Incognito [PV Nolan Kohan]

¤ Liqueur d’Athgalan ¤

Un grognement … des paroles incompréhensible suivit un profond soupir. Nathaniel se réveilla. Il avait une mine affreuse sur le visage et les cheveux en bataille. Sa vision était un peu floutée, il ne tarda pas à venir frotter ses yeux activement avant de les cligner plusieurs de fois de suite pour faire revenir sa vue à la normale. Il se rendit alors compte d’où il était : dans sa chambre. Ou plus exactement la chambre d’hôtes qu’il avait réservée. La pièce était d’ailleurs … sens dessus dessous. Il y avait tout un tas d’objet par terre. Des choses sans grand intérêt. Des livres, des décorations, des coupes vides, un peu de nourriture. Mais aussi des vêtements. Oh tien, certains n’étaient pas les siens. Son regard se porta alors sur le lit, deux créatures aux formes féminines se trouvaient là, assoupies. Bon, jusque-là rien d’étonnant. D’un seul coup on cogna à la porte et un juron échappa à l’elfe sombre qui prit sa tête entre ses mains. Il avait l’impression que l’on cognait contre son crâne avec une massue en acier. Il se rendit alors compte de l’horrible migraine qu’il avait. Et puis, il puait l’alcool. Bon, jusqu’ici rien d’anormal non plus. Il devait avoir fait la bringue comme ce n’était pas permis et décider de finir la nuit en beauté avec une, ou deux visiblement, prostitués. Par ailleurs, l’elfe sombre ne se souvenait pas du tout de sa journée d’hier. C’était flou, très flou. Il devait en tenir une bonne. À nouveau l’on cogna à la porte et l’orque jura une fois de plus avant de se lever et ouvrir la porte.

« Arrêtez de frapper comme ça ! »

« Monsieur, vous avez dépassé l’horaire de remise de la chambre ! De plus vous êtes rentrée hier soir ivre comme un cochon, vous vous êtes bagarré avec un client pour lui prendre sa fille de joie et avez brisé deux de mes tables et plusieurs chaises. La foire de Sélénia n’excuse pas tout, j’espère que vous avez de quoi réparer les dégâts et régler le supplément de votre note sans quoi je vous fais sortir d’ici par la peau du cul et vous envoie régler votre note auprès de la garde ! »

Face à lui se trouvait une humaine bien dodue à la voix puissante qui ne cessait de beugler contre le pauvre elfe à peine réveillé et dont les veines de ses tympans semblaient doubler de volumes à chaque seconde qu’il passait à entendre les braillements de l’aubergiste. L’elfe sombre à bout sous la douleur de son crâne s’apprêta à la pousser par-dessus la balustrade du deuxième étage quand soudainement une main vint se poser sur son poignet.

« Laisser je m’en occupe, capitaine. »

Nathaniel reconnut le membre de son équipage qu’il avait mis en faction à l’auberge et referma la porte sans attendre plus longtemps, entendant l’aubergiste continuer de brailler, mais semblant s’éloigner. Le calme et le silence revinrent ensuite. Sans attendre, le pirate se dirigea vers ses affaires, cherchant un remède ou une potion quelconque pour arranger sa gueule de bois. La femme avait parlé d’une foire, cela lui revenait. Il y avait effectivement une foire à Sélénia, c’était en partie pour en profiter qu’il était venu ici. Malheureusement, il n’avait pas d’autre souvenir de la soirée. Mais se connaissant, son soi du passé avait dû prévoir quelque chose pour son soi du futur dans le but de réparer les déboires de la veille. Bingo ! Il avait effectivement quelque chose. Sans attendre, l’elfe à la chevelure d’écume le but. Il ne fallut que quelques secondes pour que les premiers effets se fassent sentir.


Quelques heures passèrent. Heures pendant lesquelles, Nathaniel remercia les prostitués de la veille tout en leur donnant paiement, avant d’aller se décrasser pour chasser l’odeur de sueur et d’alcool qui s’accrochait à sa peau, ainsi que sa sale mine et sa toison emmêlée. Cela fut une véritable bénédiction. Être au contact de l’eau, il n’y avait rien de meilleur. Après s’être fait présentable, le brun s’habilla en tenue de civil légèrement noble. La foire n’était pas totalement finie. Certes la fête était hier, mais il devait bien y avoir encore quelques activités aujourd’hui. Sans doute un marché, de la musique ou des jeux. L’endroit avait réuni beaucoup de monde, ce serait trop bête pour les commerçants de n’en profiter qu’une seule journée.

Nathaniel quitta l’auberge et se dirigea en direction de la haute ville. Une brise légère soufflait, transportant l’odeur de la mer. Le soleil était haut, ce devait être le début de l’après-midi. Dehors il y avait un peu de monde, moins que la veille cependant. Les plus fêtards avaient dû rester dans leur maison pour se remettre des festivités. Quelques groupes d’artistes semblaient avoir décidé de jouer les prolongations, de la musique s’élevant de quelques ruelles. Remontant une rue assez grande de la ville haute, l’elfe sombre finit par tomber sur le début d’une allée marchande et s’y engagea. Que pouvait-on trouver d’intéressant à Sélénia ? Se demanda-t-il tout en commença à laisser trainer son regard sur les bibelots. Et alors qu’il avançait, le pirate finit par capter une voix s’élevant parmi toutes les autres.

« Approchez ! Venez mes chers amis ! Venez goûter la liqueur d’Athgalan ! Vous avez l’impression que votre crâne est pris entre les mâchoires d’un dragon à cause de la fête d’hier soir ? Buvez-en et cette douleur s’évanouira ! Vous voulez connaitre la véritable extase papillaire ? Buvez en et vous n’en reviendrez pas que ces canailles de pirates aient pu inventer un tel délice ! »

L’elfe sombre arqua un sourcil. De la liqueur d’Athgalan ? Ici ? Depuis quand la ville pirate en exportait-elle ? Très peu de tonneaux étaient produits au vu de la difficulté du procédé. Et même, l’exploitation était contrôlée par la confrérie directement, il ne se souvenait pas avoir entendu le capitaine des contrebandiers parler d’exportation. Voilà qui était étrange. Un pirate aurait-il décidé de délester en douce la confrérie de quelques tonneaux ? En tant qu’autorité de ladite ville, il se devait d’aller voir.

Lentement l’elfe sombre s’approchait du stand, alors que le vendeur continuait de brailler avant de finalement jeter son dévolu sur un passant.

« Vous là-bas ! Oui vous monsieur ! »

Le marchand pointa du doigt une personne dans la foule qui passait par là. Vêtu d’une cape grossière et arborant des cheveux noirâtres.

« Approchez ! Vous êtes chanceux ! Vous allez gratuitement pouvoir goûter un verre de cette merveilleuse liqueur et montrer à tous les habitants de Sélénia la saveur de ce breuvage ! »

Le marchand se saisit d’une coupe en bois et la plaça sous le tonneau, venant ouvrit le robinet. Un liquide vert et scintillant, semblable à de l’émeraude changer en eau se mit à couler venant remplir le récipient. Une douce odeur s’en dégageait. Il le tendit alors à l’inconnu.

Nolan émergea lentement de son sommeil brumeux, réveillé par le son tonitruant des cloches de la citadelle de Sélénia. Ses prunelles mordorées encore embuées par l’ivresse de la veille inspectèrent le lieu où il se trouvait.  

L’adolescent était allongé dans une venelle de la cité, à quelques mètres de badauds ronflants dont le corps empestait la vinasse. Que faisait-il dans ce lieu malfamé ? Ses souvenirs étaient nébuleux et sa tête semblait en feu. Le gamin serra les dents en sentant la douleur aiguë de la gueule de bois lui vriller la cervelle. C’était la première fois qu’il se prenait une cuite pareille ! En effet, la nuit précédente ce dernier avait abusé du succulent vin qui coulait à foison lors des festivités de la foire annuelle de Sélénia.

Celui-ci s’y était rendu incognito, en revêtant les hardes d’un homme du peuple, une perruque noirâtre et une fausse barbe. Par bonheur, nul n’avait reconnu le jeune empereur sous ce déguisement grossier, lui permettant de jouir d’une incroyable liberté.

Cependant la fête n’était pas terminée et Nolan avait bien l’intention de poursuivre son escapade en dehors du carcan étriqué du palais. Il se redressa en titubant et s’achemina vers les quartiers commerçants de la ville. Tout en flânant, l’empereur déguisé pût admirer une nouvelle fois les rues magnifiquement décorées par des guirlandes aux couleurs chatoyantes, mélangeant allègrement les plus belles nuances de rouge, de vert, de bleu, de violet, de doré et d’orangé. La nuit dernière, l’avenue des lumières, jamais aussi bien nommée, scintillait de mille-feux, semblable à une route d’étoiles, grâce à la magie des lucioles qui y étaient disposées. Les rues de la cité, quant à elles, éclairées par la lumière de bougies résonnaient de rires de joie des passants. Sur la grande place, les saltimbanques exécutaient leur numéro et les artistes entonnaient leurs plus beaux chants, désireux de s’attirer les faveurs du public.

Aujourd’hui, plusieurs marchés étaient organisés et le blond en profita pour admirer les échoppes bien achalandées et sentir le léger vent d’été caresser son visage. Une odeur de dinde rôtie émanant d’une auberge chatoya agréablement ses narines. Autour de lui, les gens festoyaient et faisaient ribaude en affichant des sourires  joyeux . L’atmosphère était à la joie et aux réjouissances ; pourtant, Nolan sentit un sentiment de tristesse et de nostalgie emplir dans son cœur.

Il se remémora Ambarhùna et le froid des hiversd’Aldaria, sa ville natale, aujourd’hui disparue. En raison de cette terrible guerre contre les chimères et de l’exil vers Tiamantara, Nolan avait perdu une grande partie de l’insouciance de son enfance. A l’époque, ses seules préoccupations étaient de s’empiffrer de bonbons et de biscuits, de s’amuser avec ses innombrables jouets ou de taquiner sa jeune sœur en cachant des araignées vivantes à l’intérieur de ses chaussettes.

En Décembre, sitôt la première neige  tombée, il sortait dans le parc du palais pour faire un bonhomme de neige ou glisser sur le lac gelé, transformé en patinoire pour l’occasion. L’adolescent se souvenait également des longues balades en traîneau  dans les forêts nordiques de l’ancien continent et des rennes qu’on pouvait parfois apercevoir dissimulés derrière des sapins. Absorbé par ses pensées, ses lèvres laissèrent échapper ces mots dans un murmure:

« L’enfance c’est de croire qu’avec le beau sapin et trois flocons de neige toute la terre est changée »

A l’époque, sa candeur juvénile le lui faisait croire, mais la cruelle réalité avait eu raison d’une partie de ses idéaux, laissant place à l’amertume des désillusions.

Hélas, la contrée de sa jeunesse n’existait plus. Les chimères l’avaient emporté à jamais, détruite, souillée, ravagée… Désormais l’empereur devait assumer le fardeau du pouvoir et un empire disloqué sur une terre nouvelle et pleine de dangers.

Nolan poursuivit ses flâneries en ville et ses pas le menèrent jusqu’à une échoppe où un marchand proposait de la liqueur d’Athgalan. Le jeune homme fronça des sourcils, s’en étonnant quelque peu. Ainsi Athgalan la perfide, cette ville dédiée à la piraterie et à la criminalité exportait certains de ses produits dans la capitale du Royaume Sélénien…Le jeune souverain devait en avoir le cœur net et décida de s’approcher.

Devant l’échoppe, se tenait un mystérieux individu, à la silhouette Elfique, avec à la main un verre de ce curieux breuvage. A sa vue, Nolan ressentit une impression de familiarité, avait-il déjà croisé cet inconnu quelque part ? En raison de la foire annuelle, de nombreux étrangers envahissaient la cité pour profiter des festivités et vendre leurs produits, donc cela ne serait guère étonnant qu’il l’ait déjà rencontré dans une taverne ou lors d’un concert. Du reste, son épouvantable mal de crâne l’empêchait de réfléchir.

Le marchand lui tendit le verre de liqueur et en contemplant le liquide verdâtre, le jeune souverain sentit la nausée le gagner. Il ne pourrait jamais avaler ça !
- Hmm, merci du cadeau, dit-il en prenant le verre malgré tout. J’ignorais qu’Athgalan exportait des liqueurs, voilà qui est surprenant.  De ce que je sais de cette cité, elle abrite principalement des pirates et des criminels et vend surtout des esclaves…

L’empereur Sélénien baissa la tête vers le mystérieux élixir et grimaça car ce dernier ne lui semblait guère bien ragoûtant. Alors qu’il cherchait un prétexte poli pour refuser d’en boire ou le verser discrètement par terre lorsque son interlocuteur aurait le dos tourné ; deux ivrognes s’approchèrent en titubant.

Le plus alcoolisé des deux, poussait de grands cris et ne cessait de verser des larmes, tandis que son comparse lui tapait sur l’épaule avant de lui glisser sur le ton du réconfort.

« Maman disait toujours: Il n’y a pas de vrais fêtes sans quelqu’un qui pleure. D’habitude c’est moi ».

Ce à quoi, le premier ivrogne, à qui le vin déliait la langue, répondit :

"Le pays ? Mais qu'est ce qu'il sait le pays sur ce qu'on souffre ici ? Je vais vous dire moi, je me suis senti plus proche des gens normaux, que ceux qui crient " Mort aux Impériaux" chez eux bien au chaud devant leur dinde aux marrons !!"

Puis, ce dernier s’approcha de Nolan et avant que le gamin eut pût esquisser un geste, il lui arracha le verre de liqueur des mains.

- De la liqueur d’Athgalan ! Chouette moi qui avais besoin d’un petit remontant pour oublier mon chagrin. En plus c’est la première fois que j’en vois. Je vais tester ça toute de suite.

Et joignant le geste à la parole, l’homme avala la boisson cul-sec.

¤ Liqueur d’Athgalan II ¤

Au loin, dans la ruelle marchande,  un homme parlait fort. Du moins plus fort que le brouhaha environnant, ou du moins il essayait. En effet il s’agissait d’un commerçant. Un commerçant qui vendait un breuvage venu de la cité pirate. Et pas n’importe quel breuvage, de la liqueur d’Athgalan. La simple évocation de ce nom fit tiquer l’elfe au teint grisâtre qui se rapprocha assez rapidement de l’échoppe. Du moins aussi rapidement qu’il pouvait en se faufilant à travers les passants. Il finit par arriver sur place. En même temps, le commerçant tendait un verre à un jeune homme qui passait par là et celui-ci le prit. N’y prêtant guère d’attention, Nathaniel se saisit d’un des verres présents sur l’échoppe. Ce dernier était rempli du même liquide vert, semblable à de l’émeraude liquide. Une très belle couleur, presque envoutante. Il ne s’agissait cependant pas d’une couleur traditionnelle pour un breuvage, pas étonnant que ça en rebute certains. Tranquillement, l’elfe à la chevelure d’écume vint plonger l’extrémité de son petit doigt à l’intérieur, venant l’humidifier avec le liquide, avant de le passer sur sa gencive supérieure. Ni une ni deux, l’elfe fit parcourir sa salive dans sa bouche avant de cracher au sol et renverser le verre par la même occasion. Dans un même temps, le pirate tourna son regard vers l’homme à qui le commerçant avait tendu une chope. Mais le récipient n’était plus dans ses mains, mais dans celle d’un autre homme. La chance semblait avoir souri à cet inconnu.

« Hey monsieur ! Qu’est-ce qui vous prend de renverser ma marchandise ? Vous avez renversé le plus merveilleux des breuvages comme si c’était de la vulgaire gnole ! Il va falloir payer la consommation. »

« Et vous, empoisonneur, qu’est-ce qui vous prend de vendre pareil venin en pleine ville ? La confrérie a interdit la commercialisation de la liqueur d’Athgalan ! Vous devez avoir un vomitif sur vous, donnez-le-moi ! »

Nathaniel passa derrière le comptoir pour se saisir du marchand à la recherche d’un vomitif. Il devait nécessaire en avoir sur lui s’il manipulait pareil breuvage, à moins qu’il ne soit totalement inconscient. Malheureusement, ce dernier ne se laissa pas faire.

