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descriptionOn dit "S'il vous plait" (Aldaron) EmptyOn dit "S'il vous plait" (Aldaron)

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20 Avril 1762

Satie déposa rapidement la lame chaude dans l’eau, puis elle déplia les manches de la chemise qu’elle portait sous sa robe. Elle se dirigea vers la partie avant de l’établissement, où elle retrouvait son bureau. La dame se pencha pour sortir le livre qu’elle gardait dans un compartiment verrouillé. Elle attrapa le bâton de fusain qui reposait au coin du bureau et nota ce qui était à présent dans l’inventaire du commerce. Elle ne savait pas encore comment se sentir, alors qu’elle fabriquait des armes pour ceux qui avaient affrontés son frère sur le champ de bataille. Si Autone voyait les Kohan comme les coupables de la mort de Matis, Satie avait envie de croire que personne n’en était responsable. Que ce commerce fût-ce qu’elle voulait faire fleurir, pour sa famille, son mari et ses enfants. Et si elle pouvait aider celle qui était à présent sa sœur, elle en serait heureuse.

La dame se retourna pour voir son mari marteler d’autres fers. Il ne s’agissait pas des épées les plus enjolivées, ni les plus nobles, mais elles étaient fonctionnelles et rapidement forgées. Elle alla plonger ses mains dans le seau d’eau qui devenait sombre au contact de sa peau. Elle rinça son visage puis retira le ruban qui tenait sa tresse avant de la refaire, plus serrée et moins emmêlée. Satie fixa la boucle du ruban alors que la porte s’ouvrit. Elle sourit radieusement en se tournant vers la porte. « Bienvenue! » Prononça-t-elle, par habitude de dire ces mots lorsque la porte s’ouvrait. Puis, lorsqu’elle vit des hommes armés et armurées, qui avaient tout de l’allure de gardes, son sourire s’éteint d’un coup et son visage déjà clair pâlit. « Que…puis-je faire pour…Autone! » Satie posa son regard sur la femme de son frère, derrière le comptoir, son mari jetait un coup d’œil suspicieux.  

Autone sourit brièvement à Satie et s’avança doucement. Elle avait vu les gardes se diriger vers la forge et préoccupée, décida d’aller faire un détour au commerce qui était sous sa tutelle. Elle devait se rendre plus tard dans la journée pour vérifier leur avancement, mais l’avant midi ne serait pas un mauvais moment pour leur rendre visite.

Elle se posa près de sa sœur, ses pas étaient légers, sa robe noire et le nexus de la même couleur à son cou l’étiquetaient comme veuve, mais sa stature était droite. « Pouvons nous connaître la raison de cette… » Elle fronça les sourcils en posant les yeux sur l’elfe, visiblement escorté par les autres hommes, comme si elle cherchait un souvenir. Ses yeux s’écarquillèrent lorsqu’elle le reconnut, sa bouche s’entrouvrit un moment.  « Al…Aldaron… » Souffla-t-elle. Elle ne l’avait pas prévenue de ses intentions, encore. Que venait-il faire ici?  « J’avais justement l’intention de vous contacter…concernant cette forge…avant demain. » Elle sonnait confuse, autant de sa présence que de ne l’avoir reconnu immédiatement. Maintenant qu’elle tentait de se souvenir de Morneflame, il lui semblait que beaucoup d’images se trouaient, cette perte de mémoire la frustrait. Savait-il, que cette forge appartenait aux Falkire? Si oui, pourquoi ne lui avait-il pas écrit avant de se déplacer?

descriptionOn dit "S'il vous plait" (Aldaron) EmptyRe: On dit "S'il vous plait" (Aldaron)

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    Le visage était familier. Dire qu’il était surpris aurait été un mensonge, mais réaliser sa présence, se retrouver véritablement quelques années après Morneflamme, ça, c’était grisant. Comme lui, elle avait repris, physiquement au moins, du poil de la bête. La maigreur n’était plus aussi marquée que jadis : il lui semblait qu’elle s’était reconstruite. Le soldat Falkire avait du y être pour quelque chose : tant mieux. Cela faisait une âme de sauvée. Du moins lui semblait-il. Dans la cacophonie de ses sentiments éparses, ses pensées peinaient à se rejoindre et s’accepter. Elles étaient troublées, presque incapables d’avoir du sens, si bien qu’il resta quelques secondes silencieux, ses prunelles à la teinte d’émeraude portaient sur elle une attention patiente et mesurée… Presque froide en vérité, la détaillant pudiquement avant d’incliner légèrement la tête. Ses longs cheveux, devenus blancs en quelques mois seulement, tombaient, par dessus ses épaules. Ses lèvres fines étiraient la peau de ses joues d’un rose cendré pour former un pâle sourire bienveillant. « Je suis heureux de vous revoir, Autone. » finit-il par annoncer, confirmant à la jeune femme l’identité qu’elle avait annoncé. Il était Aldaron. Du moins était-ce ce que son existence postulait. Lui-même savait très bien qu’il s’était oublié en chemin pour n’être qu’une coquille vide et amère. Ses agissements n’étaient que des automatismes, des simulacres de ce qu’il fut jadis. Il donnait toujours cette image, celle du marchand de Gloria, du dirigeant du Marché Noir, de l’homme oisif qui s’était assagi par les épreuves qu’il avait traversées et qui l’avaient dépouillé progressivement de son essence.

