Le loup solitaire et la prêcheuse. - Edrak.

Le tonnerre résonnait sous les frondaisons. Il ne venait pas de ciel car l’éther était azuré, mais bien du sol. Le claquement des sabots des chevaux de la Meute sonnait comme une tempête alors que les Loups traversaient les bois à grand train. La route était droite et bien entretenue, permettant aux cavaliers de laisser libre cours leur monture, qui n’avait pas souvent l’occasion de galoper car l’unité d’exploration passait le plus clair de son temps dans des territoire sauvages, dangereux et inconnus, limitant la liberté de mouvements des chevaux.

Mais cette fois, c’était différent. On avait fait appel aux hommes du Loup Solitaire non pas pour une cartographie mais pour une pacification. Cela faisait partie des quelques services qu’offrait la guilde d’exploration. Les aigles se chargeaient d’explorer et de cartographier le monde, les Chiens d’escorter et de protéger les nouveaux colons et les Loups des deux à la fois lorsque le danger était trop grand. Cette guilde avait connu un essor bien plus important qu’en attendait son fondateur. A l’origine, Erdrak ne souhaitait faire qu’une simple compagnie de mercenaire, escortant et explorant le nouveau monde. Mais force lui fut de constater cette idée avait plu à beaucoup de personne, des gens qui n’avait plus rien, des curieux, de jeunes gens avides d’aventures. Et devant tant d’engouements et de personnalités diverses, il avait fallu s’organiser afin que le rêve ne soit pas détruit. La guilde avait été ainsi fondée, organisant les volontaires, homme ou femme, selon leur envie. Les Aigles, explorateurs pacifiques. Les Chiens, protecteurs. Les Renards, administrateurs futés et banquiers. Et enfin les Loups, les guerriers les plus aguerris, la vraie unité combattante. Un mystérieux donateur leur avait permis de s’installer et de s’équiper efficacement.

La dernière mission de l’unité du Loup Solitaire ne nécessitait pas en réalité leur intervention, mais aucune des unités de chiens n’était à proximité ou apte à intervenir. Une bande de brigands sévissait dans la région et il avait fallu l’aider des aigles pour les débusquer. Cette attaque laissait un goût amer dans la bouche d’Erdrak. Mais il préféra oblitérer ce passage et penser à l’avenir. C’est bien, laisse-moi les souvenirs. Ne t’occupe pas du passé, je le fais très bien pour toi. Il était vrai qu’Asmo, sa seconde personnalité lui avait avoué conserver une partie de sa mémoire, pour le protéger, avait-il dit. Erdrak ne savait pas quoi en penser mais cela ne lui importait pas vraiment. Il avait du apprendre à vivre avec cette Colère et lui faire des concessions.

La Meute sortit de la forêt et adopta un pas plus lent, afin de laisser les cheveux respirer un peu. Les Loups se dirigeaient vers un village, que les Chiens avaient aidé à établir. Ils monteront le camp un peu à l’écart et une poignée de guerriers ira voir pour acheter quelques vivres afin d’améliorer le repas du soir. Pendant que le camp était monté, et une fois les tâches répartis, le Loup Solitaire partit en avance au village.

Dans son armure dorée, gravée d’un loup sur la poitrine, la cape au vent, et la tête nue, tout ce qu’on pouvait dire, c’est qu’il avait fière allure, bien plus que pendant sa période d’errance, avec son armure en maille raccommodée, ses écrevisses abîmées. Solstice et Crocs battaient respectivement son côté gauche et droit. La Hallebarde avait pris la taille d’une hachette sur la volonté de son porteur.

