Les enfants sont épuisants et surtout épuisés. Il est difficile de gérer mon poste de médecin de bord et de garde d’enfants en même temps, les marmots demandent une attention presque constante. Mais leur imagination est débordante et j’aime à leur raconter des histoires ou participer à leurs jeux fantastiques. Leur jeu actuel est d’être des pirates ou des amiraux de la flotte, partant à la découverte de leur nouveau chez eux. Situation peu éloignée de la nôtre, mais qui les sauve de leur passé court et pourtant déjà atroce. Ils regardent vers l’avenir presque tous, et ceux qui sont encore prostrés, j’essaye de les faire entrer dans la ronde avec moi avec assez de succès en général, du moins pour un temps. Leur cicatrice se refermera, mais pas leur souvenir. Perdus ou orphelins, ces enfants auront du mal à s’épanouir sans aide. Toutefois, je garde espoir et leur transmet autant de joie de vivre qu’ils m’en donnent tous et les Dieux soient loués, aucun n’est encore tombé malade. Les filles étaient au début mise de côté, car les garçons disaient qu’elles ne pouvaient pas partir à l’aventure. Que cela ne tienne. Nous sommes parties à l’aventures sans eux, et devant le trésor invisible que nous avions trouvé et l’immense Kuredan, un monstre des profondeurs que nous avons convaincu de travailler avec nous, les garçons ont petit à petit décidé de se joindre à l’équipage maintenant mixte des explorateurs en herbe. Leur pérégrination finissait souvent dans les pattes d’un marin grincheux, qui jurait et se faisait généralement réprimandé par moi pour son langage. Au début, quand ils ne me connaissaient pas, certains marins protestèrent ou m’ignorèrent, mais ils constatèrent que, outre la demande de surveiller leur langage, je réprimandais les enfants pour gêner les marins et réussissait plus ou moins à les tenir. Si bien qu’ils finirent par accepter d’avoir un langage plus châtié en présence des enfants. Peut-être aussi parce que je suis têtue. Je ne sais pas.
Toutefois, jouer avec les enfants prend du temps, et il m’aurait été d’autant plus difficile de répondre à mes devoirs de médecin s’il n’y avait pas de bonnes âmes pour m’aider dans ma tâche avec les enfants. Des femmes venaient me remplacer ou se joindre à moi dans les jeux, comme pour échapper à l’horreur qu’ils ont vécu en redevenant des enfants insouciants. C’était agréable de voir ces personnes reprendre vie, après avoir tout perdu pour certaines, mari, fiancé, enfant, maison, parent. Ma surprise fut encore plus grande en voyant des hommes, de tout âge vouloir aussi s’occuper des enfants, entrer dans les jeux, même s’ils étaient plutôt frileux. Ils préféraient leur apprendre leur savoir-faire, transmettre leur connaissance à une nouvelle génération. C’était pour certain le moyen de faire leur deuil. Mais je voyais déjà de nouvelle famille se reconstruire, et une communauté se forger. Cela prendra du temps, mais je pense qu’en arrivant à terre, ils partiront tous ensemble reconstruire leur vie et un monde meilleur, loin de la guerre et des Chimères.
Ainsi libérée temporairement, et de plus en plus souvent de mes obligations, je peux retourner à ma passion et mon autre devoir. Un jeune couple s’occupe des enfants et je peux donc sortir sur le pont. Il est bientôt midi, mais avant de manger j’aimerai faire le tour des gens qui vivent sur ce village flottant. Le manque de place, le mal de mer et le déracinement provoquent facilement des poussées de violences, que j’essaye d’être avant qu’elle n’éclate, comme Aramis me l’a expliqué. Ce sont là des devoir de baptistrel auquel j’adhère complètement.