    Il joignit ses mains l’une contre l’autre, dans un geste lent et maîtrisé, comme s’il calculait chacun de ses mouvements avec un soin magistral. « Et je vous présente mes condoléances. » Son veuvage crevait les yeux de ses teintes noires. Ainsi Matis avait donc trouvé le repos éternel. Il n’avait guère été en bon terme avec cet homme, mais il ne pouvait que se montrer respectueux et tolérant. Il ne souffrait, lui, pas de la perte de Matis, mais il avait perdu lui-même frère et sœur de cœur. Son propre déchirement l’aidait aisément à comprendre le drame qui logeait au sein de cette famille : « Soyez certains... » Il porta son regard sur Satie, l’englobant dans la conversation puisqu’il s’adressait aux Falkire dans leur entièreté. « Que mes pensées vous accompagnent autant qu’elles espèrent que cela prendra fin. J’ai écrit à Nolan Kohan pour l’appeler à déposer les armes, et lui ai rappelé que s’il gagnait cette guerre, je ne serai pas le seul à le titrer de dictateur. » Les Cités du sud réclamaient leur indépendance. Il n’était pas difficile de comprendre que si Nolan persistait dans cet affrontement et remportait une victoire, il ne serait que le despote qui avait obligé une soumission indésirée. N’était-ce donc pas là la définition même de la tyrannie ?

    L’elfe poussa un soupir, las, avant de reprendre, n’évoquant pas encore la raison de sa venue : « Vous a-t-on restitué son corps pour les rituels funéraires ? » Il n’était pas improbable que la dépouille ait été reprise par la légion à laquelle Matis appartenait, à savoir Selenia. « Y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour vous ? » demanda-t-il avec un calme aussi régalien que dévoué.

descriptionOn dit "S'il vous plait" (Aldaron) EmptyRe: On dit "S'il vous plait" (Aldaron)

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Elle pâlit, ce n’était pourtant pas comme si elle tentait moindrement de cacher son deuil. Autone le portait, sur ses robes noires, dans son attitude austère et dans ses yeux fatigués. Dans son pendentif sombre. Elle aurait ressenti de la culpabilité, si elle avait revêtue une robe claire et colorée quelques semaines après le trépas de Matis. Non, elle n’était pas une opportuniste qui avait épousé un noble pour s’élever et ensuite célébrer sa liberté. Après son départ pour Caladon, certains pourraient le croire, mais comment l’affirmer lorsqu’elle avait l’appui de la famille Falkire et deux héritiers.

Les lèvres d’Autone s’esquissaient d’un sourire, son regard était vide, comme si elle n’avait pas dormi depuis plusieurs jours. Et elle regardait le sol, sans courber l’échine, elle sentit la main de Satie qui s’appuyait sur elle. Sa belle soeur avait baissé la tête et ses yeux étaient lisiblement mélancolique. Elle se tournait vers Autone, comme par habitude de rechercher sa protection. Mais son visage était tendre, cela faisait sourire Autone, qui prit la main de la jeune mère. Elle hocha la tête en la regardant dans les yeux, de manière bienveillante.  « Satie, je t’en prie. J’aurais besoin que tu passes à la maison. Jette un coup d’œil sur les enfants. »

Le forgeron avait cessé de frapper sa pièce depuis un moment et était venu voir ce qui se passait.  « Prend une pause, accompagne ta femme. » Ordonna doucement Autone.

La porte se referma derrière un silence pesant. Le rossignol se retourna sur ses talons inaudibles et légers. Elle s’approcha doucement du livre, posé sur le comptoir, qu’elle referma.  « Oh Satie, il ne faut pas laisser traîner ça. » murmura-t-elle à elle-même.

« Il est trop tard, pour aider, Aldaron. » prononça-t-elle sans agressivité. Elle releva la tête et sourit en posant ses yeux sur les émeraudes.  « Le corps de Matis a été brûlé à Selenia. Puis … j’ai demandé à la famille Falkire de me suivre ici. »  Elle fit un effort considérable pour retenir sa colère, son envie de s’écrouler chaque fois qu’elle repensait à son visage. Elle resta silencieuse un moment, les yeux baissés, le livre entre ses bras croisés. Elle se souvenait de son visage, qui derrière son voile noir, se décomposait dans le brasier. Et il lui semblait que tout autre image de ces yeux tendres lui était inconnue, trop lointaine. Un rêve tendre auquel elle n’avait pas crue et qu’on lui dérobait maintenant qu’elle y croyait. Avait-il seulement existé?

« Je veux m’éloigner des Kohan. Et que jamais ma famille ne les serve. Je doute que Satie veuille en entendre parler. Elle craint les représailles, parce que Matis était commandant dans l’armée de Luna, ainsi que Nolan. J’ai quelque chose à vous montrer, si vous le voulez bien. »

Le rossignol se retourna et se dirigea vers la forge. Elle attendit que Aldaron passe la porte avant de la refermer. Elle lui fit dos un moment, devant la porte fermée. Elle sembla passer sa manche devant son visage, sa respiration n’avait pas changé de volume ni de rythme. La blessure était fraiche, mais elle savait depuis longtemps que retenir des larmes les rendaient visibles. Lorsqu’elle se retournait, il ne restait plus rien sur ses joues.
Autone ouvrit le livre sur une table et sembla chercher une page. « Nous avons fait l’inventaire de ce que nous avions déjà à Selenia. Évidemment, le mari de Satie n’aurait pas quitté la ville sans emporter avec lui le fruit de son travail. »   Autone pointa les chiffres écrit au fusain. Épées, arc, arbalètes et lances.  « J’ai dissimulé nos biens dans des malles. Nous avons quitté la ville par les sous terrains, le reste du voyage a été tranquille. Puis, c’est Ceïdric et Satie qui travaillent à en produire le plus possible depuis notre arrivée. »  

