Il faisait nuit noire, et, pourtant, j’étais encore réveillé. Autour de moi, le campement des aigles était silencieux, et, à part les veilleurs qui se relayaient leur quart, il y avait fort à supposer que tout le monde dans le campement était assoupi. Il fallait dire que, bien que notre rôle se limitait à de l’exploration, personne ne s’économisait dans les tâches diurnes et nocturnes que je pouvais bien leur confier. Ils étaient jeunes, mais présentaient un avenir prometteur. Mieux encore, chacun d’entre eux s’était intégré au mieux dans l’escouade et ils formaient à présent une grande famille, dans laquelle se tissaient des histoires diverses et variées. Si je tâchais de rester un peu en retrait afin de pouvoir assurer mon commandement de la meilleure des manières, je ne pouvais m’empêcher de m’attacher à chacun d’entre eux. Leur présence me rappelait celle de mes frères d’armes de la Caste, et les souvenirs que j’avais de cette période et de ces hommes était doux, paisible, et presque rassurant. En leur sein, j’avais pu trouver une paix à laquelle j’aspirais. Vampire, Humain, Elfes… Leurs appartenances n’avaient plus aucune importance. Et j’aurais aimé que tout cela continue plus longtemps, même si la guerre nous avait rattrapé. Je n’avais toujours eu que faire de toutes ces histoires sur l’apparition des vampires. Elles étaient de vieilles légendes, trop vieilles pour faire partie de ce nouveau monde. Notre histoire commune méritait tout simplement mieux qu’un destin arraché comme il l’était aujourd’hui.

Alors que j’observais la lune et les astres, en proie à mes pensées de paix, je senti une douce chaleur envahir ma poitrine. Mais il ne me sembla pas qu’elle fut liée à un quelconque sentiment, même si ceux qui m’habitaient en cet instant présent étaient nombreux. Non, je sentais simplement une magie, ma magie, s’écouler doucement de ma poitrine jusque dans les moindres parcelles de mon être. Je ne savais pas ce qu’il se passait, et je me sentais comme paralysé de la plus douce des manières. Je fermais alors les yeux, savourant cette sensation, jusqu’à ce qu’elle ne se fasse plus forte. La magie scrutait la moindre parcelle de mon corps et de mon âme, comme si elle était à la recherche de quelque chose. Il m’était difficile, et il me l’est toujours, de décrire ce sentiment, cette sensation. A la fois paisible, mais chaotique, douce, mais brûlante, sereine, mais agitée. Soudain, je la sentis refluer dans ma poitrine, de là où elle était précédemment sortie, puis plus rien. Mais je n’eus pas le temps de me demander très longtemps ce qui venait d’arriver.

Tout s’enchaina très vite. Le flux rejaillit de ma poitrine brutalement, inondant alors mon corps et mon âme. J’avais l’impression qu’un impétueux torrent de lave me dévorait les veines, les organes, et l’esprit, comme une immense vague purificatrice que rien ne pouvait stopper. La brûlante sensation était d’une douleur à nulle autre pareille, brûlant la moindre parcelle de mon être de l’intérieur sans qu’il me soit possible de l’en empêcher. Je poussais un brutal hurlement de douleur alors que mes jambes, en proies à la même souffrance que le reste de mon être, se dérobaient. Je heurtais le sol, sur le dos, plantant violemment mes doigts et mes ongles dans la terre légèrement humide. Ma vue se troublait alors que le feu continuait de dévorer mes entrailles. J’aurais pu me tordre de douleur si cette dernière ne m’empêchait presque complètement de bouger. Je peinais à respirer, la moindre molécule d’air que j’avalais devenait une flamme qui brûlait l’intérieur de mes poumons.

La vue embrumée, je vis alors l’un de mes hommes que je ne reconnus pas se précipiter vers moi. Il tourna ensuite la tête, et seule la déformation de sa mâchoire put m’indiquer qu’il hurlait. Je n’entendais rien, alors que la vague de flamme s’intensifiait brutalement, m’arrachant un nouveau hurlement de douleur qui se perdit dans les limbes de la nuit, faisant se lever mon torse avant qu’il ne s’affaisse de nouveau brutalement sur le sol. Je serrais les dents, et fermais les yeux en forçant sur mes paupières. Ces dernières semblèrent alors contenir une flamme plus brûlante encore et je ne pus les garder fermées bien longtemps. Les ouvrants brutalement pour en libérer la fournaise. Ma respiration était de plus en plus irrégulière, et, lorsque je récupérais un semblant de lucidité, je remarquais la présence de nouvelles personnes à mes côtés. Il m’était à l’instant parfaitement impossible de définir de qui il s’agissait, mais je sentis des mains me soulever. En comparaison avec la fournaise qui habitait mon être, elles étaient presque rassurantes, apaisantes. Afin de ne pas perdre l’esprit, mes pensées se rattachèrent à la seule personne qui avait déjà su calmer le tumulte de mon âme. A travers le feu, la figure de la baptistrelle me permit de tenir. Je la gardais devant moi, tâchant de ne me concentrer que sur celle que j’aimais de tout mon être. J’avais promis de tenir pour elle, et pour voir le monde que nous convoitions tous les deux un jour, côte à côte. Je n’allais pas trahir cette promesse, qu’importait ce qui pouvait arriver. Le tumulte se faisait plus fort seconde après seconde, mais je serais la mâchoire, le regard plongé dans l’azur du sien qui irradiait de sa douceur.

