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25 juillet 1762, aux abords du Tampocuilë.

Il avait été aperçu par certain, côtoyé par d’autres. Porté par le vent où par les ailes d’un dragon nacré, son fils était en vie et sur cette île. Le soulagement était venu étreindre le coeur d’Orfraie lorsque son second lui avait rapporté la nouvelle, à elle seule. Elle lui en avait été reconnaissante, car le masqué n’était pas le bienvenu sur le territoire des elfes. S’il était pris par les Rôdeurs, la Liée de Feu n’aurait d’autres choix que de faire son devoir.

En début d’après-midi, elle avait quitté la protection et la fraîcheur des murs de la cité pour la chaleur du désert. Tout du moins, pendant un temps, car bien vite elle se rendit au bord du fleuve là où l’air était plus respirable. Les champs fertiles accueillaient les travailleurs qui avaient la lourde responsabilité de nourrir le peuple tout entier et la végétation offrait un certain camouflage. Cela n’empêcha pas quelques elfes de se redresser à son passage, l’observant avec curiosité, respect ou animosité.

Son fils était-il encore sur Keet-Tiamat? C’était une hypothèse qu’Orfraie ne pouvait écarter. Peut-être était-il déjà reparti. Selon les rumeurs, il avait été aperçu en compagnie d’un dragon nacré qui ne pouvait qu’être Kaalys. Serait-il lié? Songea t-elle en observant le ciel bleu. L’idée même qu’il soit partit sans venir la voir lui brisait le coeur, mais leur lien n’était plus ce qu’il avait été. Le masqué le lui avait dit trois ans plus tôt : Aeglos n’était plus, il n’était qu’une coquille vide. La guerrière avait tenté à ce moment-là de lui faire entendre raison… sans succès.

Orfraie s’arrêta finalement et se tourna vers le fleuve. Elle en apercevait l’autre rive, au loin, et quelques bateaux empruntaient cette voie jusqu’au port qui se trouvait plus haut. Combien de temps avait-elle marché, absorbée par ses pensées? Quelques heures à en juger par le changement de luminosité, bien que celui-ci ne gênât absolument pas la vampiresse. Celle-ci décida de s’asseoir au bord de l’eau et quitta donc le sentier qu’elle avait suivi. Il suivait plus ou moins le même tracé que la voie royale, mais au bord du fleuve. Il était surtout emprunté par les agriculteurs mais c’était un endroit sympathique où marcher lorsqu’on voulait un peu de calme.

La terre était humide, gorgée d’eau, mais la guerrière sauta agilement sur un rocher plat. La pierre était sèche et, sans attendre, elle s’y assit. De ses doigts agiles, elle délassa alors ses bottes et les posa à côté d’elle. Ce fut ensuite au tour de son pantalon d’être remonté sur ses chevilles, qu’elle laissa ensuite tremper dans l’eau fraîche du fleuve. À cause de la chaleur, Orfraie ne portait qu’une fine chemise en lin blanche qui dévoilait agréablement ses épaules. Son corset en os de baleine soulignait sa taille fine et maintenait le vêtement en place. À son cou, une fine chaîne d’argent retenait non pas un, mais deux pendentifs. L’un était une pierre rougeâtre, comme un rubis, tandis que l’autre était une écaille de dragon appartenant à Firindal et de laquelle provenait une puissante magie qui venait fortifier celle d’Orfraie.

C’était agréable de profiter ainsi de la quiétude du lieu. Les paupières de la vampiresse tombèrent sur ses améthystes tandis que son esprit voyageait loin de son corps, rampent entre les hautes herbes. La télépathie était un art compliqué qu’Orfraie pratiquait régulièrement de cette façon afin de s’y habituer. Sa conscience rencontra rapidement celle d’autres Elfes dont elle pouvait deviner l’humeur ainsi que d’animaux. Sentir l’esprit d’un animal était toutefois plutôt étrange car à miles lieux de celui d’un bipède. Puis soudain, elle rencontra une nouvelle conscience qui dégageait un sentiment de déjà vue.

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C’était une conscience développée, sensible, supérieure... elfique peut être, elle le frôlait, elle pouvait presque se lier avec lui. L’archétype de sa pensée, la structure de son esprit, elle pouvait le reconnaître. Elle avait déjà pu le voir, le ressentir quelque part. Elle était profonde mais simple à la fois, comme si elle abordait deux visages. Orfraie était peut être une dragonnière épanouie, mais elle ne pouvait pas approcher cet esprit sans s’y perdre, elle ne pouvait pas se souvenir de lui, quelque chose avait changé depuis qu’elle s’était mêlée à lui. Était-ce sa forme effilée, élégante ? Son étrange capacité à esquiver chacune de ses approches, comme si il jouait avec elle, s’effaçant à chacune de ses tentatives quel qu’en soit le nombre ou la façon. Ou était-ce le peu qu’elle arrivait à connaître de lui qui était erroné ? Qui ne correspondait donc pas avec ce qu’elle pouvait connaître d’antan ? Cette étrange dualité, cette double conscience, deux opposés, ces deux visages, les a-t-elle connu auparavant ? Que représentent-ils ? Le doute, peut être ? Est-ce que l’un des visages prône sur l’autre ?

L’espace d’un instant elle pu peut être l’approcher assez pour lui poser toutes ces questions, ce à quoi, s’il lui donnait l’occasion de répondre, il ne lui rendrait qu’une douce sensations, chaude mais volatile, éphémère. Comme un baiser sur le front. Cela lui rappelerait-elle le dernier qu’elle a reçut de lui quelques années auparavant ? Cela ne lui reviendrait-il pas à l’esprit en un éclair fulgurant de désir, ou elle ressentit soudainement le besoin intense de savoir à quel corps appartenait cette âme errante ? IL ne lui avait pas dit ou IL était, mais elle savait qu’il était proche.