La veuve laissa là le livre de comptes, alla déplacer, d'un coup de pied, un tapis qui couvrait une trappe au sol. Elle se pencha pour l’ouvrir puis descendit les escaliers de bois. Là étaient les armes qui étaient recensées dans son livre de comptes. Elle aurait pris des mesures plus subtiles pour dissimuler la trappe si elle avait été en territoire ennemi. Mais ayant l’intention de fournir ces armes au caladoniens, c’était inutile. Autone secoua sa robe pour faire tomber la poussière et joignit ses mains en observant le résultat de sa contrebande. Elle attendit qu’Aldaron la rejoigne.
« Je ne voulais pas arriver les mains vides »
 Dit-elle en levant inconsciemment un sourcil. Elle n’avait pas non plus pris conscience de son sourire subtil. Il ne s'agissait pas de satisfaction, il y avait juste longtemps qu'elle n'avait pas blagué.[/color]

descriptionOn dit "S'il vous plait" (Aldaron) EmptyRe: On dit "S'il vous plait" (Aldaron)

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    Le deuil. Lui-même l'avait porté longuement, depuis Achroma. Avec les chimères et leur traversée de l'océan, il lui avait semblé ne plus rien ressentir, tant il avait été courant et trivial de brûler les dépouilles des trépassés. Il se souvenait encore du corps frêle de Corinne sur le bûcher à leur arrivée sur l'île gelée.Son cœur lui avait paru aussi glacial que le climat, les flammes n'avaient plus été aussi rudes. Il n'avait pas eu mal, du moins pas autant qu'il l'aurait du. Comment aurait-il pu souffrir encore un peu plus ? Il se souvenait, toutefois, de la morsure que causait la perte d'un être cher. Le frisson remontait dans son dos, l'irradiant d'inconfort et de solitude, grignotant et morcelant son essence asservie. Alors, ce qui logeait dans les yeux des Falkire, ça ne lui était pas étranger. Il reconnaissait ces lueurs brisées parmi des centaines, il avait même appris à les distinguer de ceux qui la simulaient, là où l'éclat de monstruosité se mêlait au masque de la douleur falsifiée. Ce qu'il voyait là, il en avait vu des milliers, tellement qu'il cessait de les compter avec l'espoir naïf que cela arrêterait, dans un même temps, la chute des hommes blessés, assassinés.

    Il acquiesça de la tête, lentement, lorsqu'elle lui confirma qu'il n'y avait plus rien à faire. Il comprenait : l'évidence était qu'une fois Matis mort, il n'y avait plus rien à faire. Il était bien incapable de ressusciter qui que ce soit, auquel cas il se serait égoïstement servi le premier. Il ne pouvait pas non plus remonter le temps et qu'importe l'or qu'il puisse posséder, cela ne paierait jamais le prix de la douleur. Il acquiesçait donc, et pour autant, il savait qu'Autone l'avait entendu. Il ne fermait guère sa porte, jamais. Pas plus qu'il n'avait clos celle qu'ils avaient ébauchée à leur sortie de Morneflamme, lorsqu'ils s'étaient retrouvés dans l'ancienne Caladon théocrate. Cette mais tendue, il l'avait seulement rendue aussi invisible que lui, et que son Marché Noir. Probablement avait-il espéré qu'elle finirait par être assez douée pour la trouver à la force de son talent et de son ingéniosité. Qu'il verrait sans les ténèbres, dissimulée, l'ombre aussi obscure de ceux qui œuvraient à drainer la théocratie de ses ressources au profit des Protégés. Qu'elle s'infiltrerait et remonterait à lui. Parfois, il se trouvait trop enfantin dans ses croyances héroïques. Et puis, il y avait eu les Chimères sur tout ce beau projet et le Marché Noir, comme tous, avait du fuir. Mais elle était ici, à présent, et il était permis de croire que c'était un pas de plus pour sceller l'implicite.

    Il la suivit, dans la forge, n'insistant pas d'avantage sur les larmes qu'il supposait. C'était son intimité à elle, il n'avait pas à s'y introduire avec de gros sabots. Il la respectait, il respectait son deuil et sa volonté de garder cela privé. Ses yeux à la teinte d'émeraude s'étaient posés, avec un calme régalien, sur les écritures sombres. Silencieusement, il épluchait les lignes bien connues d'un inventaire et de sa comptabilité. Il avait lui même tenu ce genre de registre pendant 450 années, et plus encore avec le Marché Noir. Il avait appris à dissimuler, à falsifier, à rendre le visible parfait. Et pourtant quand on creusait, on comprenait ce que la Triade trafiquait en sous-main. Alors, il n'avait pas tout perdu. Il sut très vite ce que cela signifiait et ses lèvres s'étaient discrètement étirées en coin, satisfait tant du travail actuel que ce que cela signifiait : elle était douée. La contrebande était devenu son art, à elle aussi. Il appréciait son apprentissage et la qualité de son évolution.

