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Valmys se remettait tout juste de ses émotions. Ses derniers jours avaient été consacrés à beaucoup d'écriture, de dessin, multipliés et recopiés. Ce qu'il avait vécu était important, il voulait que la postérité en ait la marque, et que les Siens en aient connaissance. Son hôte ne l'avait pas vu beaucoup sortir. Lorsqu'elle rentrait, elle le trouvait souvent assoupi, de l'encre sur les doigts, le front, la joue et le menton. Les notes qu'il avait pu prendre des écritures sur le temple avaient été détrempées, au grand désespoir du petit elfe, dont le plus grand chagrin actuellement était de ne pouvoir les retranscrire, ne pouvoir en fournir que des bribes. Il avait encore en tête les sanctuaires explorés avec son défunt maître, et cherchait un potentiel lien entre eux. Deocyne avait-il déjà vu le coeur de l'île au désert ? Si oui... Y avait-il un lien avec sa disparition ? N'avait-il pas laissé quelques mots, cachées quelque part ? L'idée persistait dans le crâne de l'Enwr, qui restait avec cette amère sensation d'échec. Il ne pouvait quitter Keet-Tiamat ainsi, sans avoir accompli ce pour quoi il était venu... Surtout après ce qu'il avait enduré pour venir.

Entre deux instants à relater le passés et quelques-uns à errer en ville à la recherche d'un miracle, il avait eu l'envie de retrouver l'elfe qui lui avait sauvé la vie, et lui offrir quelque présent. Ç'avait d'abord été une pensée vagabonde, avant de devenir une idée fixe, comme si son esprit avait vu là une occasion d'aller mieux, d'arracher aux jours au moins une victoire. Préoccupé par ses devoirs, Valmys avait repoussé ce qu'il croyait n'être qu'un caprice de sa part. Lorsqu'écrire était devenu compliqué sous l'effet des songes de cadeaux qui l'assaillaient, il avait cédé, et était sorti à nouveau profiter de l'air extérieur.

Enfin, il fallait le dire assez vite. Pour qui craignait les gens, la ville n'était pas vraiment un présent, d'autant plus dans les quartiers marchands. Valmys sentait son énergie se faire totalement aspirer par ses craintes, les coups d'oeil anxieux qu'il jetait à droite et à gauche, par-dessus son épaule, les brusques esquives qu'il faisait parfois pour trop éviter certaines personnes, et les battements frénétiques de son coeur lorsque d'autres réduisaient son espace vital. Il avait chaud, et n'était pas sûr que ce soit dû à son environnement. Il cherchait l'ombre, et les endroits où il pourrait respirer un peu mieux. Pourtant, avec la présence de l'eau, avec sa tenue d'elfe du désert, il aurait dû tenir mieux que cela.

Ses pas le menèrent vers cette partie du quartier des affaires où les bâtiments s'écartaient un peu, laissant les vendeurs étaler leurs marchandises sur le sol ou sur de vagues étals, abrités de pans de tissus colorés, dans une organisation plus ou moins tacite. Valmys traversa quelques allées, hâtivement, évitant les regards en portant son attention sur les marchandises. Il repéra quelques petites choses, en prit bonne note, mais préféra attendre avant de prendre sa décision. Il ne roulait pas sur l'or, loin de là. Le pécule qu'il avait sur lui était ce qu'il avait pu stocker au Domaine jadis. Il allait devoir, un jour, reprendre son courage à demain, et jouer dans des auberges, s'il voulait à nouveau pouvoir s'offrir quelques luxes de temps à autre.
Les étals changèrent d'apparence. Désormais, certains se composaient de petits enclos. Oh... des animaux ! Valmys n'aimait pas les voir enfermés. D'autant plus que la plupart n'avaient rien à faire dans le désert... Ils n'étaient là que pour les bipèdes. Même les libérer n'aurait pas été une bonne idée. Pourtant, qu'ils étaient beaux ! Valmys admira quelques beaux oiseaux, quelques chiens à fière allure, et... ooooh ! Des chevaux !

Les chevaux étaient des créatures qui semblaient avoir été façonnées par les dieux pour embellir le monde. Parmi les vivants, ils se distinguaient toujours. Leurs proportions étaient parfaites, leurs profils comme calculés pour que les yeux s'en raffolent. Leurs mouvements alliaient la puissance et la grâce d'une façon totalement unique. En plus de cela, ils étaient de plaisants compagnons. Auprès d'eux, Valmys était sûr de se sentir un peu mieux.
L'histoire aurait pu s'arrêter là.Valmys serait venu, aurait papouillé un poney, serait retourné à son histoire de cadeau. À l'inverse, elle commença ainsi. L'Enwr s'approchait tout juste de cet endroit où les chevaux s'alignaient, le coeur ouvert à l'inconnu, lorsqu'un regard croisa le sien. Son coeur lui parut s'arrêter et battre plus fort à la fois.
L'instant suivant, il était auprès de cette jument. Elle n'avait rien de spécial, n'était même pas spécialement belle. Mais elle avait fait attention à lui. Alors il la papouillait, lui caressait l'encolure, lui gratouillait le poitrail, lui murmurait quelques chants elfiques. Elle répondait en appuyant son encolure sur lui, en s'apaisant, parfois, ou en essayant de le mordiller en retour. Cela faisait très longtemps que Valmys n'avait pu partager de tels instants avec un être vivant, et une éternité semblait avoir passé depuis la dernière fois qu'il avait ressenti une telle joie, presque sans les barrières que l'Orque lui avait imposées. Son regard pétillait, un sourire tendre illuminait son visage.

Ses bras passèrent autour de l'encolure de la jument, dans une étreinte qui menaçait de l'émouvoir aux larmes. Il était extrêmement reconnaissant. Désormais, pouvait-il vraiment retourner à ses affaires, détourner le regard, comme s'il ne s'était rien passé ? Après tout ce qu'elle lui avait offert ? Il avait envie de la libérer. Mais n'aurait-ce pas été injuste de ne la libérer qu'elle, et pas les autres, juste parce qu'elle l'avait regardé... Dilemme et tragédie. À nouveau une pointe de peine passa dans le petit coeur de Valmys. Il pouvait à la limite acheter cette jument, mais pas pour tous les autres... Mh. Pouvait-il essayer tout de même ? Et elle... Allait-elle le suivre ? Sa main glissa sur la longe qui retenait la jument, jouant distraitement sur le nez qui l'attachait. Son regard croisa à nouveau celui de la jument, sa pupille rectangulaire.

"- Me suivrais-tu...?"

Sa main passa doucement sur son chanfrein, il ferma les yeux. Un léger chant, elfique, émanait désormais de Valmys, dont la voix était claire, fluide, et comme paternelle. Le chant cherchait à percevoir par la conscience de la jument. Il ne faisait pas attention à ce qui se passait autour de lui.


Dernière édition par Valmys Neolenn le Jeu 1 Fév 2018 - 18:34, édité 1 fois

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    La vanité des elfes était à la hauteur de ce qu'ils avaient réussi à accomplir ici. Ils avaient fait de cet ersatz de désert aride un havre de végétation luxuriante et parfaitement irrigué. Les eaux claires et transparentes s'écoulaient dans les différentes cascades et se reposaient dans les bassins comme la fougue et la sagesse, la tempête et l'accalmie. Le décor était remarquable, tant dans l'agencement des différents quartiers que dans les ornements dont les lieux bénéficiaient élégamment. Aldaron avait profité de son séjour pour admirer, entre autres, les différentes sculptures des fontaines. Elles relataient les nombreuses épopées que leur peuple avait traversé, mettant, bien entendu, la communauté elfique en valeur plus que tout autre, comme pour rappeler leur supériorité orgueilleuse. Dans le dédale aqueux, le bourgmestre avait suivi une boussole singulière qu'il avait emportée de sa terre natale, jadis le cadeau qu'Océan fit à Lyssa Kohan, une douce enfant au destin tragique, et dont le chant n'accompagnerait plus les écumes sur les côtes de la Vagabonde. Il avait traversé le quartier des habitations, prudent dans son approche.

    Pour la première fois de sa vie, il avait vu son fils. Son visage l'avait rapidement mis sur la piste. Les longs cheveux bruns, la mâchoire carrée, des yeux aux teintes de l'émeraude et cette flèche de boussole argentée qui pointait droit sur lui. Il était venu ici pour en avoir le cœur net et toute son âme se crispait de douleur. Qu'avait-il espéré ? Se tromper ? Il était bien trop bon à ce jeu de déduction pour faire encore des erreurs aussi niaises. Il avait croisé son regard, et avant de percevoir l'émotion dans les yeux de son fils abandonné, il s'était détourné et il était parti. Il ne voulait pas même savoir si son enfant lui en tenait rancune : en son for intérieur, Aldaron lui donnait volontiers toutes les raisons du monde à cet être qui avait eu le malheur de l'avoir lui, l'Indigne, pour père. Il ravala sa peine, sa douleur, ne sachant exactement ce qui l'étreignait si péniblement et il fila dans le quartier marchand, auprès du convoi arrivé quelques jours plus tôt et qui repartirait très prochainement.

    Ici, malgré la peuplade aux longues oreilles qui l'observait toujours d'un mauvais œil, il se sentait plus à son aise, parfaitement dans son élément. Ses amis étaient d'excellents marchands mais plus que tout, ils avaient cette qualité fort estimable pour Aldaron : la tolérance. Être avec eux, c'était comme reprendre un peu d'oxygène après une apnée et leur simple présence suffisait à chasser ses démons et ses doutes. Il restait encore quelques chevaux à vendre avant de quitter cette île et Aldaron venait signer le contrat d'achat avec un éleveur elfique qui viendrait chercher les montures le lendemain. Observant celles-ci du coin de l’œil, il nota la présence de ce jeune homme près d'une ponette. Un potentiel pigeon à arnaquer ? Il se souvenait qu'autrefois, il n'aurait pas hésité un seul instant, dans la fougue de son tempérament. Il aurait fait croire à ce pauvre être que la jument avait une histoire rocambolesque, épique, voire légendaire et il l'aurait vendu à prix fort... Quoiqu'à bien juger, son potentiel acheteur n'avait pas l'air d'avoir la bourse lourde. Et à examiner de plus près encore... Il n'avait pas d'oreilles pointues alors que les magies elfique et baptistrale pulsaient en lui significativement. Le bourgmestre fronça les sourcils devant l'incohérence... Et certainement avec une légère pointe de jalousie.

