« Mon seul regret sera toi. » - Erdrak.

La ville n’était plus très loin mais il faudra encore quelque temps au Loup solitaire pour l’atteindre. Il espérait que les portes ne seraient pas fermées car il n’avait pas envie de dormir à l’extérieur de la ville cette nuit. Il espérait un peu plus de luxe, un bain pourquoi pas. Et puis enlever son armure. Il était habitué à la porter mais il avait aussi appris à apprécier les moments où il n’avait rien d’autre que des vêtements sur le dos, ou pas de vêtements du tout. Depuis qu’il avait fait la paix avec Asmo, et donc avec lui-même, il se sentait revivre en quelque sorte. Il redevenait sociable et certaines grandes familles n’hésitaient plus à l’inviter à des soirées mondaines, comme son père avant lui. Certaines le faisait surtout pour avoir des nouvelles d’un fils ou d’une fille engagé dans la Meute. D’autres familles avaient de l’animosité pour lui pour les mêmes raisons. Tout le monde n’est pas heureux de voir partir son enfant dans une compagnie de mercenaires, aussi honorable soit-elle, pour aller risquer sa vie en territoire inconnu.

Il arriva au bord des quartiers extérieurs vers la fin de la journée. Le soleil n’allait pas tarder à disparaitre, mais il faisait encore assez jour, les portes allaient pouvoir le laisser passer. Il chevaucher Akehla. Le destrier noir avait suivi Erdrak depuis Ambùrhana et avait toujours été un vaillant compagnon. Avant de s’avancer entre les maisons, le Loup Solitaire jeta un rapide coup derrière lui, juste à temps pour voir une ombre noire voler vers la forêt. Pour une raison qu’Erdrak ignorait, Vif, le faucon, l’avait aussi suivi, bien que l’animal soit resté sauvage.

En arrivant, le guerrier attira quelques regards. C’était bien le but. Son armure était propre et soignée et sa cape retomba correctement, sans faire des plis excessifs. Le Loup n’était pas exubérant, mais il fallait respecter un certain niveau de noblesse quand on était capitaine et qu’on voulait continuer à agrandir sa compagnie. La renommée de la Meute était un combat de chaque instant. Il avançait tranquillement, il avait le temps maintenant.

Soudain son regard resta accroché à un étrange couple qui attirait le regard par leur tenue tape-à-l’œil. Il s’occupait de leurs chevaux, ne s’occupant de rien d’autre. Mais ce n’est pas leurs vêtements qui ont fait qu’Erdrak les avait remarqués. Sinestra… Une pensée, un nom, un regret. Sa fille était tout cela à la fois. Des années d’expiations dans l’espoir de se pardonner son abandon, pour se faire accepter par sa fille. Et aujourd’hui, il la retrouvait. Elle avait changé, comme mûrie. Elle avait grandi, était devenu une femme. Elle ressemble à Laurelin. Etait-ce seulement vrai ? Ou est-ce que le Loup Solitaire ne rattaché pas aux traits de sa fille, les traits de son amour perdu ? Il n’aurait su le dire, mais son cœur se sera. Il avait peur.

Ca va être intéressant. En plus je serai au première loge pour te voir te ridiculiser et te sentir mal à l’aise. Tu veux t’en charger ? Oh non. Souviens-toi, on a dit que tu seras le rusé, le diplomate et le type qui s’occupe des trucs nuls. Donc tu t’y colles. A moins que tu ne veuilles qu’elle finisse en pièces détachés. Ça te ferait un chouette puzzle pour la remonter tu ne trouves pas ? C’est bon, mets-toi à l’aise mais essaye de ne pas te moquer trop fort.Compte là-dessus tiens. Pendant cette très courte discussion intérieure, Erdrak avait arrêté sa monture à une vingtaine de mètres de sa fille.

Inspirant profondément et soufflant tout son air pour se donner du courage, il mit pied à terre et vint se placer à côté de sa fille. Il avait plus d’appréhension qu’avant le début d’une bataille. Il toussa légèrement pour s’éclaircir la voix. Son regard, toujours inexpressif, était bien utile pour cacher sa gêne et sa peur. Bonjour Sinestra. Comment vas-tu depuis le temps ? . Le rire d’Asmo retentit dans l’esprit d’Erdrak. Pire approche du monde. Claque-lui la bise pendant que tu y es. Je te rappelle que les deux dernières et seules fois où vous vous êtes vus, vous vous êtes disputés méchamment. Le Loup préféra ignorer la moquerie, il n’avait pas de meilleurs introduction à faire.

