L’hiver avait été rude, mais, pourtant, il ne me semblait pas en avoir passé d’aussi doux durant toutes mes années d’existence. La caravane progressait à grand peine, et avait pris un léger retard sur son supposé trajet. La neige, le vent, et l’ensembles des éléments qui nous entouraient semblaient avoir figé le temps autour de nous. Du travail, il y en avait donc à revendre. Il fallait toujours pousser un chariot qui s’était empêtré dans le grand tapis blanc, ou bien aider à transporter ou réparer du matériel pour permettre à notre convoyage d’avancer. Aurore, elle aussi, avait fort à faire avec les rhumes et les diverses maladies liées au froid mordant qui nous entourait. Pourtant, il me semblait que cette vie nous comblait tous les deux. Nous passions notre temps libre ensembles, à nous découvrir l’un l’autre. Je lui appris à sculpter le bois comme je le faisais pendant mon enfance, ainsi que les bases de l’enchantement des glyphes, alors qu’elle m’apprenait les rudiments de l’herborisme et de la guérison d’une manière plus générale. Nous scellions généralement nos journées en nous retrouvant dans la chaleur du chariot qu’Amont Bauval avait mis à notre disposition, nous découvrant un peu plus chaque jour, chaque soir et chaque nuit que nous passions ensembles. Au terme de ces rudes journées, nous nous endormions l’un contre l’autre comme si rien au monde n’existait en dehors de notre union.
En ce qui concernait mes blessures, quelques semaines de convalescence avaient suffit à me remettre d’aplomb. Mes blessures avaient guéri, et l’onguent d’Aurore avait permis de ne laisser que de fines traces de ce qui s’était passé quelques mois plus tôt. Je profitais donc de notre latente immobilité pour reprendre quelques entrainements, et pratiquer à nouveau l’Alquàlamarë – Envol du cygne, Elfique – la technique de combat propre à Ahavarion que l’impératrice m’avait apprise. Mais pas seulement. Sous la forme de jeux amicaux, nous nous entrainions tout deux, Aurore et moi, à devenir plus agiles. Malgré le froid, la jeune baptistrelle était déterminée à s’aguerrir, et, puisque c’était son choix, je veillais simplement à sa santé. Elle n’était pas une elfe, et tomber malade était donc quelque chose de parfaitement plausible, aussi, suivant les intempéries, il m’arrivait de mettre moi-même fin à nos pratiques, malgré les protestations d’Aurore. Ces quelques mois de douce insouciance furent parfaits, et je n’aurais souhaité pour rien au monde être ailleurs qu’aux côtés de mon amante.
Puis, l’hiver s’en vint peu à peu, laissant place à des températures plus chaleureuses. Notre quotidien ne changeait pas vraiment, pourtant, chaque jour me semblait plus beau que le précédent. Les maladies et les problèmes liés à la neige s’en était allés, ce qui nous laissait maintenant beaucoup plus de temps libre, que nous passions généralement dans la forêt. En effet, le renard, bloqué par les intempéries, avait dû passer l’hiver avec nous, au chaud dans la caravane, et l’appel de la nature lui avait énormément manqué. Si tôt qu’il l’avait pu, il était sorti en trombe du chariot pour s’enfoncer dans les bois, et nous ne l’avions pas vu des jours durant. Nous étions alors nous-même partis à sa rencontre, la tranquillité et l’éloignement que nous procurait la forêt étant bien trop agréable pour que nous ne nous contentions que de courtes balades. Le capitaine des chiens, bien qu’inquiet de nous voir ainsi quitter le campement, ne nous laissait tranquille qu’à une seule condition : celui que j’emporte avec moi mes armes et que je porte mon armure, au cas où un danger venait à survenir. Sa demande me convenait parfaitement, car, après tout, mon équipement était conçu pour parfaitement réguler sa température en fonction de mon environnement, et, dans ces jours où l’air était encore frisquet, son aide était la bienvenue.
Nous étions alors en pleine balade, foulant la mousse encore humide de nos pas. Comme deux amants nouveaux, nous marchions main dans la main, discutant de tout et de rien, accompagné du renard qui courrait parfois autour de nous, et parfois plus loin dans les bois. Soudain, mes oreilles elfiques frémirent, et je fronçais les sourcils. J’entendais des bruits de galop arriver en notre direction. Je me retournais vers Aurore.
« Des chevaux arrive dans notre direction, et au galop. A priori, je ne pense pas qu’il s’agisse d’une menace, mais je préfère être sûr. » Lui dis-je, avec un sourire rassurant. Je posais alors ma main sur le sol, activant un sort elfique somme toute assez classique, mais qui me permettrait peut-être d’avoir une meilleure vue sur ceux qui arrivaient droit sur nous, et de savoir quoi faire. Dans tous les cas, même à cheval, ils ne pourraient pas suivre un elfe dans une forêt, ce qui renforça mon calme naturel. La situation n’était pas critique, seulement intriguante, car nous ne risquions rien directement.