« Mais qu’est-ce qui vous prend monsieur ?! Je suis un honnête commerçant, les lois des fourbons ne s’appliquent pas ici. Dégagez de mon échoppe. Garde ! »

L’elfe gris perdit patience tout comme le commerçant et ils ne tardèrent pas à en venir aux mains quand soudainement un cri aussi déchirant qu’inhumain s’éleva dans la ruelle. L’ivrogne qui avait bu la liqueur s’effondra sur les genoux tout en se tenant la gorge de laquelle jaillissaient des gargouillis infâmes. Du sang ne tarda pas à couler des yeux, des oreilles et du nez du malheureux. Puis, dans un soubresaut, il se mit à vomir du sang, mais également une sorte de bille noirâtre et marron, épaisse et malodorante, avant de finalement s’effondrer au sol sans vie. Le capitaine pirate regarda avec un profond dégoût la scène qui se produisait sous les yeux horrifier des passants qui ne tardèrent pas à s’éloigner, formant un cercle autour.

La liqueur d’Athgalan était un met de la cité pirate. Un breuvage soumis directement à régulation par la Confrérie alors qu’il est supposé pouvoir s’échanger tout et n’importe quoi dans cette ville infâme. Mais si l’instance gouvernementale de la cité du crime est allée l’interdire, c’est bien pour la sécurité de la ville. Construite sur un marécage putride où grouillent des créatures dangereuses, la plus hostile de toutes se prénomme le vaseux. Malheureusement, la liqueur d’Athgalan, véritable nectar quand il est réussi, suppose la fermentation de plante au sein d’une cuve remplie de ces ignobles créatures. Et lorsque le breuvage est mal épuré de la pourriture de ces infâmes créatures, le liquide se transforme en un épouvantable poisson. A la différence près qu’il ne fait pas que tuer le buveur.

Un gargouillis infâme se fit entendre par l’espèce de bille vomie par l’ivrogne. Bille qui sembla se mouvoir de manière informe. Un œil et une bouche semblèrent se former alors qu’elle recouvrit la tête du cadavre encore frais.

Un cri provenant d’une passante se fit finalement entendre.

« AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !!! Qui est-ce que c’est que cette horreur !! »

¤ Sauve qui peut et moi d’abord ! ¤

Nathaniel pensait que la journée allait se passer comme la précédente. Dans le calme. Du moins, quand le pirate disait calme, cela incluait tout de même une certaine agitation pour ne pas rendre ce jour trop ennuyeux, mais cela supposait une agitation mesurée, de petits évènements sans véritables conséquences pouvant pimenter un peu le temps passé. Ainsi, le genre d’évènement perturbateur qui se déroulait actuellement n’entrait clairement pas dans le cadre d’une journée calme selon le capitaine de la confrérie. En vérité, le seul véritable danger qu’il pensait pouvoir rencontrer dans cette ville était la garde. Cependant, la vie a cette fâcheuse habitude de perturber ce que vous pensez pour acquit. En effet, qui penserait qu’un vaseux apparaitrait à Calastin et encore plus en pleine capitale de l’empire Sélénien ?

Nathaniel regarda avec un profond dégout l’ivrogne s’effondrer, ainsi qu’un petit frisson dans le dos. Il savait à quel point cette façon de mourir était horrible, pour l’avoir déjà vu. Lui-même ne souhaitait pas cela à son pire ennemi … du moins façon de parler. Si son pire ennemi méritait pareille fin alors il serait plus qu’heureux de la lui fournir. Bref ! Vous voyez c’est juste façon de parler. L’abomination marécageuse engloutissait le corps qui l’avait vu naitre et observait déjà autour d’elle les nombreuses proies dont elle pourrait se nourrir. Le pirate devait vraiment être dans un mauvais jour. Non seulement sa journée était perturbée par ça. Mais maintenant, cette saloperie semblait avoir l’intention de s’en prendre à lui. Non, il n’avait pas l’intention de finir en repas !

Assez rapidement, le vaseux commença à étendre son corps informe vers lui qui était toujours aux prises avec le marchand. Dans le même temps, quelques cris s’élevaient alors que les gens commençaient à prendre la fuite, n’hésitant pas à se marcher dessus. Les idiots. L’elfe sombre n’avait cependant pas le luxe de se préoccuper d’eux. La créature arriva rapidement vers lui et étendant sa langue pour essayer de l’attraper. Instinctivement, Nathaniel saisit plus fermement le vendeur de liqueur qu’il tenait toujours et le tira pour s’en servir de bouclier. Aussitôt l’extension du vaseux se colla au pauvre homme, le tirant à lui pour le recouvrir et le dévorer.

Quoi ? À quoi vous vous attendiez venant d’un pirate ? Et puis, certains diront que ce n’est que justice. C’est lui qui avait vendu de la liqueur frelatée. Nathaniel ne peut être tenu pour responsable de ça. C’est uniquement et pleinement de la faute de cet homme. Le pirate est innocent !

Bien, il était sauvé, il était maintenant l’heure de fuir avant de s’attirer plus d’ennuis. L’elfe à la chevelure d’écume se mit à reculer quand son pied droit refusa de suivre le mouvement de son corps, rencontrant de la résistance. Le pirate baissa les yeux avant de lâcher un juron. Ce vaseux était décidément un putain de glouton ! Le marchand avait fait un bouclier insuffisant, une partie du corps de l’abomination marécageuse étant parvenu à atteindre le pied droit du capitaine. Bien ! Comment ce tirer de là avant de finir en casse-croute ? C’est pour ça que le pirate n’aimait pas être à terre, c’est toujours le bordel.

L’elfe sombre leva sa main gauche et y concentra sa magie, celle-ci affluant jusqu’à son poignet, se faisait absorber par un bracelet d’argent, le rubis qui l’ornait se mit alors à briller. Une tache noire, semblable à une ombre, se forma à côté de lui. Il en jaillit alors un tentacule qui vint s’enrouler autour de l’extension du vaseux liant son corps et le pied du marin. Le tentacule se mettant à tirer. Dans le même temps, un deuxième tentacule apparut plus en arrière, venant s’enrouler autour de la taille du pirate et le tirant. Avec de la chance, le vaseux lâcherait prise.

« Lâche-moi saloperie ! »

Nathaniel regarda alors autour de lui s’il n’y avait pas quelque chose d’autre pouvant l’aider. Son regard se posa alors sur le jeune homme qui avait failli boire le verre et être transformé en cette chose, et qui n’avait pas encore décampé.

« Hoy ! Ne reste pas planter là comme le cul de l’empereur vissé sur son trône ! Balance-lui quelque chose ou jettes-toi dedans, ça aura le mérite de le ralentir ! »

Le jeune empereur devint muet de stupéfaction face à la scène surréaliste qui se déroulait sous ses yeux ébahis. L’ivrogne après avoir avalé le verre de liqueur qui lui était initialement destiné se mit à saigner de tous ses orifices, avant de vomir une mare de sang emplie d’une viscosité putride. Et comble de l’horreur, cette bile verdâtre s’anima afin de dévorer son cadavre et se métamorphosa en une créature difforme, au corps gluant, et à la texture élastique.

Autour de l’adolescent, des cris d’épouvante ne cessaient de résonner et des passants le bousculaient afin de fuir le plus rapidement possible, loin de ce lieu de terreur. Nolan quant à lui, demeurait immobile, tétanisé face au déroulement des événements et gardait ses mires mordorées rivées sur la monstruosité, éprouvant un indicible sentiment de dégoût et de fascination. D’où pouvait bien provenir cette chose et de quelle façon avait-elle pris possession du corps de l’ivrogne ? Jamais auparavant, l’adolescent n’avait assisté à un tel carnage et la mystérieuse liqueur d’Athgalan semblait être la cause de ce chaos….

Poursuivant sa transformation, la matière visqueuse laissa apparaître des tentacules hérissées d’yeux globuleux et gueule dardée de crocs acérés d’où s’échappa une voix gutturale et horrifiante. C’est alors que cette dernière se tourna vers ce qui paraissait être sa prochaine proie et sa langue s’étira de plusieurs mètres pour s’en emparer.

Cependant, celui qui était visé, un elfe à la chevelure lactescente, visiblement peu désireux de finir dans l’estomac de l’abomination, utilisa le corps de l’infortuné marchand de liqueur comme bouclier humain, sauvant sa vie par la même occasion. Bientôt, les cris d’agonie du malheureux retentirent tandis que la bile verdâtre l’absorbait comme elle l’avait fait précédemment avec l’ivrogne. Le jeune souverain sentit la nausée l’envahir à cette vue et détourna le regard de cette scène cauchemardesque ; certes, l’homme avait un peu mérité son sort car sa liqueur était la cause de l’apparition de cette affreuse créature ; toutefois, aux yeux du gamin nul ne méritait une fin aussi atroce…

Hélas, le monstre bileux n’était guère rassasié de la chair de victimes et demeurait en quête d’un casse-croûte tant la faim qui le tenaillait paraissait insatiable. Dès lors, l’elfe aux cheveux cendreux n’était pas encore tiré d’affaire et le glouton entreprit une nouvelle offensive à l’aide de ses extensions visqueuses.

Tentant de se défaire de sa prise, l’elfe utilisa le bracelet qui ornait son poignet et fit jaillir un tentacule d’ombre, dans l’espoir de contrer son adversaire. Nolan, assistait impuissant à cette scène de combat, ne sachant s’il devait intervenir ou en profiter pour fuir à son tour, laissant l’inconnu se débrouiller seul avec le monstre vaseux. Tout d’un coup, l’elfe se tourna dans sa direction et se mit à vociférer, l’insultant par la même occasion ou plutôt l’empereur de Sélénia. En effet, sous ce déguisement d’homme du peuple, nul n’aurait pu reconnaître le jeune souverain Sélénien…

Arraché brutalement à son inertie par cette remarque offensante, le gamin sentit la colère le submerger et répliqua :

- Espèce de manant ! Je vous interdis de m’insulter et aussi notre bon empereur ! Je vous signale qu’il ne passe pas ses journées le cul juché sur un trône ! Il…est très occupé et a de nombreuses responsabilités, contrairement à certains qui passent leurs journées à boire et à s’amuser à la foire. Excusez-vous immédiatement et je viendrais vous sauver…

Soudain, le monstre verdâtre fit pivoter la masse informe qui lui servait de crâne et ses globes sanguinolents se dardèrent sur le jeune empereur. De nouveau, une voix irréelle surgit de sa gueule béante :

- De la chair fraîche…je t’aime bien toi, bon diner.

Sans desserrer son étreinte autour de la taille et du pied de Nathanaël, l’abomination fit surgir un nouveau bras tentaculaire et le lança en direction de Nolan afin de l’enrouler autour d’une de ses jambes.

Puis avant même que le blond eut pu lui faire lâcher prise, la chose gluante tira un coup sec et le suspendit un instant en l’air, tête en bas, avant de le claquer sur le sol, juste à côté du pirate.

- Aie !  La vache, ça fait mal saleté ! Tu pourrais être plus délicat…grinça le gamin entre ses dents.

- Vous-deux, bon manger, miam-miam ! s’exclama le monstre verdâtre en guise de réponse.

Cette fois-ci, il étendit son cou démesurément et ouvrit une bouche immense juste au-dessus de ses deux captifs afin de les gober d’un seul coup.
Nolan ferma les yeux et instinctivement, ce dernier effectua le geste clé d’un sortilège en priant intérieurement pour que celui-ci fonctionne ; sinon s’en était terminé pour les deux compères qui avaient eu la malchance de croiser ce vaseux sur leur route.
La magie jaillit de la paume de l’empereur et quelques secondes plus tard, les borborygmes de l’abomination retentirent et cette dernière relâcha ses prisonniers. Le sort avait marché !

[Défensif (ou offensif)] Lisière d'eau

Le lanceur fait jaillir de l'eau à très haute pression qui s'écrase sur l'adversaire, le renverse et lui coupe le souffle, peut assommer, rend le terrain autour de la cible glissant. Le sort prend fin lorsque la cible s'échapper ou que le lanceur le coupe
Geste clé : Produire un cercle d'une main et mettre l'autre, à plat, au dessus

Reprenant ses esprits, l’adolescent s’écria à l’attention de son compagnon d’infortune:

- Ça a marché ! Le monstre a lâché prise ! Il faut déguerpir et l’entrainer jusqu’à un endroit désert de la cité pour le neutraliser, je n’ose imaginer ce qui se passerait si cette monstruosité se rendait dans les quartiers très fréquentés.

¤ Allumer le feu ! ¤

Dire que Nathaniel pensait que cette journée allait être d’une relative tranquillité. Il ne s’attendait pas le moins du monde à se retrouver dans une situation semblable. C’est vrai quoi, qui aurait cru qu’un imbécile vendrait ici de la liqueur frelatée de la ville pirate ? Qui aurait cru que cette dernière soit bue par quelqu’un ? Et finalement qui aurait cru qu’un vaseux apparaitrait au milieu de la ville de l’empire ? Pas l’elfe à la chevelure d’écume en tout cas. Le Gredin se retrouvait donc dans une situation des plus complexes. La monstruosité l’avait agrippé et avait l’intention de le dévorer, mais lui n’était pas de cet avis. Utilisant l’une de ses bagues, il créa des vrilles afin d’espérer se dégager. La première saisissant le vaseux pour le tirer d’un côté, tandis que la deuxième saisissait Nathaniel pour le tirer de l’autre côté. Avec de la chance, il s’en tirerait simplement avec une jambe brisée, rien qui ne pouvait pas se soigner en comparaison de servir de repas à cette bête marécageuse. C’est pour cette raison que le pirate n’appréciait pas être à terre, certes, il y avait certains délices qui ne pouvaient être dégustés qu’à terre et qu’il fallait bien y retourner de temps à autre. Mais le problème c’est que loin de la mer et de son navire il était, sans être impuissant, bien plus faible qu’à l’accoutumer.

Heureusement, ou pas d’ailleurs, l’elfe n’était pas seul. Tout le monde avait fui, ou était un train de fuir, à l’exception d’un individu qui semblait tétaniser par le spectacle. Aussi, Nathaniel lui indiqua, avec son tact naturel, de lui venir en aide. Les termes employés ne semblèrent pas plaire au jeune barbu qui paraissait plus vieux qu’il n’en avait l’air, qui l’insulta en retour de manière assez noble. Rah qu’il détestait les nobliaux, à mettre des formes même avec les insultes. Le sélénien prit même la peine se défendre l’empereur, laissait presque paraitre qu’il avait été directement blessé par la remarque. Quelle bande d’idiots ces citoyens de l’empire à aimer un dirigeant de cette façon. Nathaniel fit les gros yeux quand celui-ci l’exhorta à s’excuser pour ses paroles si jamais il voulait qu’il lui vienne en aide. Comment osait-il celui-là ! La situation était critique et il se payait le luxe de lui réclamer des excuses au lieu de lui venir en aide. S’il avait Catherina sous la main, il lui balancerait pour espérer lui fracasser le crâne !

En dépit de la stratégie de l’elfe sombre, la créature du marais ne lâchait pas prise, au contraire cette dernière se raffermissait. La douleur montait en flèche, à ce rythme il allait finir par se briser les os, ce qui compliquerait grandement la fuite. Devait-il vraiment s’excuser ? Alors qu’il l’envisageait, la créature se jeta sur le jeune homme avec l’intention de le dévorer lui aussi. Au grand dam de celui-ci, la créature parvint également à lui saisir une jambe, commençant à la tirer. À voilà ! Bravo le sélénien ! À vouloir palabrer au lieu d’agir il était lui aussi dans de beaux draps. Maudit soit cet idiot.

Que devait-il faire ? User de son totem ici ? Il y avait-il seulement que l’eau qu’il pouvait contrôler dans les environs les plus proches ? Alors qu’il tergiversait, le vaseux commença à ouvrir sa gueule difforme tout en se rapprochant.  L’elfe sombre jeta un coup d’œil en direction de l’homme qui était embourbé jusqu’au cou dans la même difficulté que lui. Il remarqua alors ce dernier faire des gestes clés dans le but d’utiliser la magie. Soudainement, de l’eau sous pression jaillit, venant frapper les excroissances de la créature, lui faisant lâcher prise tout en lui arrachant un râle de douleur. L’elfe retomba au sol et se redressa rapidement, venant invoquer des nouveaux tentacules entre eux et la créature pour espérer l’occuper quelques instants.

