18 Octobre 1761
Les Chiens nous encadrent, plusieurs accourent à notre secours. Au moment où je m’effondre, de vigoureux bras me rattrapent et je sens qu’on me soulage du corps de Seö. Mais au lieu de soulagement, c’est une grande détresse qui s’empare de moi. Il faut que je soigne Seö de toute urgence, il est gravement blessé et si on ne fait rien, il va mourir. Je suis guérisseuse, je peux lui venir en aide. Je dois lui venir en aide. Les forces qui m’avait abandonnée me reviennent alors que j’essaye de le dire aux soldats. Mais tout ce qui sort de ma bouche n’est qu’un râlement, suivi d’un cri de détresse étouffé de sanglots. J’entends les Chiens parlaient, me dire quelque chose, mais je ne les écoute pas. Tout ce que je sais, c’est qu’ils m’éloignent de mon compagnon, de l’elfe qui est venu à mon secours et qui risque de le payer de sa vie. Il ne doit pas mourir, il a promis qu’on voyagerait ensemble. Je dois tout faire pour qu’il puisse tenir sa promesse.
Je me débats fébrilement pendant un court moment dans la forte poigne de deux hommes, mais la magie fait toujours effet, et d’un mouvement brusque doté d’une force qui les surprend, je me dégage et me précipite au côté de Seö que les soldats ont allongé par terre que le médecin de la compagnie examine déjà. L’homme a l’air presque aussi jeune que moi, et semble regarder avec circonspection les blessures de Seö. Il perd du temps à se demander comment retirer les flèches et comment faire. Du temps que Seö n’a pas. Je me précipite et m’agenouille près de l’elfe. Avec efficacité, je tire de ma sacoche un couteau, avec lequel d’habitude je cueille les plantes dont j’ai besoin. J’agis mécaniquement, à la fois guidé par la nécessité, l’instinct et les réflexes. Mon cerveau ne peut de toute manière plus fonctionner correctement, puisque la détresse et l’urgence ont y raison de ma raison.
Je teste le fil de la lame du doigt, La lame est toujours bien affutée, j’y veille car c’est important d’avoir des coupures nettes dans bien des cas et puis cela rentre dans l’entretien des équipements. Une ligne de sang apparait sur le gras du pouce. Sans attendre plus lointain, le couteau vole vers la gorge de Seö sous un hoquet de surprise de l’homme à mes côtés, mais la lame vient sectionner habilement les lanières de cuir de sa cuirasse. Un mouvement devenu, hélas, une habitude pendant la guerre, sectionner les lanières était le moyen le plus sûr de libérer la poitrine d’un soldat blessé.
Le cas de Seö est l’un des pires. Les carreaux se sont enfoncés dans son corps, suffisamment pour provoquer de grave dégat à l’entrée comme à la sortie, hélas pas suffisamment pour que la sorte en lui faisant traverser le corps de l’elfe. Cette dernière configuration aurait été la meilleure, car je n’aurai pas eu le risque de lui déchirer des organes et des tissus sur le chemin retour. Je casse les flèches qui dépassent trop, retire la cuirasse, les mouvements sont rapides, précis, automatiques. Je ne vois pas le regard médusé du médecin des Chiens devant mon habilité. Compresses et bandeaux.Quoi ? Le soldat sursaute devant le ton glacial et impétueux de ma voix. Je pousse un grognement énervé et répète mon instruction, presque en lui criant dessus. Compresses et Bandeaux ! Je vais extraire un carreau, vous allez faire pression. Pendant que l’homme trifouille dans sa besace, je tire de la mienne une pince et un flacon d’alcool. Je désinfecte comme je peux mon instrument, de toute manière, je vais lui faire un soin magique en plus. La tête me tourne légèrement et la sueur me pique les yeux, mais je n’ai pas le temps de l’essuyer. Je suis de retour deux ans en arrière, à l’hospital, sauf que je ne soigne pas un inconnu dont la vie est aussi importante que celle d’un autre, mais j’ai entre les mains celle de Seö et pour une raison que j’ignore, sa vie est ce qu’il y a de plus important et est bien plus précieuse que celle de n’importe qui.
Tenez-vous prêt. Le ton est sans appel. J’attrape délicatement la happe avec la pince et commence à tirer le carreau vers l’extérieur. La concentration me fait oublier tout ce qui m’entoure. Les soldats, le sol, Seö. Il n’y a plus que le carreau et la nécessité de le retirer sans accrocher trop de tissus organiques. La pointe est profondément ancrée mais j’arrive à la retirer sans trop de difficultés. Pression ! Le Chien appuie la compresse sur la plaie pour stopper l’hémorragie. En retirant le carreau, j’ai libéré les flots de sangs qu’il bloquait, évitant l’hémorragie interne qui n’aurait pas manqué de se faire doucement. Mais le soldat ne presse pas assez à mon goût. Je lui retire la main sans ménagement mais avec difficulté. Je sens mes forces physiques m’abandonner. Non pas maintenant. Triste supplique envoyée à la Nature. Ma main presse la compresse et j’utilise l’afflux magique qu’il me reste pour cicatriser et réparer les lésions internes. Je ne m’occupe pas de la surface, sinon je n’aurai pas la force de faire plus. Je dois d’abord le stabiliser.