    Lorsqu'il se retourna vers elle pour observer le tapis qu'elle déplaçait, son sourire avait disparu pour le masque de la neutralité avisée. La plaisanterie lui donna toutefois l'occasion de lui adresser un regard amusé. « Ce ne sont pas les armes qui sont importantes, Autone. » fit-il, gravement. « Ce sont les vivants. Et leurs talents. J'aimerais tellement vous dire que je n'en ai pas besoin. » Il coula un regard en direction de la porte close, là où il avait laissé, derrière, la garde de la ville. Cela aurait été un mensonge de dire que l'armée n'était pas venue réquisitionner ce genre de choses... Ainsi que les talents forgerons de la famille Falkire. Mais Autone comprendrait : s'il ne se battaient pas pour leur liberté, ils seraient morts ou enchainés. « J'admire ce que vous avez fait, c'était dangereux, pour vous. Pour votre famille. Vos enfants. » Son regard revint sur elle, perçant. « Le Marché Noir aura toujours besoin de personnes de votre trempe.... Lorsque les combats cesseront. » Car ils cesseraient, il y mettait un point d'honneur. « Et pour qu'ils ne reprennent aucunement. » Si Selenia n'en avait pas les moyens, si l'ennemi était placés hors d'état de leur nuire... Qu'auraient-il à craindre ? Et puis, il annonçait à Autone quelque chose que très peu de monde savait. L'on pensait le Marché Noir trépassé, effacé, disparu mais il était toujours en activité. Il l'avait été avant les combats pour donner à Caladon les forces de réclamer son indépendance et il le serait ensuite, pour lui permettre de ne jamais plus subir le joug des Kohan. On pensait le sublime navire d'antan sombré au fond des eaux, mais il y nageait habilement et avançait. Il avait été rendu à l'ombre à laquelle il appartenait mais son éclat brillait plus que jamais sous le flambeau de la liberté.

descriptionOn dit "S'il vous plait" (Aldaron) EmptyRe: On dit "S'il vous plait" (Aldaron)

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Elle inclina la tête en souriant. Ce qui la troublait le plus était ses cheveux, qui avaient palis si rapidement. Elle laissait vagabonder ses yeux sur les mèches immaculées. Cela lui donnait envie de les tresser. Puis ses prunelles dorées se posèrent sur le sol, un peu brusquement. Elle avait peut-être, en effet, mit en danger ses enfants. son assurance de pouvoir les protéger ne lui avait pas soufflé ce risque plus qu’il ne le fallait. Elle fût certaine, lors de son départ, que sa famille était plus en danger si elle restait à Selenia. Et elle réalisait à présent son impulsivité, sans pour autant ressentir de regrets. Elle soupira silencieusement et releva la tête.

“Lorsque Matis et moi sommes tombés amoureux...Je lui ai dit que…
Je ne savais pas si je voulais faire partie de sa famille. Matis était un enfant soldat. Sa famille devait donner ses garçons pour servir les Kohan. Ils ont acquis leur noblesse par faits d’armes et l’ont gardés en...forcant leurs enfants à tenir des armes. Je ne sais quel âge il avait lorsqu’il commença à se battre mais je peux vous assurer qu’il était trop jeune.
Et je l’ai épousé sachant qu’il ne connaissait rien d’autre que cela. La guerre, sa force, ses armes, c’est la valeur qu’il a toujours eu. Il m’a promit que si nous avions un fils, il désobéirait à ses parents, il refuserait de le donner comme soldat.
Il avait cet automatisme...de se battre pour ceux à qui il a donné sa fidélité. Il choisissais ceux qu’il protégeait, mais jamais Matis n’aurait cessé les combats. C’était…
Vous savez, lorsqu’on fait quelque chose, qu’on le fait bien et depuis trop longtemps?”
Sa gorge se serra. “ Et que ensuite, on ne questionne plus ce qu’on fait parce que...on ne sait pas si on peut seulement faire autrement…”  Elle n’aimait pas penser que c’est un mécanisme qui l’avait habité, plusieurs années. Un engrenage qui l’avait élevée elle aussi. “Je ne crois pas une...minute qu’il aurait vendu notre fils. Mais c’est ce...passé de servitude qui m’horrifiait, m’effrayait. Si les empereurs peuvent demander aux garçons de sacrifier leur enfance au front… Je ne veux pas d’un monde qui ait un empereur. Pas pour mes enfants.”  

Elle esquissa un rire dans un souffle.  “Évidemment, je n’aspire pas à... Un monde sans monarchie. C’est beaucoup trop idéaliste. Mais Caladon, c’est cette idée de...possibilitées...”  

Elle espérait qu’il comprenne ce qu’elle tentait de lui dire. “Je l’ai fait par colère. J’ai voulu que ma famille, immédiatement, soit hors de l’emprise de cette famille. J’ai...imaginé Ceïdric au front. J’ai imaginé Kyran s'enrôler, dans dix ans. C’était inconcevable de rester.”  

Elle marqua une pause, puis lui sourit. Cet elfe qu’elle avait rencontré dans la plus grande misère. Lui qui avait, dans ses souvenirs, une allégeance forte envers Korentin Kohan. Autone était plus que curieuse concernant ce qui lui était arrivé.  “ Je suis aussi heureuse de vous revoir. Et vos compliments me touchent. La dernière fois que l’on s’est vu...J’avais perdu beaucoup de moi même.” C’était différent à présent, le deuil n’était pas le même, la douleur était là mais elle ne la tuait pas. Autone avait grandi.