« Ça a marché ! Le monstre a lâché prise ! Il faut déguerpir et l’entrainer jusqu’à un endroit désert de la cité pour le neutraliser, je n’ose imaginer ce qui se passerait si cette monstruosité se rendait dans les quartiers très fréquentés. »

« L’eau fonctionne sur ce type de bête, mais ça ne suffira pas. Si le taux d’humidité augmenta trop, il ne pourra pas se maintenir et se dissipera. Cependant, je ne suis pas magicien et je doute que vous puissiez faire apparaitre suffisamment d’eau pour y parvenir. Et le port est trop loin pour le jeter à la mer. Le feu fonctionnera mieux. Si on le dessèche, son corps ne tiendra pas. Mettez le feu aux bâtiments les plus proches, l’incendie qui en résultera devrait dégager suffisamment de chaleur pour en venir à bout. Il faudra juste s’assurer qu’il ne s’enfuit pas. »

Mettre le feu à la ville ? Nathaniel était très sérieux quand il disait cela. Il semblait parler en connaissance à l’égard de ses créatures et c’était le cas. Il en avait tué des dizaines pour pacifier la zone où était construite Athgalan. Déjà l’elfe sombre regardait autour de lui et près du stand du vendeur de liqueur qu’il n’y avait pas de l’alcool auquel il pourrait mettre le feu.

Nolan tergiversait, ne sachant s’il devait venir en aide à ce malotru, qui avait eu l’outrecuidance d’insulter l’empereur de Sélénia, lui en l’occurrence, en dépit de l’anonymat que lui octroyait son déguisement d’homme tout venant, ou contraire l’abandonner à son triste sort, du moins tant que dernier ne se serait pas excuser. Alors que l’adolescent allait céder et sauver le malheureux mal-élevé qui sinon risquait fort de servir de déjeuner au vaseux, la créature verdâtre pointa ses yeux globuleux dans sa direction et sa manière carnassière de le dévisageait ne laissait planer aucun doute quant à la voracité de son appétit…

Avant même que l’adolescent ait pu esquisser un seul geste, la créature des marais allongea l’un de ses bras tentaculaire et l’enroula autour de sa jambe, avant de le suspendre dans les airs, la tête à l’envers, tel un vulgaire pantin désarticulé.

Le blond sentit ses joues s’empourprer d’humiliation. Heureusement qu’ils étaient seuls et que personne d’autre ne pouvait assister à la scène ! Le jeune souverain aurait eu l’air malin ainsi aux prises avec un vilain monstre tout vert devant une foule toute entière.

Quelle idée saugrenue il avait eu de vouloir sauver cet elfe, il aurait mieux fait de le laisser se faire dévorer tout cru, ce grossier personnage, même pas capable de courir assez vite pour échapper à cette chose gluante ; décidément sa gentillesse légendaire finirait par le perdre et cette fois-ci il venait de s’enliser dans un beau bourbier dont il ignorait comment se dépêtrer.

- Lâche-moi sale bête ! grinça-t-il entre ses dents en gigotant de toutes ses forces.  

La face monstrueuse du fangeux arbora une expression de perplexité hébétée, avant qu’elle ne fasse tournoyer le gamin dans les airs et le jette violemment sur le sol, juste à côté de l’elfe à la chevelure d’écume.

Nolan serra les dents. Après ce fracassant atterrissage son royal postérieur risquait d’être douloureux durant quelques temps ; toutefois, mieux valait ne pas trop s’étaler sur ce sujet, sans quoi son compagnon d’infortune risquait de s’imaginer qu’il n’était encore qu’un bébé, pleurnichant pour un oui ou pour un non, ou un freluquet incapable de supporter la moindre égratignure.

Mais la créature des marais l’avait lâché, enfin presque…car cette dernière se rua sur lui afin de mieux le dévorer. Le gamin parvint de justesse à exécuter le geste clé d’un sort et fit jaillir de l’eau à haute pression, ce qui eut pour effet de neutraliser le monstre, du moins provisoirement…
Se relevant à la hâte, le jeune Kohan poussa un soupir de soulagement. Heureusement que malgré son tempérament dissipé et peu studieux, il était parvenu à assimiler le contenu de ses livres de magie et ce sortilège venait probablement de lui sauver la vie.

Et à entendre les hurlements de rage de cette monstruosité, celle-ci n’aimait visiblement pas prendre des bains. Maintenant qu’ils étaient libérés, les deux compères malchanceux n’avaient plus qu’à filer, sans demander leur reste, sauf que Nolan n’avait franchement pas envie que ce fangeux rebaptise la grande foire Sélénienne en foire de l’horreur ; cela risquait de lui faire une mauvaise publicité auprès des autres nations et il tenait à sa réputation de dirigeant.

C’est alors que l’elfe fit une proposition qui manqua de le faire s’étrangler avec sa fausse barbe !

- Non mais il est fou dis ! Mettre le feu à ma ville, ma magnifique ville, dont la construction n’est pas achevée. Jamais, plutôt mourir que laisser quelqu’un la réduire en cendres, il faudra me passer dessus d’abord !

Décidément ce crétin, dénué de tout sens pratique ignorait à quel point le bois était rare à Calastin ; par ailleurs, Nolan se devait de faire des économies pour assainir les finances du Royaume et une ville, à feu et à sang, était ce qui pouvait lui arriver de pire en ce moment.

Toutefois, ce bougre d’elfique, en dépit de ses capacités intellectuelles limitées mentionnait plusieurs points véridiques : l’eau invoquée ne suffirait pas à détruire le fangeux et le port était trop éloigné pour qu’ils espèrent le gagner…Seul le feu semblait constituer une arme efficace pour contrer la créature des marais.

Grrr, le jeune empereur se devait de trouver une solution viable sans devoir faire flamber une seule demeure de sa cité adorée. Pendant ce temps-là, l’elfe inspectait les environs et la monstruosité verdâtre s’était redressée et leur lançait des regards haineux…
De toute évidence, ce bain forcé l’avait mise en rage et elle était déterminée à régler leur compte aux deux nigauds, occupés à faire du sur place au lieu de déguerpir sans demander leur reste.

Tout d’un coup, une idée lumineuse germa dans l’esprit de l’adolescent et il s’écria :

- Euréka ! j’ai trouvé ! près d’ici il y a une fonderie qui sert à faire fondre les métaux de la ville. Si on trouvait le moyen de l’attirer là-bas et de le faire tomber dans l’un des cuves où règne des températures extrêmes on en sera débarrassé !

Nolan se dirigea en direction de l’elfe et l’empoigna par le bras, usant par la même occasion des capacités de son esprit-lié du coq qui faisait de lui un petit chef autoritaire.

- Suivez- moi ! Je connais des raccourcis pour se rendre à la fonderie. Il suffit d’y attirer le monstre et le tour est joué ! Vous n’avez qu’à servir d’appât, vous serez parfait ! En plus c’est vous qu’il voulait manger en premier !

Pendant que le jeune empereur et le pirate, deux ignorants de leurs véritables identités palabraient, la créature gluante s’était emparée d’une bouteille de liqueur qui avait glissé sur le sol et en avala le contenu.

C’est alors que son corps de vase verdâtre subit une métamorphose et se mit à gagner en taille et en viscosité, tandis que ses excroissances s’allongeaient et s’hérissaient de crocs acérés.

- Oups, je crois qu’on a un petit problème…

¤ Sélénia Park ¤

Les deux hommes étaient parvenus grâce à l’intervention magique de l’humain à se dégager de l’emprise de la créature des marais. Il était temps, le contact avec cette dernière était parfaitement répugnant. À présent, deux options se présentaient au pirate : fuir ou combattre. Il n’avait pas vraiment envie de se battre. Après tout, les problèmes de Sélénia appartenaient au Sélénien. Mais le problème qui les frappait avait été importée d’Athgalan, en tant que capitaine de confrérie, il avait une part, certes ridicule, de responsabilité. Et puis, s’il était là, il pouvait minimiser les dégâts ainsi que tenter d’effacer les preuves rattachant cet incident à la ville pirate. Un soupir profond s’échappa de lui. Au final, il n’avait pas vraiment le choix. Soit, il combattrait, même si le fait de ne pas être à son avantage ici ne lui plaisait pas du tout. Aussi l’elfe à la chevelure d’écume proposa la stratégie la plus efficace pour venir à bout de cette créature. Mettre le feu. La créature mourrait, les preuves de l’origine du problème avec. Malheureusement, l’idée ne sembla pas plaire à son compagnon qui vociféra avec vigueur son rejet. Il refusait de mettre le feu à sa ville, annonçant qu’il faudrait lui passer dessus avant. Oh si ce n’était que ça, ce n’est pas ça qui réfrènerait l’elfe, il avait connu pire comme cagot. Ah ! Par lui passer dessus il voulait dire le tuer, mais oui qu’il est bête. Bah ! Ce n’est pas ce qui le refroidirait non plus. Malheureusement, Nathaniel n’avait pas vraiment le temps de tergiverser sur le sujet. Il ne pouvait combattre à la fois l’humain et la créature. Il s’apprêta néanmoins à l’insulter en retour quand un éclair de génie sembla traverser la cervelle de l’humain. Attirer la bête vers les forges. C’est vrai que ce n’était pas une mauvaise idée, même si cela impliquait de se mettre en danger. L’inconnu lui saisit le bras et lui ordonna avec une certaine autorité de le suivre, tout le trainant à sa suite. Un grognement fut arraché au capitaine, détestant qu’on lui donne des ordres ainsi. Il lui emboita néanmoins le pas, étant tiré.

« C’est toi qui vas finir dévoré si tu continues ainsi. »

Ces paroles échappèrent à l’elfe avec une certaine malveillance, comme si ça nature violente prenait le dessus. Soudainement, l’humain s’arrêta pour regarder en arrière, aussitôt imité par le pirate qui vit avec une profonde lassitude la créature se saisir d’une des bouteilles de liqueur frelater pour l’avaler et grossir quelque peu. Le gredin repoussa fermement l’humain pour se libérer la main.

« Rah ! Voilà ce qui arrive quand un amateur se prend pour un combattant, mais n’est prêt à rien sacrifier pour vaincre son adversaire. »

Très rapidement, l’elfe regarda autour de celui et finit par trouver dans un miracle inespéré des bâtons de feu. Ces derniers étaient posés en vrac à côté d’anneaux et de balles comme s’ils avaient été abandonnés. Il devait appartenir sans nul doute possible à un artiste jongleur. Sans attendre, le gredin s’en approcha et en saisit un avant de l’allumer et le lancer aussi fort qu’il pouvait en direction du stand de liqueur. Le bâton percuta une bouteille qui éclata, venant lui faire prendre feu, avant de se répandre aux tonneaux justes à côté, provocant une petite explosion et qui mit le feu à la totalité du stock d’alcool du stand. La chaleur et les flammes atteignirent le vaseux qui lâcha un grognement mêlant douleur et colère. Au moins avait-il détruit le stock de liqueur frelatée et l’empêcherait de prendre encore plus de volume. Mais la créature restait toujours très dangereuse. L’elfe sombre se retourna en direction de l’humain.

« Bah quoi ?! C’est bon je ne vais pas la réduire en cendre à ta précieuse ville. Les autorités verront très rapidement les flammes et viendront pour les éteindre. À moins que cette saloperie ne soit encore là et qu’elle ne les bouffe. »

Nathaniel agita les bras en direction du prince incognito.

« Aller aller, on ne reste pas planter là comme un cèpe, je ne sais pas où elle se trouve la forge alors il faut me guider. Son acuité visuelle est basée sur le mouvement alors si on ne veut pas que ses autres sens le poussent à se rendre vers la population il faut qu’on se bouge. »

L’elfe sombre se retourna et alluma un autre bâton de feu avant de l’agiter en vociférant à l’encontre de la bête pour finalement de lui balancer et le toucher, l’amenant à poser son regard haineux dans leur direction.

Nolan tenta d’entrainer l’elfe aux cheveux cendreux à sa suite, mais à son grand désappointement, ce dernier, loin d’obtempérer, se mit à protester et répondit à l’adolescent que s’il persistait dans cette voie c’est lui qui finirait dévoré.

En entendant ces paroles impertinentes, le jeune souverain sélénien se retint de lâcher un juron, trop bien élevé pour jurer comme un gueux, sauf en cachette comme il se devait. Néanmoins, celui-ci répliqua d’un ton empreint d’ironie:

- Il semblerait messire que vous ayez la mémoire courte ou que dans votre chute vous vous soyez cogner la tête, je me permets de vous rappeler qu’il y a peu c’est vous qui étiez prisonnier des tentacules du monstre et qui sans mon intervention lui auriez servi de déjeuner. Dois-je en déduire que votre cervelle est aussi peu fonctionnelle que votre magie ?

En effet, l’incapacité à user de sortilèges du mystérieux inconnu n’avait guère échappé au gamin, qui, fort heureusement, possédait une certaine expertise dans ce domaine. Et par la suite, le gredin se permit d’autres réflexions désobligeantes qui firent lever les yeux au ciel le jeune empereur. Quelle idée saugrenue il avait eu de sauver cet ingrat, même pas capable de lui adresser un remerciement et qui ferait moins le malin à présent si l’adolescent s’était enfui, l’abandonnant à son triste sort.

Quant au fait de sacrifier quelque chose afin de vaincre son adversaire, en vérité Nolan avait bien une petite idée à ce propos ; en adressant un sourire goguenard à son vis-à-vis il répondit :

- Tu te trompes ! Je serais bien prêt à un sacrifice pour remporter la victoire, mais je ne suis pas certain que tu serais heureux de savoir quoi ou plutôt qui je suis à prêt à sacrifier.

Pendant que tous deux se chamaillaient, le monstre vaseux s’était emparé d’une des fioles de liqueur et en avait absorbé le contenu, gagnant en taille et en puissance. Il fallait réagir ! Cette fois-ci l’elfe eut la présence d’esprit, une fois n’est pas coutume, de détruire le reste des bouteilles corrompues en s'emparant d'un anneau et de balles, abandonnés par un des jongleurs et s'en servir comme projectiles enflammés contre le vaseux. Puis, il demanda à Nolan de le mener jusqu’aux forges.

- Viens suis-moi ! C’est par là ! s’écria le blond en lui indiquant une direction. Et tu as intérêt à ne pas traînasser en route car cette bête gluante va certainement se lancer très vite à notre poursuite.

L’empereur se mit à courir à travers les ruelles de la cité et décida d’emprunter plusieurs raccourcis pour gagner du temps et parvenir aux forges dans les plus brefs délais. Hélas, Sélénia ressemblait à un véritable labyrinthe et il était aisé de s’y perdre pour quiconque n’avait guère l’habitude d’arpenter ces quartiers. Dès lors, l’adolescent commença à nourrir quelques doutes quant au chemin à suivre et, comble de malchance, les venelles étaient désertes en raison de la foire qui se déroulait au sein d’une autre partie de la ville.

Soudain, le souverain aperçut un vieillard, à la chevelure et à la barbe grisonnante, confortablement installé sur le pas de sa porte et occupé à fumer une pipe. Un grand sourire apparut sur le visage du gamin qui se remémora qu’un jour un sage lui avait conté que dans chaque situation inextirpable, un petit vieux faisait son apparition pour donner une information, avant de disparaitre comme par enchantement.

- Bonjour sieur, pouvez-vous m’indiquer où se trouve la grande forge de Sélénia ?

Le vieil homme retira la pipe de sa bouche avant de souffler une bouffée de fumée et répondit d’un ton bourru :

- Jeune homme, continuez tout droit dans cette rue, puis tournez une fois à droite puis une autre fois à gauche et ensuite vous y serez.

Nolan le remercia avant de reprendre sa course en direction des forges.

Après son départ et le passage du monstre, le vieillard secoua la tête d’un air désapprobateur et grommela avant de rentrer à l’intérieur de sa maisonnette :

-  Décidément les jeunes de maintenant n’ont vraiment aucun plomb dans la cervelle, ils n’ont rien de plus intéressant à faire que de se faire poursuivre par un monstre gluant de bon matin. Si ce n’est pas triste de voir ça. Pauvre monde, de mon temps ce n’était pas comme ça.