    Il jeta un coup d’œil sur l'inventaire et un sourire triste teinta son visage amaigri en constatant que la jument se nommait Shi'Ry. C'était précisément un cheval du même nom qu'il avait offert à Dawan Sywel et... C'était précisément de la même manière que cet inconnu s'apprêtait à dérober la ponette ! Ni une, ni deux, Aldaron ferma le registre et arriva derrière Valmys pour le prendre par l'oreille. Le chant elfique se transforma en cri de crécelle douloureux qui effraya évidement la ponette et Aldaron se prit un coup de sabot dans l'abdomen. Sans lâcher l'oreille de son voleur baptistrel, il tomba à la renverse et encaissa tant la chute de son propre corps que celui de Valmys, dans un grognement étouffé de souffrance. Les bras en croix, sur le dos, il tâcha de reprendre son souffle écourté, jugulant les jurons qui grondaient dans sa gorge. La douleur lancinante lui fit serrer les dents, suffisamment pour se taire. « Enchanté... » fit-il péniblement, non sans une grosse dose d'ironie.

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"- Aaaaaaaï !"

Ah, les oreilles ! Un organe auquel il était aisé de plaire... Et de déplaire. Habituellement, cela passait plutôt par les sons. Les pirates avaient bien malmené les pauvres oreilles de Valmys, et il avait cru que leur échapper épargnerait davantage de tracas à ses précieuses oreilles. Preuve en était que non... Même s'il n'avait jamais imaginé que ce serait dans un tel contexte. Un contexte où son âme s'approchait de celle de la jument, commençait à percevoir par ses sens, comme cela était naturel au travers du lien qui était né entre eux. Un instant de toute beauté, d'union, qui se voyait brisé.

La douleur l'élança. Il eut le temps de voir du mouvement, du coin de l'oeil, mais pas de le comprendre. Son oreille lui transmit une violente vague de douleur, alors qu'il chutait. Au lieu du choc rude d'un sol caillouteux, il rencontra ce qu'il reconnut immédiatement comme étant un corps. Ce fut la panique. Son esprit oublia immédiatement tout ce qu'il avait pu tenter de s'apprendre, cette sécurité qu'il avait essayé de s'inventer, et la douceur de son amitié naissante. Pirates. Il n'y avait que des pirates. Que faisaient-ils ici ? Ce n'était pas un endroit pour eux. Et ce n'était pas un endroit pour s'en prendre à lui ! Il y avait plein de monde... Les passants allaient bien le défendre, non ? Et la jument ? Personne ne l'avait défendu. Il s'en souvenait très bien.

L'Enwr refusait que cela recommence. Trop de personnes l'avaient soutenu pour qu'il sombre à nouveau, et il savait que si cela recommençait, sa pauvre âme ne résisterait pas. Trop vite, et trop brusquement, Valmys se détacha de celui qui avait pourtant généreusement amorti sa chute. Il se retourna vers lui. Son visage dépeignait une expression de sincère terreur, mais quiconque savait lire les sentiments devinait qu'il était prêt à dresser de solides protections entre lui et... et...
Valmys dévisagea un instant son terrible prédateur, et son expression s'adoucit subtilement. Ce n'était pas un pirate. En tout cas, il n'en avait pas l'habit, ni le physique, ni l'aura. Que lui voulait-il, alors ? Avait-il été corrompu par les pirates ? Sans doute. À tous les coups, c'était un pirate manipulateur, qui voulait l'appâter pour mieux le blesser ! Ne pas le suivre. Ne pas se laisser embarquer, ni appâter par son air innocent. Ne pas oublier qu'il ne cherchait qu'à l'éloigner de la foule...

..."Enchanté" ? C'était... C'était tout ? Ce n'était pas une parole de pirate, ça. C'était une parole de... De gens bien élevés ! Se pouvait-il que le pirate soit assez bon pour savoir imiter cela ? Non. Les pirates n'étaient jamais bon. Pourtant, malgré cette conviction, Valmys ne parvenait pas à baisser sa garde. Il s'était même écarté de la jument, comme pour ne pas la blesser au cas où il devait se défendre.
Sa première défense devait néanmoins être verbale, et il ignorait comment il allait s'y prendre. Son oreille n'était pas vraiment enchantée de le voir. En même temps, il se voyait mal se montrer virulent, insultant, ou même mesquin. Ce n'était pas dans sa nature, il ne savait pas faire. Il ne se voyait pas non plus s'enfuir en courant, sans répondre, ou en n'ayant répondu que très sèchement. Il avait été bien trop conditionné à la sociabilité pour cela. Ce n'était pourtant pas l'envie qui manquait.

Alors quoi, il n'allait tout de même pas gentiment deviser avec un potentiel pirate, agresseur d'oreilles de surcroît ! Toutefois, il y avait cette envie en lui, cet optimisme un peu stupide qui l'avait aidé à se guérir, qui lui murmurait que peut-être que cet individu aux manières cavalières, pouvait ne pas être un pirate, ne pas être totalement dangereux. Peut-être qu'hypothétiquement cet optimisme était, là, motivé par une bribe de raison, assez vigoureuse pour passer les barrières de sa panique.
Valmys trouva quelques mots, relativement sûrs, qui n'empêchait pas chacune de ses solutions, espoirs, et échappatoires.

"- ...Que voulez-vous ?"

Il avait essayé de ne pas paraitre trop sec dans le ton de sa voix, et de ne pas faire trembler celle-ci. Mais était-il seulement possible d'être agréable dans ce genre de situations, avec le passé qu'il avait ? Il allait sans doute bientôt le savoir. Lui n'était pas assez neutre pour en juger.

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    La terreur qu'il lisait dans les yeux de terre brune de son voleur d'équidé était singulière et troublante. Il ne s'agissait guère du regard de celui qui avait été pris la main dans le sac en train de commettre un méfait et qui craignait la justice comme on fuit devant la peste, mais cette peur plus viscérale, plus profonde. Dans les prunelles de celui qui se relevait si promptement, il y avait ce même éclat de traumatisme que dans l'émeraude brisée d'Aldaron. C'était une frayeur bestiale qui le prenait aux tripes, comme si l'autre avait vécu des événements humiliants et douloureux. Le bourgmestre essaya de se souvenir de ce visage, cherchant à savoir s'il avait été, lui aussi, enfermé à Morneflamme, mais après quelques secondes de réflexion, il en vint à la conclusion que non, décidément, cela ne lui disait strictement rien. Et pourtant, il se souvenait de chacun des visages des prisonniers de Morneflamme. Il les avait épié, surveillé, jusqu'à n'en dormir que très épisodiquement, par crainte qu'on vienne l'égorger une fois sa garde maladive baissée. Il était triste de ne guère retrouver de ceux qui avaient partager son calvaire mais il louait le ciel d'avoir épargner ce jeune elfe... Enfin, s'il pouvait dire que c'était un elfe. L'animal était bien étrange et il ne pensait pas à la ponette !

    Il posa une main sur son abdomen douloureux et son visage se fendit d'une grimace avant de laisser retomber sa tête au sol, visiblement incapable de se relever pour l'heure. La douleur était encore bien trop vive et depuis son long séjour à Morneflamme, il avait grandement perdu de sa résistance. La douleur était rude à supporter et chaque blessure lui rappelait cet enfer sans nom. Il tâcha de respirer lentement et la surprise marqua ses traits. Ce qu'il voulait ? « Un soigneur pour commencer... » souffla-t-il en se massant lentement l'abdomen, craignant de n'avoir déjà la large trace qu'un ecchymose. Il arqua un sourcil et finit par demander : « Vous ne savez pas qui je suis ? » Ce n'était pas comme s'il était le dirigeant de l'une des deux cités libres de Calastine. Où avait passé ce derniers mois l'elfe face à lui. « Aldaron Leweïnra Triade. Je suis le bourgmestre de Caladon, dirigeant du Marché Noir... Et propriétaire de la ponette que vous vous apprêtiez à... » Il poussa un soupir, douloureux autant que blasé : « Dérober... Enfin, je le suppose. Par le passé, un elfe était parti avec l'une de mes juments après avoir chanté à son oreille. Elle s’appelait aussi Shi'Ry, la monture, je suppose que l'assimilation m'a joué des tours dans la façon dont je percevais votre comportement... » C'était assez probable.

    Il inspira profondément et redressa péniblement la tête pour porter son regard sur l'elfe : « Et je... Ne voulais pas vous agresser. Je ne sais pas ce qui vous est arrivé mais je ne voulais pas remuer en vous des frayeurs douloureuses, je suis navré de vous avoir blessé. » Trop souffrant, il laissa sa tête retomber sur le sol. Au diable la dignité, il pourrait se laver et prendre des vêtements propres par la suite.

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Il fallut le nom de l'elfe à terre pour faire baisser la garde mentale érigée par l'Enwr. Il connaissait ce nom. Pas volontairement, et le côté flou de ses souvenirs le portait à croire qu'on lui avait chanté cet être à un moment où il somnolait. Les mots lui revinrent, mais surtout beaucoup de sensations et impressions qui ne lui appartenaient pas. C'était assez... Déconcertant. Il ne pouvait même plus craindre les gens en paix, il fallait qu'au fond de lui quelque chose vienne le troubler ! Valmys grimaça intérieurement, ne sachant s'il devait maudire ou remercier ce chanteciel qui lui avait inculqué des souvenirs.
En revanche, il se crispa physiquement à l'évocation du larcin qu'il aurait pu commettre. C'était une grave accusation, qui pouvait lui porter préjudice, et éventuellement porter préjudice à son Ordre. De ce dernier point il était à la fois moins sûr, et plus effrayé. Ç'aurait été le pire scénario possible. Par chance, Aldaron lui esquissait les premiers chemins pour éviter quelque quiproquo que ce soit. C'était gentil, intelligent... Donc complètement non-piratesque, et plutôt dans le sens de ce qu'avait pu lui chanter Dawan.

À nouveau il se raidit, à l'évocation de ses "frayeurs douloureuses". Qu-quoi ? Comment savait-il ? Pirate ! C'était un pirate ! À tous les coups, ce maudit équipage avait dû parler de lui dans leurs tavernes immondes, et sa réputation avait fait le tour des côtes. Valmys allait instinctivement poser une main sur la jument, comme pour invoquer son aide; ce fut ce qui permis à la voix en lui qui voulait voir Aldaron comme un être bon de reprendre le dessus, imposer un peu de raison et de sentiments plus doux. Sa main tremblait. L'apprenti baptistrel prit conscience de son état, de son allure. Il avait beau avoir essayé de rester impassible, son regard fixait l'être à terre comme s'il avait été une boule de feu prête à exploser. Ses muscles étaient bandés, prêts à l'aider à se défendre ou fuir, et sa gorge était comme éranglée de crainte. Il n'avait rien d'un être serein. N'importe qui en le voyant aurait pu deviner la créature terrifiée qu'il était. Quel spectacle...