Orfraie ouvrit-elle les yeux ? Orfraie sentit-elle le mouvement de l’eau à ses chevilles ? Sentit-elle la brise du vent caresser sa joue, ses cheveux ? Vit-elle l’homme qui se tenait devant-elle, les pieds dans l’eau. Vêtu d’une longue robe noire et blanche, constituée de longs bandeaux de soie pâles, presque transparent, se laisser enveloppé d'air chaud et vif, ondulant en harmonie avec cette brise, son col ouvert, largement, laissant respirer sa peau mate, sa poitrine masculine, forte.

Vit-elle ses cheveux attachés en de longues nattes qui traînaient derrière lui, noués, noirs comme la nuit ? Vit-elle son visage couvert d'un masque blancs, élégant. Recouvrant son visage et ses joues, le bas de son front derrière une superbe sculpture en marbre, laissant de fins traits pour que deux grands yeux bleus profonds, remplis d'émotions, puissent la fixer, entourés de marques d'or pour souligner sa beauté. Vit-elle, ressentit-elle ce vent surnaturel qui se levait et tournoyait autour d'eux ?

Reconnut-elle le grand guerrier du détroit d’Ëoma, elle reconnu le masqué, reconnu-t-elle son fils ?

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Un sentiment de déjà vue et, pourtant, elle peinait à le reconnaître. Son fils… N’était plus Aeglos. Il n’était plus son fils. Il était celui du vent. Orfraie sentit sa gorge se serrer tandis que son esprit regagnait son siège, soudainement attristé. Les améthystes rencontrèrent la surface de l’eau, limpide, et s’y perdirent. La douleur refit surface, la colère, l’amertume. Tout devint noir, la dragonnière fermant les yeux comme pour refouler ses larmes, un trop-plein de sentiments. Ses petits poings se serrèrent, ses jointures blanchirent. Puis soudain, elle le sentit. L’eau lécha ses chevilles, plus haut qu’avant. Quelque chose bougeait près d’elle, doucement, comme pour ne pas la déranger. Mais c’était peine perdue. Comme une brise, elle sentit la caresse de son esprit, la chaleur de sa présence malgré ce masque glacial. Elle détestait ce masque, cet écrin protecteur qui dissimulait le visage de son fils. Pourtant, les améthystes vinrent recouvrir ce visage pâle, nacré, avec douceur et dureté. C’était un étrange regard dans lequel deux sentiments contraires se mélangeaient, se battaient en duel,

Le regard de la princesse se fit plus tôt, malgré elle, lorsqu’elle l’observa plus longuement. Ses longs cheveux noirs, sa robe, ses pieds dans l’eau, ce torse musclé qu’elle devinait. Les améthystes se promenaient sur le Fils du Vent, se moquant totalement de ce manque de savoir vivre. Cela ne se faisait pas, de dévisager ainsi les gens, mais Orfraie s’en moquait.

Mais invariablement, son regard revenait vers ce masque. Il était magnifique et, en d’autres circonstances, sans doute l’aurait-elle avouée. Mais elle ne le pouvait. Elle haïssait ce masque, ces quelques millimètres blanchâtres qui, pourtant, étaient une véritable armure, un gouffre entre elle et son fils. Des années auparavant, elle avait pardonné à Aeglos, elle lui avait tendu la main dans l’espoir qu’il la saisisse. Mais il l’avait quitté, sans se retourner, et avait laissé sa mère blessée en son coeur, Alors, la colère et l’amertume continuaient à se battre dans son regard, malgré cette douceur caractéristique d’une mère.

Sa conversation avec Aldaron lui revint en mémoire. Orfraie avait alors souhaité si fort retrouver l’homme qui, désormais, lui faisait face. Lui était si paisible quand elle bouillonnait à l’intérieur, tachant tout de même de garder son calme. Elle soupira, retira ses pieds de l’eau, et se mit en tailleurs. Ses mains vinrent se poser sur ses cuisses, doucement, tandis qu’elle cherchait ses mots. Voilà qu’elle se retrouvait muette face à lui. N’avait t-elle pas, pourtant, tant de choses à lui dire ? Combien de fois avait-elle imaginée cette conversation avec lui ? Et voilà qu’elle était incapable de formuler ses pensées.

Il y eu un nouveau soupire, résigné cette fois-ci, puis la Liée releva son visage qu’elle n’avait eu conscience de baisser.

“ Tu en as mis du temps. “

Etait-ce un reproche ? Peut-être. Mais il y avait dans le ton utilisé quelque chose de profondément… Soulagé. Elle ressemblait soudainement à ses mères incapables de gronder leur enfant et, si elle en avait été capable, sans doute aurait t-elle rougie. Mais elle devait se résigner : Son cœur ne pouvait demeurer en colère envers lui. Derrière le masque se trouvait son fils, elle était persuadée, et Orfraie était femme d’espoir.

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Oui elle l'avait vu. Elle mit le temps, c'étais certains, son esprit errait encore quelque peu à l'instar d'une faible brise. Mais lorsqu'elle aperçut les draps de sa robe, sa lame qui effleurait l'eau, son torse revêti et son masque d'argent, elle se changea en pierre, immobile, et elle l'observa. En moins d'une demi-seconde, ses yeux irent droit à leur but, au plus profond des siens. Les profondeurs abyssales d'un océan, dont, quelque part, il lui tenait le bleu.  La vampire, qui se reposait dans un endroit si paisible, habillée si simplement, en qui il plaçait l'espace d'un instant sa totale contemplation, sa totale concentration. Par quelle étrange sorcellerie ses yeux avaient-ils pris cette couleur si perçante ? Avait-elle encore.. changé ? Il s'en sentit presque perturbé, presque. Il était imperturbable. S'il était mort, il ne pouvait pas être pertubé. Son regard acceuillait le sien en son sein, mais il était fixe et droit, inerte, vide : Cet océan de couleur semblait dissocié du temps, comme si toute vie y était figée, en plein mouvement, arrêtée sur un moment, parmis tant d'autre, comme une peinture. De quoi faire comprendre à la princesse des ombres que son visage était aussi immobile que son masque, s'il n'était le masque en lui même. Que la tempête pouvait s'abattre sur lui, et il ne bougerait pas... Jusqu'à ce qu'il cligne des yeux, et qu'une lueur naquit au plus profond de sa pupille. Qu'une vague de son océan déferla.