Pendant ce temps-là l’empereur parvint devant les portes du grand bâtiment qui abritaient les forges bouillonnantes. Or celles-ci étaient verrouillées et tous les ouvriers absents en raison de la grande foire de Sélénia et du jour de congé qui leur avait été octroyé pour cette grande occasion. Le jeune sélénien s’écria à l’attention de l’elfe à la chevelure d’écume :

- Les portes sont verrouillées ! Il faut trouver un autre moyen d’entrer, comme une fenêtre ouverte ou une autre ouverture donnant accès à l’intérieur, à moins qu’on ne parvienne à les déverrouiller ou à les défoncer mais elles sont très massives et résistantes, cela semble quasi impossible sans utiliser la magie. Mais peut-être as-tu une autre idée ?

¤ La forge ! ¤

L’elfe montra légèrement les crocs en étouffant un grognement de colère à la remarque du souverain incognito.

« Est-ce vraiment le moment de se voler dans les plumes, sélénien ? N’y a-t-il pas plus urgent dans l’immédiat. Où tiens-tu réellement que nous comparions nos magies comme deux idiots qui compareraient la taille de leur engin pour savoir qui a la plus grosse ? »

Il fut plaisant pour Nathaniel de jouer l’offusquer alors qu’il était très certainement le genre d’individu qui pourrait typiquement jouer au jeu de la comparaison, en tout et en rien, simplement pour tirer l’orgueil d’être le meilleur. Cependant, il réprimait dans l’instant présent cette partie de lui pour essayer de rabattre le caquet du Sélénien. Même si en vérité, il serait plus juste de dire qu’il cherchait en cet instant à avoir la supériorité sur lui en se montrant celui le plus apte à la raison.

« C’est qu’il est rancunier en plus. Je n’imaginais pas les Séléniens capables de faire cela. On dirait presque un comportement de pirate ! »

Finalement, les querelles puériles entre les deux individus semblèrent cesser quelques instants alors que les deux compères s’enfonçaient dans la ville. Nathaniel s’assura de ne pas perdre de vue le barbu, tandis qu’en même temps, il s’assurait que le vaseux les suit bien. Lui lançant de temps à autre un bâton de feu, s’assurant de conserver sa colère à leur encontre, mais ne les utilisant qu’avec minutie, car son stock de munitions n’était pas inépuisable.

Le souverain et le criminel couraient de ruelle en ruelle, et l’elfe à la peau sombre commençait lentement à se demander s’ils finiraient par y arriver un jour. Fort heureusement, il n’y avait personne. Avoir un nombre de victimes trop important aurait été fort ennuyeux pour Athgalan. Cependant, dans les ruelles, l’humain déguisé et l’elfe à la chevelure d’écume rencontrèrent un vieil homme. Mais le pire c’est que Nolan lui demanda le chemin de la forge.

« Quoi ? Tu as dit que tu savais où étaient les forges ? »

Malheureusement, l’humain n’eut peut-être pas le temps d’entendre la remarque remplie de reproche de la part de Nathaniel, car celui-ci reprit aussi tôt sa route en direction des forges. L’elfe leva les yeux et remarqua de la fumée au-dessus des toits. Oui, c’est bon, ils s’en approchaient. Le capitaine pirate reprit sa course en lançant à l’encontre du vaseux son avant-dernier bâton de feu afin de s’assurer qu’il le suive lui, plutôt que le pauvre petit vieux.

Enfin la forge était en vue. Nolan était déjà devant la porte et s’acharnait sur celles-ci pour tenter de l’ouvrir. C’est alors que le souverain incognito se tourna vers lui, alors qu’il arrivait, ayant un peu de retard du fait du jouer les appâts, pour lui indiquer que les portes étaient cadenassées ! Le gredin s’immobilisa devant lui, posant ses mains sur ses genoux, essouffler, respirant fortement pour tenter de reprendre son souffle.

« Laisse … faire ... Je … je m’en occupe ! »

Nathaniel s’approcha de Nolan et de la porte. Il lui tendit le dernier bâton de feu avant de retirer une des épingles qui maintenait sa coiffure en place. Sa longue chevelure venant tomber autour de son visage, telles les vagues des flots.

« Essaye de le retenir quelques instants, monsieur le magicien. »

L’elfe noir vint s’accroupir et commença à crocheter la serrure alors que le vaseux arrivait finalement dans la ruelle de la forge. Le mécanisme venant fermer la porte n’était pas compliqué, il était juste gros et lourd. Le pirate devait donc faire attention à ne pas briser l’épingle et ainsi leur ôter toute chance de succès. Il lui fallut moins d’une minute pour finalement parvenir à déverrouiller la porte. Aussitôt il se redressa et vint pousser de toutes ses forces l’un des battants de la porte massive. L’elfe jeta alors un œil en arrière pour voir où en était l’humaine, le prévenant par la même occasion.

« C’est ouvert ! Dépêche-toi de rentrer. Énerve-le suffisamment pour qu’il pénètre sans faire attention à la chaleur des forges ! »

À peine l’elfe sombre mit-il un pied à l’intérieur du bâtiment qu’il put sentir sur sa peau l’air brûlant et étouffant des fours. De ces derniers émanait la lueur rougeâtre d’un brasier. Fort heureusement pour eux, la fonderie n’était pas à l’arrêt. Il faut dire qu’il était plus sage de les garder allumés constamment plutôt que de les éteindre et les rallumer. Le regard de capitaine se porta sur tous éléments qui pourraient leur permettre de venir à bout de la créature des marais. Comment lui insuffler suffisamment de chaleur d’un coup pour l’anéantir. Peut-être en lui vidant une cuve de métal en fusion sur le coin de la tête ? Oui, ce serait surement le plus simple. Le vaseux s’évaporerait en quelques instants. Cependant, y avait-il pareille cuve, et surtout remplie ?

Dehors, le vaseux essayant d’attraper l’empereur pour en faire en son repas.

Suite à la remarque du jeune souverain déguisé, l’inconnu aux cheveux cendreux réprima un grognement et dévoila légèrement des crocs acérés, ce qui laissa Nolan pantois. C’était quoi ça, un elfe ou un vampire ? Il n’allait quand même pas tenter de le mordre l’animal ?

- Hé oh, du calme l’ami ! Pas la peine de me montrer tes crocs. Avec un tel sourire tu mériterais le surnom des dents de la mer ou de dents tranchantes.

Le Sélénien haussa un sourcil et ses lèvres s’étirèrent en un sourire empli de sous-entendu lorsque son vis-à-vis évoqua la stupidité de comparer leur magie, tels deux idiots mesurant la grosseur de leur engin. En effet, sur ce dernier point tout le monde savait que ce qui comptait ce n’était pas la taille mais la manière de s’en servir, et seuls deux idiots en douterait. Cependant, les premières paroles de l’elfe n’étaient guère dénuées de vérité et pour l’heure il y avait plus urgent à faire que de perdre son temps en chamailleries futiles.

- Très bien, mais c’est moi qui prend la tête des opérations ! Obéis et suis-moi sans grommeler ni exhiber ta "jolie" dentition, dit l’adolescent en décidant d’user de la puissance de son esprit lié afin d’imposer sa loi et son autorité à son comparse, espérant le rendre plus obéissant.

Niveau 1
Spirite connu pour être de très bon meneur d’homme, bien qu’arrogant, possédant une grand autorité et capable d’inspirer le respect et la loyauté à n’importe qui.

En entendant la réflexion suivante de ce dernier, le gamin se retint de ricaner. Avant de devenir des monarques, les Kohan étaient de puissants pirates et une part de ce sang de forban coulait dans les veines du jeune empereur de Sélénia. Toutefois, Nolan n’avait pas la possibilité de révéler son ascendance et ses origines issues de la piraterie sans trahir sa véritable identité :

- Un comportement de pirate ? Tu ne crois pas si bien dire !  Si seulement tu savais…, se contenta-t-il de répondre d’un ton amusé.

Mettant fin à cette discussion animée, l’adolescent s’élança dans les ruelles de la cité en direction des forges, espérant que son compagnon d’aventure ne le perdrait pas de vue en cours de route. Hélas, en voulant emprunter un raccourci, il s’égara à l’intérieur de ce dédale labyrinthique et fut contraint de demander son chemin à un vieillard qui se trouvait là, par le plus grand des hasards. Et l’elfe dentu ne manqua pas de le questionner à ce sujet :

- En vérité, je sais où se trouvent les forges, c’est juste que je n’arrivais plus à retrouver la route qui y menait.

Enfin ils parvinrent devant le grand bâtiment qui abritait les forges et en tentant d’en ouvrir les portes, Nolan constata, à son grand dépit, qu’elles étaient verrouillées. C’est alors que l’elfe sans nom, proposa son aide et lui tendit le bâton enflammé, avant de s’emparer d’une des épingles qui retenait les vagues de sa chevelure d’écume et de soie,  et l’utilisa pour crocheter la serrure :

- C’est pas trop tôt ! Je me demandais quand est-ce que tu me serais utile. Pour un peu, j’en aurais presque regretté de t’avoir sauvé de ce vaseux, dit le gamin en lui lançant cette pique d’un ton mi- moqueur, mi- taquin.

Pendant que l’inconnu s’attelait à ouvrir les portes à l’aide de son épingle à cheveux, Nolan se chargea d’occuper le monstre à l’aide du bâton en feu et de sa magie. Faisant face à la créature affamée, le blond commença à agiter son arme improvisée et à courir afin de focaliser son attention sur lui pendant que son comparse effectuait sa besogne d'effraction.

Le monstre gélatineux étira sa langue extensible et arracha le bâton enflammé des mains de Nolan avant d’enroulé l’un de ses longs tentacules autour de sa taille pour le tirer vers lui. L’adolescent tentait de résister et de se défaire de cette liane gluante, mais le fangeux semblait déterminé à ne pas laisser s’échapper sa proie.

- Dépêche-toi d’ouvrir ces portes ! Monsieur le monstre commence à devenir un peu trop « affectueux » si tu vois ce que je veux dire !

Enfin les portes de la bâtisse s’entrouvrir et l’empereur décida qu’il était plus que temps de se défaire de l’étreinte du vaseux, dont la gueule baveuse et dentelée se rapprochait dangereusement, en utilisant l’un de ses sortilèges. Nolan se concentra et referma son poing en direction de la créature verdâtre.

[Offensif] Choc

Projette la cible et tout ce qu'il y a devant et derrière un peu plus loin
Geste clé : Refermer le poing devant soi

Le choc fut terrible, provoquant l’éclatement d’une partie de la masse gluante du monstre verdâtre et celui-ci poussa un horrible cri de douleur. Nolan s’empressa de se débarrasser des morceaux de tentacules qui pendaient encore à son corps et pénétra à l’intérieur des forges où régnait une chaleur insoutenable. Pendant ce temps-là le fangeux avait reconstitué ses membres abîmés par le sort et leur lança un regard brûlant de haine, tout en poussant des hurlements de colère.

¤ Le plan ¤

Le comportement de l’inconnu avait de quoi agacer le pirate qui était une forte tête et n’aimait pas qu’on lui marche sur les pieds. C’était en effet courir le risque de se prendre un coup de masse sur le coin du crâne. Fortement heureusement pour le brun, le capitaine n’avait pas de masse sous la main, plus, il y avait surtout un plus grand danger immédiat. Se battre maintenant n’aurait pas de grand intérêt, du moins d’un point de vue survie. Cependant, l’elfe sombre se rendit alors compte qu’il avait fait une erreur en montrant les crocs, un peu tel un animal agacer. Fort heureusement, l’inconnu sembla simplement prendre acte de cet avertissement sans vraiment chercher plus loin, faisant même un trait d’humour qui sembla plaire au gredin qui y sourit. Dent de la mer, voilà qui était un surnom amusant.

Très rapidement, l’elfe à la chevelure d’écume sentit une forte autorité émaner de l’inconnu, cherchant à s’imposer à lui. Cela déplut fortement à Nathaniel qui lâcha un grognement et ne put s’empêcher de lâcher, tout en prenant sa suite.

« Qui voudrait obéir à un si piètre chef. »

Les deux individus coururent un peu partout dans le dédale des petites ruelles de la ville, tâchant à se diriger vers les forges, toujours suivis de près par le vaseux que l’elfe à la chevelure d’écume s’assurait de garder l’attention. Bon gré mal gré, les deux comparses finirent par arriver devant la forge dont les portes étaient malheureusement fermées. Il fut alors temps pour le pirate d’user de ses talents de voleur et cambrioleur, même cela remontait à bien des années maintenant. Heureusement pour lui, crocheter une serrure, c’est comme manier un gouvernail, ça ne s’oublie pas.

« C’est pas trop tôt ! Je me demandais quand est-ce que tu me serais utile. Pour un peu, j’en aurais presque regretté de t’avoir sauvé de ce vaseux. »

Nathaniel lança un regard menaçant à l’humain comme il en avait le secret juste avant de se mettre au travail, lui répondant sur le ton d’un mêlant sarcasme, reproche, ironie et provocation.

« Il est vrai que j’aurais dû continuer de me montrer inutile en permettant à notre ami de se gaver de la liqueur frelatée, pendant qu’un certain magicien était trop occupé à chier dans ses caleçons. Peut-être monsieur aura-t-il besoin d’aide pour s’essuyer, ou a-t-il déjà un sortilège pour ca !? »

Ce Sélénien commençait à lui courir sur le système à le provoquer ainsi. Il n’était pas elfe à se faire marcher sur les pieds de la sorte ! Une fois ceci fini, il lui réglerait son compte. Même s’il ne savait pas encore s’il devenait lui fracasser le crâne ou l’arrière-train pour le punir de son impertinence.

Pendant que l’inconnu se battait derrière, occupant le vaseux, lui s’affairait à crocheter la serrure. Même en prise avec une telle bestiole, celui-ci trouvait le moyen de râler. Et pourtant, même dans une situation stressante, l’elfe trouva le moyen de répliquer.

« Alors peut-être devriez-vous vous trouver une chambre. Ça aurait au moins le mérite de me permettre d’avoir le silence pour me concentrer. »

Un petit bruit se fit entendre et le verrou fut ouvert. Aussitôt, Nathaniel s’empressa d’ouvrir la porte et de signifier au magicien que celle-ci était ouverte. Une fois fait, l’elfe sombre ne tarda pas une seconde à entrer dans la forge. À l’intérieur régnait une forte chaleur. Il fallait à présent trouver un moyen d’y faire rentrer le vaseux, mais surtout trouver un moyen de l’y faire rester. Aussi énervé soit-il, lorsqu’il comprendrait qu’il est sur le point de mourir assécher, il chercherait à s’enfuir. Dès lors le problème redeviendrait le même. Non, il fallait trouver un moyen de l’éliminer une bonne fois pour tout à l’intérieur. Alors ! Qu’y avait-il ici qui pourrait leur permettre d’abattre cette monstruosité ? Le regard perçant de capitaine de la confrérie parcourut la grande forge. La méthode la plus rapide serait sans doute de déverser sur la monstruosité le contenu d’une cuve. Il était fort à parier que cela l’évaporerait en quelques instants. Seulement, y avait-il une cuve de pleine ? Tout à droite du bâtiment, le pirate finit par en trouver une, non loin y avait un petit atelier avec les plans de ce qui semblait être une cloche. Surement était-il en train de fabriquer l’une des cloches de la ville qui servirait à donner l’alerte en cas d’attaque. Et bien tant pis, la forge aurait du retard sur la commande, mais c’était pour le bien commun, du moins en quelque sorte. L’elfe à la chevelure d’écume s’approcha de la cuve et entonna lentement un chant, se concentrant.

Un grand fracas se fit entendre peu de temps après la gueulante du Sélénien pour l’attirer. La bête des marais était entrée dans la forge en fracassant la porte. Il n’avait que peu de temps. Bon gré, mal gré Nathaniel parvint à fragiliser une partie de la cuve. Il ne pouvait malheureusement faire que ça au vu de son niveau, mais surtout au niveau du temps qu’il avait. Le pirate s’éloigna de la cuve et fit signe au Sélénien.

« Ramène-toi par ici et fissa ! »

Il désigna ensuite le rebord de la cuve qu’il avait trafiqué.