Le Loup Solitaire eut à peine fini sa phrase que le compagnon de Sinestra se dressa entre elle et lui. Erdrak reconnut tout de suite un vampire. Le teint pâle, la peau qu’on devine froide. Le guerrier réprime un frisson d’énervement et de dégout devant cet individu. Pour qui se prenait-il à s’interposer entre lui et sa fille. [color=#FF0000]Je crois qu’on aura besoin de ma diplomatie plus tôt que prévu. [color]Il fut difficile pour Erdrak de contredire Asmo. Mais il ne devait pas se montrer violence. Il avait travaillé dur montrer à Sinestra qu’il avait changé. Il voulait lui montrer qu’il n’était pas qu’un monstre sanguinaire. Il voulait apprendre à la connaitre, comme il avait appris à connaitre Asmo. Mais il ne laisserait personne se mettre sur sa route.

Avant qu’il puisse protester contre le vampire, son monde s’ébranla. Sinestra refusait de lui parler. Non, il n’avait pas le droit. Etait-ce le vampire qui lui interdisait de parler aux autres ? Si c’était le cas, le Loup Solitaire prendra un malin plaisir à lui faire ravaler son orgueil. Mais la suite des paroles de Sinestra finit de faire s’écrouler son monde. Elle ne voulait pas briser son serment pour un fantôme. Maintenant il reconnaissait la tenue. Le couple portait les vêtements de cette nouvelle religion, proche de celle des baptistrels regroupant toutes les croyances dans l’espoir de rallier le plus de monde. Erdrak n’avait aucun avis sur eux, on était libre de croire en ce qu’on voulait. Et si Sinestra avait trouvé sa voie dans cette religion alors Erdrak était heureux pour elle. Mais ce qui dominait surtout ses émotions fut le désarroi.

Ce qui confirma que Sinestra était libre de ses actes ou ne devait pas obéissance à ce vampire, fut qu’elle se cacha derrière lui. Ce dernier toise le Loup, essaye d’augmenter sa stature en croisant les bras. L’injonction tomba dans l’oreille d’un sourd. Sinestra, s’il te plait. Je voudrais juste te parler. Une dernière fois. Je sais que tu n’as plus le droit de me parler parce que je suis ton père. Alors accepte juste de discuter avec moi comme à un homme blessé dont tu es le seul remède. Après, je disparaitrais de ta vie. Je veux juste te connaitre. S’il te plait, laisse-moi une chance. Sa détresse fit rire Asmo.

Erdrak soupira intérieurement. Sinestra lui laisserait une chance de libérer son âme et de lui parler. Après, c’est promis, il ne la poursuivra plus, il n’essayera plus de la retrouver, de la reconquérir. Il sentait le regard du vampire, lourd de sens et de jugement. Le mort ne l’aimait, mais qu’il se rassure, le Loup Solitaire ne l’appréciait guère non plus. Mais de toute manière, ils ne se reverront probablement jamais, le monde était bien assez vaste pour que jamais ils ne se recroisent, puissent les Dieux en être témoins. Il suivit ainsi sa fille, elle qui semblait l’avoir définitivement rejeté. Marchant derrière elle et à côté de son garde du corps, ils quittèrent la ville et s’éloignèrent un peu des dernières maisonnées.

Il aurait pu être choqué par son temps formel, mais il estima que le fait que Sinestra lui adresse la parole de façon non agressive était déjà suffisant, bien que le ton soit froid. Le Loup Solitaire devait accepter que sa fille ne sera jamais à lui, elle ne l’acceptera jamais. En rejoignant la Rose Ardente, Sinestra déclarait clairement qu’elle ne voulait plus rien avoir à faire avec lui, que son passé avait disparu pour toujours. Ils étaient ainsi différents. Elle, jeune, a rayé le passé, lui plus âgé, l’a fait revivre. Lequel des deux a raison ? Lequel a tort ? Ont-ils seulement tort ou raison ? Ces questions hantaient un peu l’esprit d’Erdrak, des questions dont il aimerait bien débattre, avec Alford, mais l’homme avait disparu, ou avec Vétéran, peut-être.