De même, la souffrance de l'elfe à terre était aisée à constater. Sa voix en portait les harmoniques, et le seul fait qu'il ne se soit pas relevé était révélateur. Avec dégoût, Valmys réalisa qu'il aurait pu laisser cet homme mourir devant lui s'il avait eu confirmation d'un amour prononcé pour la mer et pour les pillages. Cela ne lui ressemblait pas, et il ne voulait pas que cela lui ressemble. De ce fait, il déduisit tristement qu'il était encore loin d'être guéri de son périple. Intérieurement, cela le dépitait. La route était longue, la convalescence encore plus, et il n'était pas certain d'avoir l'espérance de vie nécessaire pour l'effectuer entièrement. Néanmoins, il y avait quelque chose en lui de plus fort que ce dépît, sans qu'il le susse consciemment. Ce quelque chose le mit à genoux auprès d'Aldaron, une main au-dessus de son ventre. Sa gorge émit un son, un chant elfique, tandis qu'il fermait les yeux. Sous sa main, il sentit effectivement les effets secondaires du coup de sabot qui lui avait valu d'avoir son oreille agrandie. Le chant changea alors, pour un autre qu'il connaissait tout aussi bien. Le sort s'activa sans souci, réparant la blessure, laissant au bourgmestre un ventre comme neuf.

Chanter l'avait poussé à poser sa respiration. S'il n'était pas le plus serein des elfes présents alentours, il était tout de même moins l'avatar d'une proie traquée. Maladroitement, il se redressa, offrant sa main à Aldaron.

"- C'est moi qui m'excuse de votre blessure, Sire Leweïnra. Avez-vous encore mal ? Ailleurs qu'au niveau de votre ventre ?"

Son inquiétude était sincère. C'était un fait étrange, mais l'avoir eu ainsi sous sa main, avoir pu ressentir ses entrailles, avait étouffé grandement la frayeur en lui, et ses craintes viscérales.

"- Je m'excuse également pour... Shi'Ry, c'est cela ? Je ne pensais pas vous la dérober. Je ne savais pas vraiment que faire. C'est comme si..." Comment expliquer cela ? Aldaron n'avait sans doute pas la même façon de voir les choses que lui. "...Il m'a semblé qu'elle et moi avons eu un coup de foudre d'amitié." C'était la métaphore la plus proche qu'il trouva. Un sourire faible, un peu géné, passa sur ses lèvres, alors qu'il jetait un coup d'oeil à la jument. Face à un totem Saumon, il devinait déjà qu'il allait repartir la bourse vide, et une jument sur les talons. Mieux valait commencer à admettre l'idée, et se satisfaire qu'au moins, ils puissent passer du temps ensemble. Il remit la main sur la jument, comme si le souffle calme de cette dernière pouvait lui transmettre quelques forces.

"- On m'a déjà parlé d'Aldaron Triade. C'est feu le chanteciel Dawan Sywel qui me l'avait chanté... En des termes assez élogieux, je dois le reconnaître. Il vantait beaucoup la douceur de vos cheveux, et... Avez-vous vraiment tué une perle de Néant avec les dents ?"

Le souvenir venait de lui revenir, par bribes, et il le découvrait en même temps. Cette fois-ci, il le fixait avec un air franchement étonné.

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    Ça alors ! Il ne s'était pas attendu à ce que son voleur de ponette soit un soigneur. Un baptistrel de surcroît, voilà qui lui faisait encore une ressemblance avec Dawan Sywel. Voulait-on à ce point lui remuer des souvenirs à présent douloureux ? Comme bien d'autres, le Chanteciel avait trépassé ne laissant derrière lui que des chimères mélancoliques. Paupières closes, il calma sa respiration petit à petit et la douleur fuyant son corps progressivement, il y parvint bien plus aisément. Lorsqu'il ouvrit les yeux, ce fut pour voir cette main tendue qu'il saisit afin de se remettre sur pieds avec un grimace. Il devait bien souffrir de quelques coups dus à sa chute mais... « Cela devrait aller, merci. Juste quelques... » Il se frotta l'épaule d'une main et le bas du dos de l'autre, le temps de se remettre en place et d'apaiser les points térébrants. Il se dépoussiéra en portant une oreille attentive à l'explication que lui apportait l'elfe sur son comportement avec la ponette avant de rouler des yeux, à la fois las et amusé. Ah les elfes et leur amour pour la nature... Ça ne lui avait presque pas manqué. Enfin, il n'allait pas trop se plaindre, c'était trop facile de leur vendre quelques animaux en leur vidant plus qu'il n'en faut leur bourses. Son interlocuteur ne ferait pas l'exception. Les poches du marché noir ne se remplissaient pas avec de la générosité. Il le jaugea un instant, en s'interrogeant sur le prix qu'il allait pouvoir tirer de ce pigeon.

    Il fut toutefois stoppé dans ses intentions lorsqu'on évoqua Dawan. Il referma sa bouche, surpris autant qu'intrigué. Il eut un petit rire avant de répondre : « Citez moi une seule personne en ce monde pour qui Dawan Sywel n'a pas évoqué de propos élogieux. » Il lui lança un regard appuyé, l'émeraude éclatante d'un charisme complice. Il avait tellement apprécié Dawan, le Chanteciel avait été un morceau d'amour et d'innocence sur pattes, probablement même trop pour son propre bien. S'il était triste de sa perte, l'imaginer en train de de caresser ses cheveux évoquait chez lui une image rassurante et pleine de douceur. « Etiez-vous son apprenti ? » demanda-t-il intrigué : « Je ne me souviens pas vous avoir rencontré à ses côtés. Qui êtes-vous ? » Il détaillait son visage en cherchant dans ses souvenirs avant de reposer ses prunelles sur la jument. Il poussa un soupir en se disant que Dawan avait aussi évoqué de pareils arguments pour qualifier son larcin. L'amitié et l'amour comme bouclier aux maux du monde. C'était naïf, mais cela lui faisait du bien. Cela lui changeait de ses cauchemars. « Quant à Shi'ry... Je pourrais vous la vendre mais... » Elle était déjà achetée par un autre elfe... En peu comme son homonyme sortie tout droit du passé. « Et bien j'ai autre chose à vous proposer. Je ne connais pas cette île et je ne suis plus tout à fait bienvenue auprès du peuple elfique. Vous pourriez me tenir compagnie pendant mon séjour ici. Je ne resterai pas plus d'une semaine... Peut-être pourrions-nous visiter les alentours, évoquer nos souvenirs du Chanteciel et... »

    Il eut un sourire, un brin triste : « J'ai bien besoin de me changer les idées. Vous aussi il semblerait. Alors.... Soyez mon guide et Shi'Ry sera votre compagne à mon départ, qu'en dites-vous ? » C'était un marchandage honnête. Cela ne lui ressemblait presque pas... mais après avoir vu son fils abandonné, il avait grandement besoin de penser à tout autre chose et croiser un visage amical parmi les elfes. « Enfin... je vais d'abord aller me changer. » fit-il en voyant que son habit blanc se trouvait moucheté de vert et de brun.

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Valmys ouvrit la bouche, comme pour répondre, avant d'abandonner, avec un sourire amusé. Il avait espéré trouver en chemin quelque personne dont le chanteciel n'aurait dit du bien, face auquel il serait resté totalement neutre. Même cette dernière possibilité demeurait sans nom qui revienne à sa mémoire. Dawan avait toujours semblé incapable de nommer un défaut pour ce qu'il était, et de dépeindre quelqu'un par ses aspects les plus sombres. Son apprenti n'avait jamais su si c'était volontaire ou non de sa part.
"Apprenti" était un grand mot. Le sujet venant sur la table -qu'ils n'avaient pas-, le plus jeune des deux elfes eut un haussement d'épaules, comme pour chercher à nuancer ce que venait de dire Aldaron. Naturellement, cela ne fonctionnait que peu, et il devait parler en plus: "Je ne pense pas avoir été exactement son apprenti, au sens où notre Ordre l'entend, et par la façon dont cela se fait habituellement. Néanmoins, j'ai passé plusieurs années auprès de lui, à recueillir ses connaissances. Vous en faisiez partie." Dawan avait cherché à lui dispenser autant de connaissances théoriques que possible. Cela avait été long, très long, même en usant des pouvoirs qui lui étaient conférés pour glisser les savoirs directement dans l'esprit de Valmys. Le Cawr lui avait offert des chants, ainsi que ce que sont histoire lui avait apprise, et quelques autres connaissances plus générales sur les arts et sciences. Si cela avait été épuisant, et si parfois l'Enwr avait caressé l'espoir de pouvoir se promener et profiter de son existence au plus vite, il ne regrettait rien, désormais. Ignorant s'il allait pouvoir seulement approcher le centenaire d'existence, recevoir autant était bien plus que ce qu'il pouvait espérer. Mais là où les Enwrs voyaient leurs maîtres comme des figures présentes dans le passé, présent et futur, Valmys n'avait eu qu'une figure éphémère... Qui ne s'était pas même crée pour un lien d'Enwr à Cawr. C'était bien plus personnel: Valmys était une sorte de testament, de dernière volonté, avec un coeur qui battait encore, et une volonté de vivre.

L'elfe aux oreilles arrondies fut sorti de ces pensées, et de l'image mentale de Dawan séparant de Cawrs qui montaient de ton à son sujet, quand Aldaron prononça le nom de la jument. Ses yeux bruns, qui s'étaient perdus dans la contemplation des cailloux sur le sol, revinrent sur ceux du bourgmestre, avec leur étrange vert. Ses mains s'apprêtaient déjà à attraper sa très maigre bourse, pour en recompter le contenu. La seule évocation d'une autre possibilité le stoppa, et éveilla son intérêt, ainsi que sa suspicion. Piège ?
...Lui tenir compagnie ? Valmys ne parvint pas à masquer sa surprise, et un haussement de sourcils. Ses craintes ne pouvaient que se réveiller, que voir des sous-entendus, et craindre qu'encore une fois on le malmène. D'un marchand, de surcroît, il pouvait désormais s'attendre à ce qu'on le revende sur le marché aux esclaves, comme l'avait si aimablement proposé Nathaniel... Avant de lui proposer un marché non moins lucratif. Venant de cet elfe en particulier, avec sa façon d'en parler, avec les chants de Dawan qui le hantaient, il était également difficile de ne pas se sentir attiré par la proposition, et avoir envie de lui faire confiance. Valmys échangea un bref regard avec la jument, comme pour avoir son avis. Comme tous les vrais amis, la jument parut lui conseiller de décider par lui-même. Merci, Shi'Ry.

Valmys eut envie d'essayer d'y croire. Parce que lui, il lui inspirait confiance, parce que Dawan lui avait fait confiance avant. Parce que quelque chose dans l'humanité de cet elfe lui rappelait sa propre humanité, parce qu'il avait envie d'en apprendre davantage, et que cet elfe semblait avoir des choses à lui dire. Il voulait un guide ? Ils risquaient de se guider tous les deux, dans des royaumes différents.

