Décrire le chaos qui m’entourait alors m’aurait été bien difficile. Parce que, s’imaginer un gouffre assez profond pour qu’on ne puisse en discerner le fond, doublé d’une taille suffisamment grande pour engloutir une ville conséquente dans sa totalité était impossible. Et pourtant. Pourtant, c’était exactement ce qui se passait sous nos pieds. Ce n’était pas seulement l’amphithéâtre dans lequel nous nous trouvions qui sombrait dans les abysses, mais bel et bien la cité tout entière. Si je ressentis l’ère d’un instant une légère panique, je sentis rapidement une vague de magie investir mon âme, comme pour l’apaiser instantanément. Je connaissais cette sensation, et l’avais déjà ressentie dans des situations critiques auparavant. Comme un gardien silencieux, mon totem veillait sur moi en permanence, et me permettait de conserver un esprit lucide. Ainsi apaisé, je m’accrochais à une tenture pour ne pas choir et avoir une chance de remonter, même si je savais ma prise provisoire. J’en changeais alors, bondissant vers une corniche dont la solidité était tout aussi éphémère. Je regardais alors autour de moi, tachant de discerner au moins Aldaron, ou Toryne, et si je pouvais leur venir en aide. Toutefois, étais-je seulement en mesure de les aider ? Dans tous les cas, mon regard n’arrivait pas à accrocher leur présence, et je devais me résoudre à me concentrer sur mon propre moyen de remonter à la surface avant que la corniche ne cède.
C’est alors que j’aperçu un léger détail qui attira mon attention. Non loin de moi, une jeune femme s’accrochait comme moi à une prise prête à lâcher. En soit, ce n’était pas une chose étonnante au vu de la situation, et elle était loin d’être la seule à se raccrocher à ce fragment qui la maintenait en vie. Non, ce qui la différenciait des autres, c’était que je connaissais son visage pour l’avoir déjà rencontrée au domaine. C’était une jeune Enwr à peine majeure, Ïsil, qui étudiait auprès des Baptistrels depuis quelques années déjà. Son appui était près à céder tout comme l’était le mien, et mon serment, et dans tous les cas ma volonté, m’empêchait de la laisser tomber. Je préparais alors les derniers appuis fixes qu’il me serait donné d’avoir, et me propulsais vers elle au même dès que nos accroches respectives eurent lâché. Je l’attrapais au vol, encore bien inconscient de ce que je pourrais faire pour nous sortir de l’impasse, et nous commençâmes notre longue chute dans les ténèbres.
Il me fallait rester lucide. Il y avait forcément un moyen de s’en sortir sans trop de dégâts. Du moins, s’en sortir vivant ne serait déjà pas si mal. Les gens tombaient autour de nous dans de grands hurlements qui semblaient insupportables à la jeune apprentie. Les plus chanceux chutaient au centre du gouffre et évitaient les débris des bâtiments qui les suivaient, mais d’autres n’avaient pas cette chance. Percutés par des morceaux d’édifice, ils mourraient avant même d’avoir touché le sol, s’épargnant ainsi l’angoisse de cette chute sans fin. Pour ma part, bien aidé par mon gardien, je restais lucide. Je gardais durant la chute un regard sur les débris qui nous épargnaient pour l’instant, prêt à activer un glyphe pour protéger notre duo improvisé. Tout en tenant l’apprentie du bras gauche, je dégainais alors Ahavarion de mon fourreau dorsal. Manier à une main mon arme était complexe, mais je pouvais au moins utiliser Gilgalad pour détruire les plus petits des obstacles susceptibles de nous frapper à l’aide des disques magiques que la lance pouvait produire.