Je ne sus combien de temps tout cela dura. L’enfer créé par le feu magique cessa aussi vite qu’il était apparu, s’estompant brutalement dans ma poitrine, et relâchant un nouveau flux magique qui, lui, sembla purifier la moindre parcelle de mon être, atténuant les flammes. Tout passa alors d’une mer de feu enragée à un océan astral dont la sérénité n’avait aucun égal. Ma respiration se fit de plus en plus régulière, et l’air circulait de nouveau calmement dans mes poumons. Je mis quelques instants à réaliser que tout était fini, mais une étrange sensation s’était emparée de moi. Je n’en connaissais pas l’origine ni les tourments, mais je sentais que, tout au fond de mon âme, et de ce que j’étais, quelque chose avait changé. A jamais. L’épuisement l’emporta toutefois rapidement sur tout le reste, et mes yeux se fermèrent pour la dernière fois sur celui que j’avais autrefois connu.

Je me réveillais au matin, dans une paix tranquille. Le chant des oiseaux résonnait déjà, et, à en voir la lumière qui filtrait par les ouvertures de la tente, le jour était déjà levé. La tente… Je n’avais aucune idée de comment j’étais arrivé là. Mes souvenirs étaient aveuglés par les flammes qui avaient dévoré mon être quelques heures auparavant, et je ne parvenais plus à me rappeler de quoi que ce soit d’autre. Je sentis alors un linge humide posé sur mon front. Je tournais la tête, et me maudis instantanément pour avoir eu cette idée. Une violente migraine m’obligea à fermer les yeux et attendre quelques secondes, et, lorsque je les ouvrais, je découvrais le visage inquiet de Diane, assise à mon chevet. Elle était celle qui avait les meilleures connaissances en médecine de l’escouade, et elle avait dû veiller toute la nuit sur mon état. Lorsqu’elle me vit réveillé, elle s’empressa de me remettre dans la position dans laquelle je m’étais éveillé.

« Non, non. Ne bougez pas capitaine. Vous êtes encore épuisé. » Me lança-t-elle sur un ton qui trahissait son angoisse. Je me relevais toutefois, en appui sur l’un de mes coudes alors que mon bras opposé venait me masser la tempe.

« Je… Qu’est-ce qu’il s’est passé ? » Lui demandais-je, la voix encore enrouée par la fatigue.

« Je… Je ne sais pas. On ne sait pas. Je n’ai jamais vu ça avant. On aurait dit que vous étiez victime d’une attaque magique, mais… Mais même avec ça, je n’arrivais pas à vous calmer, ni à faire baisser la fièvre… Et ça s’est terminé vite mais… » Elle commença à bredouiller, les yeux humides, qu’elle s’essuya rapidement d’un revers de la manche. Je posais la main sur son avant-bras, posant mes yeux ambrés dans les siens.

« Je vais bien, Diane. Je ne saurais pas te dire pourquoi mais… Je vais bien. J’ai simplement une sensation un peu étrange, mais ce n’est ni inquiétant, ni douloureux, d’accord ? » Lui lançais-je doucement, accompagnant mes paroles d’un sourire rassurant. Elle sembla se calmer, et un rire nerveux lui échappa, alors qu’elle se mettait à sourire elle aussi.

« Étrange… c’est le mot capitaine. Personne n’y comprend rien, mais je suppose que c’est mieux si vous le voyez de vous-même. » Me lança-t-elle. Je l’interrogeais du regard, mais rien n’y fit, et elle m’aida simplement à me lever. Je remarquais alors que je ne ressentais aucune courbature, aucune douleur rémanente. Au contraire, même, je me sentais particulièrement bien, et apaisé. Elle le remarqua rapidement et me laissa me lever seul, puis elle m’indiqua de me diriger vers le grand miroir situé dans un des coins de la tente. Je m’exécutais et, une fois en face de ce dernier, ce que j’y découvris me laissa stupéfait.

La sensation de changement fondamental que je pensais s’être opéré dans mon âme n’avait pas été que spirituel. Mon être tout entier semblait avoir évolué, comme s’il m’était brutalement étranger. Torse nu, je contemplais un autre Seö, à la fois ressemblant et complètement différent. Sa peau mate était parsemée de douce arabesque cuivrée qui décrivait avec harmonie d’élégants motifs qui remontaient jusque dans son cou, venant épouser avec douceur ses anciennes cicatrices. Son visage, lui aussi, était parfaitement dessiné par de doux traits communiant avec son ancien visage. Et, au milieu de ce tableau euphonique, ses yeux ambrés brillaient d’une lueur plus vive, plus intense qu’à l’ordinaire. L’être qui me faisait fasse dégageait une sensation d’équilibre, aussi fragile que conquérant, et j’eus bien du mal à me rappeler que ce n’était qu’une simple image que renvoyait un cristal de ce que j’étais à présent. Je baissais alors les yeux sur mes mains, espérant et craignant que tout ça ne soit qu’une illusion, mes les fines courbes cuivrées que j’y vis apparaitre ne laissaient place à aucun doute. J’étais un être à présent différent de ce que j’avais été, sans comprendre pourquoi.