En entrant dans le village, le Loup Solitaire entendit immédiatement la voix d’une jeune femme haranguant la foule avec grande ferveur et rhétorique. La voix était douce, confiante et le ton tombait toujours juste. Les mots étaient toujours pesés et rarement absolus, amenant l’auditoire vers l’idée du prêcheur, ou plutôt de la prêcheuse. Le cœur d’Erdrak se serra, alors que dans son esprit, Asmo grogna. Les rencontres avec Sinestra ne s’étaient jamais bien passées. Erdrak avait donné la vie à cette jeune femme sans le savoir, et l’avait abandonnée car il ignorait son existence. L’univers avait été ironique sur cette histoire car Sinestra était l’enfant d’un grand amour, de l’amour qui prend tout et détruit tout à sa disparition. Erdrak était trop jeune à l’époque pour avoir vu cette amour comme étant unique et était parti, la mort dans l’âme en laissant Lorelei derrière lui. La femme ne s’en était jamais remise et sa fille en avait payé le prix fort.

Les Esprits devaient avoir beaucoup d’humour, puisqu’il s’avèra qu’Erdrak avait conçu une seconde fille, elle aussi abandonnée et dont l’existence était inconnue à son père. Sauf que cette dernière avait voué une grande admiration pour le Loup Solitaire, allant jusqu’à copier Solstice, son armure et se battant à la hallebarde. La Louve était heureuse de servir chez les chiens pour son père alors que Sinestra avait toujours haï le sien. Cette situation perturbait beaucoup Erdrak.

Le guerrier écouta le prêche de sa fille, qui l’avait renié en rejoignant la Rose Ardente. Il trouvait ses dires admirables, et les principes très beaux. Toutefois il tiqua lorsqu’elle parla du lien et de la nécessité de libérer les dragons de cette union qui les affaiblissaient et que le monde irait bien mieux sans cela. Laisse-moi intervenir. Laisse-moi la calmer D’accord, mais d’abord, prends des gants. On va commencer doucement. Tu me connais Justement.

Personne n’avait remarqué la présence du Loup solitaire, si bien que quand sa voix résonna, puissante et grave, tous se tournèrent vers lui, surpris. Erdrak laissa Asmo parlait par la bouche du Loup Solitaire mais garda le contrôle du corps et du regard, inexpressif. Et que se passera-t-il lorsque les dragons libres estimeront que nous n’avons pas notre place en ce monde ? Ou tout simplement lorsque la folie viendra les prendre comme elle a déjà atteint certains d’entre eux. Que se passera-t-il lorsqu’une créature de la taille de ce village s’ennuiera et trouvera amusant de détruire ce que nous construisons ? Car ça se passera, et ça a même déjà commencé. L’armure du Loup Solitaire portait toujours les stigmates de sa rencontre avec un dragon, et son cœur était meurtri de la mort d’une dizaine de ses hommes, dont Gauvain, son écuyer, trop jeune pour être dans la Meute mais qu’Erdrak avait accueilli, convaincu du potentiel du garçon.

Le Loup Solitaire éclata de rire. Sinestra était tellement ingénue aux yeux de la Colère que débattre avec elle lui paraissait ridicule. Et pourtant, Asmo voulait s’amuser un peu à la rhétorique. Il savait Erdrak bien meilleur que lui dans ce domaine et comptait bien sur lui pour lui souffler des arguments et des réparties cinglantes. Souffler était un bien grand mot car les deux personnalités formaient en réalité un seul et même esprit dissocié en deux caractères, bien qu’elles aient tendances à l’oublier très souvent. En s’acceptant mutuellement, elles pouvaient communiquer sans mot, comme un esprit unique. Toutefois, Asmo aimait bien cette petite dualité et Erdrak aussi, sans jamais l’avouer.