C’est ainsi que, juste à temps, je parvins à presque détruire le petit pan de ce qui devait être un mur à l’origine et qui, plus lourd que nous, nous rattrapait inexorablement. Presque, puisque, si la majeure partie de la pierre fut détruite, l’un des éclats percuta violemment ma tempe, me sonnant un court instant. Je sentis alors une blessure superficielle saigner et brouiller légèrement la vue de l’un de mes yeux, mais il fallut une fraction de seconde que je me rende compte de mon erreur. A force de m’être focalisé sur ce qui venait du dessous, je n’avais pas vu, tant notre chute fût longue, le sol se rapprocher dramatiquement de nous. Ou plutôt, pour l’instant, un reste de bâtiment qui avait fini sa chute dans les abysses. Après le cri d’Ïsil qui me fut salutaire dans mon temps de réaction, j’activais les grandes ailes d’acier de ma cape, même si je vis bien vite que ça n’était pas suffisant. Par chance, nous n’étions pas les plus mal lotis. Non loin se trouvaient les restes d’un immense magasin de tissu, dont la consistance pourrait surement amortir notre chute. Ou du moins, celle de l’apprentie baptistrelle. Sans la moindre cérémonie, je la lâchais avant de la pousser à l’aide d’une puissante ruade en direction de son ère d’atterrissage salutaire. Son cri se perdit rapidement dans le vacarme qui nous entourait, alors que mes ailes se refermaient sur moi. Mais j’étais déstabilisé, et surtout, mon temps de réaction avait été bien trop long. Si le glyphe me permit de ne pas finir écrasé sur le toit et de le traverser, mon aile gauche, trop lente, n’avait pas eu suffisamment le temps de se mettre en place, et avait violemment, lors de l’impact, heurté mon bras, le cassant sur le coup. Je poussais un cri de douleur alors que mon abri finissait de se former à mesure que je traversais les étages pour finalement finir violemment ma course. Même protégé par les ailes en acier, le choc fût extrêmement rude, me causant une grande vague de douleur qui traversa mon échine, avant de me faire perdre pied avec la réalité pendant quelques instants.
Lorsque je revins à moi, mes ailes avaient disparu, et Aldaron était d’ores et déjà en train de me soutenir pour me relever. J’avais encore bien du mal à me remettre de tout ce qui venait de se passer et, même si un silence de mort s’était installé. Seuls quelques cris désespérés des survivants errants autour de nous se faisaient entendre. Je laissais alors mon ami commencer les soins au niveau de mon crâne, mais, bien vite, la douleur lancinante dans mon bras se fit à nouveau sentir. C’était vrai, je l’avais oublié, mais il s’était brisé lors de ma chute. Une blessure bien loin d’être mortelle et surtout chanceuse par rapport à l’ampleur du désastre. Pendant que le Bourgmestre s’attelait à la tâche, je ne pus m’empêcher de détailler ses traits. Il était tendu, et encore sous le choc, comme nous l’étions tous, en témoignait son léger tremblement alors qu’il me prodiguait ses soins. Autour de nous, c’était un véritable carnage. Les survivants étaient bien moins nombreux que les morts, et, même ceux qui avaient eu la chance de ne pas périr étaient soit dans un état de panique avancé, soit murés dans une catatonie effrayante. Les corps démembrés et écrasés autour de nous formaient un spectacle horrible, et l’image de la mort s’était déjà fortement imprégnée dans ma mémoire. Aldaron, lui, et fort heureusement, conservait son attitude de régent, et restait lucide quant à la situation. Sa proposition était la plus logique est la plus sage. De toute manière, remonter plus de deux kilomètres était absolument exclu, et, au vu de la situation, il n’était pas tant de s’aventurer dans l’inconnu. Observant d’un œil distrait la boule lumineuse se poser sur une immense colonnade, je répondais au Bourgmestre, avec une légère grimace qui trahissait la douleur qui me tenaillait le bras.
« Je suis d’accord avec toi. C’est sans doute notre meilleure chance à l’heure actuelle. Et puis, dès lors que nous verrons la mer, nous pourrons aller chercher du secours chez les navires alentours. Dans notre malheur, nous avons la chance de compter parmi nos rangs un dragon et sa dragonnière, ce qui n’est pas négligea-… » Je fus rapidement coupé dans ma tirade par l’arrivée d’Ïsil, qui se précipitait vers moi.
« Maitre Wënmimeril ! Vous n’avez rien ? » Lança-t-elle, son ton trahissant d’une inquiétude certaine. Son appellation me fit légèrement tiquer, car elle était, chez les Baptistrels, souvent réservé aux Cawr. « Votre bras… Ne bougez pas, je vais m’en occuper. » Finit-elle, plus sûre d’elle.
Au moins, à part le choc dû à la découverte de ce spectacle macabre, la jeune femme n’avait rien. Mieux encore, elle semblait suffisamment calme pour venir en aide aux différents blessés qui nous entouraient. Je la stoppais donc rapidement dans sa démarche. Ma blessure n’était pas grave, et j’avais largement de quoi guérir sans son intervention.
« Seö suffira, Ïsil. » Dis-je avec un léger sourire. « Et pour la blessure, je vais m’en occuper. Garde ton énergie pour ceux qui en auront réellement besoin. Il y a de nombreux blessés et trop peu de soigneurs. Si tu t’en sens capable, il faudrait au moins stabiliser leur état le temps de les transporter hors de ce gouffre. » Finis-je, avec un ton calme.
