers en armes approchèrent de moi, m’encerclant rapidement. Ils n’avaient pas l’air particulièrement agressifs, mais je compris rapidement que le chef de la caravane avait dû me prendre pour un bandit. Il fallait bien avouer que, dans la tempête, mon épaisse silhouette encapuchonnée n’avait rien pour inspirer la confiance. Dans tous les cas, les guerriers qui m’entouraient avaient tous l’air particulièrement jeunes, mais pas effrayés ou maladroits pour autant. Un homme plus vieux brisa alors les rangs, vraisemblablement le responsable de la petite troupe, et s’adressa à moi en criant, pour couvrir la tempête.
« Halte ! Je ne sais pas qui vous êtes, ni quelles sont vos intentions, mais je ne peux pas laisser un voyageur armé s’approcher trop prêt de la caravane que je protège. Si vous n’avez aucunes mauvaises intentions, vous comprendrez que je vous demande de vous écarter le temps que nous passions ! » Me dit-il, d’une voix assurée. J’étais plutôt surpris de le voir s’exprimer sans aucune forme d’animosité, et sa proposition était parfaitement censée. Je hochais alors la tête, m’apprêtant simplement à lui répondre.
« Je-… » Je n’eus que le temps de commencer que je vis une silhouette orangée foncer directement sur moi, venant de la forêt. Je me mis dans une garde défensive, comme par réflexe, avant de porter la main à mon fourreau, surpris par la soudaine attaque. Mais mon attitude fut très mal perçue par le groupe armé, qui prit sans doute ça pour une volonté d’attaque de ma part. Leurs lames pointèrent bientôt toutes vers moi, y compris celle du responsable de la troupe.
L’animal brisa leur rang, se faufilant entre les jambes des guerriers, pour se planter devant moi. Il était trempé, mais, à ma grande surprise, ses mouvements de queue et son attitude bondissante me laissèrent à penser qu’il était simplement heureux de me voir, ce que je ne comprenais absolument pas. J’étais certes un elfe, et j’avais une certaine affinité avec la forêt, mais de là à ce qu’un animal sorte délibérément de son terrier en pleine tempête pour me saluer, il y avait quand même un monde.
Avant que je n’aie vraiment eu le temps de réagir, le goupil se retourna vers les hommes armés, montrant agressivement les crocs, et se postant délibérément entre moi et eux, faisant quelques tours avec cette attitude menaçante, comme s’il voulait simplement me protéger. Son comportement sembla perturber les soldats autant que moi, mais je devais rapidement reprendre mon esprit avant qu’ils ne croient que cet animal était dressé et que j’allais l’utiliser pour les combattre. J’ôtais alors l’un de mes gants en cuir blanchi, m’accroupissant avant de poser la mais sur la tête de l’animal en colère. Mon geste sembla l’apaiser, et il resta alors collé à moi. Cependant, je pus observer que les soldats n’étaient en rien rassurés, et qu’il ne faudrait qu’un seul geste déplacé ou suspect pour qu’ils ne se jettent sur moi.