Sortant de la cale, arrivant sur le pont, je regarde les voiles, et sent l’air comme il est bon. Le soleil haut dans le ciel fait jouer sa lumière sur les vagues, créant de fugaces arcs-en-ciel. Tout est calme à l’acception des interpellations des marins qui se hèlent d’un mat à l’autre. A cette heure, les civils préfèrent s’abriter du soleil, soit dans les profondeurs du monstre de bois, soit sous les dais mis en place sur le château arrière. Il n’y a pas de nuages dans le ciel d’un bleu limpide. S’il n’y avait l’irisation du l’horizon, créant une légère ligne blanche, le ciel et l’océan seraient confondus et nous serions perdus dans un monde uniforme et rond. Il n’y a pas d’oiseaux dans le ciel, à part un faucon que j’avais vu au loin sur un autre bateau, il doit appartenir à quelqu’un. Les volatiles nous ont abandonnés que nous nous sommes trop éloignés, estimant que la nourriture potentielle que nous pouvions laisser derrière nous ne valait pas le voyage. Nous sommes donc seuls dans l’immensité. Mon regard se pose sur l’océan et les navires qui nous font escortes. Ils m’ont paru si grand si puissant si terrible quand je les ai aperçus la première fois, mais ici, ils ne sont rien de plus de petites graines isolées dans un champ. J’aime l’océan, il nous rappelle ce que nous sommes : de passage, et que face à la nature, nous sommes impuissants. Pourtant, il nous apporte ses bienfaits, nourriture, eau, fraicheur, sauf quand il est en colère. L’harmonie en quelque sorte, l’équilibre entre la douceur et la rudesse.
Mes réflexions sont interrompues par un bruit que je ne connais que trop. Il ne me faut longtemps pour trouver la personne qui vide son estomac de ses sucs, car bien évidemment, elle n’a pas réussi à manger depuis un bon moment. Ils ne sont pas encore nombreux avoir été pris du mal de mer, mais cela ne durera pas. Dès que l’océan se mettre à ballotter un peu trop, beaucoup rendrons leur estomac et pour peu qu’il y ait une tempête, il leur sera impossible de prendre l’air. Je me dirige donc sur ces pensées vers la silhouette, accrochées au bastingage et qui était prise de spasmes. Je la reconnu tout de suite. Artane. Depuis nos retrouvailles, nous n’avons pas vraiment eu l’occasion de rediscuter. Il faut dire qu’il a dormi trois jours. J’avais bon passé régulièrement voir son état, je n’ai pas pu être présente pour son réveil, cela me désole, mais on ne peut pas être partout à la fois. Une chose est sûre, l’homme n’a pas perdu de temps.
Je pose une main délicate et pleine de sollicitude sur l’homme et en lui faisant un sourire doux et contrit, laisse tomber ses mots. Ce doit être difficile comme réveil. Vous qui deviez vous éveiller en forme, vous voilà en train de perdre vos forces dans l’océan. J’imagine qu’il saura en faire bon usage, mais que diriez-vous d’un moyen pour garder pour vous votre estomac ? Avant de l’atteindre, j’ai tiré une petite sphère blanche, de la poudre compactée qui lui permet de garder une forme voulu plus facilement. C’est plus simple à transporter et surtout à doser, puisque chaque boule équivaut à une dose pour un adulte. Ce procédé, je l’ai lu au Domaine, mais je n’ai que très peu eu le temps de m’y essayer. Mes premiers essais sur le bateau furent concluant et si le goût des premiers médicaments étaient aussi infectes que la poudre, ils avaient l’avantage de pouvoir être gobé, avec ou sans eau. Celui que je tends à l’homme est une deuxième génération. Cette fois, en plus du médicament, j’y ai mis de la menthe en très fine poudre. Rien de bien dangereux, et cela permet de donner un petit goût si le médicament commence à fondre dans la bouche. Je l’ai testé moi-même en croquant la gélule. Expérience que j’ai immédiatement regrettée car si on sent bien le goût de la menthe, tout comme l’odeur, le cachet se désagrège complètement quand on le mord, redevant de la poudre et créant une texture horrible dans la bouche. Je n’ai pas pu éviter de vomir par-dessus bord. Mais si on évite cette mésaventure, je pense que c’est au point. Le mal de mer est toujours là chez les patients mais l’estomac tient mieux, ce qui rend le mal moins insupportable. Tenez. Gobez ça. Mais surtout ne le croquez pas. Cela aurait des conséquences… Vomitives. Le cachet devrait éviter de vous faire trop vomir et vous permettre de garder la nourriture dans votre estomac. Essayer de fixer l’horizon, de façon à pouvoir remarque le roulis à l’œil. Votre esprit ne tolère pas le fait que rien ne bouge à l’œil, alors qu’il sent bien que vous tanguez. C’est ce qui provoque la nausée. Après avoir ingurgité cette boule, vous me ferez le plaisir de manger un peu. Et surtout de boire. Pour nettoyer votre œsophage de l’acide de votre estomac.