La jeune femme hocha la tête, et détourna son attention comme je le fis en entendant un nouvel arrivant se précipiter vers nous. Il s’agissait d’un homme qui devait avoir la quarantaine, et armé d’une solide carrure malgré un ventre légèrement bedonnant. Sa moustache encore travaillée malgré sa chute laissait penser à quelqu’un de plutôt aisé sans être noble, en attestait ses vêtements de bonnes factures sans être extravagants. Arrivé à notre hauteur, il prit la parole, son attention d’abord focalisée sur la jeune baptistrelle.
« Mam’zelle ! Vous êt’ là ! J’vous cherchiot partout ! M’faites p’us une frayeur com’ ça à partir sans rien dire ! » Lança-t-il, avec un sourire bien vite contagieux. L’homme respirait la simplicité et l’humilité, et ce seul fait était agréable au milieu d’un tel carnage. Il détourna ensuite les yeux vers moi, puis vers Aldaron. Son regard changea alors du tout au tout, alors qu’il s’exclamait.
« Crénom’ ! Vous serios pas l’Bourgmestre par’ h’sard ? » Lança-t-il, visiblement surprit de se retrouver naturellement si proche d’une personnalité qu’il jugeait inaccessible. « Tout’ mes ‘scures, vot’ seigneurie. » Fit-il en s’inclinant. « J’soyons un simp’ marchand qu’étiot dans les affaires. La jeunette, là, elle est tombée direct’ dans ce qui r’stait de ma boutique. Elle a eu une s’crée chance, tout com’ miot ! Mais j’blie les p’litesses, j’m’appeliot Marcel, Marcel Billiot, p’our vous servir’. J’soyons pas un noble, mais mon c’merce d’étoffes marchiot plutôt bien v’savez ! » Dit-il, avec une voix qui trahissait sa fierté. « Mais dit’ moi c’mment j’pouviot être utile. Mes produits s’rvirons à rien mais j’avios une solide paire d’bras pour aider ! » Finit-il, convaincu.
Son attitude optimiste était plutôt rafraichissante dans la situation, et, malgré son parlé très fortement accentué, l’homme avait une parfaite mesure de la situation. Dans cette dernière, une carrure solide était des plus utile. Il y avait des décombres, et, si décombre il y avait, des gens pouvaient très bien être encore vivants sous ces derniers. Et il allait falloir les dégager, parce qu’il était impensable de laisser qui que ce soit agoniser dans cette fosse macabre. La tâche s’avérerait ardue, et probablement assez longue. Et nous n’étions pas sur d’avoir des vivres pour la mener à bien jusqu’au bout. Une myriade de plan commençait à naitre dans mon esprit, mais, pour le moment, mieux valait analyser la situation posément. Et surtout, commencer rapidement à traiter les blessés qui en avaient le plus besoin. A commencer par moi. Comme l’avait dit ledit Marcel, deux bras valides seraient surement nécessaires pour aider les survivants à ce chaos, et je ne pouvais m’en priver. Je décrochais donc la potion de soin majeurs de ma ceinture pour en boire le contenu. Rapidement, je sentis la douleur de mon bras reculer pour finalement s’estomper. Le membre était encore engourdi, mais il répondait de nouveau correctement aux appels de mon cerveau. Il ne faudrait surement pas longtemps pour que j’en retrouve un usage plus naturel. En attendant, je me tournais vers Ïsil, Marcel, et Aldaron.
« Ïsil, sire Billiot, allez chercher le reste des survivants, et essayer de vous faire aider par ceux qui ne sont plus sous le choc. Soignez ceux qui en ont besoin et regroupez-les. Nous allons avoir besoin de t-… » Me coupais-je brutalement.