"- Je ne connais pas bien non plus ce Royaume, mais... J'y suis depuis quelques semaines. Mais je dois avoir quelques endroits à vous montrer." Quant à tenir compagnie, il était dit que les baptistrels faisaient d'excellentes boites à musique. "Emmenons-nous Shi'Ry avec nous ?" Il n'avait pas vraiment envie de la laisser à la merci d'un autre acheteur, alors qu'elle aussi avait des choses à voir en ce monde. Mais il ignorait si l'actuel logement du bourgmestre de Caladon permettait de loger la belle.
Il n'avait qu'une condition, néanmoins, qu'il pensait lui évoquer plus tard, par souci de politesse: il préférait retourner dormir chez son actuelle hôte. Dans l'immédiat, il n'était pas à l'aise. L'envie pour lui d'essayer d'aller vers cet elfe était proche, mais se heurtait à sa crainte de mal agir, n'être pas poli, et être molesté. Il était sur ses gardes, sous bien des aspects, et... Il avait chaud. Plus chaud que d'habitude. "Je vous suis." Annonça-t-il, dans tous les cas, préférant le prendre pour guide sur l'instant, et apprendre de lui de quelle façon il allait devoir se comporter, et à quel endroit devrait-il se rendre pour accomplir son devoir de guide. Shi'Ry se doutait-elle seulement de ce qui se faisait en son nom ?
Le trajet commença, avança, et Valmys regardait autour de lui, comme guettant l'embuscade. Ses craintes ne l'empêchaient pas de rester près d'Aldaron. Danger et déjà protecteur en même temps. Par contre... Il avait vraiment chaud, là. Il se sentait également comme trop plein de magie, comme si elle saturait en lui. Il n'avait jamais imaginé que cela puisse être aussi gênant. Bon... Peut-être n'était-ce que la chaleur ? Il signala vaguement à Aldaron qu'il allait avoir besoin d'un verre d'eau, en arrivant. Un peu plus tard, il lui fit remarquer qu'il faisait très chaud. enfin, vnt le moment où ses veines lui parurent brûlantes. Là, il sut que quelque chose n'allait pas.

"- ...Aldaron ? Je... Quelque chose n'est pas normal, non ?" Il respirait trop fort, à la recherche d'air frais. Il tenta de chanter son habituel chant de soin... Mais ne sentit pas d'effet. Sa santé ne pouvait pourtant pas être bonne. "Hâtons-nous, j'ai vraiment besoin d'ombre." Et de s'allonger. Mais déjà, s'il pouvait s'assoir, il n'en serait que soulagé. Son corps entier lui faisait mal, et il s'imaginait que ne plus bouger le soulagerait un peu.

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    De tous les elfes de ce Royaume, il avait choisi celui qui n’était pas du coin pour être son guide. L’idée était farfelue et l’amusait : cela laissait apparaître l’opportunité d’aventures et d’égarements. S’ils ne s’éloignaient pas trop de la ville, ils retrouveraient leur chemin quoiqu’il arrive. Au pire : ils avaient un sort qui pouvait leur servir de boussole. « Parfait. » conclut-il lorsque le baptistrel lui annonça connaître quelques endroits dont l’exploration serait plaisante. Son séjour à Keet-Niamat s’annonçait soudain moins ennuyeux ! « Oui bien sûr, emmenons Shi’Ry. Vous n’allez tout de même pas la laisser ici, vous allez briser son petit cœur. » Lui ? Jouer sur la corde sensible ? Naaaan. Ou si peu. Il fallait bien qu’il s’amuse de cette tentative de vol maintenant qu’il avait déterminé qu’elle n’en était pas une. Dans le sens Dawan du terme, évidement. Il eut un petit rire, amusé par l’effet de sa propre plaisanterie sur le visage du baptistrel. Rapidement, il se remit en marche. Il y avait, dans ce quartier, quelques bâtiments qui servaient d’auberge pour les voyageurs. L’une d’elle avait été réservée pour le bourgmestre et son équipage, afin de leur assurer un séjour de qualité. Le décor y était raffiné et délicat, les mets servis était honorés une qualité peu commune et l’accueil très chaleureux. Les personnes qui y travaillaient avaient l’habitude d’héberger des êtres de diverses peuplades. Leur attitude à leur égard était dès lors bienveillante et bien moindrement obtuse que ce qu’on pouvait trouver dans la capitale elfique. Dans leur sillage, les deux elfes laissaient résonner le claquement des sabots de la ponette qui suivait, probablement appâtée par les petites carottes qu’Aldaron avait dans les mains. C’était fou comme avec un peu de nourriture, on pouvait se faire quelques amis, principalement ceux appartenant au règne animal. Par moment il se prenait des coups de tête de la jument quand le légume semblait lui manquer depuis trop longtemps.

    Toutefois, le malaise de son guide se fit de plus en plus sentir à mesure qu’ils approchaient de leur destination. Aldaron fronça les sourcils et perçut nettement la détresse de son compagnon autant que sa propre impuissance. Il lui tendit un bras et y accrocha la main de Valmys pour l’aider à marcher, toutefois, cela ne dura qu’un temps avant que le petit elfe n’en soit tout bonnement plus capable. « Un soigneur ! » héla-t-il pour qu’on lui prête main forte. Ses propres compétences en terme de soins étaient limitées à ce que pouvait connaître un marchand. Il savait panser une petite plaie et la soigner par magie mais, cela s’arrêtait là. Fort heureusement, il avait dans son équipage un médecin de bord, pour leur assurer un voyage en mer paisible et comme ils se trouvaient près du lieu où ils séjournaient, celui-ci ne tarda pas à franchir le pas de la porte pour le rejoindre, alerté par la voix du bourgmestre. L’homme entama quelques soins une fois qu’Aldaron eut assis son comparse à même le sol dallé. En vain. Il le prit dans ses bras pour le porter à l’intérieur. Dans l’urgence, on établit une chambre au rez de chaussée avec des draps blancs et propres où Aldaron déposa son blessé qui hurlait de douleur. Inquiété, il observa et tenta d’apporter son aide au guérisseur avant que ce dernier ne répète en boucle qu’il ne comprenait pas et qu’il ne savait pas du tout ce que Valmys avait.
    Cela dura une bonne heure. On avait eu le temps de faire venir d’autres guérisseurs mais d’aucun ne semblait savoir de quoi il s’agissait. Par mesure de précaution, on organisa une quarantaine et on apporta à Valmys autant de soins que possible pour apaiser sa douleur, à défaut de la comprendre et de l’arrêter. Le calme revint finalement lorsque l’elfe brûlant perdit connaissance, endormi. La vague de magie, ressentie par les plus sensibles au chevet du baptistrel, s’apaisa, laissant dernière elle des veinules ambrées sur la peau mate du malheureux. Aldaron s’était installé dans un fauteuil confortable pour veiller au sommeil réparateur de l’elfe. Il ne sortit que pour se affranchir et pour s’assurer que Shi’Ry avait été prise en charge. Le silence dura jusqu’à la fin de la journée et s’étala sur une bonne partie de la nuit. Se couvrant d’une épaisse couverture, le bourgmestre se laissa ronger par ses pensées et ses inquiétudes jusqu’à ce que Valmys ne s’éveille enfin. Le marchand se leva, s’approcha et s’assit sur le bord du lit, allumant par magie la mèche de la petite bougie au chevet de Valmys. La première bonne nouvelle fut que l’elfe ne se remit pas à hurler de nouveau, preuve que la douleur s’était effacée. Il patienta, le rassura de sa voix posée et paternelle, pour que le chanteur sorte progressivement de sa léthargie et reprenne conscience. Aldaron sembla anticiper les demandes de son malade, puisqu’il connaissait bien les expressions du visage. Aussi, à la langue sèche, il offrit un verre d’eau et aida l’autre à boire doucement. Par les mots, il le rassurait, par les gestes, il l’accompagnait, refusant de l’assaillir de questions immédiatement.

    Plusieurs minutes plus tard, lorsqu’il lui sembla que Valmys montrait de bon signes de vie, il prit la parole : « Vous avez l’air d’aller mieux… Vous avez hurlé de douleur pendant plus d’une heure et aucun guérisseur ne semblait savoir ce que vous aviez… La magie était forte en vous, puis cela s’est apaisé, laissant dans son sillage les… veinules ambrées qui marquent votre peau. » l’informa-t-il. « Comment vous sentez-vous ? Est-ce que vous avez… Enfin, la moindre ébauche d’idée sur ce qui vous est arrivé ? » Dans la pièce, propre, ils étaient seul, la porte close et le calme annonçaient que la nuit était tombée depuis longtemps.

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Sa conscience lui revint avec lenteur et douceur. Quelques voix lointaines lui parvinrent, ainsi qu'une respiration et la sensation d'un lit sous lui. Aucun élément qui ne soit rassurant, en somme. Son premier réflexe fut d'essayer de s'enfoncer un peu plus sous les draps, dans l'espoir fou et enfantin que l'autre personne ne remarquât pas sa présence. Au bout de quelques secondes, son propre cerveau, lassé de le voir agir ainsi peut-être, décida de lui rappeler les derniers souvenirs qu'il avait, ceux qui pouvaient l'éclairer sur le terrible danger qui le guettait.
Il se souvenait d'Aldaron, et Shi'Ry. Il se souvenait de la fièvre et de son corps brûlant. Il se souvenait s'être brièvement demandé s'il avait subi un quelconque piège, tout en se répétant que c'était là une idée ridicule. Il se souvenait de la magie qui le saturait, et pourtant ne suffisait à le soigner. Le reste de ce que sa mémoire pouvait lui offrir était flou, embué par la douleur et la conscience vacillante qui avaient été sienne à ces moments. C'étaient des couleurs, l'impression de ne plus tenir debout... Il croyait également se rappeler avoir tenté de s'exprimer, pour dire qu'un médecin ne l'aiderait pas. Était-ce seulement un véritable souvenir ? Si tel était le cas, il avait potentiellement dû être fort sympathique à voir de l'extérieur: Valmys était persuadé avoir laissé son instinct et ses lèvres gérer seuls la communication, incapable de formuler des mots.

Etait-il alors là où ses pas auraient dû le mener, au sein de la demeure temporaire du bourgmestre de Caladon, ou dans quelque lieu pour les blessés ? L'elfe aux oreilles arrondies rouvrit les yeux. Le principal effort ne vint pas de quelque douleur ou fatigue, plutôt de la paresse qu'inspiraient des draps et un support relativement confortable. Remuant un peu, il chercha à découvrir son environnement. Cette fois, cela le surprit: il n'avait plus mal. Plus du tout. Pas même un reste, les courbatures qu'auraient pu lui apporter les longues minutes -heures ? - passées à crier de douleur se griffant. Lui restait-il des marques, d'ailleurs ? Normalement ses faibles forces et ses ongles trop courts l'empêchaient de se blesser trop facilement. Mais les conditions avaient paru si différentes, par-delà les limites qu'il connaissait.