À genoux, donne-moi tes mains et je t'écouterais.L’injonction ne laissait transparaitre aucune émotion, juste le froid, ce même froid qu’on voyait dans le regard d’Erdrak en tout temps. C’était la dernière fois qu’il s’adressera à sa fille. Il devait réussir à se libérer de sa culpabilité. Il s’exécuta. Le guerrier en armure mit un genou devant la jeune femme. Une image de mythe, de conte ou de légende. Il prit les petites mains de sa fille entre les siennes, gantées d’acier. Il ne pouvait pas sentir la peau de Sinestra à travers son armure et il le regretta. Cette barrière physique représentait le fossé invisible qui séparait le père de sa fille.

Le Loup décida de ne pas franchir cette barrière. Sinestra Azura. J’ai besoin d’apaiser mon âme. Nous avons un point commun. Tu n’as jamais connu ton père et j’ai abandonné ma fille bien avant naissance. J’étais jeune, innocent et ignorant à cette époque. Ce n’est pas une excuse, l’absence n’est pas excusable et l’ignorance est condamnable. Une enfant a pâti de cette absence, mais aussi une femme. Elle est tout ce que j’avais de plus précieux. Mais je n’ai rien fait pour le prouver. Erdrak Geflorth est un monstre. Un être déchiré par la Colère, la haine et la rancune. Mais le plus terrible de ces maux est le regret. La vie de cet homme va bientôt s’achever. Son souffle va bien bientôt s’arrêter. Tout ce qu’il lui faut pour partir c’est une réponse. Est-ce que sa fille est heureuse à présent ? Et toi Sinestra, es-tu heureuse ?

L’homme avait parlé d’une traité, en fixant Sinestra dans les yeux.

Il était impossible pour le Loup Solitaire de savoir ce que pensait Sinestra. La jeune fille ne laissait rien filtrer à part un sérieux et une concentration sur son devoir. Avait-elle toujours été ainsi ? Une pointe de remord titilla le guerrier, le regret de ne pas avoir vu grandir l’enfant. Tu serais mort si tu avais vécu ça. Mais j’aurais vécu heureux. Asmo n’essaya pas d’argumenter. Personne ne sait comment aurait été la vie de l’homme s’il avait préféré l’amour à la guerre. Sa Colère n’aurait peut-être jamais existé sous cette forme, et pourtant, cela ne semblait pas la gêner.

Erdrak connaissait un peu les rites de la Rose Ardente. L’information est le nerf de la guerre, et le meilleur moyen de rester en vie. Cela ne l’empêcha pas d’être surpris lorsque Sinestra vida le sac de cendre sur la tête. La quantité était plus grande qu’il ne le pensait, lui qui croyait juste à une pincée ou une petite poignée. Le rire d’Asmo en fut d’autant plus dérangeant et devint incontrôlable après les paroles de la prêtresse. Elle n’est pas au courant que tu héberges un monstre dans ta propre conscience manifestement. Et que, au lieu de le combattre on cohabite paisiblement. Quand à devenir un homme nouveau, on n’a pas de place pour l’accueillir. Deux ça suffit. Et en plus je suis sûr que l’homme nouveau sera plein de bonnes attentions. Un seul toi dans cet esprit c’est déjà ennuyeux, alors deux.

Intérieurement, Erdrak sourit aux élucubrations de sa seconde personnalité. Si seulement Sinestra savait que l’homme qu’elle avait en face de lui était bien plus que ce qu’il ne paraissait. Quant à aller au temple, ce n’était pas dans ses projets immédiats, mais pourquoi pas, il voulait le voir un jour ou l’autre. Aujourd’hui n’est pas pire qu’autre chose. En se relevant, de la cendre s’immisça dans son armure et commençait à le gratter. C’était peut-être de ça que la prêtresse parlait. Les monstres et les fantômes à combattre, la cendre qui gratte sous les plaques d’armure. Le trajet allait être long. Mais Sinestra lui donnait l’occasion de marcher à ses côtés. Si elle ne l’avait pas accepté en tant que père, peut-être que l’amitié lui irait. Tu aimes te faire du mal n’est-ce pas ?