Quelque chose avait bougé dans mon champ de vision périphérique, et je me retournais instantanément comme mu par un soudain réflexe. L’espace d’un instant, rien ne se passa, puis la gigantesque colonnade se mit alors à bouger. Mes yeux remontèrent alors peu à peu, et je manquais d’être déstabilisé par une nouvelle secousse. Je ne pouvais croire les informations que me renvoyait mon regard écarquillé. Un golem titanesque se trouvait face à nous. Je n’avais jamais rien vu de pareil, et même la taille d’Alkhytis, pourtant un dragon, paraissait totalement dérisoire. L’immense titan avançait vers nous, vers les ruines. Etait-ce lui qui avait détruit la ville ? En avait-il après les humains, ou était-ce juste un incident causé par sa force colossale ? Je n’eu pas vraiment le temps de trouver une réponse à mes question qu’un mouvement, à l’opposé, sortait des ténèbres de l’immense contrée que nous venions de découvrir. Un poing, situé bien au-dessus de nous, surgissait dans la lumière, se dirigeant de nouveau vers l’obscurité. Sa cible fut bien vite en vue, car une tête gigantesque était, elle, apparue devant lui. Leur lenteur était extrême, mais la puissance de leur coups allait être effroyable. Le sol tremblait, manquant de nous faire tomber à chacune de leurs actions. Nous ne pouvions pas rester ici et, pourtant, nous étions totalement paralysés par ce duel colossal. Encore une fois, une douce chaleur envahit mon âme, me permettant d’y voir plus clair. Effectivement, nous ne pouvions pas rester là, mais nous le devions. Ïsil ne pouvait abandonner les blessés, tout comme je ne le pouvais pas. Nous ne pouvions pas non plus affronter directement les golems, mais il fallait gagner du temps. Mais la tâche paraissait impossible. A moins que…
« Mes aïeuls… on est dans l’a p’nade là… » Glissa Marcel, les yeux rivés sur le combat.
« Aldaron. » Dis-je, pour interpeller le Bourgmestre. « Tu te rappelles les questions que tu m’as posées tout à l’heure ? Je crois que le moment est rêvé pour découvrir la réponse. » Dis-je simplement, avec un léger sourire en coin, les yeux toujours rivés sur le corps des deux titans. Ce n’était pas un sourire confiant, il était plutôt dû à la nervosité. C’était la seule solution réellement viable que je pouvais observer et, s’il y avait la moindre chance, il fallait la tenter. Je redirigeais alors mon regard vers la troupe qui se trouvait à mes côtés.
« Ïsil, Marcel, Aldaron. On continue sur la même volonté, essayez de secourir un maximum de blessés. Ne vous mettez pas en danger. Ces golems sont extrêmement puissants, mais ils sont aussi très lents. Si vous restez loin des édifices instables, et que vous restez attentifs à leur déplacement, vous devriez vous en sortir. » Je lançais alors un regard à la baptistrelle et au commerçant qui ne semblaient pas tout comprendre, mais qui hochèrent la tête. Leur peur était palpable, mais ils avaient le courage d’agir, et c’était bien là l’essentiel.
Tachant de ne pas me laisser envahir par un quelconque doute, je marchais d’un pas décidé vers Alkhytis et Luna. J’étais bien conscient que ce que nous nous apprêtions à faire était une folie, mais il fallait au moins le tenter. Qu’importe ce qui se passerait ensuite. Une fois à la hauteur du dragon et de sa dragonnière, je posais un genou à terre, avant de m’adresser à eux.
« Maitre Alkhytis, Dame Duruisseau, je viens humblement vous demander votre aide. Nous devons gagner du temps pour les blessés encore bloqués dans la ville, et nous ne pouvons pas affronter directement ces titans. Je suis un maitre des glyphes, et, par conséquent, le fonctionnement de leur cœur magique m’est familier. S’il n’y a ne serait-ce qu’une chance que ça fonctionne, je souhaiterais essayer d’influer sur l’énergie de leur cœur pour gagner le temps nécessaire à l’évacuation. Je n’ai aucune garantie, mais, si je veux essayer, j’ai besoin d’atteindre leur poitrail. J’ouvrirais une brèche dans son armure avec le glyphe d’énergie pure de mon arme et, ensuite, j’aviserais. J’ai conscience que vous demander une telle chose est une folie, mais je m’en voudrais toute mon existence de ne pas l’avoir tenté. » J’attendais ainsi humblement sa réponse, alors que mon cerveau fonctionnait à plein régime pour prendre en compte toutes les variables. Il fallait toutefois se rendre à l’évidence, les chances étaient infimes.
C’est alors que j’aperçu un léger détail qui attira mon attention. Non loin de moi, une jeune femme s’accrochait comme moi à une prise prête à lâcher. En soit, ce n’était pas une chose étonnante au vu de la situation, et elle était loin d’être la seule à se raccrocher à ce fragment qui la maintenait en vie. Non, ce qui la différenciait des autres, c’était que je connaissais son visage pour l’avoir déjà rencontrée au domaine. C’était une jeune Enwr à peine majeure, Ïsil, qui étudiait auprès des Baptistrels depuis quelques années déjà. Son appui était près à céder tout comme l’était le mien, et mon serment, et dans tous les cas ma volonté, m’empêchait de la laisser tomber. Je préparais alors les derniers appuis fixes qu’il me serait donné d’avoir, et me propulsais vers elle au même dès que nos accroches respectives eurent lâché. Je l’attrapais au vol, encore bien inconscient de ce que je pourrais faire pour nous sortir de l’impasse, et nous commençâmes notre longue chute dans les ténèbres.