Sa chambre improvisée portait une odeur particulière. Lui avait-on appliqué quelque pommade contre la douleur ? Ou fait inspirer quelques vapeurs spécifiques ? Il n'arrivait pas à identifier les plantes qui auraient pu être utilisées. Le parfum semblait si subtil ! Avait-il déjà eu accès à autant de nuances ? Peut-être était-il juste très sensible, après n'avoir eu accès qu'à la douleur. Son corps lui semblait neuf. Le crépitement de la mèche de la bougie lui parvint aussi nettement que la vue de la silhouette en clair-obscur du bourgmestre. Avait-il veillé sur lui ? Déjà ? Ils se connaissaient à peine, et un dirigeant de cité devait avoir mille préoccupations. Si sa présence à ses côtés n'était pas un hasard, alors elle était plus que touchante.
Valmys se redressa dans son lit, étant trop mal à l'aise s'il restait allongé devant d'autres personnes pour que la paresse s'imposât plus longtemps. Il avait connu des matins de pleine santé où se geste lui avait demandé davantage d'efforts. Avait-il rêvé toute cette scène ? S'était-il passé quelque chose de totalement différent, sans douleur ? Aldaron l'aida à boire, même s'il aurait pu le faire seul. C'était surprenant, c'était très curieux, mais allait-il s'en plaindre ?

Valmys écouta sagement son aîné lui conter ce dont il ne se souvenait. Cela n'avait pas été un rêve. Au moment même où il voulut expliquer pourquoi il n'avait pas cru bon d'appeler d'autres soigneurs, pourquoi il n'avait pas osé s'endormir lui-même, au moment où il voulut remercier les attentions d'Aldaron, tout en vérifiant si ses bras ne portaient nulles marques qu'il aurait pu s'infliger, à ce moment-là son hôte prononça les mots "veinules ambrées", mettant en contact plusieurs de ses neurones. Il avait déjà vu quelqu'un se couvrir de veinules, et les hypothèses qu'il avait faites lors de cette découverte se voyaient remises en question par ce qui lui arrivait. Ses mains et ses bras s'ornaient de veinules semblables par endroits aux fines branches d'un arbre, par d'autres aux reflets de lumière au fond d'une eau agitée. Elles étaient loin des arabesques de la commandante Thaidforodren, mais leur nature en semblait bien identique.
Valmys jeta vers Aldaron un regard arrondi de surprise. Est-ce que... Est-ce que lui aussi pouvait au moins avoir l'air d'être choqué, juste pour qu'il ne se sente pas seul, comme un lendemain de soirée trop arrosée ?

"- Je me sens... Bien. Peut-être un peu faim, mais... Je n'ai plus mal du tout."

Il remua bras, les jambes, à nouveau... Vraiment, même en cherchant bien, rien ne venait. C'était presque regrettable. Au moins s'il avait eu encore un peu mal, il aurait pu l'expliquer ! La magie qui l'avait saturée était-elle partie en le soignant ? Ou... Est-ce que les veinules avaient été une réaction de son corps pour le protéger ?
Porta une main devant son visage, Valmys invoqua brièvement une sorte d'ombre circulaire, un miroir dans lequel il se reflétait vaguement. Cette fois, la surprise lui fit porter une main devant sa bouche. Les veinules ornaient bien son visage, mais... Orgueil mis à part, il était plus beau aussi, non ? Ses traits semblaient plus doux, harmonieux... Plus elfiques, en fait. Il en tâta la réalité, passa ses doigts sur sa mâchoire, son nez, son front. Le grain même de sa peau était plus agréable. Mieux encore: ses cheveux avaient l'air d'avoir gagné en... Soyeusété ? Le miroir s'évapora. Valmys vérifia brièvement qu'il était vêtu, avant de se glisser hors de son lit, essayer de marcher un peu. Sans la douleur, tout paraissait simple, léger, et facile. Bien trop facile. Où était le piège ?

"- ...Je vais peut-être contacter Dame Thaidforodren."

S'asseyant à nouveau sur le lit, il joua avec ses doigts -qui répondaient très bien-, comme si c'était là des attributs tous neufs d'un corps tout aussi neuf. Songeur, il expliqua, sans regarder son interlocuteur:

"- J'ai récemment été en mission, en remontant le fleuve... Et l'une d'entre nous -Dame Thaidforodren- a également reçu ces... Marques ? Veinules ? Juste à la sortie de notre expédition. Peut-être qu'elle saura me dire à quoi je dois m'attendre, si cela risque de me faire mal de temps en temps. Je n'exclus pas l'idée d'un mécanisme magique semblable aux malédictions."

Une malédiction dont l'impact du temps aurait changé la nature ? Ou dont ils n'auraient pas encore subi les effets négatifs ? Un simple impact d'un environnement inhabituel sur eux ? L'imagination de Valmys s'activait déjà, à folle allure, sans avoir encore matière à en faire de véritables théories vérifiables.

"- Peut-être devrais-je me présenter auprès de mes maîtres également..."

Les Cawrs n'avaient pu jadis lui dire s'il était elfe ou humain, sa définition ne se glissant pas dans celles couramment tenues. Là... Les circonstances étaient particulières. En lui devaient être marquées les notes de ce qu'il avait vécu, dont sans doute celles qui racontaient son périple, y compris ce qu'il n'avait du comprendre, ainsi que les transformations en lui, y compris celles qu'il n'avait remarquées. Le retour au Domaine s'inscrivait donc comme sa prochaine priorité, après le guide de tourisme. Valmys eut une moue finement mécontente en réalisant cela -et la moue traça à peine une ride sur son visage tout neuf. C'est qu'il avait encore à faire ici, qu'il aurait volontiers organisé une expédition sous-marine dans l'ancien temple, qu'il avait encore d'autres terres à explorer...
Son attention revint néanmoins sur le présent. Il avait toute la nuit pour réfléchir et établir ses plans. Aldaron n'avait sans doute pas toute la nuit à passer à l'admirer réfléchir. Valmys lui offrit un petit sourire, reconnaissant à l'avance:

"- Combien de temps suis-je resté inconscient ? Où sommes-nous, exactement, au sein de la Cité ?" Il avait besoin de se repérer un peu, après ce "sommeil" involontaire. L'éclairage à la bougie lui indiquait de façon floue le temps, restait le lieu. Sitôt qu'il eut sa réponse, il continua néanmoins: "Merci d'avoir veillé sur moi." Il ne l'oublierait pas, et ferait de son mieux pour lui rendre ce qu'il lui offrait. Ce bourgmestre était définitivement trop bon pour être un pirate. Valmys songeait déjà à aller, dans son dos, chercher de quoi lui offrir des visites agréables au sein de la cité, et rendre le paiement de Shi'Ry encore plus rentable.
"- Je ne veux pas vous retenir trop longtemps," la gène était perceptible dans sa voix, aussi sincère que pouvait l'être une parole d'Enwr, "mais j'aimerais juste essayer quelque chose... Pouvez-vous utiliser votre magie sur moi ? N'importe quel sort fera l'affaire, j'aimerais juste voir si je réagis différemment." La curiosité et l'amour qu'il avait pour la nouveauté étaient bien éveillés en lui, et risquaient de le tenir actif un moment. Il espérait au moins que cette expérience leur apporterait un minimum de satiété, ne s'imaginant pas passer la nuit à se tourner les pouces, les yeux grands ouverts dans le noir, pour prendre ses fonctions de guide le lendemain, des cernes noires sous les yeux... S'il pouvait encore avoir des cernes.

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    A nouveau, le bourgmestre n'escompta pas perturber l'éveil progressif de l'elfe. Il patientait, tel un père attentif, que son enfant finisse de réaliser le monde qui l'entourait et les évolutions de son propre corps. Aldaron, lui, avait eu quelques heures pour ce faire et la découverte n'était guère une surprise, même si les événements perturbaient le sens commun de ce dont il avait l'habitude. L'étrange phénomène l'intriguait et éveillait, chez lui, une curiosité qui rêvait d'être rassasiée, comme une bête affamée. Sa position de dirigeant de Caladon l'obligeait d'être à l'affût des nouveautés, afin d'être dans les premiers à tirer son épingle du jeu, plutôt qu'à subir celle des autres. Ça n'était pas pour lui déplaire et l'archipel recelait de mystères à percer. Il y en aurait sûrement pour tout le monde mais il espérait le plus pour lui. Le Marché Noir lui avait appris à penser égoïstement pour lui-même et ensuite à redistribuer pour une œuvre qu'il jugeait juste. Pour l'heure, son œuvre, c'était Caladon mais qui sait ? Demain était une promesse perpétuelle de cadeaux : des dons bons ou mauvais qu'il leur faudrait appréhender et pour l'heure... c'était cette chose singulière sur le corps du baptistrel qui était leur présent.

    Il fut ravi d'entendre que la souffrance avait quitté son camarade. Il lui confirmait ce que le silence de ses cris avaient laissé supposer. Il acquiesça de la tête, d'avantage pour lui confirmer qu'il longeait le fil de ses mots plutôt que pour approuver quoique ce soit d'autre. L'Enwr se leva et Aldaron le suivit du regard avec la même patience protectrice qu'il avait à son égard depuis les douleurs du jeune homme, lors-qu’enfin le premier faisceau d'indice provint de l'immaculé lui-même. Dame Thaidforodren ? Que faisait la générale dans cette histoire ? L'elfe arqua un sourcil évocateur de son incompréhension. Et comme d’exaucé, le baptistrel lui offrit une explication sommaire.... Qui en vérité n'expliquait rien du tout, surtout pour une personne extérieure à toute cette affaire. S'il avait pu arquer d'avantage son sourcil, Aldaron l'aurait probablement fait, mais il était loin d'avoir pour habitude de rendre les expressions de son visage ridicules : il était un politicien, pas un clown. Du moins le pensait-il alors que d'autres jumelaient ces deux fonctions, à son plus grand déplaisir. S'il comrpsi le fond du raisonnement de Valmys, il n'en demeurait pas moins vrai qu'il jugeait que la résolution de cette énigme serait probablement trouvée par les maîtres baptistrels. Sans offense envers dame Thaidforodren, cette dernière pouvait bien avoir connaissance de son propre cas et de ses conséquences, tout en ignorant la réalité même du phénomène. Cela devrait être sondé plus amplement par des spécialistes.

    Sans l'interrompre, il fut surpris de sa demande, et pour autant, il s'exécuta sans broncher en tendant un main devant lui, paume vers le plafond. « Dona mihi. » prononça-t-il avec ce calme régalien qui le caractérisait et Valmys, probablement surpris par l’inattendu de la situation, se sentit obligé de lui remettre le verre d'eau qu'il venait à l'instant de saisir pour hydrater sa gorge sèche. Ne cherchant pas à briser son petit cœur, il lui laissa le temps de réaliser ce qui venait de se produire avant de lui tendre le verre d'eau pour qu'il puisse tout de même boire. « Mh. Pas très probant. » conclut-il. « Je pense que vos maîtres vous donneront plus de réponses que qui que ce soit sur la nature de ceci. S'il s'agit d'une malédiction, ou quoique ce soit d'autre, ils éclaireront d'avantage les zones d'ombre que les vécus de votre Générale... Qui loin d'être inintéressants, ne seront guère plus que des ressentis et non une vérité certaine. » Il le laissa soupeser l'idée avant d'ajouter : « Tenez-moi informé, voulez-vous ? Lorsque vous irez au Domaine et que vous aurez des réponses, j'apprécierai de les entendre et d'être certain que cela ne vous cause pas de désagrément. » Il l'observa, un instant, songeur avant d'ajouter : « Et nous sommes au beau milieu de la nuit, dans le quartier d'affaires où je séjourne. Je vais vous laisser terminer votre nuit... Et faire la mienne. Peut-être que demain, vous pourrez me raconter ce dont il était question au sein de cette... Expédition. Vous êtes mon hôte, prenez du repos et des forces, bonne nuit. » Il se leva de son fauteuil et le quitta.