« Quand tu arrives à son niveau balance un puissant sort dessus et saute aussi haut que tu peux je m’occupe de la suite ! »

Le plan d’Eärendil ? Que le Sélénien attire le vaseux jusqu’au niveau de la cuve, qu’il utilise un sort de destruction sur la bordure. Cette même bordure sabotée par ses soins céderait et la totalité du contenu de la cuve se déverserait alors sur le sol. Le métal en fusion viendrait alors noyer le vaseux. Bon, le Sélénien aussi, mais ça, ce n’était qu’un détail. Et puis, si ce dernier faisait ce qu’il disait et sautait aussi haut qu’il pouvait comme il lui avait dit, alors tout se passerait bien. Qu’il le veuille ou non, qu’il lui ait mal parlé ou non, ce dernier l’avait tiré d’un mauvais pas face à la créature des marais, il n’allait donc pas le laisser mourir ainsi.

L’elfe sombre s’empressa de monter sur un échafaud pour avoir de la hauteur.

Alors que Nolan tentait de prendre l’ascendant sur l’elfe aux cheveux cendreux, en usant du pouvoir de son esprit-lié, faisant preuve d’un peu trop d’arrogance, ce dernier se rebiffa en grognant, comme à son accoutumée, et lâcha:

« Qui voudrait d’un si piètre chef ».

Néanmoins, en dépit de ses protestations, celui-ci emboîtait le pas au gamin qui courait en direction des forges.

- J’ai bien compris que cela ne te plaisait pas, tes grognements sont éloquents. Mais étant donné la situation critique dans laquelle nous nous trouvons, tu n’as guère les moyens de faire le difficile. C’est moi ou personne.

Puis l’empereur déguisé se retourna dans sa direction et lui lança avec un sourire entendu :

- A la guerre comme à la guerre l’ami, nous voilà obligés de collaborer pour le meilleur ou…pour le pire.

Hélas, en arrivant devant le bâtiment des forges, ils trouvèrent porte close et l’elfe entreprit de crocheter la serrure pendant que Nolan avait pour mission d’occuper le vaseux.

L’adolescent ne put s’empêcher de lancer une nouvelle pique à son comparse, mais cette provocation qui ne fit qu'agacer ce dernier de plus belle, et il protesta vigoureusement. Quel mauvais caractère celui-là et susceptible en plus, pensa le souverain Sélénien. Toutefois, en dépit de son tempérament acariâtre et de ses grognements incessants, il ne pouvait s’empêcher de le trouver amusant par certains aspects.

- Ma foi, il est vrai que j’aurais dû te remercier pour ton aide précieuse de tout à l’heure, dit-il en riant. Comme quoi t’avoir délivré des tentacules de ce vaseux n’était pas dénué de toute utilité. Quant au sort dont tu parles, celui pour m’essuyer, en vérité il peut avoir son utilité mais en ce moment le seul sortilège qui me paraîtrait intéressant à utiliser est celui pour nettoyer le fiel qui j’écoule de ta bouche.

Et durant le combat que le souverain livrait au fangeux, les deux compagnons d’infortune continuèrent cette joute verbale, à croire que celle-ci accaparait plus leur attention que le monstre gélatineux qui menaçait de les dévorer. Tout en poursuivant sa tâche de crochetage, l’elfe à la chevelure blanchâtre se permit un nouveau sarcasme :

Nolan afficha un grand sourire et répondit d’un ton amusé :

- Une chambre ? Pour être honnête je crois que je préfère faire  « ça » en plein air, c’est bien plus excitant. Quant au silence, désolé pour tes chastes oreilles mais je ne peux rien garantir, dans ces moments-là il est parfois difficile de se contrôler.

Puis, bien que captif des tentacules du fangeux, il tourna ses mires couleur topaze en direction de l’inconnu, toujours occupé à crocheter la serrure et qui se tenait dans une position que le gamin trouva des plus suggestives.

- A te voir ainsi penché et de dos, il me vient une idée. Je devrais suggérer à ce monstre de tourner ses yeux globuleux dans ta direction car en ce moment tu montres ton meilleur profil et te voir insérer et trifouiller avec un objet pointu à l’intérieur du trou d’une serrure devrait titiller agréablement son imagination et l’inciter à venir sur toi.

Le jeune monarque, quant à lui, préféra détourner le regard du corps de l’elfe, par crainte de se laisser déconcentrer par une telle vision, en se rappelant de son trouble lorsque celui-ci avait laissé choir sa magnifique chevelure argentée, aux ondulations semblables à des vagues qui déferlent de plus en plus vite, avant d'échouer sur le rivage, libérant des gerbes d’écume et des senteurs salines.

Enfin les efforts de l’inconnu portèrent leurs fruits et les portes des forges s’entrouvrirent permettant à l’elfe ténébreux de pénétrer à l’intérieur. Cependant, le plus difficile restait à faire ; comment inciter cette créature de fanges à pénétrer à l’intérieur de ce lieu où régnait une chaleur torride et l’attirer vers l’une des cuves ?

Le mystérieux inconnu paraissait avoir un plan et indiqua à l’empereur incognito le rebord de la cuve qu’il venait de trafiquer. Et dès après, il lui expliqua sa stratégie, qui consistait à répandre le liquide incandescent sur le monstre gluante afin de faire s’évaporer son corps. Bien sûr, Nolan devrait sauter le plus haut possible pour éviter de subir le funeste sort réservé à la créature des marais. Pendant ce temps-là, l’elfe patibulaire grimpa pour se mettre à l’abri, en hauteur, sur un échafaudage.

- Ton plan est risqué ! Enfin surtout pour moi, toi tu es en sûreté sur ton perchoir. Mais à ce stade nous n’avons guère le choix ! Il faut tenter le tout pour le tout si on veut se débarrasser de lui !

Acceptant de servir d’appât à ce vaseux affamé, le monarque déguisé s’approcha de la cuve remplie de liquide en fusion, d’où s’échappait une forte chaleur. A tel point que des gouttes de sueur commencèrent à perler sur son front.  Le vaseux était lui-aussi entré dans le bâtiment et poussait des hurlements, en cherchant du regard ses futurs proies :

- Ici le monstre, gentil monstre.  Je suis là, viens me voir, dit l’adolescent d’une voix doucereuse en espérant l’attirer près de la cuve trafiquée.

En guise de réponse, le fangeux se contenta de lui jeter des regards hébétés, en braquant ses multiples orbes globuleux sur lui, avant de pousser un grognement et de se diriger vers la sortie.

- Hé ho ! Reviens ! Tu ne vas pas filer ! Après le mal de chien qu’on a eu à t’attirer ici ! obéis sale bête !

Voyant que la créature des marais feignait de l’ignorer, Nolan courut jusqu’à une table où se trouvait disposé divers instrument de travail et s’empara d’un marteau qu’il balança de toutes ses forces sur sa tête.

- Tiens prends ça !

Le monstre poussa un cri de douleur et lui lança un regard incendiaire avant de tenter de le frapper à l’aide d’un de ses longs tentacules. Le gamin l’esquiva en faisant un bond sur le côté et retourna se placer à côté de la cuve endommagée.

- Allez-viens, approche. Je t’attends, dit-il en faisant un signe de la main à son adversaire, tout en arborant un air de défi.

Rendue furibonde par cette attitude provocatrice, l’abomination verdâtre poussa un beuglement bestial et fonça en direction du jeune Kohan qui évita son attaque et s’apprêta à effectuer le geste clé d’un sortilège afin de faire se renverser le contenu de la cuve. Après cela, si tout marchait comme prévu, celui-ci n’aurait plus qu’à sauter le plus haut possible…En son for intérieur, l’adolescent priait pour qu’une telle tactique fonctionne sinon s’en était fini de lui et il terminerait en steak impérial grillé.

Il ferma les yeux, respira un bon coup et déclencha son sort :

[Offensif] Choc

Projette la cible et tout ce qu'il y a devant et derrière un peu plus loin
Geste clé : Refermer le poing devant soi

L’effet ne se fit pas attendre, fortement secouée par la violente onde de choc, la cuve pleine à ras-bord, se mit à trembler et vacilla vers ses fondations avant que son contenu ne se répande sur le vaseux et sur tout ce qui se trouvait à proximité.

Nolan n’avait pas le choix, il devait sauter le plus haut possible sous peine de se transformer en joli tas de cendres. L’empereur sélénien fit un bond et tenta de se raccrocher à quelque chose qui se trouvait en hauteur, comme l’une des cordes qui pendait le long de l’échafaudage. Pendant ce temps-là, la créature des marais poussait d’horribles hurlements, tandis que son corps gluant se désagrégeait sous l’effet du liquide incandescent et qu'une épaisse fumée envahissait le lieu.

Suspendu dans le vide, le gamin s’agrippait à la corde et tentait de remonter sur l’échafaudage, c’est alors qu’il sentit que sa fausse barbe et sa perruque étaient en train de glisser…

¤ Victoire ¤

En dépit de la situation toujours aussi critique, les deux individus continuaient à se lancer des piques, chacun ayant du répondant. Un peu comme si le vaseux, bien qu’étant le plus grand danger immédiat pour eux deux, n’était en réalité qu’une simple gêne dans la guerre verbale des deux déguisés. Joute verbale qui par ailleurs semblait devenir de plus en plus obscène avec des allusions fortes déplacées, du moins pour un puritain, ce que n’était pas le pirate. Néanmoins, au vu de la situation de plus en plus périlleuse et de la nécessité de se concentrer sur sa tâche, le gredin ne rétorqua pas bien que l’envie soit là. Peut-être y répondrait-il plus tard.

Finalement Nathaniel rentra dans la forge. L’inconnu ne tarda pas à le suivre, lui-même précédé par la créature du marais. L’elfe sombre eut le temps de trafiquer une cuve contenant du métal en fusion, mettant en place son plan. Il n’eut même pas la peine de l’expliquer, le tout étant tellement évident. Certes, ce dernier était périlleux, toutefois quand l’on désire la victoire il faut nécessairement prendre des risques. Et ces risques, ce n’est pas lui qui les prendrait, mais bien le malheureux avec lequel il était. Il fallait bien partager les tâches ! Aussi le capitaine se précipita vers un échafaudage le plus proche afin de prendre de la hauteur. De là, il pourrait observer la scène, mais surtout il pourrait intervenir d’une quelconque manière en cas d’échec ou de réussite. En effet, contrairement à ce que l’on pourrait penser, il n’avait pas tant envie que cela de laisser l’inconnu dans une situation préjudiciable.

En effet leur échange … qu’il avait du mal à qualifier, lui plaisait. C’était un peu comme un jeu. Et lui adorait jouer. Après tout, n’avait-il pas décidé de jouer au chat et à la souris avec l’empereur de cette cité ? Alors jouer à celui qui arriverait à faire fermer son caquet à l’autre avec cet inconnu lui était aussi fort plaisant. Mais voilà, s’il laissait le vaseux le tuer, ou alors le feu le tuer, alors il ne pourrait plus jouer et n’aurait pas le plaisir de gagner. Aussi ne pouvait-il pas l’abandonner au sort funeste que lui réservait son plan.

Tandis qu’il grimpait l’échafaudage, il entendait le brun barbu lui répondre.

« Ton plan est risqué ! Enfin surtout pour moi, toi tu es en sûreté sur ton perchoir. Mais à ce stade nous n’avons guère le choix ! Il faut tenter le tout pour le tout si on veut se débarrasser de lui ! »

Nathaniel lui répondit en éclatant de rire.

« À la guerre comme à la guerre, nous voilà obligés de collaborer pour le meilleur ou pour le pire. Ce n’est pas toi qui disais cela ? Alors, ne te plains pas et fais-moi confiance ! »

L’elfe à la chevelure d’écume finit par arriver au sommet de l’échafaudage, haletant. Courir autant commençait à devenir fort fatigant. Quoi qu’il en soit, il put voir l’inconnu gesticuler pour attirer la bête du marécage d’Athvamy et cela avec succès. Ainsi la monstruosité tomba dans le piège du pirate qui fut activé par le souverain incognito. L’un des bords de la cuve se fractura et son contenu commença à se déverser à gros flot. Le vaseux ne vit pas venir ce coup-là et se le prit de plein fouet. Un cri terrible d’agonie semblable à aucun connu s’éleva dans la forge. La bête s’évapora avec rapidité jusqu’à disparaitre totalement. Victoire !

Dans le même temps, l’inconnu bondit de toutes ses forces. La possibilité de mourir sembla lui donner des ailes puisqu’il parvint à saisir une corde. Malheureusement, pour une raison inconnue à l’elfe, ce dernier glissa et vint lâcher la corde pour tenter de rattraper quelque chose, venant dès lors choir en direction de la grande flaque de métal en fusion qui recouvrait le sol.

Nathaniel réagit alors très rapidement. Étant en réalité déjà préparé à attraper l’humain au vol, mais s’étant ravisé au dernier moment en voyant que ce dernier était parvenu à saisir une corde. En effet, usant de sa bague, le pirate était venu faire apparaitre un tentacule au plafond et en avait saisir l’extrémité, souhaitant s’en servir telle une corde ou une liane pour se balancer d’un point à l’autre de la forge, de sorte à saisir en vol le magicien. Ainsi l’elfe sombre sauta dans le vide, le tentacule effectuant un mouvement de balancier. De sa main droite il attrapa Nolan l’extirpant de sa chute mortelle et le plaquant contre lui pour s’assurer qu’il ne glisse pas.

« Et voilà ! Un plan infailli … »

L’elfe sombre finit sa phrase par un juron elfique imprononçable. Dans sa précipitation à sauver l’adolescent, il n’avait pas pris en compte le changement d’angle de son balancement. Là où il pensait atterrir en douceur sur le sol, voilà maintenant qu’il était envoyé droit sur un atelier. Fort heureusement, à première vu il n’y avait que de la paperasse et aucun outil, mais la collision avec le meuble était inévitable. Nathaniel eut à peine le temps de présenter son flanc gauche pour tenter d’amortir le choc avec son épaule, protégeant alors son flanc droit, mais aussi et sans doute inconsciemment l’individu qu’il avait happé en vol.

Un vacarme suivit la fin de l’action. Nathaniel était venu s’écraser contre l’atelier en bois qui avait cédé, l’elfe à la chevelure d’écume étant allongé parmi les décombres de celui-ci et grommelait de douleur. Il sentait un poids sur lui, et se souvint rapidement de son compagnon d’infortune.

« Hoy, t’es indemne ? »

L’elfe ouvrit alors un œil pour venir poser son regard sur l’individu allongé sur lui, remarquant dès lors qu’il avait sa main posée sur le fessier appartenant à celui qu’il ignorait être l’empereur.

« Je n’aurais jamais pensé que la poupe d’un magicien soit aussi agréable à avoir en main, mais si tu pouvais te lever un instant ça m’arrangerait, je crois que j’ai un truc planté dans le dos et cela m’est fort désagréable. »

S’était-il blessé ou était-ce simplement un morceau de l’atelier ? Voilà ce qui arrivait quand on venait en aide à autrui.

Les deux acolytes anonymes avaient réussi à attirer le vaseux à l’intérieur de ce piège savamment orchestré. Cependant, le plan de l’elfe aux cheveux argentés impliquait une deuxième partie moins plaisante aux yeux de l’adolescent. Il devait lui-même attiré le monstre verdâtre près de la cuve trafiquée pendant que son comparse se tenait juché, bien à l’abri, sur l’échafaudage tel un oiseau sur son perchoir.

Hélas, à ce stade et étant donné leur situation critique, il n’avait guère d’autre alternative que d’obtempérer, et en outre l’Autre se permit de lui lancer une pique moqueuse.

- Exact. Et je constate que tu as fort bonne mémoire mais seulement quand ça t’arrange, répliqua le jeune empereur.

Quant à la confiance indispensable à ce type de collaboration, pour l’instant, le jeune Kohan peinait à l’accorder à ce parfait étranger, et  décida de tenter s’en sortir par ses propres moyens plutôt que de remettre son destin entre les mains d’autrui. Se retrouver en situation de faiblesse et de lâché-prise l’effrayait, aussi lorsque le contenu de la cuve se déversa sur la créature de fanges, qui périt dans d’horribles cris d’agonis ; celui-ci, plutôt que de suivre les instructions de son compagnon, préféra sauter et s’agripper à l’une des cordes qui pendaient le long de l’échafaudage.