La dernière fois qu'il l'avait vue, ils se trouvaient tout deux sur l'ancien continent. Il s'était revêtu de son masque, il avait brisé la dernière chose qui le reliait à son passé, l'amour d'une mère. Mais il avait fait ce qu'il avait à faire. Il n'avait pas pu être celui qu'elle aurait voulu, il avait alors laissé cette personne derrière lui, délaissant son cadavre côtes à côtes à celui de Hieba. Il n'était pas Aeglos, et il l'avait affronté en même temps qu'elle. Il était un fantôme, une ombre, peut être même moins. S'il n'existait pas, il n'avait pas le droit de faire croire à une innocente qu'il puisse l'être. Lorsque sa dernière parole, son dernier soupire, étais celui de mourrir en paix pour le bien des siens, il ne pouvait faire naître l'espoir dans le coeur mort mais pas éteint d'une mère, encore moins au profit de son propre bonheur, encore moins avec pour mobil la joie de voir le sourire se dessiner sur le visage de l'être cher. Un bonheur malsain, dont il aurait mille fois préféré mourrir que de l'acquérir sans le mériter.

Il ne fuyait pas son passé, ni ses responsabilités, il payait son triste fardeau en oeuvrant pour le bien commun, sous aucune autre identité que celui du vagabond à la flûte de paix. Nu, pur.

Pourtant, les choses avaient changées depuis. Entre hier et aujourd'hui, beaucoup d'eau s'était écoulée depuis le sommet des montagnes. L'interdit du masqué l'avait amené à l'impasse. Et lorsqu'il reçu la larme, il su que le sacrifice d'une mort ne lui apporterait pas la paix, mais bien le sacrifice d'une vie. Entière, complète, au service de sa cause. Jusqu'à ce que le monde à qui il dédiait sa lame décide qu'il ait payé sa dette. Kaalys le dragon de nâcre, son ami mais aussi son mécène, vint à lui lui présenter l'épreuve ultime. Pour sauver le monde, il lui faudrait commencer par accepter qui il est, pour préserver la paix dans le coeur de son peuple, il lui faudrait apaiser la douleur de tous, y compris, et surtout, celui de ses propres victimes.

Il n'avait pas le pouvoir d'effacer le passé, il ne pouvait pas guérrir les blessures qu'il avait infligé, mais il y en avait une dont son empreinte pouvait encore faire basculer le coeur. Il y avait quelqu'un pour qui il tenait. Kaalys n'avait en réalité désigné personne d'autre. Aeglos devait s'occuper de sa famille, voilà l'épreuve, accepter qu'il ait une famille, qu'avec ou sans masque, il était et n'avait jamais cessé d'être une seule et même personne. Encore fallait-il le comprendre.

“J'avais à faire”

Il finit par dire. Dans une vie antérieure, il n'avait pas été élevé pour trouver des excuses, il n'était pas bon à ce jeu là, la plupart du temps, il n'en trouvait pas. Peut-être était-ce la pire chose qu'il ait pu dire, il ne se battait pas avec lui même pour s'améliorer dans ce domaine, il avait déjà compris qu'on ne change pas qui l'on est, bien qu'il ne se rend pas compte encore de l'étendue de cette affirmation, et ce même s'il aurait préféré être personne.

“Comment vas-tu ?”

Une question légitime, mais peut-être mal venue, et si froide pour une telle retrouvaille, sur un ton si effroyablement neutre pour la chaude intension du souci de l'autre derrière ces mots. Son sourire avait perdu de sa vigueur, il paraissait moins faux, il évoquait plus un air désolé, mais avec de tels masques accrochés au visage, il était bien trop dur de lire en lui.

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Soulagée de le revoir, elle n’avait pas eu conscience de retenir son souffle - pas que cela lui fut utile - aussi ne tarda t-elle pas à relâcher, doucement, l’air contenu dans ses poumons. Si elle était en colère, elle ne le montrait pas. Son visage exprimait un sincère soulagement de le revoir entier et en vie, quoique cela n’était pas certain. Pouvait-on réellement dire que l’homme qui lui faisait face, tranquillement debout les pieds dans l’eau, était en vie ? Son coeur battait, certes - et elle pouvait l’entendre distinctement - mais cela faisait-il du Masqué un homme vivant ?

Les yeux dans les yeux, il répondit. Sa voix était totalement neutre et cela blessa la guerrière, plus encore que la réponse très évasive du gamin, mais elle ne sourcilla pas un seul instant.
Comment allait-elle ? La question la laissa pantoise un instant. Pendant une fraction de seconde, Orfraie se demanda si elle avait bien entendue. Était-ce réellement tout ce qu’il avait à dire, à demander ? Il s’agissait d’une question de circonstance, certes, mais posée sur un ton si neutre que la dragonnière se disait inévitablement qu’Aeglos se moquait de la réponse.