    Avec le même port altier, malgré sa courte nuit, il le retrouva le lendemain matin au cœur de l'auberge. En le voyant arriver, il lui fit signe de venir à sa table et les marchands avec lesquels le bourgmestre discutait le laissèrent seul, à sa demande. « Installez-vous, avez-vous faim ? » fit-il en appelant la jolie serveuse avant même que le baptistrel ne réponde. « Pouvez-vous servir un déjeuner copieux à ce jeune homme, je vous prie. » demanda-t-il et la demoiselle fit des yeux de biche en observant les deux. Avec un sourire, elle tourna les talons pour aller chercher ce qu'il fallait en cuisine. Portant à ses lèvres la tasse d'un thé délicieux, ses prunelles d'émeraude captaient celles de son compagnon : « Bien dormi ? » demanda-t-il avec un sourire en coin, espiègle.

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Valmys avait eu du mal à se rendormir. Qui aurait songé à fermer les yeux, à sa place, alors que son corps venait de changer, alors que son esprit, ou son corps, répondaient à un autre que lui ? Il avait bien songé à essayer, à s'allonger dans le noir... Avant de faire apparaitre un peu de lumière, et invoquer un vague miroir, ou inspecter chaque partie de son corps, pour découvrir ses veinules toutes neuves, perdu entre l'émerveillement et l'inquiétude, qu'il essayait de fuir. Les marques cuivrées ne semblaient pas bouger, ni changer, d'une façon ou d'une autre. Elles n'avaient pas de relief, comme si sa peau avait simplement changé de couleur, sans raison.
Son manège se répéta, encore et encore, une bone partie de la nuit, l'excitation, l'anxiété, et la curiosité l'empêchant de taire les questions qui tournaient entre ses deux oreilles, toujours aussi rondes pourtant. Lorsqu'enfin la fatigue alourdit ses membres et le colla à son matelas, ce furent les sons environnants qui le tinrent éveillés. Le monde avait-il toujours été aussi bruyant ?

Sa nuit s'avéra courte, et s'il n'avait pas été inconscient un peu plus tôt, sans doute aurait-il involontairement prolongé sa nuit, sa joue fusionnant avec l'oreiller jusqu'à ce que le soleil de midi le força à paniquer. Au lieu de cela, il se réveilla quand la lumière et la voix d'Aldaron lui parvinrent. Encore ensommeillé et épris de paresse, il avait néanmoins assez de respect et de reconnaissance pour le bourgmestre pour ne point désirer lui imposer la solitude, comme une marque de désintérêt. Il se leva, et chercha vaguement un peu d'eau pour retirer les épais nuages qui embrumaient ses yeux et son esprit. Bon sang, que ce lit avait été confortable ! Qu'y retourner aurait été bon, douillet ! Valmys reprit son psaltérion, avec le même instinct que le myope se saisissait de ses lunettes. Brièvement, il vérifia s'il ne l'avait abîmé. Par chance, tout semblait aller bien pour ce brave instrument. Avec un faible sourire, l'Enwr songea que ce meilleur ami était bien solide. Il l'avait suivi dans les flots, le suivait dans ses multiples douleurs, et bronchait moins que lui. Machinalement, il le mit dans son étui, qu'il passa dans son dos et chercha, à la manière des chauves-souris, à s'orienter vers la voix qu'il voulait rejoindre.

La pièce principale de l'auberge contenait beaucoup de monde. En tout cas, pour un Valmys peu réveillé, c'était beaucoup. Il dut forcer son instinct à se taire quand  ce dernier raidit ses muscles, et lui murmura de s'inquiéter et de faire attention. L'instinct était, hélas, une bestiole bornée, et boudeuse. Vexée d'être ainsi refoulée, elle resta dans un coin de lui, à souffler suffisamment doucement son texte pour être présente sans que l'apprenti baptistrel puisse s'en rendre compte.
Valmys se présenta en ce lieu avec une mine typiquement... Humaine. Certaines choses n'étaient pas vouées à changer, visiblement. Il avait oublié de se coiffer, et seule la main qu'il avait passé dans sa tignasse, pour ne pas avoir de mèches devant ses yeux, évitait que lesdites mèches défient la gravité. Ses yeux étaient encore mi-clos, un peu collants. Un instant, il songea qu'il devait bien avoir une haleine de cadavre. Rapidement, il souffla sur sa main. Tiens ? Ce n'était pas si catastrophique. La nuit passée à invoquer des miroirs et lumières avait peut-être évité ce souci. Ou alors c'était un de ses nouveaux attributs. Le monde lui en serait reconnaissant. Ses habits étaient froissés, son maintient tout sauf droit et altier.

Un mouvement attira son attention, et lui évita de passer cinq minutes à fouiller les environs du regard. Avec un sourire qu'il devait forcer pour lutter contre son reste de fatigue, Valmys opina du chef, faisant signe qu'il l'avait vu, et qu'il arrivait. Il lui parut que bien des regards s'attardaient sur lui. Son instinct lui hérissa le poil, revenant à l'assaut, et même sa raison, en argumentant les regards comme les fruits des veinules d'ambre sur sa peau, ne parvint à totalement le calmer. S'asseyant aux côtés du bourgmestre, l'Enwr salua d'un léger soupir la rencontre entre son fessier et la chaise, le repos de ses jambes. Il apprécia de n'avoir pas à faire le pot de fleur devant des marchands, et supporter de plus directs regards pour le dévisager, mais regrettait que eux ne puissent prendre la parole à sa place. Il ne se sentait pas de parler. Pas avant plusieurs thés, en tout cas. Là,il était plutôt prêt à sociabiliser avec son lit.
Tout au ralenti, il mit bien trop de temps à répondre à la première question de sa matinée. Au moins, Aldaron sut comment le réveiller. regard noisette de Valmys s'arrondit, avant de chercher, sur Aldaron autant que sur la serveur, la marque d'une plaisanterie, d'un innuendo qui lui échapperait. Le sourire de la serveuse ne fut pas pour le rassurer. Son instinct murmura "piège", et l'affection qu'il avait pour le bourgmestre le fit taire de force. "Vous la connaissez ?" demanda-t-il, à mi-voix, quand la servante tourna le dos, cherchant à dénicher la plaisanterie qu'il avait manquée. Il lorgna avec intérêt le thé d'Aldaron, espérant que "copieux" ne remplaçait pas le thé par quelque autre boisson, avant de répondre quant à son sommeil. "Autant que possible après ce qu'il m'est arrivé, je suppose. Et vous ?" Sitôt qu'il eut sa réponse, il se permit de demander, son regard oscillant entre Aldaron et la table. "Etiez-vous sérieux sur le "copieux" ? Ce serait dommage que je finisse par vous couter plus cher que Shi'Ry. Elle va bien ?"
Nerveusement, ses doigts jouaient les uns avec les autres. Les tavernes avaient jadis fait parties de son existence, au même titre qu'une maison ou une ferme pouvait l'être aux enfants plus sédentaires. A l'époque, Deocyne, son maître, était à ses côtés, et nul pirate ne l'avait malmené. Deocyne n'était plus. Savoir qu'Aldaron ne s'entourait sans doute pas de dangereuses compagnie ne suffisait à calmer l'inquiétude d'un instinct tendu par les regards, les sourires, et les doutes quant à ses propres capacités. Son regard fuyait, lorsqu'il aborda, maladroitement, un sujet qui lui importait tout autant.

"- Excusez-moi, Sire Leweïnra, je me demandais juste, par rapport à hier soir..."

Il y avait une question qui l'avait également taraudée, sur laquelle le bourgmestre avait potentiellement une réponse. Valmys doutait que cela surprenne son aîné. N'avait-il pas donné un indice, dans l'air médusé et choqué qu'il avait affiché, la veille, quand il lui avait ôté le verre des mains en usant de son propre esprit ?

"- Comment fonctionne le sort dont vous avez usé ? "Dona mihi", c'est bien cela ?"

Clairement, sa voix laissait transparaître ses inquiétudes. Son corps l'avait déjà trahi plusieurs fois. Il commençait à doûter que quoi que ce soit qui le composât lui appartienne. Etait-il voué à n'être plus qu'un jouet jusqu'à la fin de ses jours ? La perspective était loin d'être réjouissante. Elle effaçait nombre d'images auxquelles il se raccrochait pour se sortir des flots qui embrumaient sa mémoire. A travers le bourgmestre, il cherchait surtout du réconfort: un mot, n'importe lequel, pour le ramener du bon côté de l'espoir.

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    Le liquide chaud et savoureux de son thé lui donnait du baume au cœur alors que ses prunelles émeraude analysaient, par habitude, le comportement mal à l'aise de son interlocuteur. Il y avait quelque chose qui clochait, dans sa peur, sa crainte qui revenait là, dans cette salle peuplée. Il se demandait ce qu'il avait bien pu vivre pour qu'une angoisse aussi handicapante pour sa sociabilité puisse naître. Une part de lui reconnaissait ce fragment de traumatisme qu'il avait lui-même traversé. Il l'avait déjà vu, cet éclat déviant, dans ses propres yeux, dans son comportement biaisé par l'horreur côtoyée à Morneflamme. Il eut un sourire, paternel, lorsque le baptistrel l'interrogea sur la serveuse. « Oui. » fit-il simplement, pourtant parfaitement certain que ce n'était pas une réponse aussi courte qu'attendait son convive, à en juger par l’expression qui en suivait. Pour autant, si Aldaron était gourmand de relations charnelles, ces dernières années l'avaient rendu très discret. Valmys n'avait pas besoin d'en savoir d'avantage et le bourgmestre n'en jouait pas. Le ton de sa voix, malgré la brève expression, tendait à l'apaiser, à le dissuader de croire qu'il y avait quelques fourberies dans son action. Il était un homme avenant et les sourires faisaient parti de son quotidien. Il acquiesça de la tête avec une risette rassurante lorsque Valmys lui demanda s'il avait passé une bonne nuit. Courte... Mais pendant trois ans, à Morneflamme, il n'avait pas dormi vraiment. Autant dire que même cette nuit blanche était un confort qu'il avait savouré à sa juste valeur. Il acquiesça également de la tête pour approuver le bon état de Shi'Ry qui devait brouter l'herbe des environs de l'auberge, pas farouche.