Malheureusement, tandis qu’il commençait à grimper le long de la corde, le gamin sentit soudain que sa barbe factice et sa perruque étaient en train de glisser ! La peur s’insinua en lui à l’idée, qu’en perdant ces accessoires qui constituaient son déguisement, sa véritable identité serait dévoilée. Nolan tenait la corde d’une main et de l’autre il tenta de rattraper sa fausse-barbe ; hélas, les longues mèches noirâtres de sa perruque tombèrent devant ses yeux, l’aveuglant et celui-ci lâcha prise ! Pendant qu’il chutait vers le liquide en fusion, l’adolescent se disait que tout compte fait il aurait mieux fait d’accepter l’aide de cet elfe aux cheveux cendreux. Voilà qui lui apprendrait à jouer au plus malin. Voyant sa dernière heure approcher, l’empereur ferma ses paupières, attendant la mort ; brusquement, celui-ci sentit une forte poigne le saisir et se retrouva plaqué contre un corps robuste, sans comprendre ce qui se produisait.

Quand Nolan rouvrit les yeux, ils s'écarquillèrent en constatant que tous deux se balançaient dans les airs, au moyen d’un tentacule, et fonçaient tout droit vers…un atelier ! Le gamin voulut crier « hé ho, attention on va s’écraser ! » mais les mots restèrent coincés à l’intérieur de sa gorge.
L’elfe prononça des mots sibyllins, qui ressemblaient à un juron Elfique, avant qu’ils n’entrent violemment en collision avec l’atelier. Par chance, l’inconnu se positionna de telle façon que son corps, servant de rempart, amortit la violence du choc.

L’atelier s’effondra dans un vacarme épouvantable, formant un ramassis d’objets divers et de bois. Le monarque incognito s’en tirait avec quelques égratignures, et était juste un peu sonné tandis que son comparse ne cessait de grogner. L’adolescent avait le nez plaqué contre la poitrine de ce dernier et lorsqu’il tenta de relever la tête celui-ci s’aperçut que sa fausse barbe s’était volatilisée ! Elle avait dû  tomber dans sa chute ! Par chance, sa perruque de cheveux noirs, bien qu’ébouriffée, tenait encore en place. Son cœur se mit à battre plus vite, que se passerait-il si cet inconnu aux cheveux laiteux reconnaissait son visage ? Nolan possédait les traits caractéristiques des Kohan et en tant que personnage public, il était facilement reconnaissable. Tout d’un coup, le gamin prit conscience qu’il se trouvait allongé de tout son long sur le corps de l’elfe, dans une posture, disons pour le moins équivoque et que celui-ci avait profité de la situation pour lui mettre la main aux fesses !

Nolan sentit ses joues s’empourprer violemment, à la fois de colère et d’humiliation. Espèce de vieux cochon, d’elfe libidineux ! s’écria-t-il. Attends de voir ta tête lorsque je t’aurais baffé ! Mais l’empereur semi-déguisé, en se souvenant du risque que soit découverte son imposture, se retint et poursuivit d’une voix emplie de rage contenue.

- Retire ta sale patte de mon postérieur ! J’ai peut-être les plus belles fesses du Royaume mais je ne permets à personne d’y toucher sans ma permission !

Toutefois, le souverain sélénien n’osait pas se relever par crainte que son secret ne soit dévoilé. C’est alors que l’étranger à la chevelure blanchâtre lui fit une remarque comme quoi en dépit du fait que sa poupe soit particulièrement plaisante à manier il avait certainement quelque chose de planté dans le dos.

L’adolescent se mordit les lèvres et tenta de dissimuler le plus possible son visage derrière les longues mèches sombres de ses faux cheveux, mais avant de se relever, celui-ci répondit :

- En effet, je ferais mieux de me relever car sinon c’est moi qui vais finir avec quelque chose de planté, car à voir la fougue avec laquelle tu manies ma poupe je crains de bientôt devoir subir ton éperonnage.

Dès qu’il fut debout, Nolan s’empressa de tourner sa tête sur le côté par crainte de montrer son visage et embrassa les lieux du regard pour voir s’il ne pouvait pas trouver une échappatoire. A ce stade, sans doute ferait-il mieux de s’enfuir, en abandonnant l’étranger à son triste sort. Certes, ce dernier venait de lui sauver la vie, mais avant cela c’était le jeune empereur qui l’avait tiré d’un mauvais pas. Désormais, ils se retrouvaient à égalité, une vie pour une vie, sa dette était payée. Sans compter que cet elfe lubrique s’était permis de s’offrir une petite compensation en lui pelotant l’arrière-train. A ce souvenir, le sélénien enrageait et il commença à s’éloigner en quête d’une sortie. Mais au bout d’à peine quelques pas un sentiment de culpabilité l’envahit et hésitant, le gamin revint en arrière, en prenant toujours soin de cacher en partie son visage derrière ses longues mèches fuligineuses.

- Je t’aiderais bien mais tu dois d’abord me promettre de fermer les yeux et de ne pas chercher à voir mon visage. Comment dire, je me sens un peu…timide et rougissant après que nous nous soyons trouvés si proches physiquement et je n’aimerais pas que tu me vois comme ça…

Cette excuse était pathétique mais, pour l’heure, le gamin n’en possédait pas de meilleure. Et malgré le ridicule de la situation la seule chose qui lui importait était que son interlocuteur ne découvre pas sa véritable identité. Puis si l’elfe aux cheveux d’argent s’était blessé lors de la collision avec l’atelier et avait réellement quelque chose planté dans le dos, il devait s’en assurer.

- Retourne-toi et déshabille-toi que je puisse t’examiner.

¤ Le cadet de mes soucis ¤

Voyant l’inconnu, avec qui il avait combattu et vaincu le vaseux, en difficulté, Nathaniel sauta dans le vide comme il l’avait initialement prévu, usant de la bague créant un tentacule afin de se balancer d’un point à l’autre de la pièce afin d’attraper en vol le magicien en détresse. La manœuvre se passa sans accroche, du moins jusqu’à l’atterrissage. L’elfe et l’humain valdinguèrent contre un atelier qui se brisa. Le second se retrouvant au-dessus du premier et le premier ayant une main sur les fesses du second. Le capitaine ne manqua d’ailleurs pas de lui faire remarquer la situation, tout en demandant au final s’il pouvait se relever, car il se pensait blesser, ayant une partie de son dos qui lui piquait. Était-ce simplement dû au choc ou avait-il réellement quelque chose de planté dans le dos ?

La réponse du magicien ne se fit pas attendre, il vint même le traiter d’elfe libidineux. Quoi ? Lui ? Bon peut-être. Mais quand bien même, on avait connu mieux comme genre de remerciement pour lui avoir sauvé la vie. Tant pis, il se contenterait d’avoir touché sa poupe. Quoi qu’il en soit, il la retira aussi tôt. Ses yeux restèrent ouverts continuant de se poser sur l’inconnu qui, bien que lui ayant demandé de rester de retirer sa main, restait toujours sur lui. Qui profitait de l’autre là ?

« Ah ça, rien qu’au toucher, oui, elles sont plus que correctes. Cependant, prétendre être les meilleurs du royaume, c’est un peu présomptueux.  Je ne suis pas elfe à me fier à la parole d’un inconnu. Il faudrait que je les examine un peu plus pour te confirmer. »

Le pirate ria sans attendre d’un rire presque moqueur, avant d’être coupé par une douleur qui lui arracha un léger grognement de douleur. L’autre choisit alors ce moment pour se relever, l’elfe à la chevelure d’écume remarqua alors à ce moment que quelque chose clochait. Il semblait manquer quelque chose à l’homme face à lui. Oui, quelque chose d’important … sur son visage ! Le gredin resta quelque peu abasourdi, non seulement par ça, mais aussi par la douleur lancinante. Était-ce la douleur qui lui brouillait les sens où l’inconnu face à lui avait perdu sa barbe ?

« En effet, je ferais mieux de me relever, car sinon c’est moi qui vais finir avec quelque chose de planté, car à voir la fougue avec laquelle tu manies ma poupe je crains de bientôt devoir subir ton éperonna. »

Difficilement, en grognant de douleur, le capitaine de la confrérie vint lentement se mettre en position assise.

« Oh rassures-toi, tu ne risques rien. Tu as dit aimer faire ça en plein air, j’attendrais d’être dehors. »

La phrase sortit toute seule, l’elfe étant presque incapable de ne pas répondre au taco tac à l’inconnu avec lequel il n’arrêtait pas de s’échanger des pics depuis tout à l’heure. Il ria à cela également, avant qu’un gémissement de douleur à demi étouffé ne s’échappe de lui. Cette fois-ci il en était sûr, il était blessé. Restait à savoir de quoi il s’agissait. Nathaniel glissa une main dans son dos, en direction de la zone de douleur. Au niveau des reins il sentit quelque chose de chaud contre sa main, merde du sang. Il continua jusqu’à sentir quelque chose de planter à l’intérieur de sa chair. C’était un des outils de l’atelier, un tournevis. La douleur se fit plus fort. Nathaniel entendit alors l’humain en train de s’éloigner. Quoi ? Il allait le laisser comme ça ? Le salaud ! Finalement, celui-ci s’arrêta pour se retourner légèrement, semblant essayer de masquer son visage derrière les longues mèches de sa chevelure détachée. Quelque chose clochait, il n’avait pas rêvé.

« Je t’aiderais bien, mais tu dois d’abord me promettre de fermer les yeux et de ne pas chercher à voir mon visage. Comment dire, je me sens un peu…timide et rougissant après que nous nous soyons trouvés si proches physiquement et je n’aimerais pas que tu me vois comme ça… Retourne-toi et déshabille-toi que je puisse t’examiner. »

Le gredin se frappa le front.

« Quoi ? Tu te moques de moi j’espère ? On n’a pas le temps pour ce genre de bêtises. J’ai un truc planté dans le dos. Timide et rougissant ? Après une main aux fesses ? Tu es sans doute la personne la plus prude que je n’ai jamais rencontrée. »

Nathaniel se retourna lentement, tout en venant retirer sa chemise, qui se déchira au passage un peu plus en raison du tournevis et de la brusquerie de l’elfe. Il roula en boule cette dernière avant de l’appuyer au niveau de la blessure pour tenter de faire une compresse rudimentaire. Le temps que l’autre se décide.

Le pirate présentait son large dos à l’inconnu, ce dernier étant recouvert de nombreuses cicatrices auxquelles se joindrait bientôt une nouvelle. Le sentant s’approche de lui, il parla à nouveau.

« J’ai vu qu’il te manquait quelque chose. C’est pour ça que tu caches ton visage ? Laisse-moi deviner. Un magicien défiguré après une expérience magique ratée ? Un jeune nobliau qui se déguise pour venir se mêler à la plèbe que ses pairs méprisent afin de voir comment ils vivent ? Ou peut-être un criminel en cavale ? Peu importe, je m’en fous bien de tout ça. Grouilles-toi de me soigner et on ira boire un coup. Je paierais. Ce sera en remerciement pour les soins. »

Après un combat pour le moins rocambolesque et une collaboration houleuse, les deux aventuriers parvinrent à terrasser le vaseux et à se sortir d’affaire, enfin presque…

Se balançant au bout de son tentacule, tel un chimpanzé agrippé à une liane, l’elfe aux cheveux écumeux saisit l’empereur déguisé, avant que ce dernier ne chute dans la fournaise, et suivant le mouvement de balancement ils foncèrent tout droit vers un atelier ! La collision d’une rare violence, laissa néanmoins Nolan indemne, à son grand soulagement.  

Par chance, du moins pour l’adolescent, l’inconnu se plaça de telle façon que son corps robuste, lui servit de rempart lors du choc et de matelas moelleux durant l’atterrissage. Et n’eut été une main concupiscente, ayant l’indécence de se balader le long de sa croupe, Nolan se serait fort bien accommodé de cette situation.

Hélas, lui-même avait perdu des plumes dans la bataille ou plutôt des poils. Le postiche velu qui dissimulait la moitié de son visage jouait les abonnés absents. La barbe ! C’était le cas de le dire. A présent, le gamin, aux traits dénudés, n’avait guère d’autre choix que de filer sans demander son reste plutôt que de courir le risque insensé de voir son secret révélé au grand jour.

Cependant, avant cela il n’allait pas se priver du plaisir de répliquer aux piques lancées par son vis-à-vis.  

-  Un peu présomptueux ? Possible, mais j’assume le fait de n’être guère des plus modestes, en particulier lorsque qu’il s’agit de certaines parties de mon anatomie, répondit d’-il un tantinet moqueur. Et ne crois pas que je te laisserais jouir si facilement de la vision d'une telle beauté en me dénudant pour que tu m’examines sans que tu aies de solides arguments à me fournir car jusqu’à preuve du contraire je n’ai rien de planté dans les fesses.

Décidément, cet elfe lubrique ne manquait pas d’air et semblait prendre certaines libertés voire même devenir ouvertement entreprenant. Nolan allait lui montrer qu’il n’allait pas le laisser gagner ce qu’il désirait si facilement, en admettant que le bougre parvienne à l'obtenir un jour.

- Oh je ne craignais rien, c’est plutôt toi qui aurais eu quelque chose à craindre si j’avais senti la moindre « excroissance » douteuse contre mon corps, dit-il en riant. Je n’en ai peut-être pas l’air mais je sais me défendre et frapper là où ça fait mal si tu vois ce que je veux dire…

La dernière phrase du gamin était emplie d’un sous-entendu, qui sans doute n’avait guère échappé à ce séducteur chevelu, et le Sélénien ajouta du même ton goguenard.

- J’ai dit que j’aimais faire ça dehors, pas avec le premier gredin venu, nuance. Il est donc probable qu’il te faille attendre bien plus longtemps que cela…

En vérité, le jeune souverain ignorait combien de temps précisément son acolyte devrait patienter mais à ce stade il était bien parti pour l’éternité. Sans compter qu’il ne connaissait même pas le nom de ce dernier et n’avait guère pour habitude de se montrer si « câlin » avec d’illustres inconnus.
Agacé par les avances malvenues de son "prétendant" et jugeant qu’il était temps pour lui de tirer sa révérence en s’éclipsant ; le jeune homme commença à s’éloigner jusqu’à ce qu’il sente l’aiguillon de la culpabilité le tarauder. Celui-ci tenta de se convaincre que son attitude représentait la meilleure alternative qui soit et que désormais plus rien ne l’attachait à cet être croisé par le plus grand des hasards.

Mais pouvait-il l’abandonner comme si de rien n’était en faisant fi des épreuves qu’ils venaient d’affronter ensembles ? Le Sélénien ne pouvait s’y résigner, aussi rebroussa-t-il chemin afin de retourner aux côtés de son compagnon d’aventures, en dépit du danger. Néanmoins, dans le but de se prémunir de ses regards suspicieux, ce dernier préféra prétexter la timidité pour expliquer pourquoi il se dissimulait derrières ses longues mèches fuligineuses.

En entendant cette excuse pour le moins saugrenue, son comparse se frappa le front et manifesta ouvertement son mécontentement.

- Que veux-tu, il faut bien une première fois à tout et il est parfois bon de découvrir de nouvelles choses. Sans oublier que si tu ne rencontrais jamais de personnes très prudes tu ne pourrais pas tenter de les dévergonder.

Nolan se demandait quel genre de conquêtes cet énergumène devait faire habituellement, car maintes demoiselles de la Cour auraient poussé de grands cris de vierges effarouchées et hurler qu’on attentait à leur vertu pour beaucoup moins qu’une main aux fesses. A n’en point douter l’elfe à la chevelure laiteuse devait choisir ses proies au sein des bordels et des tavernes de la cité plutôt que parmi les oies blanches de la haute-bourgeoisie ou de la noblesse.

Son compagnon le houspilla pour qu’il se presse et soigne sa plaie sans tarder, tout en retirant sa chemise, dévoilant par la même occasion un dos musculeux, zébré d’innombrables cicatrices. Dès après, celui-ci arracha un tournevis planté dans sa chair avant de déchirer son vêtement, afin de l’utiliser comme compresse pour éponger le sang qui s’écoulait de sa blessure.

L’empereur incognito s’approcha doucement de l’elfe qui lui tournait le dos dans le but d’examiner sa plaie de plus près, quand ce dernier lui dis quelque chose qui le fit tressaillir. Ainsi son interlocuteur avait remarqué l’absence de sa barbe et devinait que Nolan désirait masquer son identité.
Sans se laisser déstabiliser par cette remarque, l’adolescent répondit sur un ton qui se voulait plein d’assurance :

- En effet, peu importe qui je suis. De toute façon, une fois que toute cette aventure sera terminée nos routes se sépareront et ne se recroiseront peut-être plus jamais. Et si tel était le cas sans doute même serions-nous incapables de nous reconnaître. Pour ma part, je n’ai jamais été très physionomiste, aussi il est peu probable que je garde longtemps en mémoire ton apparence.