— Bien, s’entendit-elle répondre. Devait-elle - et voulait-elle ? - donner plus de détails ? N’allait t-elle pas se marier bientôt ? Une partie d’elle souhaitait le partager avec son fils, l’autre avait trop peur de faire face à une froide indifférence. Du moins, jusqu’à ce qu’Orfraie avise ce sourire - fade certes ! - sur le visage du Masqué.

Elle ne parvenait pas à en saisir le sens, car une moitié du visage manquait. Elle pouvait tout juste apercevoir ses lèvres, son menton et ses yeux. Toutefois, elle décida de le prendre comme une bonne chose, une amélioration.

— Et toi, comment vas-tu ? lui demanda t-elle, réellement curieuse de le savoir. Sa voix manquait d’entrain, certes, mais son regard brûlait d’une véritablement curiosité, d’une inquiétude propre aux parents. Il ne cessera jamais d’être son petit garçon, celui qui se blottissait contre elle avant de dormir, à qui elle avait chanté une berceuse, soigné les blessures causées par les jeux…

— L’on t’a aperçu avec Kaalys, reprit t-elle, sans réellement poser la question qui lui brûlait les lèvres. Le dragon Nacré avait-il quelque chose à voir avec sa soudaine apparition devant elle, lui qui avait - semble t-il - mis tant d’énergie à l’éviter ? La colère dans son regard s’était dissipée totalement, ne restait plus qu’un amour sincère et l'appréhension de le voir encore disparaître.

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A une question posée aussi froidement, il ne s'était pas vraiment attendu à une réponse des plus chaude, surtout compte tenus des circonstances présentes, de ces retrouvailles mélancoliques, graves. Le masqué savait que son approche n'était pas correcte, mais il n'avait qu'une seule carte, il avait trop perdu pieds dans son mal-être pour agir autrement, mais il restait le fils d'Orfraie, elle le connaissait. Il avait toujours eu du mal à communiquer. Elle s'y était forcément, au moins, un petit peu, attendue. Pour autant, sa réponse était froide et infertile à la construction d'une véritable conversation. Le masqué qui n'avait rien d'autre à dire, se contenta de la fixer comme elle le fixait : Leurs regards communiquaient bien plus que leur pauvre échange. Pourtant, ce langage comportait trop de mystères, alors la vampire repris. Cette fois, il y eu quelque chose en plus dans son discours, une intonation moins morne, bien moins fade que la sienne, bien plus vivante. Elle ne lui laissa d'ailleurs pas le temps de répondre, ou plutôt, il ne le saisit pas, trop occupé à trouver une réponse plus significative que celle qu'elle lui avait donné plutôt, un exercice, pour lui, difficile. Elle fit une autre remarque, pas une question cette fois. Mais c'était une référence à un fait, c'était facile d'y répondre.

“Oui, le dragon blanc est un ami.”

Mais rien de plus, rien de plus à dire. Il demeura droit, stoïque, encore et toujours. Son expression parfaitement neutre. Il baissa ensuite les yeux, regardant l'une de ses mains, puis ses pieds qui trempaient dans l'eau, ses vêtements qui s'en imprégnaient. Il soupira, questionnant un instant la réalité de sa condition, de cette scène, puis il replongea le regard dans celui de sa mère.

“J'ai sacrifié mon esprit et il y a peu mon corps a été assassiné.”

Il marqua une seconde de pause, le temps que le sens de ses paroles porte ses fruits.

“Je ne devrais pas me trouver ici, devant toi.”

Ses traits se durcirent, son regard perdit de son éclat, en parfait contrario avec le regard d'Orfraie qui lui s'était adoucis. Il repris juste après :

“Ma dette est si lourde que je n'ai pas pu la payer en mourrant pour mon peuple et mon empereur, passé au fil des lames des chimères”

Il avait été tué, il était mort pour ceux qu'il avait blessé, et il avait combattu à leur coté, et seul, à plusieurs reprises, pour se racheter. Mais il n'avait pas le droit à la liberté, il n'avait pas le droit à l'identité. Jusqu'à ce qu'il s'écroule désséché, après avoir tout donné, parce qu'il l'avait mérité. Il eu du mal à parler, mais il ajouta, tout de fois.

“Je me suis trompé. Je suis désolé.”

Pouvait-on vraiment dire qu'il s'était trompé ? Cela serait dire qu'il eu un contrôle, un avis sur cette situation. Or son destin était hors de sa portée, mais c'était bel et bien maintenant qu'il en prenait toute l'étendue en conscience.

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Cette conversation était ridicule tant elle était impersonnel. Le ton employé entre les deux protagonistes frôlait le zéro absolu. Seule la voix d’Orfraie s’accompagnait d’un très léger tremblement. Le ton, lui, demeurait incisif.
Ainsi, Kaalys était un ami. Son fils s’était fait l’ami d’un dragon. Cette nouvelle laissa Orfraie songeuse, l’esprit emplit de questions. Pourquoi le Nacré avait-il choisi son garçon comme ami ? Les dragons ne faisaient jamais quelque chose sans raison, la plupart du temps. Cela, la Liée de Feu le savait car elle partageait son âme avec l’un d’entre eux. Était-ce le cas d’Aeglos ? Non, se dit-elle après un instant. Elle ne ressentait pas le lien dans le coeur de son fils, mais il y avait bien quelque chose de draconique en lui. Comme une étincelle, un fragment brillant et fort qui pulsait au même rythme que son coeur.

Contre toute attente, Aeglos reprit. Ses paroles pour le moins énigmatiques firent hausser un sourcil à Orfraie, qui ne comprenait pas. Elle ne savait pas si elle devait prendre ces mots au premier degré ou non. Chaque rencontre avec son fils devenait vite cérébrale, lui donnant le mal de tête.

— Qu’a tu fait… ? Demanda t-elle pour elle-même, dans un souffle à peine audible.