    Même aux dernières questions du baptistrel, Aldaron ne répondit pas immédiatement, laissant la serveuse apporter une théière en terre cuite et une tasse à son convive, ainsi que quelques préparations sucrées, à la saveur fine et raffinée. Reposant délicatement sa tasse lorsque la demoiselle les quitta de nouveau, le bourgmestre prit une gaufrette légère, faite de céréales au goût subtile et d'un extrait de menthe justement dosé, parfumé d'épices sélectionnées avec soin. Peut-être allaient-ils pouvoir entrer dans le vif du sujet maintenant. « Valmys, vous avez devant vous le dirigeant de la cité libre de Caladon, le maître de la Guilde Marchande et le fondateur du Marché Noir d'antan. Croyez-vous vraiment que 50 pièces d'or aient la moindre valeur à mes yeux ? Ce n'est qu'un fragment infime de ma fortune. Des guides en ces terres, je peux m'en payer toute une armée et plus encore. » Et pourtant, il l'avait choisi lui, le seul elfe des environs à ne pas vraiment connaître l'île et à être plus doué en rôle de boîte à musique qu'en cicérone. « Cela ne m’intéresse pas, au contraire de la nature humaine, de la singularité de tout un chacun, de ses talents. » Pour conclure, il ajouta : « Notre marché n'est qu'un prétexte, un moyen de rendre le service de vous m'octroyez rentable. Vous repartirez avec une compagne équine et quant à moi, j'aurais rendu mon séjour ici plus humain, loin des maximes rigides de la politique. Avec un peu de chance, nous pourrons nous quitter l'un et l'autre avec un amitié commune et la promesse. Cela vaut bien plus que ce que l'or peut m'offrir, comprenez-vous ? » Si son sourire était doux, ses yeux s'auréolaient d'un sérieux et d'une certaine tristesse. Ses compétences en marchandage ne lui offrait pas que de l'or... Il avait dépassé ce stade où certains se perdaient encore, à ne rêver que d'opulence extraordinaire. Aucun d'eux n'avait compris que la véritable fortune se trouvait dans le cœur des hommes, partageant sa place avec la monstruosité omniprésente qu'il avait découvert à Morneflamme. Au fond, s'il cherchait cet éclat d'humanité autour de lui, c'était bien pour se guérir de ce qu'il savait du tableau noir.

    « Alors, mangez à votre faim. Et appelez-moi Aldaron. » acheva-t-il, avant de reprendre sa tasse de thé. Qu'il mange peu ou beaucoup lui importait peu. Il voulait qu'il soit satisfait. Il but une gorgée, laissant le silence revenir, paisiblement. « Le sort que vous évoquez permet d'influer sur l'esprit d'une autre personne pour qu'elle me remette ce qu'elle a entre les mains. Il est possible de prendre le dessus par la puissance de sa magie... C'est d'ailleurs la manière la plus courante d'user de cela. » Il posa les yeux sur la surface ambrée du contenu de sa tasse, songeur, avant d'ajouter : « Mais il est aussi possible de faire peser la force de mon esprit sur le vôtre, un peu comme un bras de fer, voyez-vous ? Nous traversons tous des épreuves, au cours d'une vie, plus ou moins difficiles, plus ou moins atroces. Ce qui importe toujours, c'est cette résilience. Cette capacité à se relever face à l'adversité et continuer à avancer. » Il releva ses prunelles émeraude sur les siennes. « Vous n'êtes pas faible, Valmys, si c'est cela qui vous trouble. »[/font][/color] Il marqua une pause pour poser sa tasse de porcelaine : « C'est moi qui ait ouvert des portes que je ne peux plus fermer. Pourquoi cela vous perturbe tant ? »

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Valmys n'avait répondu que par un hochement de tête aux explications du bourgmestre quant à son recrutement en tant que guide. Le regard fuyant, les joues légèrement rosies sous l'effet d'un compliment qu'il n'avait pas l'habitude d'entendre, il préféra éviter de trop continuer sur ce sujet. Répondre à des compliments sur sa pratique des arts et sa magie, il savait le faire, offrant ses services ou ceux de son maître pour dispenser quelques connaissances et bases. Il doutait avoir quoi que ce soit à enseigner à Aldaron quant à l'humanité. Ému, un "merci" bafouillé s'échappa de ses lèvres, reconnaissant envers ce sentiment de pouvoir rendre le monde meilleur, au moins pour une personne. Par réflexe, le petit Enwr chercha le meilleur moyen d'honorer les envies de son touriste. De tout ce qui lui vint à l'esprit, aucun élément n'était hors de ses prévisions. Réaliser cela lui permit de comprendre combien Aldaron avait vu juste. S'il lisait aussi facilement ceux qu'il croisait, il n'y avait rien de surprenant à ce qu'il jouisse d'un poste aussi élevé. Sur un être plus sombre, de telles capacités auraient pu être dévastatrices. Ses seules recherchent rassuraient néanmoins Valmys sur ce point. Le lien qu'il avait pu avoir avec Dawan devenait également de plus en plus clair. Dawan avait-il seulement un jour approché le concept de "politique" ?

Valmys avait pu approcher plusieurs fois des êtres de bonne famille. Malgré cela, le petit peuple restait ce qu'il connaissait de mieux. Les brides et pièges de la politique, il en avait entendu parler plus qu'il avait pu les éprouver ou les constater. Néanmoins, il croyait Aldaron sur parole. Même s'il était voué à ne jamais pouvoir pleinement comprendre ce qui habitait le coeur de son touriste, il était prêt à suivre ce qu'il lui indiquait. Concrètement, et même s'il n'en avait conscience, Valmys devenait de plus en plus enclin à suivre cet elfe, tout politique qu'il soit. Il parlait avec des mots qu'un baptistrel pouvait comprendre, de soucis auxquels un Enwr pouvait être sensible. Pour un Grand Homme, il apparaissait comme possédant un coeur bon. S'il parvenait à semer les graines de ses idées dans ses décisions... Alors il aurait réussi ce que nombre de personnes souhaitaient sans y parvenir. Même s'il ne pouvait prendre quelque parti, Valmys ne pourrait s'empêcher de l'approuver, au moins en pensées.

Baissant le nez sur les plats qu'on lui avait apportés, Valmys ne se fit guère prier pour obéir à l'incitation d'Aldaron. Son estomac lui rappela que cela faisait trop longtemps qu'il n'avait pas reçu d'offrandes, alors qu'il avait dû fournir moult efforts pour offrir l'énergie nécessaire à sa souffrance. Quelle injustice. L'Enwr porta la tasse de thé à ses lèvres. Cela allait l'aider à se réveiller, le bourgmestre bénéficierait d'une meilleure compagnie, avec une mine un peu plus vive. Moult sucreries accompagnaient le thé, et le nouvel immaculé ne savait pas lesquelles commencer. Pour lui aussi, les innovations culinaires de Keet-Tiamat étaient une découverte, et il n'avait osé s'offrir nombre d'entre elles, économisant ses piécettes. Quels étaient donc ces étranges carrés recouverts de sucre ? Valmys en porta un à ses lèvres. Le goût était léger, fleuri, la texture un peu étrange. Pas mauvais ! Et le carré qui était là, marron... Ce devait être ce nouvel ingrédient qui faisait fureur dans tout l'archipel. Le chocolat. Valmys avait beaucoup apprécié, lorsqu'il avait pu en goûter. Presque autant que les fraises. Néanmoins, tel met était encore cher. Il le mit de côté pour la fin de son repas, et attaqua la confiture rouge qui lui était également proposée, en se demandant comment tout le contenu du plateau allait loger dans son petit ventre. La visite guidée risquait de se faire en faisant rouler le guide.

L'immaculé tout neuf eut une grimace, à l'évocation de la résilience, et un silence tout à fait volontaire quand il fut question de sa propre force. Qu'en savait Aldaron ? Son esprit avait vaincu le sien, à plate couture. Il pouvait être puissant, cela n'empêchait pas son vis-à-vis d'être faible. Évitant son regard, finissant sa tartine, Valmys reprit la parole -et sa voix avait l'air, effectivement, un peu plus éveillée: "Je pensais que... Au moins dans de telles circonstances... Je savais rester maître de mes actes." Les mot venaient douloureusement. Qu'y pouvait-il ? Chacun lui rappelait un échec humiliant. "Mais je n'ai pas cette résilience dont vous parlez. Ce n'est pas faute de chercher." Combien de personnes avaient cherché à le soutenir, à lui donner quelques pistes pour aller mieux ? Il les suivait, essayait de voir l'avenir là où il n'avait vu qu'une fin. Ce n'était pas simple. Cela ne suffisait néanmoins pas à effacer les images féroces qui s'accrochaient à lui, les souvenirs qui prenaient vie en arrachant les pans les plus communs de la réalité. Il n'était pas soigné, et doutait pouvoir l'être tant que la peur gardait tant de présence en lui. Il comptait sur le temps, sur l'oubli. Le temps et l'oubli mettaient du temps à venir. Valmys reprit sa tasse de thé. Dans son reflet, il constata que son regard n'avait plus de cernes. Ses doigts passèrent sur ses veinules, encore. Une gorgée de thé pour se donner de la force, et il reprit: "Vous avez vu juste. Cela me perturbe, sans doute plus que ce devrait." En même temps... Cet Aldaron semblait disposer de bien des qualités, et lire au travers des gens pouvait en être une sans que ce soit surprenant, surtout au vu de son statut. Néanmoins, Valmys n'aurait su nier qu'il commençait à craindre que chacun puisse voir à travers lui ce qu'il avait vécu. Ce n'était pas vraiment la part de son histoire qu'il voulait partager. "...Mais je reste persuadé que ma vie serait meilleure si j'arrivais à résister à votre sort." Un léger sourire, presque joueur, se dessina au coin de ses lèvres. Oui, sa vie serait meilleure: il disposerait d'une protection supplémentaire, face à un danger supplémentaire, et de la confiance que cela lui apporterait. Si cela impliquait de la résilience, alors effectivement, l'amélioration de son existence venait de fait avec cet apprentissage. "Accepteriez-vous de lancer à nouveau le sort sur moi ?"

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    Qu’était-ce ? De la confiture de myrtille ? Cela y ressemblait fortement. Le baptistrel en étalait soigneusement une couche sur une tranche de brioche moelleuse. Ou était-ce de la fraise ? Peut-être de la fraise des bois à être aussi sombre. Le bourgmestre posa sa tasse de thé, patientant après l’instant où Valmys aurait fini de combler soigneusement tous les petits trous. « Dona Mihi. » fit-il alors, pour répondre à la demande du petit chanteur. Il n’y aurait qu’en goûtant qu’il saurait quel saveur cela avait. Il trempa le bout de la tartine dans son thé et en prit une bouchée, nonobstant la tête que pouvait tirer l’autre après ce nouvel échec. Lui, ne pas y aller avec douceur ? Certainement. Morneflamme lui avait appris autre chose que d’être tendre et… Fraise. C’était de la fraise. Très bonne d’ailleurs. Son parfum n’était pas pas trop sucré et l’acidité était justement dosée. Prenant le temps de mâcher sa bouchée, ses deux émeraudes restèrent fixées sur le jeune immaculé, sans expression autre que celle de la réflexion. Allons bon, il devait bien y avoir un moyen de sortir ce petit bout d’homme de sa prison d’horreur. S’il avait quitté Morneflamme, c’était bien pour être en mesure d’apporter son aide à ceux qui en éprouvaient le plus besoin. Son esprit solide savait où chercher. « Vous ne vous y prenez pas comme il faut, Valmys. » répondit-il, une fois le morceau de tartine avalé. Il posa la collation entamée dans une petite assiette blanche, peinte de fleurs vermeilles.