Lorsque son comparse lui proposa de lui payer un verre une fois soigné, le jeune homme eut un petit rire :

- Encore faudrait-il que j’accepte ta proposition car après avoir vu les effets de cette liqueur d’Athgalan je ne suis pas certain d’avoir encore envie de boire quelque chose…D’ailleurs je me demande ce que les criminels de cette cité doivent manigancer pour oser commercialiser un tel breuvage à Sélénia. A mon avis, ils désirent entreprendre un mauvais coup et mieux vaudrait les tenir à l’œil ou enquêter sur leurs sordides activités…

L’empereur de Sélénia se demandait s’il ne s’était pas montré trop tolérant vis-à-vis de cette ville située sur Néthéril, la laissant agir à sa guise tant que celle-ci ne représentait pas une nuisance pour son empire. Toutefois, cette situation pourrait rapidement changer si les habitants d’Athgalan avaient la mauvaise idée d’importer des boissons frelatées ou d’autres marchandises représentant un danger pour ses sujets. Désormais, il lui faudrait certainement envoyer plus d’espions là-bas.

Alors qu’il s’apprêtait à débuter les soins de son compagnon, l’adolescent fit la grimace en prenant conscience de quelque chose.

- Oups, il y a un petit souci. Cette course poursuite et l’utilisation de plusieurs sorts consécutifs m’ont beaucoup fatigué. Je vais devoir te soigner à la dure, à savoir désinfecter et suturer ta plaie sans anesthésie et sans recourir à la magie. Désolé, j’espère que tu n’es pas douillet car ça risque de te faire mal, au pire tu pourras toujours mordre dans un morceau de bois pour ne pas crier.

Après cela, le souverain déguisé se mit en quête de matériel afin de réaliser cette opération improvisée et trouva dans les débris de l’atelier un très fin fil métallique dont le bout, une fois sectionné avec un sécateur, lui servirait d’aiguille et en guise de sutures, il utiliserait quelques cheveux de sa perruque, réalisée en fibres textile et en crin de cheval. Par chance, le gamin trouva également une bouteille de rhum, presque pleine, et demeurée miraculeusement intacte dans les débris de l’atelier.

- Je vais stériliser l’aiguille en la passant à la flamme, ce n’est pas ça qui manque dans une forge et désinfecter ta blessure avec l’alcool. Tiens-toi prêt ça risque de piquer.

Une fois la stérilisation de l’aiguille effectuée, Nolan déchira la manche de sa propre chemise et l’imbiba de rhum avant de commencer à nettoyer la blessure de gredin.

¤ Ca fera mal docteur? ¤

Nathaniel était blessé. Assez salement sans doute. Il faut dire que se prendre un tournevis dans le dos n’était pas ce qu’il y avait de plus agréable. Heureusement, ou peut-être malheureusement, l’elfe à la chevelure d’écume avait déjà connu pire, oui bien pire. Les cicatrices dans son dos le laissaient par ailleurs deviner. Quoi qu’il en soit, le pirate n’attendit pas longtemps pour se retirer ledit outil de la chair et fabriquer une compresse rudimentaire pour contenir au maximum le sang qui s’écoulerait de lui. Le magicien avait donc tout intérêt à se dépêcher au plus vite de le soigner, cela devait assurément être dans ses cordes. Il l’aurait bien fait lui-même, malheureusement il n’était pas un grand magicien et l’esprit-lié qu’il possédait ne lui permettait pas de se soigner. Par ailleurs, il n’avait aucun objet sur lui qui pourrait lui permettre de se soigner. Voilà un futur achat à faire qui s’avèrerait nécessaire. Une potion, un enchantement, un objet, n’importe quoi qui pourrait faire l’affaire. D’habitude il pouvait compter sur l’infirmier de son équipage, mais quand il était à terre et seul, il ne pouvait compter que sur lui-même. Comme quoi, être à terre était une véritable plaie. Il avait hâte de retrouver le large.

Habillement le jeune inconnu répondit à ses remarques, arrachant quelque ricanement, plus interne qu’externe, au gredin qui se retenait au risque d’accentuer la douleur de sa blessure. Ce qui le rendrait fort désagréable.

« Eh bien et bien, le nuage gronde beaucoup, mais aucun éclair ne s’abat. Au final tu n’es pas fermé à la proposition. »

L’elfe se retint d’user de l’expression habituelle parlant d’un chien qui aboie, mais qui ne mord pas au risque de voir celui-ci décamper et ne pas le soigner. Si ce monsieur souhaitait jouer les prudes alors, autant entrer dans le jeu et s’en amuser un peu. Après tout, cela ne ferait qu’accentuer le rocambolesque amusement dans lequel ils étaient tous deux engagés.

« Oh oh, je vois, vous êtes de ce genre-là. Sachez donc que, ce premier gredin venu que je suis, qui a par ailleurs empêché ce royaume d’être endeuillé de la perte de son soi-disant plus beau postérieur en l’extirpant d’un plongeon qui lui serait fatal, n’est rien de plus qu’un navigateur. »

Le ton du gredin changea un peu, devenant presque romancer, comme s’il s’apprêtait à conter une épopée. Jouait-il la comédie ? Carrément, il surjouait même. Mais ces réponses et ce ton n’étaient rien de plus qu’une ultime moquerie, un peu comme un reproche ironique à l’homme qui face, ou plutôt dos à lui, lui mentait en s’étant dit prude.

« Que veux-tu, il faut bien une première fois à tout et il est parfois bon de découvrir de nouvelles choses. Sans oublier que si tu ne rencontrais jamais de personnes très prudes tu ne pourrais pas tenter de les dévergonder. »

« Mh … serait-ce un défi qui m’est lancé ? »

Les traits de Nathaniel semblèrent s’adoucir, sa sévérité et sa dangerosité lui donnant une tête de bandit s’évaporèrent quelques instants. Les yeux brou  de noix de l’elfe se posèrent sur l’humain, en leur sein pétillaient une lueur de malice, et il lui offrit son plus beau sourire charmeur en dépit de sa dentition ciselée. Avant d’y mettre fin, riant intérieurement.

« Quelle preuve d’ingratitude que celle-ci, oublier le visage de son sauveur et refuser son invitation à boire. Le monde est bien vaste aussi si les chances de nous retrouver sont minces, ce n’est qu’une raison de plus pour accepter. »

L’elfe sombre balaya ensuite l’air de sa main.

« S’arrêter sur une malheureuse expérience, je m’attendais à mieux d’un magicien. La liqueur d’Athgalan, la vraie, est une boisson qui n’a pas à rougir face à l’ancien vin glorien. Cependant, encore faut-il avoir la chance d’y gouter. Ceux qui dirigent la cité du marais, dont tu sembles avoir une si noire vision, la contrôlent avec rigueur. Et avec raison, car un défaut de fabrication et on se retrouve avec un vaseux et des morts sur les bras. Non, non. Il s’agit là un acte isolé. Pour mettre déjà rendu là-bas, tout le monde sait que les futs frelatés sont détruits sans ménagement. »

Inutile que les Séléniens viennent mettre leur nez dans les affaires de la cité du crime. Nathaniel une fois de retour se chargerait de cette affaire et y mettra fin prestement. Malheurs aux coupables, car ils les balanceraient dans le récif du putride.

Leur du soin arriva enfin et l’elfe l’attendait avec une certaine impatience. Malheureusement un imprévu indésirable se présenta. Le magicien n’avait plus de magie. Comment ça ? Comment un magicien ne peut plus avoir de magie ? C’est comme un tavernier qui n’aurait plus d’alcool ?

« Quoi ? Tu plaisantes j’espère ? »

Le gredin jeta un coup d’œil en arrière, il ne plaisantait pas.

« Boucher ! Gredin ! Magicien de pacotille ! Almaréens ! Me soigner de la sorte, tel un barbare ! J’aurais tout vu aujourd’hui. Encore une cicatrice a ajouté à ma liste. Ça se dit prude, mais ça aime jouer au docteur et de la pire des façons. Je suis sûr que tu dis que tu n’as plus de magie pour te venger de la main aux fesses, c’est mesquin ! »

Nathaniel grogna de mécontentement, mais ne prit pas la poudre d’escampette ni ne chercha à l’en empêcher. Après tout il n’avait pas de meilleure solution. Il observait d’un regard noir l’humain en train de préparer son appareillage de torture avant de finalement s’approcher de lui pour se mettre dans son dos. La compresse rudimentaire fut retirée avec réticence, l’elfe sombre prit son inspiration et l’inconnu commença à nettoyer sa plaie, arrachant un grognement de douleur et de mécontentement au pirate. [/color]

Nolan avait fabriqué des instruments de fortune afin « d’opérer » l’elfe aux cheveux d’écume et examina sa blessure, guère belle à voir, et qui risquait de s’infecter en l’absence de soins appropriés. Sans compter qu’une fois le tournevis ôté et la plaie recousue, son comparse conserverait probablement une cicatrice indélébile en souvenir de cette incroyable péripétie. L’adolescent contempla le dos imposant de ce dernier et remarqua les nombreuses balafres qui parsemaient sa peau, évoquant à ses yeux les stigmates d’une existence violente et les souvenirs de nombreux affrontements.

Néanmoins, malgré la baisse de la tension engendrée par la disparition du vaseux, les deux compagnons d’aventure poursuivaient leur joute oratoire, sans faiblir, ni se laisser déstabiliser par les réparties de l’autre. A croire, que les épreuves affrontées ensemble n’avaient en rien entamé leur verve car chacun d’entre eux tentait de rivaliser en habilité verbale, ce qui amusait fortement le jeune empereur. En effet, pour un peu ce dernier en serait presque venu à trouver un relatif intérêt à la compagnie de ce parfait étranger…

-  Méfie-toi, ce n’est pas parce qu’aucun éclair ne s’abat que tu ne cours pas le risque d’avoir un coup de foudre, dit-il d’un ton amusé. Quand à être fermé à une proposition, disons que je ne ferme jamais entièrement la porte, mais pour qu’elle s’ouvre encore faut-il posséder la bonne clé.

Quant aux paroles suivantes de ce gredin, le monarque Sélénien se retint d’éclater de rire en songeant à quel point celui-ci s’approchait de la vérité car en sa qualité de dirigeant, sa mort aurait probablement plongé son Royaume au cœur de la tourmente. Cependant, le gamin décida de s’en amuser à son tour et répondit en imitant le ton théâtral et surfait de son interlocuteur :

-  Et bien messire le simple navigateur, vous ne croyez pas si bien dire, si j’avais péri dans les flammes cela aurait été une perte inestimable pour Sélénia et tout le Royaume aurait porté mon deuil. En effet, je ne suis pas n’importe qui.

Lorsque le prétendu navigateur lui lança une nouvelle pique et une question concernant le fait de le mettre au défi, Nolan se contenta de répondre d’un ton énigmatique :

- Je t’en laisse seul juge, reste à savoir si tu seras capable de relever un tel défi le cas échéant.

Dissimulé derrière la masse noirâtre de sa perruque, l’empereur déguisé observait du coin de l’œil le curieux manège de l’elfe à la chevelure argentée. Se retournant brusquement, celui-ci darda sur lui ses prunelles couleur brou de noix, emplies de malice et afficha un sourire dentu, qui en dépit d’une expression aguicheuse le faisait ressembler à un cruel prédateur.

- Crois-moi si je pourrais facilement oublier ton visage, ton sourire carnassier restera longtemps gravé dans ma mémoire. Le considères-tu comme un argument de charme au point d’exhiber ainsi tes dents ciselées ?  Je ne peux m’empêcher de songer qu’à leur vue nombre de tes amants doivent s’enfuir en courant lorsque tu proposes de leur faire une gâterie ou de leur donner un baiser.

Puis le souverain sélénien eut un petit rire avant de poursuivre :

- Tu souhaites donc m’offrir un verre afin que nous passions ensemble une nuit inoubliable à boire ou…à faire autre chose avant de nous séparer, peut-être à jamais ?

Le ton employé était à la fois enjôleur et empreint d’ironie ; cependant, en dépit de son jeune âge, l’adolescent devinait sans peine ce que son interlocuteur convoitait et feignait intentionnellement la naïveté, tel un acteur interprétant un rôle, à l’instar de ce dernier. Ainsi après avoir tenté de se dominer l’un l’autre, puis collaboré afin de vaincre un ennemi commun, tous les deux semblaient entamer un étrange jeu de séduction et cette situation se révélait quelque peu cocasse pour le jeune homme.

Cependant la suite de la discussion s’avéra particulièrement instructive pour l’empereur et attisa sa curiosité mais aussi sa méfiance. Ainsi cet illustre inconnu connaissait Athgalan, la cité du crime, et semblait étonnamment informé sur son fonctionnement pour un simple navigateur, ce qui ne manqua pas de l’interpeler. Par ailleurs, son corps robuste portait les marques de nombreux coups laissant deviner un passé belliqueux…A quel genre d’énergumène avait-il affaire ? Décidément cet elfe à la chevelure couleur de neige se révélait bien mystérieux.

Cela dit, Nolan pouvait profiter de cette discussion pour tenter d’obtenir de plus amples informations sur ses fûts frelatés et sur leur origine, car étant donné son rôle de souverain Sélénien il ne pouvait laisser un tel incident se reproduire. Et s’il devait séduire ou ruser afin de parvenir à ses fins, alors il le ferait.

- J'accepterais peut-être d’aller boire un verre. Mais tu devras te montrer très courtois sinon il se pourrait que j’aie la migraine ce soir, dit-il en esquissant un sourire. Mais avant cela, passons aux choses sérieuses je vais m’occuper de toi !

Malheureusement pour le blessé, l’adolescent avait usé de sorts à plusieurs reprises et épuisé une grande de son énergie partie lors de sa course poursuite ainsi que son affrontement avec la créature verdâtre. Dès lors, son opération se déroulerait dans des conditions plus que rudimentaires.
En entendant ces propos, l’elfe s’exclama :

« Quoi ? Tu plaisantes j’espère ! »

- Hmm, est-ce que j’en ai l’air ? Si tel était le cas la farce serait cruelle. A présent, tais-toi et laisse-moi faire. Certes cela sera désagréable, mais c’est un mal pour un bien. Et je suis certain qu’après tu te sentiras pleinement satisfait.

Puis, le bougre se retourna et aperçut l’empereur déguisé armé de son matériel de torture, ce qui le fit protester vigoureusement.

- Tu veux rire ! Ne me dis pas qu’un grand gaillard comme toi a peur d’une petite aiguille ! Tu verras je serais très doux, enfin j’essayerais. S’il te plait sois sage et laisse toi faire ou sinon je partirais et te laisserai te débrouiller seul.

Et non content de se comporter comme un enfant gâté, son comparse exprima son mécontentement en grognant, comme à son accoutumée. Néanmoins, en dépit de sa réticence, ce dernier semblait prêt à collaborer et retira la compressa à contrecœur, laissant son corps entre les mains de ce chirurgien improvisé.

Le dirigeant de Sélénia s’empara de sa compresse imbibée d’alcool et commença à nettoyer la plaie, arrachant des cris plaintifs à son patient improvisé.

- Voilà qui est mieux, tu deviens raisonnable. Ne sois pas inquiet, je ferai pour le mieux. Est-ce qu’il s’agit de ta première fois ? Si tu te montres fort et endurant, qui sait peut-être aura tu droit à une récompense après cela.

En effet, Nolan pressentait que cette opération ne serait guère une mince affaire et s’attendait à ce que son compagnon fasse de nouveau preuve de mauvaise volonté dès l’instant où celui-ci sentirait l’aiguille pénétrer dans sa chair. Aussi décida-t-il que la meilleure tactique à adopter était de lui faire miroiter une récompense et de tenter de joindre une part de plaisir à la douleur, de la même façon qu’une mère soucieuse de la santé de son enfant enrobait un médicament au goût amer d’une pâte sucrée.