Le lien n’est-il pas un acte volontaire du dragon ? S’il était si néfaste, pourquoi l’accepte-t-il ? Et est-ce là toute la foi que tu places en nous. Dans l’humanité, chez les elfes et les vampires. Des êtres faibles qui corrompent ? Et si au contraire, c’était à eux de nous élever, et que le lien est le meilleur chemin. Quant à leur importance dans le monde... Il marqua une pose, comme s’il réfléchissait, cherchant un lointain souvenir. Si j’ai bonne mémoire, il fut un temps, où ils n’étaient plus là. Et jusqu’à récemment, nous avons très bien vécu sans la présence du plus illustre d’entre eux. Une place dans le monde… le Loup Solitaire prononça comme si c’était une chose absurde. Qui peut se targuer d’avoir une place essentielle dans ce monde. Il existait avant nous et existera après, même après les dragons.



Asmo toisa Sinestra d’un regard mauvais, suffisant. Et en voilà une bonne idée, gamine. Va donc dire cela aux morts et à celui qui a tout perdu. Il est aisé de se complaire dans ces belles paroles quand on n’a rien et qu’on a jamais rien eu que de la misère. Ma fille, il est bien plus aisé de vivre d’abnégation que de vivre en se préoccupant sincèrement des autres. Mais n’est-ce pas le cœur même de la Rose Ardente ? Tout rejetait, la pleine abnégation pour finalement se contenter de respirer et survivre. Et maintenant tu viens de révéler ton vrai visage. Ecoutez-la, brave gens. Abandonner vos familles, l’amour pour vous donner aux prochains et quand ce sera fait, plus rien n’aurait d’importance. Je n’ai rien inventé. Si votre village est détruit, ne pleurez pas vos morts, mais soyez heureux de devoir tout recommencer à zéro.



Les mots du Loup Solitaire semaient le trouble dans la foule. Asmo souriait et Erdrak était légèrement mal à l’aise, mais il ne souhaitait pas intervenir. Le souvenir de l’attaque du dragon et de la mort de plusieurs de ses loups étaient encore trop vivace dans son esprit. Sinestra l’avait cherché avec ses paroles absurdes.

- Le lien n'est pas un acte volontaire, c'est une force qui contraint deux individus à se joindre d'une manière non-naturelle, je tiens mes enseignements des dragons eux-mêmes.

L'homme pouvait-il seulement en dire autant ? Il ne voyait que par la haine et le méprit.

- C'est ta colère et ton aveuglement qui parlent, mon frère. Ce n'est ni ton esprit, ni ton cœur qui dirige tes paroles. Comment pouvait-il espérer être écouté dans ces conditions-là ? Néanmoins, elle ne pouvait le laisser dire de telle chose sur la rose ardente. Que conseilles-tu de faire autre chose ? Aller dans le royaume des morts pour qu'elle ramène les tiens ? Où continuer à vivre ? J'ai vécu suffisamment longtemps pour me rendre compte que les larmes ne sauvent ni ne ramènent personne.

Il n'y avait aucune trace de supériorité dans les mots de la prêtresse juste une vérité pure, qui donnait envie de croire à ses paroles.

- N'est-ce pas pourtant la Rose Ardente qui a permis ta renaissance ? Tu déformes par ta haine les commandements de celle qui t'a permis de continuer à vivre.

Est-ce qu'elle disait vrai ? Bien entendu, elle l'avait fait elle-même, elle lui avait offert la renaissance qu'il avait réclamé.

- Néanmoins, j'ai des êtres bien vivants qui réclament mon temps au village voisin, soldat, plus rien ne me retient ici. Puisque de toute manière nous ne pouvons plus nous parler. Puisses-tu trouver le repos dans la chaleur de la flamme éternelle.

Elle sifflait et appelait la demi-louve blanche et rousse qui ne tardait pas à venir à elle, remuant doucement la queue. Elle disait cela, mais elle ne saurait même plus retrouver elle jetait un lent regard dans des directions qu'elle n'était plus capable de voir. Néanmoins, elle fut rassurée quand son gardien revenait, même si elle ressentait ses mains glacées à travers l'étoffe de ses vêtements, il la guidait silencieusement dans la bonne direction, silencieusement, mais elle l'avait reconnu et l'avait enfin retrouvé après tout ce temps. Et tout deux partirent.