    De sa serviette, il tamponna ses lèvres avant de reprendre. « Ce n’est pas en mettant votre psyché à l’épreuve que votre esprit se formera une coquille pour le rendre imperméable à mon intrusion. Tout au mieux vous me repousserez par la force inconsciente de votre magie, mais ce ne sera qu’une façade, qu’une canne pour empêcher un corps de tomber. » Il marqua une pause pour ancrer ces mots, certain, pour autant, que le baptistrel l’avait déjà compris, au fond de lui-même. « C’est à la source du problème qui vous faut en venir. Je ne dis pas que cela est facile… Si vous saviez le nombre de fois où je me suis réveillé en hurlant après avoir rêvé d’être enfermé, à nouveau, à Morneflamme. Il m’a fallu du temps, des années… Même aujourd’hui, je ne suis pas certain d’être complètement guéri. » Son propos était aussi sincère que grave, puis ses lèvres s’étirèrent, un peu, dans un sourire tendre : « Beaucoup de ceux qui ont survécu à Morneflamme ont préféré oublier, faire comme si cela n’avait jamais existé, détourner le regard. Quoique vous ayez vécu, Valmys, quel que soit l’intensité de l’horreur, ne fermez pas les yeux, car vos chimères continueront de vous hanter dans le noir. » Il prit une tranche de brioche immaculée et commença à la tartiner, à son tour, avec grand soin.

    « Vous devez l’accepter. Vous devez accepter ce qui s’est passé, en faire une partie de vous. Une partie blessée, un membre handicapé que vous aller traîner derrière vous le temps d’apprendre à le connaître, de découvrir comment il fonctionne. A un moment, vous n’aurez plus à le traîner comme un fardeau. Il sera là, mais vous saurez comment le transporter avec vous, sans qu’il vous gêne, sans qu’il vous encombre. A tout échec, il y a deux victoires. La première, c’est celle-ci : trouver comment l’accepter. La seconde est de déterminer comment en faire une force. » Il posa la nouvelle tartine qu’il avait faite dans l’assiette vide près de Valmys. Il l’avait préparée avec soin, pour lui, pétrie de conseils pour son avenir. « Vous n’êtes pas obligé de m’en parler, si vous ne le souhaitez pas. Je ne vous y forcerai pas. Si vous en sentez toutefois le besoin, aujourd’hui ou demain, je suis prêt à vous entendre. En parler… C’est un premier pas pour se défaire de vos peurs, car vous ne serez plus seul à marcher dans le noir. Pas forcément… Avec moi. Si vous avez des amis de confiance qui peuvent endosser ce rôle et être à vos côtés, cela sera parfait. » Il reprit la tartine entamée pour continuer, calmement, sa dégustation.

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Valmys ne savait pas à quoi il s'était attendu. À ce qu'Aldaron lui demanda précisément de tenir un objet de son choix, puis le prévienne, avant d'agir ? Peut-être. L'Enwr ne contrôla pas du tout son expression devant cet acte auquel il ne s'attendait presque pas. Désormais, à ses peurs et à ses blessures s'ajoutait un vil sentiment négatif à l'encontre de ce voleu-de cet assassin ! Le petit regard plissé et haineux de l'apprenti se fit rond d'horreur en voyant sa tartine se faire dévorer. Sa... Sa tartine. Il avait commencé à nouer un lien avec elle. Il l'avait tartinée avec amour, il avait imaginé l'avenir qu'il allait partager avec elle... Et ces rêves, ces espoirs, ces projets, tombaient en miettes dans l'estomac d'un voleur sans merci !

Et c'était un peu sa faute. Il n'avait pas réussi à avoir l'esprit assez fort pour la sauver. Il n'avait pas même armé sa magie à temps. À l'annonce de son professeur, Valmys baissa le nez vers son assiette, un peu honteux, comme s'il avait été de son devoir de tout savoir, tout deviner, et tout réussir du premier coup.
C'était plus fort que lui. La voix d'Aldaron avait cette assurance que lui peinait désormais à retrouver. Face à l'aura du bourgmestre, il se sentait petit, et pris en faute. Avait-il, consciemment ou non, su ce qu'il devait faire, autant qu'il avait cherché à l'éviter ? Cela ne lui paraissait pas improbable du tout. Qu'y pouvait-il ?
De Morneflamme, Valmys n'avait eu que le discours de Dawan, qui était le discours d'un discours, le Chanteciel ayant été épargné, protégé. Le peu qu'il avait suffisait à deviner ce qu'Aldaron avait traversé. Il se surprit à l'admirer, énormément, en faisant le lien entre la prison du tyran et cet homme au charisme incroyable, au port noble, dont rien ne laissait présager la moindre faille. Ses conseils ne pouvaient qu'être bons.

Mais de Morneflamme Valmys avait ouï tant d'adjectifs horrifiques qu'il remit un instant en question sa conviction selon laquelle les malheurs ne devaient se comparer. Avait-il seulement le droit de se plaindre, au final, devant un homme qui avait connu pire que lui ? Le nouvel immaculé était persuadé que, entre Morneflamme et son épreuve, Aldaron aurait préféré les semaines passées sur le Maëlstrom. Définitivement, il n'était pas légitime à se plaindre, et le bourgmestre de Caladon ne lui parut que meilleur encore, à lui offrir un tel soutien sans le remettre à sa place. N'abusait-il pas de sa générosité ?

La métaphore et les explications d'Aldaron étaient claires. Valmys opina, son esprit sagement occupé à turbiner pour en extraire ses propres solutions, ses propres stratégies. Accepter ce qu'il avait vécu lui faisait peur. En faire une force... Il ignorait quelle force il pourrait tirer d'une telle "expérience". Les seules idées qui lui venaient à l'esprit étaient de nouvelles compétences qu'il aurait pu utiliser auprès d'un potentiel amant. Une légère grimace passa sur ses traits. Malgré les années qu'il avait passé cela, il ignorait s'il serait désormais capable d'accepter une idylle avec un mâle. Alors la partie la plus charnelle de l'idylle, il n'en voulait même pas. Quelle serait sa force, donc ? D'avoir réussi à se reconstruire ? De pouvoir approcher des marins sans peur, et reprendre le bateau ?
Cette idée paraissait étrangement valable. Elle lui valut un subtil haussement de sourcil, surpris d'avoir trouvé tout seul quelque chose d'à peu près correct. C'était tellement étrange qu'il en vint à se demander si c'était vraiment correct malgré les apparences. Il se souvint alors de l'autre partie du prix à payer et, comme à la recherche d'un échappatoire, demanda:

"- Est-ce que... Accepter ce que j'ai vécu, c'est ne plus chercher à éviter chaque élément qui le rappelle à ma mémoire ? Accepter que cela revienne en rêve... Jusqu'à ce que je m'habitue ?"

Il se saisit de sa tartine toute neuve. Ce n'était pas celle qu'il avait préparée mais, même si différente, il pouvait peut-être envisager quelque chose avec elle. Au moins pouvait-il lui donner sa chance. Les douleurs lancées et relancées que cela allait produire, il les voyait. La métaphore d'Aldaron avait au moins permis au jeune Enwr d'envisager un gain à ces douleurs et une atténuation.

"- Je ne suis pas sûr de pouvoir vous en parler tout de suite. Ce n'est pas contre vous, mais... Seuls ceux à qui j'ai pu le dire sans mots savent. Mais qui sait, j'aurai sans doute plus de facilités, quand j'aurais commencé à... Accepter ?"

Le mot sonnait bizarrement, énoncé avec l'idée de véritablement s'y essayer. Comme si c'était la première fois qu'il le prononçait depuis fort longtemps. Il avait un goût bizarre, que Valmys ignorait s'il appréciait ou non. En revanche il savait que, même si le monde avait perdu de ses saveurs avec ses supplices, son fruit préféré restait un réconfort passager sûr.
Il commença à dévorer sa tartine, la mettant à l'abri derrière ses terrifiants crocs d'elfe, avec de fréquents regards vers son potentiel voleur. Sa magie était prête à l'aider à faire face, en attendant d'avoir cette force nouvelle qu'il recherchait.

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    Le sourire d'Aldaron était emprunt d'une patience paternelle alors qu'il observait le jeune baptistrel tirer les enseignements de son propos. Peut-être aurait-il pu être un bon père, en fin de compte, s'il n'avait pas eu son fils si jeune. Il avait beau rejeter la lenteur des elfes, il n'en demeurait pas moins vrai que, comme eux, il évoluait au fil des siècles. Il aurait pu accepter de devenir père, aujourd'hui, s'il avait trouvé chaussure à son pied... Et à bien y songer, il envisageait presque de rejoindre la fiancée qu'il avait lâchement abandonné il y avait de cela 450 ans, pour lui offrir le mariage qu'elle et son père attendaient tant de lui. Se sentait-il prêt pour cela ? Une part de lui l'était, l'autre tenait bien trop à sa liberté pour parvenir à s'enchaîner dans un couple qui ne s'était pas lié par amour. Il fut amère à cette pensée : avait-il seulement éprouvé un véritable amour, un jour ? Il avait le sentiment que rien ne parvenait à le fixer, à le garder en place. Alors de l'amour ? Ce pur amour dont tout le monde lui rebattait les oreille ? Ce n'était qu'une fiction à ses yeux... Alors pourquoi le cherchait-il encore ? De quels espoirs pouvait-il se nourrir ?

    A défaut, il pourrait peut-être adopter ce baptistrel... « Vous n'éviterez jamais tout ce qui peut vous y faire penser. Le moins que vous puissiez faire, Valmys, c'est de ne pas être la victime qui subi la surprise de ces reviviscences... Mais le combattant qui les voit dans son entourage et qui est prêt à les affronter. Allez de l'avant, ne battez pas sans cesse en retraite. » Il pourrait battre en retraite, de temps à autre, il ne lui demandait pas d'être inconscient. Il lui demandait de ne pas toujours fuir. « Quant à m'en parler... Prenez votre temps. Je m'en serai voulu de ne pas vous tendre cette main alors que je le peux. » Il termina son petit déjeuner et lorsqu'ils furent tout deux prêt, ils se mirent en route pour leur exploration.

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