“ Comment allez vous? Nous ne sortons pas tous de la même manière de cette prison. Êtes vous bien entouré?”  

descriptionOn dit "S'il vous plait" (Aldaron) EmptyRe: On dit "S'il vous plait" (Aldaron)

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    Sa réserve naturelle l’avait dissuadé de s’introduire dans la vie privée d’Autone sans y avoir été invité. Il n’avait guère été habitué à ce genre de comportement, excepté lorsque cela s’avérait nécessaire. Il n’était cependant ni froid, ni distant ; en témoigne la proposition qui avait été la sienne, un peu plus tôt, de lui offrir tout service qu’elle pourrait lui réclamer. Elle avait refusé, probablement par politesse, ou bien par fatalité. En revanche, la manière dont elle s’ouvrait lui, soudain, prouvait combien son refus n’en avait pas été pleinement un et s’il elle lui ouvrait la porte de sa maison, il ne lui ferait pas l’affront de rester sur le pas. Aussi l’écouta-t-il lorsqu’elle évoqua ce qui avait fait le cœur malaisant de leur couple, qui, en dépit de leur amour, avait gardé une ombre sordide planer au dessus d’eux. Elle était à la fois triste et belle, cette histoire mais Aldaron avait toujours été trop sensible aux histoires des Hommes. Celles des elfes l’ennuyaient par leur langueur interminable, celles des vampires s’en trouvaient trop brutales. Les histoires des Hommes, leurs vies, leurs essences, leur propres paradoxes avaient fait luire, très tôt, en lui, la flamme de l’affection et de la satisfaction. Probablement était-ce une vision biaisée de sa part, mais il l’acceptait comme il avait jadis accepté d’être un elfe parmi les Hommes. Aujourd’hui, son combat protégeait une cité qui voulait être libre et si Caladon se réclamait ouverte à toutes les ethnies, il n’en demeurait pas moins vrai qu’elle était initialement une peuplade humaine.

    Ses prunelles d’émeraude se fendirent d’une expression affectueuse et tendre. Il n’avait guère connu Matis mais le peu qu’il se remémorait de cet homme l’avait radicalement braqué. Son tempérament n’entrait pas en adéquation avec le sien, et Autone lui expliquait finalement pourquoi, même si elle ne s’en rendait pas compte. Chez les Leweïnra, on se succédait au rôle de conseiller de l’Empereur Elfique. Le destin avait été tout tracé pour Aldaron, tout comme celui de Matis avait été défini à sa naissance. La différence entre eux, c’était que Matis avait été esclave de la volonté paternelle et que le futur bourgmestre avait préféré dormir sous les ponts, dans son errance, que d’accepter cette ligne de conduite qu’il avait jugé absurde. Il avait été maître de ses choix et une part de lui ressentait un semblant de pitié pour le défunt époux d’Autone qui n’avait pas pu avoir cette chance. Il acquiesça de la tête lorsqu’elle eut fini d’expliciter son geste. Il comprenait.

    « Je l’ai été, au début. » répondit-il. Il avait été entouré, oui. Il avait eu son frère et sa sœur pour apaiser ses nuits aux reviviscences affreuses. Puis il y avait eu Achroma. Leurs retrouvailles avaient été brèves et fusionnelles, comme si l’un et l’autre avaient parfaitement compris la douleur qui logeait dans l’esprit tourmenté de l’autre, ce que cela faisait d’être l’esclave du Tyran Blanc, d’être dépossédé de toute son essence, jusqu’au plus intime choix. Il ne l’avait retrouvé qu’une poignée de jours… Mais cela lui avait suffi pour affronter les horreurs qui s’en suivraient. Car s’il employait une conjugaison au temps révolu, ça n’était pas sans raison. Il avait perdu son amant, puis son frère et enfin sa sœur. Dire qu’il était accompagné aujourd’hui était un bien grand mot. Il n’était pas seul, mais les gens qui l’entouraient, même au nombre d’une légion, ne suffiraient à combler le manque de ces trois personnes chères. « Mais c’était le moment le plus important, je pense. Ils m’ont redonné le souffle qui me manquait pour que je puisse avancer par moi-même ensuite. Leur présence a sûrement été le plus beau présent qu’ils aient pu me faire avant de mourir. » Il avait tellement prié pour que leurs esprits reposent en paix, loin du marasme odieux dans lequel s’enfonçait leur monde. Tiamaranta était l’archipel de l’espoir, et pourtant, même ici où tout était à reconstruire, le cœur des hommes avaient décidé que les querelles avaient encore leur place. N’avaient-ils dont rien appris ?

    « Il n’y aura jamais d’empereur à Caladon. Pas si nous obtenons notre indépendance. La Guilde Marchande verrait d’avantage un conseil choisi par le peuple pour que toutes les décisions ne puissent être prises par un seul et même homme capricieux. » Un caprice, voilà comment il désignait à présent la querelle qui était née entre Fabius et Korentin Kohan. Il reléguait leur comportement au rang d’enfantillages stériles, voici qui devrait éclairer la jeune femme sur son point de vue à l’égard de la lignée royale. « Croyez bien que j’encourage vivement cette idée autant que je nourris celle d’un cessez le feu. Il n’y aura aucun soutien du Marché Noir pour Caladon s’il en est autrement. » Autant dire les espoirs de la Guilde Marchande risquaient vite d’être sapés si le Marché Noir boycottait ses tentatives de relance économique. La menace d’Aldaron n’était pas à prendre à la légère et il était certain que quelques têtes de la Guilde Marchande l’avaient bien compris, même sans savoir que le Marché Noir soit toujours en place. Ils entrevoyaient l’ombre de sa résurrection, assurément. La Triade n’était pas le genre de personne à qui on pouvait dire non sans en subir les conséquences. L’elfe avait suffisamment fait sentir, par le passé, le poids que son organisation pouvait avoir sur la survie des peuples et de leurs idées. C’était effrayant en un sens, mais Aldaron était très attaché au peuple marchand de Caladon et beaucoup prenaient même cela pour une bénédiction, symbole d’espoir.