Il me fallait rester lucide. Il y avait forcément un moyen de s’en sortir sans trop de dégâts. Du moins, s’en sortir vivant ne serait déjà pas si mal. Les gens tombaient autour de nous dans de grands hurlements qui semblaient insupportables à la jeune apprentie. Les plus chanceux chutaient au centre du gouffre et évitaient les débris des bâtiments qui les suivaient, mais d’autres n’avaient pas cette chance. Percutés par des morceaux d’édifice, ils mourraient avant même d’avoir touché le sol, s’épargnant ainsi l’angoisse de cette chute sans fin. Pour ma part, bien aidé par mon gardien, je restais lucide. Je gardais durant la chute un regard sur les débris qui nous épargnaient pour l’instant, prêt à activer un glyphe pour protéger notre duo improvisé. Tout en tenant l’apprentie du bras gauche, je dégainais alors Ahavarion de mon fourreau dorsal. Manier à une main mon arme était complexe, mais je pouvais au moins utiliser Gilgalad pour détruire les plus petits des obstacles susceptibles de nous frapper à l’aide des disques magiques que la lance pouvait produire.
C’est ainsi que, juste à temps, je parvins à presque détruire le petit pan de ce qui devait être un mur à l’origine et qui, plus lourd que nous, nous rattrapait inexorablement. Presque, puisque, si la majeure partie de la pierre fut détruite, l’un des éclats percuta violemment ma tempe, me sonnant un court instant. Je sentis alors une blessure superficielle saigner et brouiller légèrement la vue de l’un de mes yeux, mais il fallut une fraction de seconde que je me rende compte de mon erreur. A force de m’être focalisé sur ce qui venait du dessous, je n’avais pas vu, tant notre chute fût longue, le sol se rapprocher dramatiquement de nous. Ou plutôt, pour l’instant, un reste de bâtiment qui avait fini sa chute dans les abysses. Après le cri d’Ïsil qui me fut salutaire dans mon temps de réaction, j’activais les grandes ailes d’acier de ma cape, même si je vis bien vite que ça n’était pas suffisant. Par chance, nous n’étions pas les plus mal lotis. Non loin se trouvaient les restes d’un immense magasin de tissu, dont la consistance pourrait surement amortir notre chute. Ou du moins, celle de l’apprentie baptistrelle. Sans la moindre cérémonie, je la lâchais avant de la pousser à l’aide d’une puissante ruade en direction de son ère d’atterrissage salutaire. Son cri se perdit rapidement dans le vacarme qui nous entourait, alors que mes ailes se refermaient sur moi. Mais j’étais déstabilisé, et surtout, mon temps de réaction avait été bien trop long. Si le glyphe me permit de ne pas finir écrasé sur le toit et de le traverser, mon aile gauche, trop lente, n’avait pas eu suffisamment le temps de se mettre en place, et avait violemment, lors de l’impact, heurté mon bras, le cassant sur le coup. Je poussais un cri de douleur alors que mon abri finissait de se former à mesure que je traversais les étages pour finalement finir violemment ma course. Même protégé par les ailes en acier, le choc fût extrêmement rude, me causant une grande vague de douleur qui traversa mon échine, avant de me faire perdre pied avec la réalité pendant quelques instants.
Lorsque je revins à moi, mes ailes avaient disparu, et Aldaron était d’ores et déjà en train de me soutenir pour me relever. J’avais encore bien du mal à me remettre de tout ce qui venait de se passer et, même si un silence de mort s’était installé. Seuls quelques cris désespérés des survivants errants autour de nous se faisaient entendre. Je laissais alors mon ami commencer les soins au niveau de mon crâne, mais, bien vite, la douleur lancinante dans mon bras se fit à nouveau sentir. C’était vrai, je l’avais oublié, mais il s’était brisé lors de ma chute. Une blessure bien loin d’être mortelle et surtout chanceuse par rapport à l’ampleur du désastre. Pendant que le Bourgmestre s’attelait à la tâche, je ne pus m’empêcher de détailler ses traits. Il était tendu, et encore sous le choc, comme nous l’étions tous, en témoignait son léger tremblement alors qu’il me prodiguait ses soins. Autour de nous, c’était un véritable carnage. Les survivants étaient bien moins nombreux que les morts, et, même ceux qui avaient eu la chance de ne pas périr étaient soit dans un état de panique avancé, soit murés dans une catatonie effrayante. Les corps démembrés et écrasés autour de nous formaient un spectacle horrible, et l’image de la mort s’était déjà fortement imprégnée dans ma mémoire. Aldaron, lui, et fort heureusement, conservait son attitude de régent, et restait lucide quant à la situation. Sa proposition était la plus logique est la plus sage. De toute manière, remonter plus de deux kilomètres était absolument exclu, et, au vu de la situation, il n’était pas tant de s’aventurer dans l’inconnu. Observant d’un œil distrait la boule lumineuse se poser sur une immense colonnade, je répondais au Bourgmestre, avec une légère grimace qui trahissait la douleur qui me tenaillait le bras.