Mais ce que je vis de ne me rassura pas tant que ça. Un cavalier vêtu d’une toge blanche comme la neige ainsi que d’une pélerine de la même couleur semblait fuir trois autres cavaliers à l’apparence plus rustique. Il me fallut quelques secondes pour me rappeler que j’avais déjà vu l’emblème cousue sur la cape quelque part. L’ordre de la Rose ardente, si je me souvenais bien du nom, était une entité proche des Baptistrels dans l’âme. Non violents, principalement des guérisseurs, il n’y avait donc aucune raison pour que le cavalier poursuivi ne puisse être coupable d’aucun tort. Ils se rapprochaient de nous, et la route n’était pas loin. Il n’était pas dans ma nature de laisser quelqu’un, surtout à l’âme supposément pure, se débrouiller tout seul en cas de danger. Soudain, le cheval du poursuivi glissa et ce dernier tomba lourdement au sol. Je grimaçais en compassion, puis je coupais donc ma communion avec la nature, me retournant vers Aurore, qui devait être dans l’attente de mon verdict, même si elle pouvait à présent aisément entendre le bruit des galops qui se rapprochaient.
« Un cavalier, vraisemblablement de la Rose Ardente, était poursuivi par trois autres cavaliers, mais il vient de tomber au sol. On ne peut pas l’abandonner comme ça. » Lui lançais-je, sur un ton décidé. La situation était certes risquée, mais j’avais parfaitement confiance dans les capacités de la baptistrelle. Et puis, cette fois-ci, l’ennemi ne m’aurait pas par surprise, et j’arriverais à gagner suffisamment de temps pour permettre à Aurore de s’occuper du blessé.
Nous partîmes alors en courant à travers bois, moi précédent mon amante, même si je modérais légèrement mon allure pour permettre à la baptistrelle de suivre mes foulées. Heureusement, puisqu’il faisait encore froid, elle avait troqué sa robe contre des vêtements plus classiques et rembourrés de fourrure, ce qui lui permettait de courir sans gêne. La scène n’étant pas bien loin de nous, nous arrivâmes bien vite. Le cavalier, ou plutôt la cavalière, puisque je pouvais à présent voir de longs cheveux noirs descendre en cascade sous la capuche de la pélerine, s’était relevée tant bien que mal. Certains de leur victoire, les trois hommes qui la poursuivait étaient eux descendus de leur monture, ricanant et s’approchant tranquillement de la silhouette blanche.
Je me plaçais alors en travers de leur chemin, Ahavarion à la main, les stoppant net dans leur progression. J’entendis alors les pas d’Aurore dans la neige qui, elle, se précipitait déjà vers la cavalière vraisemblablement blessée. Une seconde de silence sembla alors arrêter le temps autour de nous, puis les hommes reprirent rapidement leur contenance, semblant visiblement beaucoup amusés par ce coup du sort. Ce léger instant me permis alors de les détailler. Vêtus d’armures moyennes faites dans un métal de mauvaise fabrique, ils portaient également de longues capes de fourrures dépareillées, usées par le temps et la neige. Le plus grand des Brigands était roux, et son sourire édenté était partiellement masqué par une barbe hirsute. Il portait dans son dos deux haches rouillées mais affutées, et était légèrement plus grand que moi. Son premier acolyte était d’une carrure plus frêle. Brun, le teint blafard, son nez et sa mâchoire étaient particulièrement pointus. Deux longs poignards dépassaient de sa ceinture, et une arbalète était accrochée dans son dos, ce qui raviva de douloureux souvenirs. Enfin, le dernier, était peut-être celui dont l’apparence laissait le moins à désirer. D’environ ma taille, son visage était plus régulier, et ses cheveux blonds étaient curieusement coiffés. Il était muni d’une grande épée à deux mains, toujours accrochée dans son dos. Les trois individus me dévisageaient alors en riant, alors que je ne prenais pas la parole, le visage presque entièrement masqué par la capuche et le col de ma cape, qui ne laissaient apparaitre que mes yeux ambrés. Le roux prit alors la parole, s’avançant d’un pas.
« Et bien et bien, r’gardez qui v’là. J’crois qu’c’est not’ jour de chance les gars. Au lieu d’une demoiselle, en voilà une deuxième, ça s’ra moins compliqué à partager. [/color] » Finit-il en éclatant de rire, provoquant le même effet sur ses deux comparses. Je sentis un frisson transpercer mon échine. L’attitude de l’homme était répugnante, et une flamme de colère sembla naitre dans ma poitrine. Mais je me reprenais bien vite. Je devais rester concentré, peu importe ses provocations. Mon but n’était que de protéger les jeunes femmes derrière moi, pas d’infliger une quelconque punition. Lorsqu’il eut fini de rire, il replongea alors son regard dans le mien, une lueur provocante dans les yeux.
« Merci du cadeau mon gars. Maint’nant dégage, avec ton jouet, avant qu’il me prenne l’envie de te briser les deux jambes. » Dit-il avec un sourire confiant. Bien sûr, je ne m’écartais pas le moins du monde. D’un geste lent, et maitrisé, je glissais ma jambe droite en arrière, dans la position que m’avait enseigné l’impératrice. Je ne parlais pas, gardant simplement les yeux sur les trois hommes que mon mouvement semblait avoir agacé.
« J’crois qu’il va pas bouger, chef. » Dit alors le brun, dégainant ses poignards.
« J’suis d’accord. » Confirma alors le blond, s’emparant de la lame accrochée dans son dos.
« Visiblement, mes deux gars sont d’accord pour dire qu’t’es un idiot. Mais ça m’arrange j’dois dire. J’vais te briser, mais j’vais pas te tuer. Y’a rien qui m’excite plus que d’voir un presqu’chevalier qui profite des conséquences d’son propre échec. » Répliqua-t-il en se léchant les lèvres d’un air carnassier, arrachant un nouveau rire de ses deux alliés. Il décrocha alors ses haches, et fit un pas vers moi.