Ayant terminé de désinfecter la blessure du navigateur et fait enduré à ce dernier la brûlure de l’alcool par la même occasion ; l’adolescent songea qu’il valait mieux l’apaiser avant de passer à l’étape suivante. Après avoir pris une profonde inspiration, l’adolescent posa délicatement ses mains sur le dos musclé de l’elfe et caressa sa peau avec douceur et sensualité. Sous la pulpe de ses doigts, il pouvait sentir la texture irrégulière du derme, abîmé par les nombreuses cicatrices et maculé de gouttes de sang et de sueur. En écartant lentement plusieurs longues mèches de cheveux argentés, le gamin lui murmura à l’oreille.

-   Détend toi, tu es trop crispé. Plus tu seras tendu et plus tu auras mal mais si tu t’apaise la douleur deviendra beaucoup plus supportable.

Ensuite, Nolan décida de faire habilement dériver leur discussion sur un autre sujet que celui lié à cette opération chirurgicale.

- Je n’aurais jamais pensé qu’un elfe mâle pouvait posséder d’aussi beaux cheveux. Leur parfum me rappelle celui des embruns de l’océan, certainement car tu es navigateur et que tu passes la plupart de ton temps en mer n’est-ce pas ? J'imagine que tu as dû visiter de nombreuses contrées.

Tout en discutant, le souverain incognito poursuivait ses caresses et lorsqu’il sentit les muscles de son interlocuteur se détendre et son attention accaparée par la conversation ; il décida que le moment était venu d’insérer lentement l’aiguille à l’intérieur de sa chair.

¤ Un docteur aux pratiques douteuses ¤

Le combat était terminé, le vaseux était mort, incinéré, évaporé, il ne restait plus rien de lui, même pas une bile visqueuse, le métal en fusion avait tout dévoré. La tension était retombée, du moins en partie, il était à présent temps de réparer les pots cassés et en l’occurrence c’était Nathaniel le pot cassé. Cela lui apprendrait à vouloir venir en aide à quelqu’un. Surtout quand celui-ci voulait le soigner comme un barbare Almaréens. Qu’est-ce qu’il détestait ça ! L’elfe sombre avait déjà été soigné de cette manière par le passé, il suffisait pour cela de voir son visage, il avait sur sa lèvre supérieure, sur la partie droite, une cicatrice remontant jusqu’à sa pommette droite. Cette dernière prenait la forme de point de suture. Si le pirate se souvenait bien, il était jeune quand il avait reçu cette ancienne blessure. A quoi était-elle due déjà ? Était-ce à la d’une bataille dans un bar ou à cause d’un garde d’Aldaria ? La deuxième option si ça mémoire était bonne. Autant dire que ces salauds avaient refusé d’user de la magie pour soigner un voyou et avait fait appel au plus mauvais guérisseur du coin, qui bien incapable de finir de la soigner par magie, avait utilisé une aiguille et du fil. Le capitaine de la confrérie n’en gardait pas un très bon souvenir.

« Qui a besoin de clé quand on sait crocheter les serrures ? »

Nathaniel croyait bon de continuer à faire le malin dans cette situation, cela avait au moins le mérite de le détendre avant l’opération pratiquée par son boucher. Ce premier éclata d’ailleurs de rire.

« Oh, mais je ne mords pas voyons, du moins pas beaucoup. Et puis crois-moi, plus de gens que tu ne le crois apprécient, cela donne un côté sauvage. La preuve en est, il y a quelques secondes encore tu jurais que m’oublierais et que tu serais incapable de me reconnaitre si tu me recroisais à l’avenir. Pourtant il a suffi que je te montre ma superbe dentition afin qu’elle se grave dans ton esprit. Encore quelques instants et tu rattacheras mon sourire à mon visage et ce souvenir ne pourra plus te jamais te quitter. Si monsieur le magicien a le plus beau postérieur de tout Sélénia, alors j’ai le plus beau sourire de tous les océans ! »

Le pirate aimait à provoquer et jouer avec cet inconnu. Et cela semblait bien amuser l’autre également.

« Et bien, je suppose que ce que nous ferons dépendra surtout de la façon tu vas me charcuter. »

L’elfe à la chevelure d’écume tourna légèrement la tête pour lui tirer la langue, d’un air presque d’enfant moqueur. Le capitaine finit par se calmer et inspira, se préparant à se faire recoudre sa blessure, tâchant de se détendre et de prendre sur lui. Malheureusement cela ne sera pas facile. L’humain se mit alors en action, commençant à lui nettoyer sa blessure, arrachant un grognement à l’elfe. Celui-ci plissa des yeux, une petite lueur d’avidité brillant dans ses prunelles quand celui-ci lui parla de récompense.

¤ Voilà que mon docteur se met à me faire miroiter une friandise, comme si j’étais un enfant larmoyant qui s’était écorché le genou et que l’on souhaite apaiser le temps de mettre un pansement. ¤

Nathaniel pensa ses mots, mais ne dit rien. Il ne valait mieux pas déconcentrer le magicien, mettre en pause leurs joutes moqueuses au moins jusqu’à ce qu’il soit soigné. Pour autant, celui-ci avait encore du mal à se détendre, il faut dire que personne n’appréciait se faire pénétrer la chair par un objet. L’elfe lui-même n’était pas du genre à infliger des blessures tranchantes à ses ennemis, mais plutôt contondantes.

Lentement, l’elfe put sentir les doigts de l’humain passer dans son dos, doucement, délicatement, caressant sa peau. Que faisait-il là ? Celui-ci finit par remonter jusqu’à sa nuque, et son oreille, venant lui murmurer de se détendre. Un frisson d’excitation parcourut l’échine du pirate. Le capitaine eut bien envie de lui répondre que c’est bientôt lui qui dirait ça à l’humain si jamais la potentielle beuverie tournait en coucherie, mais il n’en fit rien.

« J’essaye, mais c’est pas facile. Je ne garde pas un bon souvenir des fois où j’ai dû me faire recoudre. Au moins cette fois le docteur est mignon. »

Le capitaine de la confrérie ferma les yeux, s’employant à chasser de son esprit l’idée que bientôt il se ferait recoudre pour se concentrer sur la sensation des doigts sur sa peau.

« Je n’aurais jamais pensé qu’un elfe mâle pouvait posséder d’aussi beaux cheveux. Leur parfum me rappelle celui des embruns de l’océan, certainement car tu es navigateur et que tu passes la plupart de ton temps en mer n’est-ce pas ? J'imagine que tu as dû visiter de nombreuses contrées. »

« Un élément en plus qui vous fera vous souvenir de moi. Ma chevelure n’est peut-être pas la plus belle des océans comme mon sourire, mais elle peut aisément s’approcher du podium pour prétendre être dessus. L’embrun de l’océan me colle à la peau et jamais ne me quittera. Je vais le moins possible à terre, je ne m’y sens pas à mon aise. Mais il faut bien s’arrêter quelques instants. J’ai vu la totalité des cotes de l’ancien continent, arpenté ses fleuves en temps de paix et de guerre. Si certains ont vécu l’exil forcé face aux Chimères comme une tragédie j’y ai vu un espoir et ressenti le bonheur à chaque fois que le soleil émergeait à l’horizon de l’océan. Aujourd’hui j’ai vu presque toutes les cotes de l’archipel. J’ai joué avec les récifs des crocs du givre. J’ai affronté les vents du récif des tempêtes. Tirer sur les vaseux du putride … Bientôt je pense que je tenterais de travers les dents de siel afin d’être le premier à trouver un chemin parmi ce récif. Après tout je suis Eäieuh ! »

Pendant sa tirade l’inconnu décida de planter son aiguille pour commencer à le recoudre, pensant avoir réussi à détourner l’attention du capitaine, mais l’elfe s’en rendit compte quand une pique de douleur le prit lors de la troisième suture.

« C’est comme ça que tu t’y prends avec tous tes patients ? »

Nolan songea avec amusement que cet elfe aux cheveux vaporeux, en plus conserver son sens de la répartie, peu importe les circonstances, possédait en outre un côté charmeur, ce qui rajoutait du piment à leurs joutes verbales ambiguës et au flirt qui s’installait entre eux. Mais étrangement ce jeu de séduction qui s’accentuait ne déplaisait guère à l’adolescent, amusé de pouvoir tester son pouvoir de séduction sur ce mystérieux navigateur, qui n’y semblait pas insensible.

- Certaines serrures sont plus difficiles à forcer que d’autres, mais nous verrons si tu es aussi habile de tes doigts que tu l’es de ta langue, dit-il d’un ton plein de sous-entendu, le mettant ainsi au défi de réussir et de ne pas se contenter d’être juste un beau parleur.

Et quand vint le moment fatidique, celui de la fameuse opération, son comparse, comme s’il cherchait à se donner une contenance continuait à rivaliser en verbiage avec son interlocuteur, comme si de rien n’était. Pourtant il ne devait pas en mener large face à cette aiguille prête à lui transpercer la peau afin de suturer sa plaie et cette attitude surfaite amusa l’empereur déguisé qui n’était pas dupe face à cette prétendue désinvolture.  

- Hm, je suppose que tous les goûts sont dans la nature et que si certains aiment jouer au docteur d’autres préfèrent s’improviser dentistes. Je vois que messire est aussi présomptueux que moi lorsqu’il s’agit de vanter ses charmes et je suis forcé de de te croire sur parole lorsque tu prétends avoir le plus beau sourire de l’océan car c’est la première fois que j’en vois de semblable. Mais dis-moi pourquoi as-tu d’aussi grandes dents ? Comptes tu me répondre « c’est pour mieux te dévorer mon enfant ?"

En effet, c’était la première fois que l’empereur voyait des dents ciselées telles que celles de son vis-à-vis qui pourtant ne ressemblait point à un vampire. Par ailleurs, les nocturnes possédaient des crocs tandis que la dentition en question paraissait limée, ce qui attisait la curiosité du gamin. Par quel prodige cela se pouvait-il ?

Puis son patient improvisé, décidément cabotin et facétieux, n’hésita pas à le provoquer une nouvelle fois en lui lançant une pique et en lui tirant la langue tel un enfant capricieux.

- Tout dépendra si tu te tiens tranquille comme un gentil garçon ou si gigote sans arrêt.

Soudain, l’attention de l’empereur-enfant fut attirée par les grandes oreilles décollées de l’elfe et celui-ci remarqua que sur l’une d’entre-elle brillait un anneau doré ; décidant de se montrer farceur à son tour, ce dernier, d’un geste mi- aguicheur, mi- taquin, tira sur l’oreille pointue en riant :

- Je remarque que chez toi, il n’y a pas que les dents qui soient longues et pointues mais aussi tes oreilles qui ont l’air d’être plus grandes que celles de la moyenne des Elfes. Vas-tu me répondre « c’est pour mieux t’entendre mon enfant ? » Est-ce qu’il y a autre chose de long et de pointu chez toi susceptible de me laisser un souvenir inoubliable ?

Ensuite son comparse lui expliqua qu’il ne gardait pas un bon souvenir de toutes les fois où il s’était fait recoudre. Et effectivement en examinant son dos recouvert de balafres, le Sélénien devina sans peine que l’elfe devait être un habitué des bagarres et semblait presque prendre un malin plaisir à passer entre les mains des docteurs. Était-ce la malchance ou lui arrivait-il souvent de « glisser » par mégarde et de se retrouver avec des choses plantées à l’intérieur du corps, à moins qu’il ne soit adepte de certaines pratiques « particulières » ? Mystère.

Tandis qu’il le caressait, l’adolescent sentait des frissons voluptueux parcourir la peau de cet étrange inconnu, et il savoura le sentiment de puissance procuré par la capacité de pouvoir faire naître le plaisir sous ses doigts, d’autant plus que et son patient paraissait très sensible à ses caresses. S’il le désirait serait-il capable d’allumer dans le corps de ce dernier un feu de désir charnel encore plus intense que le brasier de la forge qui avait consumé le vaseux en un instant ?

Après cela, l’elfe ténébreux poursuivit avec une tirade qui avait certainement pour but de lui changer les idées et de lui faire oublier la douleur suscitée par l’introduction de l’aiguille et la suture qui s’en suivait. Nolan lui-même en écoutant ce bavardage, se laissa distraire en humant les senteurs salées qui émanaient de son interlocuteur. Ces effluves marines évoquaient à ses yeux le parfum de la liberté et il se prit à rêver d’aventures en entendant les paroles du navigateur. En dépit de son rôle d’empereur et de son pouvoir de gouverner un empire la liberté de voyager à bord d’un navire et de parcourir les quatre coins du globe ressemblait à un rêve inaccessible. Le jeune Kohan en était réduit à se déguiser et à fuguer de son propre palais, afin de jouir l’espace de quelques heures d’une existence plus libre, en dehors du carcan protocolaire.

- Tu en as de la chance d’avoir pu visiter tout l’archipel, il y a tellement de merveilles à découvrir et j’aimerais pouvoir en dire autant. J’ai toujours rêvé de voir le monde et aussi peut-être de découvrir les autres continents qui se trouvent de l’autre côté de l’océan, celui d’où viennent les premiers hommes et les elfes.

Le monarque de Sélénia songea avec amertume que s’il se hasardait à tout quitter, afin de partir seul à l’aventure à bord d'un vaisseau, les membres du Conseil de son empire seraient capables de faire une attaque cardiaque. Le devoir l’attachait à son trône, à tel point qu’il se sentait plus souvent esclave que maître mais tel était le paradoxe de son pouvoir et le revers de la médaille. Pour chaque chose d'importance, il avait un prix à payer et cet aventurier, en raison de ses responsabilités moindres pouvait bénéficier de davantage de liberté…

Tout d’un coup, l’elfe aux cheveux d’argent s’arrêta net au milieu de sa tirade en prononçant un mot bizarroïde.  

- Eiareuh ? C’est ton nom ça ? dit-il en se retenant pour ne pas éclater de rire. Quel nom bizarre, mais ma foi c’est original !

Déconcentré par la tournure hilarante que prenait leur conversation, le gamin enfonça l’aiguille un peu maladroitement, ce qui fit naître une pointe de douleur chez l’elfe aux cheveux cendreux. Ce dernier n’hésita pas à demander à son médecin improvisé s’il se comportait de la sorte avec tous ses patients. Nolan se mordit les lèvres, sentant ses joues s’empourprer et répondit à brûle-pourpoint :

- Personne ne s’est jamais plaint.

Il s’agissait d’une demi-vérité car c’était la première fois que l’adolescent mettait en pratique ses connaissances en chirurgie et en anatomie et s’essayait au docteur, jusqu’ici elles demeuraient sommes toutes théoriques. Mais bon il fallait bien une première fois à tout et expérimenter pour apprendre. Et cet inconnu semblait parfait pour cet essai. Nolan se reconcentra et termina l’opération, laissant une suture relativement net malgré ses maladresses et sa légère nervosité :

- Alors heureux ? Dans quelques heures, tu ne devrais même plus la sentir. La chaleur de cette forge m’a donné très soif et après tout ce qui s’est passé j’ai grand besoin d’un petit remontant. J’aimerais gouter la fameuse liqueur d’Athgalan dont tu m’as parlé, je n’ai jamais essayé mais j’ai l’esprit ouvert à de nouvelles expériences. Je ne sais pas si on peut en trouver à Sélénia, mais à mon avis oui dans certains endroits connus des habitués…

Le souverain incognito se doutait qu’à Sélénia on pouvait trouver l’inimaginable, même des marchandises illégales et qu’au final rien n’y était introuvable pour qui connaissait les bonnes adresses et possédait de l'or ; et ce navigateur paraissait particulièrement bien informé. Par ailleurs, le jeune empereur estimait qu’il s’agissait d’une excellente occasion d’explorer et de pouvoir jeter un œil sur ce qui se passait dans les bas-fonds de sa cité.
Pourtant le jeune Sélénien ne pouvait pas le suivre ainsi car sans la fausse barbe qui dissimulait ses traits il courait le risque d’être vite démasqué. Brusquement, ses prunelles mordorées remarquèrent un morceau de tissu rouge écarlate qui dépassait des débris de l’atelier.

- Avant que nous y allions, ferme les yeux et ne te retourne pas avant que je te le dise.

Nolan s’empressa de tirer le morceau d’étoffe qui dépassait des décombres et remarqua qu’il s’agissait d’une cape rouge vif munie d’une capuche à large bords. Il s’empressa de la revêtir, satisfait de constater qu’elle dissimulait une grande partie de son visage le rendant méconnaissable.

- Voilà je suis prêt à te suivre, montre-moi le chemin qui conduit jusqu’à une taverne où nous pourrons déguster cette fameuse liqueur.