« Je suis d’accord avec toi. C’est sans doute notre meilleure chance à l’heure actuelle. Et puis, dès lors que nous verrons la mer, nous pourrons aller chercher du secours chez les navires alentours. Dans notre malheur, nous avons la chance de compter parmi nos rangs un dragon et sa dragonnière, ce qui n’est pas négligea-… » Je fus rapidement coupé dans ma tirade par l’arrivée d’Ïsil, qui se précipitait vers moi.
« Maitre Wënmimeril ! Vous n’avez rien ? » Lança-t-elle, son ton trahissant d’une inquiétude certaine. Son appellation me fit légèrement tiquer, car elle était, chez les Baptistrels, souvent réservé aux Cawr. « Votre bras… Ne bougez pas, je vais m’en occuper. » Finit-elle, plus sûre d’elle.
Au moins, à part le choc dû à la découverte de ce spectacle macabre, la jeune femme n’avait rien. Mieux encore, elle semblait suffisamment calme pour venir en aide aux différents blessés qui nous entouraient. Je la stoppais donc rapidement dans sa démarche. Ma blessure n’était pas grave, et j’avais largement de quoi guérir sans son intervention.
« Seö suffira, Ïsil. » Dis-je avec un léger sourire. « Et pour la blessure, je vais m’en occuper. Garde ton énergie pour ceux qui en auront réellement besoin. Il y a de nombreux blessés et trop peu de soigneurs. Si tu t’en sens capable, il faudrait au moins stabiliser leur état le temps de les transporter hors de ce gouffre. » Finis-je, avec un ton calme.
La jeune femme hocha la tête, et détourna son attention comme je le fis en entendant un nouvel arrivant se précipiter vers nous. Il s’agissait d’un homme qui devait avoir la quarantaine, et armé d’une solide carrure malgré un ventre légèrement bedonnant. Sa moustache encore travaillée malgré sa chute laissait penser à quelqu’un de plutôt aisé sans être noble, en attestait ses vêtements de bonnes factures sans être extravagants. Arrivé à notre hauteur, il prit la parole, son attention d’abord focalisée sur la jeune baptistrelle.
« Mam’zelle ! Vous êt’ là ! J’vous cherchiot partout ! M’faites p’us une frayeur com’ ça à partir sans rien dire ! » Lança-t-il, avec un sourire bien vite contagieux. L’homme respirait la simplicité et l’humilité, et ce seul fait était agréable au milieu d’un tel carnage. Il détourna ensuite les yeux vers moi, puis vers Aldaron. Son regard changea alors du tout au tout, alors qu’il s’exclamait.
« Crénom’ ! Vous serios pas l’Bourgmestre par’ h’sard ? » Lança-t-il, visiblement surprit de se retrouver naturellement si proche d’une personnalité qu’il jugeait inaccessible. « Tout’ mes ‘scures, vot’ seigneurie. » Fit-il en s’inclinant. « J’soyons un simp’ marchand qu’étiot dans les affaires. La jeunette, là, elle est tombée direct’ dans ce qui r’stait de ma boutique. Elle a eu une s’crée chance, tout com’ miot ! Mais j’blie les p’litesses, j’m’appeliot Marcel, Marcel Billiot, p’our vous servir’. J’soyons pas un noble, mais mon c’merce d’étoffes marchiot plutôt bien v’savez ! » Dit-il, avec une voix qui trahissait sa fierté. « Mais dit’ moi c’mment j’pouviot être utile. Mes produits s’rvirons à rien mais j’avios une solide paire d’bras pour aider ! » Finit-il, convaincu.