Je m’attèle au second carreau. Il est plus profond, et alors que je le retire, je sens une résistance élastique. J’ai accroché quelque chose. Je renfonce légèrement la pointe et la fais tourner lentement. Je réessaye de la remonter, c’est bon ça passe. Je vois la tête. Pression. Ma voix n’est presque qu’un souffle, mais le Chien obéit. Je place ma main tremblante à côté de la sienne. Le temps s’arrête. Je prends conscience du sol sous moi. La terre est encore humide de la pluie des jours précédents. La poussière mouillée lui donne un contact doux au toucher. Un petit attroupement s’est formé autour de nous, des mines inquiètes et surprises, même le Capitaine semble incrédule, comme s’il n’était pas à sa place. Personne n’est à sa place ici. Un acte chirurgical n’est pas un théâtre. Seö ne devrait pas être allongé par terre, il ne devrait pas être blessé. Je ne devrais pas être aussi épuisée, usant de mes forces vitales pour soigner l’elfe. Ces considérations me traversent l’esprit sans que j’en prenne note. Le ciel au-dessus de nous est dégagé, et les étoiles scintillent doucement. Elles nous font des signes, nous appellent. C’est vrai que de là-haut, nous devons paraitre bien futile à nous débattre ainsi sur notre gros caillou, alors qu’elles sont si libres dans le grand espace du ciel. Les astres nous invitent tous les soirs à les rejoindre.
Mon vertige prend fin, et l’immensité de la tâche qui me reste à accomplir m’accable. Seö est sorti d’affaire, mais ses blessures sont encore ouvertes. Je cesse mon flux magique, sans me rendre compte que ce n’est déjà plus qu’un filet. Je ne peux laisser l’elfe dans la boue pour finir sa guérison, il sera bien mieux dans un lit, dans une caravane. Je me tourne vers les spectateurs. Il lui faut un lit et du repos. Je vais finir de le soigner à l’abri. Vous n’avez qu’à prendre ma caravane, ce sera assez confortable pour vous deux. Je ne sais pas qui a dit ça, mais je me lève pour le remercier. Mais mes jambes ne me portent pas et je m’effondre, surprise. La magie a définitivement quitté mes muscles, mais je suis têtue et je persévère. Je réussis à me lever, je tends une main molle dans la direction approximative des chariots, essaye de dire quelque chose, mais je ne sais plus quoi. La forêt tourne autour de moi, de plus en plus vite. Puis le noir.
Je me réveille en sursaut. Seö ! Son nom est la première chose qui m’est venue à l’esprit. J’ai rêvé de notre rencontre, dans la forêt, mais Cendre était là, et elle nous tirait dessus, Seö s’interposait prenant tous les carreaux à ma place. Je voulais l’en empêcher, je voulais crier, mais c’était impossible. Puis il se met à rire comme un dément, puis Cendre se trouve à ses côtés. Ils se mettent à s’embrasser, ce qui me met dans une rage folle. Mais je ne peux pas bouger. Puis Cendre se met à poignarder l’elfe, encore et encore. Il me regarde d’un air suppliant. Je me réveille en sursaut, me redressant brutalement. Le vertige me prend en même temps que la panique et la peur. Où suis-je ? Je reconnais un lit, puis je sens quelque chose de doux se glisser sous ma main. Je regarde et reconnais le Renard. Mais mon regard voit tout de suite Seö à mes côtés. Il est torse nu, je ne vois pas ses blessures mais je sais qu’elles ne sont pas refermées. Je ne peux pas le laisser comme ça et je sais que ce je vais faire ne va sûrement pas marcher. Mais j’essaye. Je place ma main gauche à l’emplacement supposé de ses blessures mais sur son torse et invoque la magie de toutes mes forces, pour le guérir et le faire cicatriser à travers son corps. Je me rends compte à quel point c’est une mauvaise idée, lorsqu’il est trop tard. J’étais encore trop fatiguée et cet effort demandait trop d’énergie. Je m’évanouie contre lui, avec pour seule pensée. Ca pourrait être pire.