Merci. Je vous accompagnerai, toi et ton… compagnon, jusqu’au temple. Peut-être que sur la route, tu pourrais me parler des concepts de ta religion. Puis de ton cheminement personnel, depuis la dernière fois où tu as vu ton père. Ce qui as fait ce que tu es aujourd’hui. Qu’en dis-tu. Le Loup avait parlé de lui à la troisième personne dans l’espoir de détacher de lui le passé que la femme cherchait à rejeter.

Le Loups Solitaire réussi à ne laisser transparaitre aucune expression lorsque Sinestra le corrigea sur la dénomination du vampire. Son frère. Je ne sais pas ce que tu as fait, mais il semble que tu ais des enfants d’origine très diverse. La remarque d’Asmo, ne fait rire que lui. Toutes les religions semblent prôner la fraternité avec son prochain, mais vu la froideur avec laquelle ils accueillent les laïques, on ne doit pas être frère et sœur de la même famille.Sinestra avait bien grandi et muri. Si cela plaisait à Erdrak, il était toutefois contrarié de la tournure qu’avait pris la vie de sa fille. Elle n’est plus ta fille, elle a épousé la rose. Et de toute façon, elle ne l’a jamais été. Tu connais son existence depuis trois ans, à peine et elle ne t’a jamais reconnu comme son paternel. Tu n’as donc aucun droit sur son avenir. Même si Asmo n’avait pas de visage, Erdrak pouvait deviner le sourire narquois qu’il y avait dans sa voix. C’est comme ça que tu me tortures ? Ouis c’est amusant de voir que tu restes attaché à elle alors qu’elle ne te vois même pas comme un être humain. Fais tout haut l’orgueilleux et l’amer, mais tout bas, dis-moi tout simplement qu’elle ne t’aime pas. Quoi ? Tais-toi !Il en avait assez de subir cette moquerie pour le moment. Son injonction surpris sa colère qui se tut. Pour un moment.

Erdrak retint encore une moue désapprobatrice, lorsque la jeune femme lui signala que le silence était de rigueur. Et bien soit, ils ne parleront pas. Le voyage ne sera pas plus long que s’il avait été seul. Peut-être un peu plus bizarre. En voyant le vampire revenir avec les chevaux, le Loup se souvint que le temple ne se trouvait pas à Caladon même. Cela était gênant car il devait repartir dans des délais assez brefs. Il regarda en direction de la ville et vers le soleil. Tant pis pour le bain, le temps de faire l’aller-retour, le Loup devra repartir en mission avec la Meute. Elle ne sera pas dangereuse celle-là, du moins l’espérait-il. La diplomatie ne blesse personne physiquement, normalement. Etait-ce bien raisonnable ? Qu’importe, cela sera peut-être les derniers instants qu’il passera avec sa fille.

Le vampire était parti chercher leurs montures. Erdrak ne savait pas s’il devait l’en remercier. Akehla, farouche destrier avec l’air inquiet, mais ne s’était pas débattu semble-t-il. Flattant l’encolure de sa monture, il l’enfourcha et leur petit groupe, hétéroclite se mit en route. Le silence paraissait pesant aux oreilles du guerrier. Perdu dans ses pensées, Erdrak ne sentit que trop tard l’intervention d’Asmo qui engagea une conversation à sa manière.