    « Ni Ceïdric ni votre fils n’iront au front sans que ce ne soit leur choix propre. Nous ne forçons personne à se révolter, tout à chacun sait qu’il est dans l’intérêt de sa survie et de son avenir de nous aider à l’effort général. Les talents de forge de votre famille seront d’une grande aide si elle nous est allouée. » Il poussa un soupir, fatigué par cette guerre qui ne faisait pourtant que commencer. Il n’avait qu’une hâte : que s’achève la destruction pour que commence le temps de la construction.

descriptionOn dit "S'il vous plait" (Aldaron) EmptyRe: On dit "S'il vous plait" (Aldaron)

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L’idée d’être heureux d’avoir connu l’être aimé avant de la perdre. L’idée de ne pas regretter. De penser que la mort ne fait rien disparaître, bien qu’elle noue la boucle de la fin.

Et ce paradoxe…

Était-elle heureuse d’avoir aimé Matis de manière aussi intense, brûlante? Ou amère de l’avoir laissé la sauver de sa paralysie, alors qu’elle avait raison d’y être restée. Où serait-elle, s’il n’avait franchi sa porte il y avait plus de cinq ans? Cela ne lui dérangeait pas de construire ses propres chaînes, car il y avait longtemps qu’elle avait compris que tout ce qu’elle avait à perdre était son innocence. Et que cela lui avait été volé et vendu à d’autres hommes. Cela elle ne pouvait plus le perdre. Parfois elle aurait voulu rester à Gloria, rester amère pour ne pas retrouver la lumière que Matis avait emmené à elle. La lumière qui s’était consumé comme une chandelle qui ne pouvait brûler plus que la cire qu’elle contenait.
Elle aurait voulu une chandelle plus longue.

Avant son arrivée, elle avait vécu dans l’obscurité et ses pupilles s’étaient habituées, si bien qu’elle distinguait plusieurs formes, quelques couleurs. La lumière de cette chandelle qui s’était éteinte trop vite la forçait à tout recommencer. Et pour l’instant, il n’y avait rien que le néant. Il y avait ses mains pour la guider dans la nuit et elle était aveugle à nouveau.

« J’aimerais avoir ce recul. »


Ses prunelles mélancoliques se perdaient au sol. Elle n’avait pas peur de paraitre moins forte devant Aldaron. Il n’était pas un ennemi, devant lequel elle devait garder la tête haute.

« Elle vous est allouée. Je dois vous avouez que je suis heureuse d’entendre des mots de paix dans votre discours. Je sais que…souvent il faut se battre pour l’avoir. Le blanc nous l’a montré. »


Qu’avaient-ils fait, sauf se battre, dans les dernières années.

« Je veux que les…horreurs cessent. Et je n’arrive pas à comprendre que … Pouvons-nous seulement faire autrement? Ça n’arrête jamais…Est-ce la raison de tout cela? Le monde tente-il de nous punir en nous détruisant de l’intérieur? »


Mais il n’y avait plus d’esprits sur lesquels remettre la faute. Elle soupira, puis se releva. Ces pensées à voix hautes n’allaient aider personne. Le rossignol secoua sa robe pour faire tomber la poussière. « Je suis profondément désolé pour vos pertes Aldaron. J’espère seulement…que les massacres cesseront. Et si je puis faire quoi que ce soit pour vous aider j'aimerais...Occuper mon esprit à autre chose. »

descriptionOn dit "S'il vous plait" (Aldaron) EmptyRe: On dit "S'il vous plait" (Aldaron)

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    Le marchand hocha de la tête, songeur à ce qu'évoquait le Rossignol et vint poser délicatement ses mains gantées de cuir clair sur les frêles épaules de la jeune femme. Il l'effleurait à peine : le geste était celui du soutien, non d'une intrusion malsaine. « Vous en aurez un jour. Hélas. » Du recul, elle aurait aimé en avoir et lui, il savait combien cette distance ne se formait qu'au crédit de l'abandon de ses propres affections. La perte était encore trop proche pour un humain et depuis Morneflamme, il ne l'était plus tant, quand bien même il œuvrait à y ressembler. La douleur ne l'étreignait plus, ou bien elle l'étreignait trop pour qu'il soit capable de la sentir. Ainsi avait-il pris du recul, de la hauteur dans la situation actuelle. Il était une coquille vide, était-ce ce qu'elle voulait être aussi ? Lui, il aurait aimé pouvoir encore souffrir, être capable de payer ce prix chaque jour pour se sentir vivre... Il aurait préféré les ténèbres de l'obscurité qu'une lumière factice et froide pour remplacer cette chandelle. Mais pouvait-il lui reprocher de vouloir y voir plus clair ? La réaction était naturelle et lui-même avait poursuivi et achevé cette quête avant de se rendre compte qu'il aurait eu tant à gagner à rester dans le noir.

    Du pouce, il frotta un peu ses épaules avant de les relâcher, avec un soupir, alors qu'elle réfléchissait à voix haute, faisant écho aux méditations d'Aldaron. Il y avait des moyens moins violents de faire la guerre. Probablement finirait-elle par comprendre, à force de travailler pour le marché Noir, ce que celui-ci manigancerait. La bataille ne serait jamais finie, même avec un cessez le feu ou avec une armistice. L'or était une arme, une arme douce qui pouvait tout acheter et le marchand en maniait les ficelles avec un doigté effrayant. Depuis tout ce temps, passer au travers du maillage visible était sa spécialité et partout, on n'y verrait que du feu... Seulement la faillite de l'empire Sélénien, son échec grandiose comme une victoire secrète du marionnettiste. Il ne dirait rien, jamais, mais ceux qui savaient que le marché noir n'était pas mort comprendraient qu'il ne serait pas innocent dans cette chute. L'empire Kohan allait mourir et il serait la main qui viendrait lentement étreindre cette gorge, comme il avait fait suffoquer tant de victimes, lorsqu'il fut enfermé à Morneflamme et qu'il dut se battre pour sa propre survie.