Dernière édition par Aurore Lapsida le Jeu 26 Oct 2017 - 23:19, édité 1 fois
Les Chiens nous encadrent, plusieurs accourent à notre secours. Au moment où je m’effondre, de vigoureux bras me rattrapent et je sens qu’on me soulage du corps de Seö. Mais au lieu de soulagement, c’est une grande détresse qui s’empare de moi. Il faut que je soigne Seö de toute urgence, il est gravement blessé et si on ne fait rien, il va mourir. Je suis guérisseuse, je peux lui venir en aide. Je dois lui venir en aide. Les forces qui m’avait abandonnée me reviennent alors que j’essaye de le dire aux soldats. Mais tout ce qui sort de ma bouche n’est qu’un râlement, suivi d’un cri de détresse étouffé de sanglots. J’entends les Chiens parlaient, me dire quelque chose, mais je ne les écoute pas. Tout ce que je sais, c’est qu’ils m’éloignent de mon compagnon, de l’elfe qui est venu à mon secours et qui risque de le payer de sa vie. Il ne doit pas mourir, il a promis qu’on voyagerait ensemble. Je dois tout faire pour qu’il puisse tenir sa promesse.
Je me débats fébrilement pendant un court moment dans la forte poigne de deux hommes, mais la magie fait toujours effet, et d’un mouvement brusque doté d’une force qui les surprend, je me dégage et me précipite au côté de Seö que les soldats ont allongé par terre que le médecin de la compagnie examine déjà. L’homme a l’air presque aussi jeune que moi, et semble regarder avec circonspection les blessures de Seö. Il perd du temps à se demander comment retirer les flèches et comment faire. Du temps que Seö n’a pas. Je me précipite et m’agenouille près de l’elfe. Avec efficacité, je tire de ma sacoche un couteau, avec lequel d’habitude je cueille les plantes dont j’ai besoin. J’agis mécaniquement, à la fois guidé par la nécessité, l’instinct et les réflexes. Mon cerveau ne peut de toute manière plus fonctionner correctement, puisque la détresse et l’urgence ont y raison de ma raison.
Je teste le fil de la lame du doigt, La lame est toujours bien affutée, j’y veille car c’est important d’avoir des coupures nettes dans bien des cas et puis cela rentre dans l’entretien des équipements. Une ligne de sang apparait sur le gras du pouce. Sans attendre plus lointain, le couteau vole vers la gorge de Seö sous un hoquet de surprise de l’homme à mes côtés, mais la lame vient sectionner habilement les lanières de cuir de sa cuirasse. Un mouvement devenu, hélas, une habitude pendant la guerre, sectionner les lanières était le moyen le plus sûr de libérer la poitrine d’un soldat blessé.
Le cas de Seö est l’un des pires. Les carreaux se sont enfoncés dans son corps, suffisamment pour provoquer de grave dégat à l’entrée comme à la sortie, hélas pas suffisamment pour que la sorte en lui faisant traverser le corps de l’elfe. Cette dernière configuration aurait été la meilleure, car je n’aurai pas eu le risque de lui déchirer des organes et des tissus sur le chemin retour. Je casse les flèches qui dépassent trop, retire la cuirasse, les mouvements sont rapides, précis, automatiques. Je ne vois pas le regard médusé du médecin des Chiens devant mon habilité. Compresses et bandeaux.Quoi ? Le soldat sursaute devant le ton glacial et impétueux de ma voix. Je pousse un grognement énervé et répète mon instruction, presque en lui criant dessus. Compresses et Bandeaux ! Je vais extraire un carreau, vous allez faire pression. Pendant que l’homme trifouille dans sa besace, je tire de la mienne une pince et un flacon d’alcool. Je désinfecte comme je peux mon instrument, de toute manière, je vais lui faire un soin magique en plus. La tête me tourne légèrement et la sueur me pique les yeux, mais je n’ai pas le temps de l’essuyer. Je suis de retour deux ans en arrière, à l’hospital, sauf que je ne soigne pas un inconnu dont la vie est aussi importante que celle d’un autre, mais j’ai entre les mains celle de Seö et pour une raison que j’ignore, sa vie est ce qu’il y a de plus important et est bien plus précieuse que celle de n’importe qui.
Tenez-vous prêt. Le ton est sans appel. J’attrape délicatement la happe avec la pince et commence à tirer le carreau vers l’extérieur. La concentration me fait oublier tout ce qui m’entoure. Les soldats, le sol, Seö. Il n’y a plus que le carreau et la nécessité de le retirer sans accrocher trop de tissus organiques. La pointe est profondément ancrée mais j’arrive à la retirer sans trop de difficultés. Pression ! Le Chien appuie la compresse sur la plaie pour stopper l’hémorragie. En retirant le carreau, j’ai libéré les flots de sangs qu’il bloquait, évitant l’hémorragie interne qui n’aurait pas manqué de se faire doucement. Mais le soldat ne presse pas assez à mon goût. Je lui retire la main sans ménagement mais avec difficulté. Je sens mes forces physiques m’abandonner. Non pas maintenant. Triste supplique envoyée à la Nature. Ma main presse la compresse et j’utilise l’afflux magique qu’il me reste pour cicatriser et réparer les lésions internes. Je ne m’occupe pas de la surface, sinon je n’aurai pas la force de faire plus. Je dois d’abord le stabiliser.