Son fils… avait voulu se sacrifier ? Pour éponger sa dette ? Cela fit renaître la colère dans le coeur de l’Ataliel, qui se redressa. Debout sur son rocher, elle dominait son fils de deux têtes et le toisait d’un regard froid, impassible, impénétrable.

— Ce n’est pas en te sacrifiant que tu réparera tes erreurs. C’est lâche.

Telle une épée, le coup siffla aux oreilles du fils adoptif. La mère ne mâchait pas ses mots, furieuse qu’il ait tenté une telle sottise. Bien sûr, ses propos étaient dut à la peur de le perdre, la tristesse et la blessure qu’il venait d’ouvrir. Pensait t-elle réellement ce qu’elle venait de dire ? Elle ne sembla nullement le regretter lorsqu’elle descendit de son promontoire pour se tenir face à lui, les pieds dans l’eau jusqu’aux chevilles.
Toutefois, la demande de pardon coupa Orfraie dans son élan. La bouche entrouverte, elle observait ses yeux bleus, ne sachant que dire. Puis, soudainement, elle soupira, baissa les yeux. Les bras le long du corps, elle fit finalement un geste pour caresser son torse drapé de tissu.

— Je te…

Ses mots se perdirent dans un étrange gargouillis. La panique s’encra dans les prunelles améthystes tandis qu’elle portait la main à sa gorge, griffant sa peau délicate, se sentait étouffer. Cela ne se pouvait ! Elle n’avait pas besoin d’air pour vivre ! Et pourtant, son regard se voilait, tout devenait flou, puis noir… Elle tenta d'appeler le nom de son fils, sans succès, jusqu’à ce qu’elle sente ses jambes lâcher et qu’elle s’effondre.

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Les pieds dans l'eau fraîche, les cheveux et sa robe de vagabond dans le vent. Le guerrier vagabond, masqué, le fils du vent, ami du dragon blanc, n'était plus qu'un épouvantail lorsqu'il encaissa l'insulte sifflante comme un coup d'estoc. Pourtant, elle ne fit pas plus mouche qu'un coup d'épée dans l'eau, elle agitait la surface de la marre, troublant les reflets de son miroir, mais sans plus. Ô combien de fois avait-on pu prononcer de tels mots sur lui, combien de ses alliés, de ses parents avaient rejetés le masque qui lui collait à la peau comme un véritable visage ? Le monde entier ne pouvait pas l'accepter, le monde entier le rejetait, d'aucun ne pouvaient le supporter pas même sa propre mère, il était comme le vieillard sénile que l'on regarde de loin, en le craignant tant il dégoutte, tant on ne veut pas ne serait-ce qu'être comparé à lui. Mais qu'en avait-il réellement à faire ? Il ne cherchait pas à être accepté dans cet univers, il ne cherchait qu'à en contempler la beauté. Que celle-ci s'inscrive dans la pureté de la terre ou de l'air, ou dans le doux visage de sa mère.

Peut être que sa définition de la lâcheté n'était pas la bonne, peut être qu'il devrait se laisser exécuter, ou encore devrait-il se cacher, vivre dans la honte sans même le mériter, ou peut être se laisser passer au fil de sa propre lame comme de le faire il avait maintes fois tenté. Peut être que la princesse des ombres trouverais cela moins lâche ? Mais là encore, il ne cherchait pas à être accepté, il ne cherchait pas la conformité, il ne cherchait pas la rédemption selon les critères d’autrui, il la cherchait selon les siens, ses propres définitions, ses propres notions de bien et de mal, de courage, de devoir, et de lâcheté, selon sa propre morale et son propre chemin. Communs mortels avaient gravis cette montagne là,  mais peut être jamais n'avaient-ils défié un pic aussi élevé que le sien. Chacun sa montagne, chacun son chemin, chacun son destin.

« Orfraie... »

Commença-t-il, dans un long soupir. Il la regarda descendre de son estrade. Le rejoindre dans cette même eau douce et agréable, et il commença à avancer vers elle à mesure qu'elle avance vers lui. Puis soudain, elle perdit l'équilibre. Il ne fallu qu'un instant à l'enfant des tempêtes pour la rattraper dans un éclat d'eau douce. Il passa instinctivement ses bras dans le bas de son dos et dans sa nuque pour l'allonger en toute douceur, en la retenant contre lui. La peur se lisait dans son regard, la terreur même, qui naissait de celle qu'il secourait. Il ignorait que faire, ni l'origine du mal qui la prenait, jusqu'à ce que son œil attentif n'aperçoive les veinules de cuivres qui serpentaient sur ses poignets, et dans sa nuque. Elles grimpaient sur sa peau froide, très lentement, mais il pouvait les voir devenir un peu plus lumineuses à chaque secondes. Ainsi, le phénomène s'attaquait aussi aux vampires. Mais que cela impliquait-il ?

« … Regarde moi. »

Il appuya à l'arrière de sa tête et la redressa vers la sienne, encrant ses yeux dans les siens, il serait son seul repère, son seul remède. Il avait confiance, c'était lui qui avait provoqué cela, lui qui avait ouvert la vanne. Mais ce n'était pas une maladie, pas une malédiction, mais un don.

"Orfraie, tu es le portrait que je n'ai jamais pu esquisser, tu es le coup de pinceau qui égare mes peintures, tu es ce pourquoi je ne peux trouver la paix, ce pourquoi je ne peux pas mourir, ce pourquoi je ne peux pas vivre.

Peut être avait-elle besoin de meilleurs repères, s'accrocher à une voix et un visage qu'elle connaissait. Peut être était-il aussi temps pour lui d'accepter l'entièreté de son identité, alors il passa une main sur son visage et en ôta le masque de métal.