Est-ce une obligation de votre ordre ou une volonté propre de paraitre froid et distant avec le commun ? Je me disais que le Feu se devait d’être chaleureux, accueillant. Pas glacial. Après je ne suis pas un clerc. Par un effort surhumain, Erdrak réussit à contenir le sourire moqueur qu’Asmo essayait de peinrdre sur son visage pendant qu’il attaquait verbalement d’un ton calme. La Colère cherchait la confrontation mais Erdrak ne souhaitait vraiment pas se battre. L’homme avait parlé sans tourner la tête, fixant trop devant lui.[/color][/b]

Dernière édition par Erdrak Geflorth le Mar 3 Oct 2017 - 11:04, édité 2 fois

La réponse ne sembla pas satisfaire Asmo mais Erdrak le renvoya en arrière-pensée. Une chose est sûre, c’est que les deux entités n’adhéraient pas à une partie de la vision de Sinestra. La prière, le guerrier était persuadé qu’elle ne servait à rien. Les Dieux étaient morts, ou n’intervenaient plus sur le plan physique. Ils étaient les seuls maîtres de leur destin. Erdrak respectait les croyances, ce qui n’était pas le cas d’Asmo, mais il avait du mal imaginer la vie de prêtre. Prier et travailler suivant un rythme contrôler par un culte, cela dépasser son entendement.

L’histoire de la fille d’Erdrak attristait un peu l’homme. Il se sentait coupable de ce qu’elle avait subi, car c’est son absence qui était à l’origine de tout ça, de toute ses souffrances. Et après. Si tu étais resté auprès de Laurelin. Peut-être que tu serais mort devant les yeux de Sinestra et Laurelin. Le traumatisme aurait été plus grand. Peut-être même que vous seriez mort tous les trois. Ce qui est fait et fait. Asmo avait raison en un sens. Mais il était difficile pour Erdrak de ne pas se sentir coupable. Toutefois, le Loup Solitaire, ce nouvel être issu de l’entente entre Erdrak et Asmo, ne laissa rien voir de ce trouble intérieur.

Le Loup Solitaire ne répondit pas. Il n’y avait aucune réponse au dire de Sinestra. Elle préférait le silence, alors il se tairait. Ils voyagèrent ainsi à trois, dans un mutisme serein. Erdrak sentait Asmo s’impatientait. Il n’y avait aucun moyen d’occuper l’esprit belliqueux de sa Colère. Se battre contre le vampire aurait pu le divertir mais Erdrak s’y refusait. Alors il subissait les plaintes presque incessantes et les rêves de massacres et de violence d’Asmo. Ce n’était pas insupportable, mais ce n’était pas ce qu’il y avait de plus extraordinaire. C’est ainsi qu’ils arrivèrent aux abords du temple.

Le temple était pour le moins décevant. Un bâtiment construit sans grâce, bâti en pierre, fonctionnel mais peu accueillant. Un endroit bien froid pour la religion du feu. C’est le moins qu’on puisse dire. On dirait une ferme un peu plus solide que les autres. Ca craint comme endroit. Manquerait plus qu’ils soient fiers de leur temple. Sérieux, petit frère, on a vu des paysans faire des trucs plus impressionnants. Ne soit pas dénigrant. Mais tu as un peu raison. Erdrak était un peu déçu par la construction. Les religions avaient tendance à s’épancher, à déployer des astuces pour montrer qu’elles existent. A l’exception d’obscures sectes, l’exposition permettait d’avoir des adeptes et généralement de la richesse. Mais manifestement, la Rose Ardente avait d’autres préoccupations.

Sinestra prit la parole pour la première depuis le début du voyage. Juste pour poser une question qui dérangea quelque peu le Loup Solitaire. Il n’était rien venu chercher. Il était là parce qu’Erdrak voulait passer du temps avec sa fille, avant de ne plus jamais chercher à la revoir, avant de disparaitre de sa vie. Alors que répondre à sa question. Peut-être une partie de la vérité, de ce qu’il avait accepté au Domaine Baptistrel. Erdrak telle qu’il avait été, était mort, ou en partie avec la naissance d’Asmo, et l’Erdrak de la première Meute était mort avec sa compagnie. Le Loup Solitaire était le renouveau de ce guerrier, nait de l’acceptation par Erdrak, le Jeune Loup, de sa Colère, d’Asmo. Si ce nouvel être partageait les aspirations d’Erdrak, il acceptait aussi celle d’Asmo. Et ce nouvel homme n’était rien venu chercher ici. Mais il fallait répondre.