Je m’attèle au second carreau. Il est plus profond, et alors que je le retire, je sens une résistance élastique. J’ai accroché quelque chose. Je renfonce légèrement la pointe et la fais tourner lentement. Je réessaye de la remonter, c’est bon ça passe. Je vois la tête. Pression. Ma voix n’est presque qu’un souffle, mais le Chien obéit. Je place ma main tremblante à côté de la sienne. Le temps s’arrête. Je prends conscience du sol sous moi. La terre est encore humide de la pluie des jours précédents. La poussière mouillée lui donne un contact doux au toucher. Un petit attroupement s’est formé autour de nous, des mines inquiètes et surprises, même le Capitaine semble incrédule, comme s’il n’était pas à sa place. Personne n’est à sa place ici. Un acte chirurgical n’est pas un théâtre. Seö ne devrait pas être allongé par terre, il ne devrait pas être blessé. Je ne devrais pas être aussi épuisée, usant de mes forces vitales pour soigner l’elfe. Ces considérations me traversent l’esprit sans que j’en prenne note. Le ciel au-dessus de nous est dégagé, et les étoiles scintillent doucement. Elles nous font des signes, nous appellent. C’est vrai que de là-haut, nous devons paraitre bien futile à nous débattre ainsi sur notre gros caillou, alors qu’elles sont si libres dans le grand espace du ciel. Les astres nous invitent tous les soirs à les rejoindre.
Mon vertige prend fin, et l’immensité de la tâche qui me reste à accomplir m’accable. Seö est sorti d’affaire, mais ses blessures sont encore ouvertes. Je cesse mon flux magique, sans me rendre compte que ce n’est déjà plus qu’un filet. Je ne peux laisser l’elfe dans la boue pour finir sa guérison, il sera bien mieux dans un lit, dans une caravane. Je me tourne vers les spectateurs. Il lui faut un lit et du repos. Je vais finir de le soigner à l’abri. Vous n’avez qu’à prendre ma caravane, ce sera assez confortable pour vous deux. Je ne sais pas qui a dit ça, mais je me lève pour le remercier. Mais mes jambes ne me portent pas et je m’effondre, surprise. La magie a définitivement quitté mes muscles, mais je suis têtue et je persévère. Je réussis à me lever, je tends une main molle dans la direction approximative des chariots, essaye de dire quelque chose, mais je ne sais plus quoi. La forêt tourne autour de moi, de plus en plus vite. Puis le noir.
Je me réveille en sursaut. Seö ! Son nom est la première chose qui m’est venue à l’esprit. J’ai rêvé de notre rencontre, dans la forêt, mais Cendre était là, et elle nous tirait dessus, Seö s’interposait prenant tous les carreaux à ma place. Je voulais l’en empêcher, je voulais crier, mais c’était impossible. Puis il se met à rire comme un dément, puis Cendre se trouve à ses côtés. Ils se mettent à s’embrasser, ce qui me met dans une rage folle. Mais je ne peux pas bouger. Puis Cendre se met à poignarder l’elfe, encore et encore. Il me regarde d’un air suppliant. Je me réveille en sursaut, me redressant brutalement. Le vertige me prend en même temps que la panique et la peur. Où suis-je ? Je reconnais un lit, puis je sens quelque chose de doux se glisser sous ma main. Je regarde et reconnais le Renard. Mais mon regard voit tout de suite Seö à mes côtés. Il est torse nu, je ne vois pas ses blessures mais je sais qu’elles ne sont pas refermées. Je ne peux pas le laisser comme ça et je sais que ce je vais faire ne va sûrement pas marcher. Mais j’essaye. Je place ma main gauche à l’emplacement supposé de ses blessures mais sur son torse et invoque la magie de toutes mes forces, pour le guérir et le faire cicatriser à travers son corps. Je me rends compte à quel point c’est une mauvaise idée, lorsqu’il est trop tard. J’étais encore trop fatiguée et cet effort demandait trop d’énergie. Je m’évanouie contre lui, avec pour seule pensée. Ca pourrait être pire.
Dernière édition par Aurore Lapsida le Jeu 26 Oct 2017 - 23:19, édité 1 fois