    Une part du monstre vivait toujours en lui. Il n'avait pas oublié, il n'avait pas nié ce qui s'était passé. Ce qui faisait sa déchéance pour l'humanité le rendait prévoyant. Il ne voulait pas que Selenia soit en capacité financière de déclencher une guerre contre eux et ceux qui, à Selenia, sentiraient le vent tourner, à mesure que les difficultés financières s'accumuleraient, ils partiraient. Ils se détourneraient de cet empereur usurpateur. En vérité plus que de mettre Selenia à terre, c'était prouver à ceux qui étaient fidèles à Nolan que celui-ci n'était pas capable de les protéger, de les propulser dans la grandeur hors des griffes de ce qui se profilait dans l'ombre. S'il ne réagissait pas, s'il n'était pas assez intelligent, s'il ne mettait pas en place des murailles pour contrer le marcher noir, alors il tomberait et chaque Homme de Calastin en arriveraient à la même triste conclusion : Nolan Kohan n'est pas apte à gouverner. Aldaron n'avait pas besoin de verser du sang pour cela. « Lorsque l'on fait quelque chose depuis trop longtemps, on ne se questionne plus sur ce que l'on fait parce qu'on ne sait pas si l'on peut faire autrement. » Il la citait, pour lui répondre au sujet de ces guerre perpétuelles. L'explication était simplement là. Lorsqu'ils désapprouvaient quelque chose, ils avaient appris au cours de ces dernières années à sortir les canons et les épées.

    « Morneflamme a ouvert des portes sur des choses inimaginables. Des choses qui sortent de ce dont nous avons l'habitude. Elle m'a appris à aller plus loin que le possible, car ce qu'on juge possible n'est en vérité que borné par nos croyances. Ce qui est réellement possible, en revanche, dépasse les normes qu'on a ancré par coutume. Est-on obligés d'imposer son avis en criant ? Est-on obligés d'affronter l'avis des foules pour une idée novatrice ? Est-on obligés de se battre dans le sang ? » Non, il y avait d'autres moyens et il avait vu ces possibilités. Elle-même l'évoquait. Caladon, c'était cette idée de possibilités à créer. « Morneflamme m'a ouvert des portes sur ce que je croyais impossible, ce que je croyais incapable de faire. J'ai regardé dans l'ouverture de ces portes et je suis incapable de les refermer. C'est une douleur brûlante que je revêts chaque jour, mais c'est aussi une immense fierté d'avoir les yeux ouverts. » Sa parole était devenue un murmure, mourant paisiblement sur le flot de ses pensées.

    « Les brisés sont les plus évolués. » Il parlait d'eux deux, cette fois, de ce que Morneflamme avait fait d'eux. « Ils sont indépendants et leurs idées sont larges. Je vous donnerai de quoi occuper votre esprit... Si votre esprit sait me donner les idées qui manquent pour créer ce monde autrement. » Il aurait besoin d'elle, dans ce conseil que la Guilde marchande voulait former. « C'est la place que je veux pour vous, officiellement. » Et officieusement, il lui confirait également des missions pour le marché noir.

descriptionOn dit "S'il vous plait" (Aldaron) EmptyRe: On dit "S'il vous plait" (Aldaron)

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Elle accueillait le geste de soutien sans sursauter. Il fut un temps où seules ces mains sur ses épaules l’auraient fait fuir. Elle se souvenait de Matis qui avait peine à seulement la toucher, alors qu’ils n’étaient qu’amis. La confiance avait été difficile à trouver, maintenant elle était bien plus en contrôle. Elle devait lever la tête pour poser ses yeux sur les prunelles d’émeraude. Son regard témoignait de son incompréhension, pourquoi était-ce une fatalité que de voir mieux le portrait complet? Il lui semblait que c’est la chose qui l’avait le plus aidé, dans ses épreuves, jusqu’à maintenant. Reculer. Étais-ce regrettable, de reculer face à la mort de l’être que l’on a aimé le plus au monde? Était-ce l’oublier, le trahir?

Elle avait si peur, parfois, d’oublier son visage. Elle tenait si fort entre ses doigts les images en continu des souvenirs de leurs premières discussions. Et cela glissait, bien qu’elle les revoyait souvent, ne perdait pas cette mémoire tangible. Cela glissait parce qu’elle ne pouvait comprendre comment cela avait pu prendre fin ainsi. Elle s’était surprise à interrompre ses insomnies pour écrire, dessiner, tout ce dont elle se souvenait. Elle voulait figer sa mémoire dans l’indélébile.

La veuve cligna des yeux, il ne fallait pas qu’elle se laisse emporter dans des pensées, qui n’étaient que des distractions douloureuses. C’est pour lui qu’elle s’inquiétait. La douleur dans ce « Hélas. » Et elle ne savait pas l’apaiser. Ce n’était pas sa place de le faire, mais elle s’inquiétait.
Et elle comprenait ce qu’il disait. Ses mots qui faisaient écho aux siens et qui lui suggéraient qu’elle connaissait déjà toutes les réponses, au fond de son être.

Elle cligna des yeux sur ses derniers mots, sa bouche s’entrouvrit, un peu surprise. Elle ne comprenait pas tout ce qu’il sous entendait mais il s’agissait de plus que ce qu’elle avait demandé. Semblant un peu désemparée, par tout ce qu’Aldaron disait et non seulement cette dernière réponse, elle hésitait à approcher une main vers lui. Le réflexe était le même que le sien, elle avait besoin de montrer son soutien et sa main se posait sur l’avant-bras de l’elfe.