Il avait des traits anguleux, mais étrangement harmonieux, parfaitement proportionnés, subtils. Il avait un nez fin, et dégagé de tout artifices, un grand front blanc. Les hautes herbes entamèrent leur chant, le vent vint agiter la crinière du jeune elfe, et une longue mèche de cheveux jaïs tomba devant ce visage découvert, qu'il repassa derrière une oreille pointant en arrière alors qu'il ancrait à nouveau ses yeux dans ceux de sa mère. Furent des yeux libérés de l'ombre du masque, d'un bleu éclatant, presque surnaturel. Sa peau était pâle, même pour un elfe, presque blanche, et son parfait faciès n'était défiguré que par une unique cicatrice qui barrait l'arrête de son nez, le dernier coup de lance de son frère, Aegnor, lors de leur ultime affrontement dans l’œil du cyclone. Il incarnait une grande élégance, une grande prestance qu'il respirait de tout son être. Il avait des lèvres fermes, mais douces, et il vint les apposer contre celles de sa princesse, le sujet de son ultime portrait, dans un baiser chaste mais emplit d'émotions.

"Tu es ma mère, et je t'aime."

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Elle sembla tomber au ralenti. La peur et l'angoisse laissèrent la place à un regard vide, voilé. L'inconscience emporta la belle princesse, que son prince retint fermement contre lui. Elle ne sentait pas la douceur de sa peau, la fermeté de son torse ou les battements de son cœur. La Liée s'était enfoncée dans le noir, ses sens coupés du reste du monde tandis qu'il s’opérait en elle un grand changement. Elle n'entendit pas le ton rassurant de son fils et son corps inconscient renvoya à ce dernier un regard vide, mort.

Pourtant, sur son derme couraient des veinules cuivrées. Elles brillaient tandis qu'elles serpentaient sur la peau diaphane de l'ancienne elfette. Mais à bien y regarder, son teint cadavérique s'atténuait peu à peu et les cernes sous ses magnifiques yeux s'effacèrent d'eux-mêmes. Puis soudain, au creux de sa poitrine, un organe inanimé reprit soudainement vie. Le premier battement de ce cœur endormit fut douloureux, de même que la première goulée d'oxygène que la nouvelle immaculée prit en s’éveillant dans les bras de son fils. L'air se fraya un chemin jusqu'à ses poumons, qui s'emplirent avidement de cet air redevenu vital.

Peu à peu, la vision d'Orfraie redevint claire. Ne comprenant aucunement ce qui était en train de lui arriver, la dragonnière s'accrocha fermement au bras de son enfant, gardant ainsi un pied dans la réalité. Au loin, dans son esprit, elle entendait les crics de paniques de son Lié, qu'elle rassura d'une pensée, d'une caresse. Ce dernier était toutefois en route pour la retrouver.

Puis une voix lui parvint, d'une douceur incommensurable. Son inconscience n'avait duré que quelques instants. Orfraie ancra son regard dans celui d'Aeglos, qui la soutenait toujours, mais les paroles de son fils lui semblaient encore très lointaines, aussi n'en saisit t-elle pas tout le sens. En revanche, elle ne manqua rien de son geste. Ses propres yeux s'agrandirent de surprise lorsqu'il ôta doucement le masque qui couvrait son beau visage depuis si longtemps. La mère qu'elle était redécouvrit les traits de son enfant, qu'elle avait vu grandir et se métamorphoser en un beau jeune homme.

Ses traits anguleux étaient les mêmes et possédaient cette perfection propre à la race des Elfes. Sa peau contrastait désormais avec celle de sa mère, qui avait retrouvé un teint plus halée. Ses yeux, d'un bleu profond et magnifique, brillaient toujours de cette lueur si particulière. Ils étaient si beaux, et les améthystes d'Orfraie y plongèrent tandis qu'elle décrispait les doigts de sa main droite. Cette même main se leva pour venir caresser, du bout des doigts, la joue, puis le nez de son fils. Cette cicatrice, la dragonnière savait d'où elle venait car c'était elle qui avait empêché son neveu de commettre l'irréparable.

Lorsqu'il se pencha vers elle, instinctivement, ses paupières se refermèrent sur ses prunelles violettes. Ce geste aurait pu être étrange, mais il témoignait simplement du profond amour qui liait les deux êtres. Ce n'était pas un baiser comme ceux qu'Orfraie échangeait avec Luna. C'était un baiser qu'une mère faisait à son fils nouveau-né. Ils étaient tout deux nouveaux-nés ici, aussi partagea t-elle ce geste sans retenu.

Puis ses mots la percutèrent avec force et douceur. C'était un mélange étrange. Elle les avait tant attendus que, émue, elle ne répondît pas immédiatement. Son esprit se remettait doucement de sa transformation tandis que tout son corps, le moindre de ses muscles, lui faisaient mal. Elle n'était pas certaine de pouvoir tenir debout seule, aussi gardait t-elle une main cramponnait au bras de son fils. Son regard dériva, par ailleurs, sur ce bras. C'est là qu'elle vit les veinules cuivrée. Orfraie sue exactement ce qui venait de lui arriver et elle en était heureuse. Son corps battait de nouveau dans sa poitrine, elle était revenue à la vie après des années dans l'obscurité.


Je crois que... Nous venons tout deux de renaître, fit-elle d'une voix éraillée. Elle reprit une profonde inspiration, maintenant qu'elle en avait besoin. Je t'aime, tu es mon fils, et je ne cesserais jamais de te le dire.

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- Aeglos Ataliel -

Une larme coula, et, après quelques instants , une autre, qui retraçait à quelques imperfections prêt le chemin sinueux que son aînée avait emprunté sur les courbes anguleuses des joues d'Aeglos Evanealle. Qu'importe le masque porté, qu'importe les émotions inhibées et falsifiées, toutes les barrières qu'il avait pu construire autour de lui, toutes les cages dans lesquelles il pu s'enfermer, rien n'aurait pu empêcher Aeglos d'être purement vivant en cet instant. Son existence n'avait pas de sens, son cœur n'avait pas à battre et pourtant, il le faisait d'une force si intense.