Son attitude optimiste était plutôt rafraichissante dans la situation, et, malgré son parlé très fortement accentué, l’homme avait une parfaite mesure de la situation. Dans cette dernière, une carrure solide était des plus utile. Il y avait des décombres, et, si décombre il y avait, des gens pouvaient très bien être encore vivants sous ces derniers. Et il allait falloir les dégager, parce qu’il était impensable de laisser qui que ce soit agoniser dans cette fosse macabre. La tâche s’avérerait ardue, et probablement assez longue. Et nous n’étions pas sur d’avoir des vivres pour la mener à bien jusqu’au bout. Une myriade de plan commençait à naitre dans mon esprit, mais, pour le moment, mieux valait analyser la situation posément. Et surtout, commencer rapidement à traiter les blessés qui en avaient le plus besoin. A commencer par moi. Comme l’avait dit ledit Marcel, deux bras valides seraient surement nécessaires pour aider les survivants à ce chaos, et je ne pouvais m’en priver. Je décrochais donc la potion de soin majeurs de ma ceinture pour en boire le contenu. Rapidement, je sentis la douleur de mon bras reculer pour finalement s’estomper. Le membre était encore engourdi, mais il répondait de nouveau correctement aux appels de mon cerveau. Il ne faudrait surement pas longtemps pour que j’en retrouve un usage plus naturel. En attendant, je me tournais vers Ïsil, Marcel, et Aldaron.
« Ïsil, sire Billiot, allez chercher le reste des survivants, et essayer de vous faire aider par ceux qui ne sont plus sous le choc. Soignez ceux qui en ont besoin et regroupez-les. Nous allons avoir besoin de t-… » Me coupais-je brutalement.
Quelque chose avait bougé dans mon champ de vision périphérique, et je me retournais instantanément comme mu par un soudain réflexe. L’espace d’un instant, rien ne se passa, puis la gigantesque colonnade se mit alors à bouger. Mes yeux remontèrent alors peu à peu, et je manquais d’être déstabilisé par une nouvelle secousse. Je ne pouvais croire les informations que me renvoyait mon regard écarquillé. Un golem titanesque se trouvait face à nous. Je n’avais jamais rien vu de pareil, et même la taille d’Alkhytis, pourtant un dragon, paraissait totalement dérisoire. L’immense titan avançait vers nous, vers les ruines. Etait-ce lui qui avait détruit la ville ? En avait-il après les humains, ou était-ce juste un incident causé par sa force colossale ? Je n’eu pas vraiment le temps de trouver une réponse à mes question qu’un mouvement, à l’opposé, sortait des ténèbres de l’immense contrée que nous venions de découvrir. Un poing, situé bien au-dessus de nous, surgissait dans la lumière, se dirigeant de nouveau vers l’obscurité. Sa cible fut bien vite en vue, car une tête gigantesque était, elle, apparue devant lui. Leur lenteur était extrême, mais la puissance de leur coups allait être effroyable. Le sol tremblait, manquant de nous faire tomber à chacune de leurs actions. Nous ne pouvions pas rester ici et, pourtant, nous étions totalement paralysés par ce duel colossal. Encore une fois, une douce chaleur envahit mon âme, me permettant d’y voir plus clair. Effectivement, nous ne pouvions pas rester là, mais nous le devions. Ïsil ne pouvait abandonner les blessés, tout comme je ne le pouvais pas. Nous ne pouvions pas non plus affronter directement les golems, mais il fallait gagner du temps. Mais la tâche paraissait impossible. A moins que…
« Mes aïeuls… on est dans l’a p’nade là… » Glissa Marcel, les yeux rivés sur le combat.
« Aldaron. » Dis-je, pour interpeller le Bourgmestre. « Tu te rappelles les questions que tu m’as posées tout à l’heure ? Je crois que le moment est rêvé pour découvrir la réponse. » Dis-je simplement, avec un léger sourire en coin, les yeux toujours rivés sur le corps des deux titans. Ce n’était pas un sourire confiant, il était plutôt dû à la nervosité. C’était la seule solution réellement viable que je pouvais observer et, s’il y avait la moindre chance, il fallait la tenter. Je redirigeais alors mon regard vers la troupe qui se trouvait à mes côtés.
« Ïsil, Marcel, Aldaron. On continue sur la même volonté, essayez de secourir un maximum de blessés. Ne vous mettez pas en danger. Ces golems sont extrêmement puissants, mais ils sont aussi très lents. Si vous restez loin des édifices instables, et que vous restez attentifs à leur déplacement, vous devriez vous en sortir. » Je lançais alors un regard à la baptistrelle et au commerçant qui ne semblaient pas tout comprendre, mais qui hochèrent la tête. Leur peur était palpable, mais ils avaient le courage d’agir, et c’était bien là l’essentiel.