« Brisés. »

Elle fronça les sourcils, s’y refusant et comprenant à la fois. Elle avait vu plus d’une femme, vouloir créer cette solidarité dans la douleur. C’était la seule solidarité que sa mère connaissait.

« Ne soyez pas l’animal qu’il a terrorisé. Je me souviens, comme je ne tenais plus à la vie. Et ces mots que vous m’avez suggérés. J’y ai cru. »

Elle le lâcha, ne voulant pas insister ou entrer dans son espace personnel. Mais son regard le soutenait toujours.

« J’y ai cru Aldaron. Vous et…ceux qui m’ont dit que j’étais forte. Je comprends à présent beaucoup mieux. Même si…je… »
Ses mains se levaient à la hauteur de ses épaules puis retombaient ensemble près de son ventre. Ses yeux tombèrent dans le même mouvement elle fixait à nouveau le sol. Elle recula en respirant un coup et déglutit pour retenir les pensées qui divaguaient et rejoignaient son deuil.

Ses yeux rougissaient, non ce n’était pas un moment où elle était le plus en contrôle d’elle-même. Elle était habituée de retenir des larmes ça n’était pas un problème. Ce sont ses yeux qui étaient des volets ouverts sur sa douleur. Et elle releva la tête retrouvant les émeraudes.

« Nous sommes plus forts. Et plus grands. Pas en hiérarchie, ni en noblesse. C’est une grandeur qui pousse comme les plantes grimpantes dans nos esprits. »

Un sourire tremblant se dessina alors qu’elle puisait son courage sans savoir où était la source.  « J’ai révéré les Dieux longtemps. Je priais beaucoup, avant qu’ils ne meurent. Peut-être est-ce les seuls enseignements que j’ai retenu de ma mère. C’était pour moi cette assurance que quoi qu’il arrive, le monde avait un sens et un équilibre. Je veux créer mieux. Aider. Réparer. »  

descriptionOn dit "S'il vous plait" (Aldaron) EmptyRe: On dit "S'il vous plait" (Aldaron)

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    L'ombre d'un sourire reconnaissant souligna ses lèvres au contact de la main d'Autone, un sourire triste de tout ce que cela évoquait. Avec elle, il n'avait pas besoin de parler de Morneflamme puisqu'elle avait partagé cette horreur abominable avec lui. Elle comprenait ce que cela avait été, combien cela avait largement dépassé ce que l'imagination octroyait en termes d'épouvante. Son soutien, à elle, avait plus de valeur que qui que ce soit d'autre d'extérieur à cette catastrophe, malgré les bonnes intentions de tout un chacun. Avec Autone, il avait la sincère sensation qu'elle pouvait presque ressentir comme sa chair brûlait encore des braises volcaniques de Morneflamme. Il l'écouta avec attention et patience, sans l'interrompre dans ses silences. Il suivait le fil de sa pensée comme un chemin qu'il avait lui-même fait plus d'une fois. Elle se souvenait des mot qu'il avait prononcé pour elle, elle s'y était accrochée, comme tant d'autres du même acabit, et elle était là aujourd'hui. Ce qu'elle avait construit, sa famille, son talent, elle avait du l'arracher au destin plus durement que quiconque. Elle s'était battue comme une reine et même aujourd'hui, lorsque le deuil frappait ses jours, il n'avait aucune inquiétude pour elle : elle se relèverait. Le voyage serait rude et long, peut-être, mais il était certain qu'en lui offrant les opportunités dont elle avait besoin pour développer son plein potentiel, elle irait jusqu'au sommet de l'arbre pour contempler le paysage qu'elle aurait forgé par sa détermination et son courage.

    « Vous comprenez. » confirma-t-il, paisiblement. Elle avait saisi le sens de ce qu'il lui avait exprimé jadis. « Il y a une chose qu'il a placé en nous. Quelque chose d'affreux. De monstrueux. Nous pouvons nier que cela a existé, nous pouvons oublier... » Il secoua lentement la tête de gauche à droite. « Cette marque, qu'il a gravé dans nos chairs, nous pouvons la refuser qu'elle ne partira jamais. Nous pouvons la soigner qu'elle restera incurable. Toujours. Il ne faut pas lutter, c'est en nous, cela fait partie de nous. Mais cela ne doit pas nous détruire. C'est là, et c'est à nous qu'il appartient de se construire autour. C'est ce que nous avons fait, vous et moi, et plus nous le ferons, plus nous seront fort. Les deuils, les échecs, les douleurs mettent à l'épreuve ce que nous avons battis. Si cela s’effondre, c'est que vous n'avez pas fait les bons choix, il nous faudra en faire d'autres et reconstruire à nouveau. Mais si cela tient bon, vos fondations seront plus résistantes chaque jour. » Il avait fait de choix de se battre pur l'indépendance de Caladon, pour sa liberté. Demain, soit il serait asservi à la cause de Kohan, soit Caladon serait une Cité Libre et quelque soit l'issue, il lui faudrait continuer de se battre.

    « Je vais devoir vous laisser, à présent, Autone. Vous êtes bien entourée, je suis venu ici pour en être certain et je repars rassuré. Pansez vos plaies et rêvez. Rêvez de ce que nous pourrons construire dans la cité libre, et partagez ces rêves avec les caladoniens qui vous entourent et qui n'ont pas la chance de rêver aussi loin que vous. Lorsque la guerre sera terminée, je viendrai vous chercher et vous aurez un rôle à jouer pour Caladon. Prenez soin de vous et des Falkire. »

descriptionOn dit "S'il vous plait" (Aldaron) EmptyRe: On dit "S'il vous plait" (Aldaron)

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