Car il se voyait là, les pieds et les genoux dans l'eau, tenant contre lui une chose fragile qui s'essayait à la vie. Il l'avait vu sombrer, disparaître, puis revenir à nouveau. Un picotement avait apparu sur la paume de ses mains, le dessous de ses pieds. L'émotion surgissait et le prenait tout entier. Il tenait quelque chose de chaud dans les bras, quelque chose qui s'efforçait à vivre, respirer. Bientôt il sentit le premier battement de son cœur retentir, il sentit les veines luisantes affluer, le sang circuler, périodiquement, sûrement, tandis que la peau pâle retrouvait de son éclat. Il la tenait contre lui et l'embrassait comme le plus grand trésor qui ne lui avait jamais été donné d'avoir, et qu'il lui soit donné le droit de le posséder ou non, il en savourait chaque fibres.

Il se revoyait en ce jour, il avait quelques années à peine mais il était déjà si agile, parfaitement lié avec la nature et le monde qui l'entoure, parfaitement sensible. Cherchant à profiter de cette caractéristique, il grimpait au sommet des plus grands arbres du royaume elfe, s'enivrer d'émotions, s'enivrer de la beauté du monde, l'idée d'être si petit dans cette masse si grande. il était déjà humble, il se réduisait déjà à n'être rien de plus que ce grain de vie dans ce parfait organisme, et ce faisant, il imaginait être tout. Alors il y passait ses journées, au sommet des arbres, séchant ses entraînements avec Aramis, ses cours avec Orfraie, à écouter les contes et les histoires que lui offrait le vent, son ami, son frère qui lui n'était pas rattaché à une enveloppe physique, et parcourait le monde pour lui en rapporter toutes les merveilles.

Malheureusement cela ne lui suffisait pas toujours, il aurait eu besoin d'en savoir peut être plus par lui même, et sur lui même, quant à son rôle, son identité, et son origine. Alors ce qui devait arriver arriva, et il chuta. Perdit son équilibre et blessés, perdus le soir, terrifié, se recroquevilla ur lui même pour dormir sur la litière de la forêt. À Ce moment là, il s'en souvenait, il ne voulait pas être retrouvé, il voulait rester dans l'ombre pour toujours, il ne voulait de personne, pas même son père, ni sa mère non, personne, il voulait tout abandonner. Mais elle ne le laissa pas faire cette erreur, la douceur de sa mère qui s'enroula tout autour de lui, ses mains caressantes et sa voix doucereuse, qui ne laissait même pas paraître l'inquiétude. Même dans ces moments là, Aeglos n'était pas seul. Il se blottit contre sa mère qui caressait sa peau pâle, ses doigts fins, son petit nez et ses cheveux courts mais hérissés, formant comme les pointes d'un hérisson. Il n'avait jamais été seul, aussi loin qu'il se souvienne, il avait toujours recherché son vrai père et sa vraie mère, il voulait passer au travers de cette vérité qu'on lui cachait, alors que le vrai trésor, sa vraie mère, il l'avait sous ses yeux, et maintenant, il l'avait dans ses bras.

« Je me souviens de notre innocence »

Murmura-t-il à sa mère. Ses bras et ses doigts s'étaient enroulés autour d'elle pour en épouser chaque subtiles formes, de sorte à ce qu'il accompagne et ressente la moindre respiration de sa mère. Il contemplait encore son beau visage, son poul qui battait sous ses doigts, tout ce qu'il y avait de plus vivant aussi bien dans son corps que son esprit. La souffrance s'était déjà évaporée dans son regard, il n'y avait que l'émotion d'une mère retrouvant son fils.

Aeglos pris son temps pour réfléchir, il pensa à sa vie et à sa mort, il pensa au monde qui l'entourait, au corps de l'Ataliel dans ses bras, à l'eau qui s'écoulait autour de lui, imbibait ses vêtements, puis enfin, il répondit.

« Aeglos n'est jamais mort... J'ai simplement cherché à me le faire croire »

Sa voix était émue, cela faisait tellement longtemps qu'il ne s'était pas autorisé toutes ces émotions, en aurait-il pu en devenir fou, ces restrictions lui devenaient innutiles s'il n'en était plus à même d'aider les personnes qui lui étaient cher. Alors il devait admettre que cet elfe, le traitre, le banni, l'aîné, l'assassin, avait du bon en lui, que son histoire et sa personnalité n'étaient pas qu'un échec, mais aussi une expérience, enrichissante, sur laquelle il avait pu bâtir de nouvelles choses, un nouveau lui... Mais il était toujours lui.

Cela avait été l'épreuve la plus difficile, admettre qu'Aeglos était un homme bon, au lourd passé, mais pas un tueur assoifé de vengeance, admettre qu'il était aussi un artiste, qu'il voyageait au travers du monde pour y chanter la paix. Il était un fils qui aimait sa mère, et qui saurait être digne d'elle à sa manière.

« Et tu n'es jamais morte, et ne mourras jamais, car mon amour pour toi est éternel, Amilyë. »

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Elle n'avait jamais voulu lui faire peur et, sans doute, avait t-elle eut plus peur que lui. Se sentir ainsi partir, mourir, sans raison... Un long frisson hérissa les poils de tout son corps à la simple pensée de sentir l'obscurité l'étreindre définitivement. Orfraie n'avait jamais était aussi peu prête à mourir qu'aujourd'hui, alors que son cœur battait de nouveau et que son fils la tenait dans ses bras musclés et sécurisants. Les rôles s'étaient inversés entre eux, sans doute depuis plus longtemps qu'elle l'imaginait, lui veillant sur elle au cœur des instants critiques comme aujourd'hui.