Tachant de ne pas me laisser envahir par un quelconque doute, je marchais d’un pas décidé vers Alkhytis et Luna. J’étais bien conscient que ce que nous nous apprêtions à faire était une folie, mais il fallait au moins le tenter. Qu’importe ce qui se passerait ensuite. Une fois à la hauteur du dragon et de sa dragonnière, je posais un genou à terre, avant de m’adresser à eux.
« Maitre Alkhytis, Dame Duruisseau, je viens humblement vous demander votre aide. Nous devons gagner du temps pour les blessés encore bloqués dans la ville, et nous ne pouvons pas affronter directement ces titans. Je suis un maitre des glyphes, et, par conséquent, le fonctionnement de leur cœur magique m’est familier. S’il n’y a ne serait-ce qu’une chance que ça fonctionne, je souhaiterais essayer d’influer sur l’énergie de leur cœur pour gagner le temps nécessaire à l’évacuation. Je n’ai aucune garantie, mais, si je veux essayer, j’ai besoin d’atteindre leur poitrail. J’ouvrirais une brèche dans son armure avec le glyphe d’énergie pure de mon arme et, ensuite, j’aviserais. J’ai conscience que vous demander une telle chose est une folie, mais je m’en voudrais toute mon existence de ne pas l’avoir tenté. » J’attendais ainsi humblement sa réponse, alors que mon cerveau fonctionnait à plein régime pour prendre en compte toutes les variables. Il fallait toutefois se rendre à l’évidence, les chances étaient infimes.
Directives :
Seö a pu croire voir venir son heure. Seö a pu croire que jamais plus il ne pourrait revoir le visage de l’humaine qu’il aime. L’immaculé a chuté, en même temps que la ville, dans les abîmes de Calastin. Pour autant, a-t-il abandonné face à la fatalité ? A-t-il baissé les bras ? Non ! Tant bien que mal, le maître-glyphe s’accrochait à quelque chose, et lorsque cette chose lâchait, il bondissait pour s’en accrocher à une autre. Jusqu’au moment où n’y eut plus rien. En dessous de lui, la moitié de la ville s’était déjà écrasée. Il doit trouver un moyen de ralentir sa chute pour éviter de s’écraser comme un crêpe !
Finalement, lorsque vient le moment de l’impact, l’immaculé passe à travers un toit, ou du moins ce qui en reste, file au travers des décombres d’un bâtiment, avant de passer par une fenêtre pour finir sa course dans un stand de tentures, atterrissant par miracle sur un épais tas de rideaux. Le chevalier est très secoué et sonné. Il est blessé à la tête et a un bras cassé du fait de son passage au travers du toit. Tout le reste de son corps a été violenté, mais grâce à son ralentissement, à sa constitution et aux tentures qui ont amorti son atterrissage il n’a rien de grave.
Il revient à lui lorsqu’Aldaron lui soigne la tête et constate son état ainsi que les dégâts de la ville, mais au moins il est vivant.
Alors que le bourgmestre de Caladon émet la possibilité de s’en sortir, un nouveau tremblement de terre survient comme pour tuer l’espoir naissant.
Ce qui semble s’apparenter, au peu qu’il voit, à des golems d’une taille défiant toute imagination, est en train de se livrer un combat. Très bientôt ce qui ressemble à un poing et à une tête va entrer en contact. Et si leur duel était à l’origine de la destruction de Cordont ?
Au vu de tous ces éléments, comment réagit Seö ? Que fait-il ?
Finalement, lorsque vient le moment de l’impact, l’immaculé passe à travers un toit, ou du moins ce qui en reste, file au travers des décombres d’un bâtiment, avant de passer par une fenêtre pour finir sa course dans un stand de tentures, atterrissant par miracle sur un épais tas de rideaux. Le chevalier est très secoué et sonné. Il est blessé à la tête et a un bras cassé du fait de son passage au travers du toit. Tout le reste de son corps a été violenté, mais grâce à son ralentissement, à sa constitution et aux tentures qui ont amorti son atterrissage il n’a rien de grave.
Il revient à lui lorsqu’Aldaron lui soigne la tête et constate son état ainsi que les dégâts de la ville, mais au moins il est vivant.
Alors que le bourgmestre de Caladon émet la possibilité de s’en sortir, un nouveau tremblement de terre survient comme pour tuer l’espoir naissant.
Ce qui semble s’apparenter, au peu qu’il voit, à des golems d’une taille défiant toute imagination, est en train de se livrer un combat. Très bientôt ce qui ressemble à un poing et à une tête va entrer en contact. Et si leur duel était à l’origine de la destruction de Cordont ?
Au vu de tous ces éléments, comment réagit Seö ? Que fait-il ?