Je suis venu chercher la paix et le repos pour quelqu’un qui le recherche ardemment depuis trop longtemps. Il y a longtemps, cette personne a perdu quelque chose qui lui était cher, sans vraiment se l’avouer. Cette perte l’a changée, sans qu’elle ne le visse. Elle a vécu à l’ombre de ce manque, cherchait à combler cette absence à travers des comportements vils. Elle a abandonné beaucoup de ce qui faisait d’elle un être exceptionnel et une autre en a payé le prix fort. Cette personne est morte maintenant, mais ne trouvera le repos que par un acte simple. Pendant longtemps cette personne a cherché sans savoir ce qu’était cet acte. Le pardon. Mais de qui ? La reconnaissance ? Mais de quoi ? Quand cette personne l’appris, il était trop tard. Son existence a cessé, mais son âme est restée tourmentée. Jusqu’à ce qu’on puisse la soulager. Sinestra, sais-tu ce que je suis venu chercher ici ? Et toi ? Qu’es-tu vraiment venu chercher ici ? Tu ne m’as pas répondu, es-tu heureuse maintenant ?

La question était sincère. En parlant, Erdrak avait senti que sa quête touchait à sa fin. Une quête qu’il avait ignorée poursuivre. Mais il semblait qu’Asmo le savait puisque la Colère se taisait, ne brûlait pas. La seconde conscience du Loup Solitaire s’était retirée d’elle-même, comme pour laisser de l’intimité à Erdrak, ce qui était pour le moins étrange. Mais Asmo n’avait cessé de surprendre Erdrak ces dernier temps.

Quelque chose troubla Asmo sans que ni lui ni Erdrak ne sache vraiment pourquoi. Quelque chez Sinestra semblait, certes différent mais aussi extérieur. Un sentiment étrange qui semblait dire qu’elle n’était pas seule, hormis la présence du vampire et celle du Loup Solitaire. Mais sans vraiment savoir quoi et en partant du principe que depuis qu’Asmo était là, le Loup Solitaire avait beaucoup de mal à cerner les gens, il préféra passer outre. Il connaissait un excès de méfiance, frôlant presque la paranoïa. Il ressentait de la méfiance même envers son second, Vétéran. Est-ce parce qu’il avait de mal à admettre que sa fille est pu trouver sa voix ailleurs ? Et qu’elle ait définitivement effacé son père absent de sa vie ? Non, le plus dur pour lui était d’admettre qu’elle ait effacé sa mère, une femme qu’Erdrak avait aimé de tout son être.

Le ton de sa fille ainsi que ses paroles commençaient à pousser la patience d’Erdrak à bout. Asmo bouillonnait déjà à l’intérieur de la tête du Loup Solitaire. La manière dont les religions avait de proférer leurs phrases pleines de vide. ‘’Ton âme est en perdition cherche en toi-même la solution. ‘’ Heureusement la Rose Ardente ne semblait pas vivre sur les deniers qu’elle récoltait des pauvres pèlerins venus chercher le repos de l’âme et pour le cœur un peu de meilleurs, et qui repartaient avec une énigme et de l’argent en moi.

Le Loup solitaire retint un soupir et acquiesça aux dires de Sinestra. La fille d’Erdrak n’avait rien à lui dire et ne lui donnera pas ce qu’il lui demande. L’ apaisement est un bien que je n’ai pas le droit de m’offrir, la tranquillité est une douceur qui m’est interdite. Quant à la paix, celui que je fus était venu la chercher ici, auprès de toi, mais tu n’as pas voulu la lui donner entièrement. L’homme que tu as connu, très peu, a cessé d’être depuis longtemps déjà. Ta mère n’a connu qu’une partie de celui que je suis. Mais au moins, la partie disparue saura que tu as pu trouver un semblant de bonheur à la fin. Le Loup Solitaire se remit sur selle. Nous nous reverrons prêtresse, sois en sûre. Mais sache que je ne suis plus Erdrak Geflorth. Comme toi, je suis devenu ce que je devais devenir. Je te dis donc à bientôt. N’oublie pas le conseil d’un loup solitaire : le loup tire sa force de la meute, la meute tiens la sienne du loup.

Le Loup Solitaire commença à s’éloigner en finissant sa phrase. Il ne se retourna pas pour voir la réaction et entendre une réponse. Il avait parlé pour qu’elle l’entende, c’est tout. Il avait de la route à faire et avait pris du retard. Trop de retard.