La moindre fibre de son corps lui faisait mal. Son cœur, rouillé, pompait le sang avec difficulté. Les alvéoles de ses poumons se décollaient, s'habituaient à recevoir de nouveau de l'oxygène. Orfraie ne ressentait pas le besoin de bouger, toutefois, car Aeglos la tenait contre lui, contre son torse musclé, dans le creux de ses bras puissants. Elle n'était qu'une plume pour lui.

— Idiot, répondit t-elle de cette voix éraillée. Il n'y avait pas de colère dans le ton de sa voix, seulement la joie de le retrouver, de le voir ouvrir les yeux, ainsi que la tendresse d'une mère n'ayant jamais perdu la foi en sa progéniture.

Orfraie avait dit beaucoup de choses à son fils. Elle l'avait brutalisée, brusquée, pour tenter d'obtenir une réaction, pour lui faire comprendre que ses erreurs faisait partie de lui, partie d'Aeglos. Il semblait enfin le comprendre et son émotion était communicative. De vraies larmes se formèrent au coin des yeux de l'Ataliel, menaçant de s'écouler sur ses joues rosées au moindre battement de cil.

Ces larmes tracèrent deux sillons brillants aux dernières paroles d'Aeglos. Un sourire naquit sur les lèvres de la dragonnière. Elle n'avait pas la force de lever la main pour la poser sur la joue de son fils, malheureusement, aussi son regard suffirait t-il à transmettre ses pensées.

— Nous sommes une famille, mon fils. Te savoir perdu et être incapable de t'aider fut une torture, mais mon cœur se réjouit de te voir reprendre pied. Personne n'est exempt d'erreur, elles forgent notre être bien plus que nos victoires.

Aeglos n'était plus ce petit garçon ami avec le vent. C'était évident. Mais de là à dire qu'il était mort, non. Orfraie avait longuement réfléchit sur ce problème, sur ce que son fils pensait de lui-même. Sa transformation en vampire lui avait permis de mieux l’appréhender, mais jamais de la valider. Comme elle venait de le dire à l'instant, quoi que d'une autre façon, c'est qu'on ne cesse jamais d'évoluer, tout simplement.

— Aeglos Ataliel est plus fort qu'il le pense lui-même, reprit Orfraie en employant son propre patronyme plutôt que le nom d'Evanealle que le fils du vent aimait se donner. Possessive, un peu, la princesse se désolait de voir celui qu'elle avait élevé se détacher ainsi d'elle pour embrasser le nom d'une famille qui n'avait jamais voulue de lui. Accepterais tu de nous ramener au sec et de rester un peu avec moi ? Je crains d'être incapable de marcher seule pour le moment. Nous avons tellement de choses à nous dire...

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L'immaculation avait sa beauté, Orfraie avait la sienne. Les deux s'entremêlant au bord de cette rivière serrait son cœur d'émotions. C'était un élan de pureté qui avait envahit le corps de sa mère et qui se retranscrivait dans son esprit, il n'avait pas besoin qu'elle soit elfe ou immaculée pour l'aimer, mais l'idée qu'elle puisse à nouveau respirer, sentir le vent la traverser et l'emplir, l'idée d'une renaissance le bouleversait. Elle ouvrait un avenir, marquait un tournant, rendait tant de choses possibles. Orfraie serait désormais pleinement acceptée de ses pairs, et elle leur serait un guide dont ils avaient tant besoin et lui... Lui désirait se tenir à ses cotés, l'aider, d'une manière ou d'une autre, il porterait avec elle le poids de cette nouvelle situation, il serait son bouclier et son épée, et il le serait pour l'avenir des elfes, des hommes et des vampires.

Il caressait son visage de ses doigts fins, dans une douceur et une tendresse que seules les chaudes émotions de son esprit brisé pouvaient lui donner. Un ami lui avait dit un jour, une âme brisée peut être reforgée, et il était désormais capable d'en saisir toute la portée. L'espoir demeurait toujours quelque part au fond de lui. Comme elle le disait, l'erreur aussi impardonnable soit elle, faisait partie de lui, il l'acceptait, et à ce titre, le masqué et le traître avaient le même visage. Il écoutait sa mère sans lui répondre, désolé de l'avoir faite souffrir, il apporterait la paix ou qu'il aille, même au sein de sa propre famille, telle était la tâche qu'on lui avait confié et s'il fallait vivre pour la sauver, il vivrait, c'était le sacrifice ultime qu'il ferait.

“Bien sûr, mère”

L'immaculation était un phénomène rare et inexpliqué, douloureux et fastidieux, mais, puisqu'il l'avait déclenchée lui même il en était convaincu, était une chose bénigne pour l'avenir de ce monde. Il se leva, portant sa mère dans ses bras, et poussé par le vent l'amena jusqu'à la terre ferme, le soleil réchaufferait pour la première fois depuis longtemps la peau froide de la princesse et le cœur palpitant du jeune elfe.

“De grandes choses sont à venir, pour toi comme pour moi, comme pour le monde que nous foulons, et je serais avec toi pour les aimer et les affronter.”

C'était son rôle de fils, c'était son rôle à venir.

“A tes cotés, je serais là pour trouver l'équilibre, je serais là pour le faire parvenir à tous. C'est le chemin que je me suis tracé, c'est celui que je suivrais.”

C'était son rôle de gardien de la paix, c'était son rôle hérité du passé.

Et il l'enlaça sous ce soleil radieux, désormais unis avec lui même, dans la hâte de découvrir le monde sous un nouveau regard et un nouveau jour.

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