La lumière intérieure. - Keetech. ( Partie 1 )

Tu ne mentiras point.

La dragonne de Quartz survolait l’océan et ses pérégrinations la menèrent jusqu’à cette île en forme de croissant lunaire nommée Calastin. L’archipel de Tiamantara regorgeait de contrées diverses et variées, et Keetech n’en avait pas encore parcouru toute l’étendue ; toutefois la saurienne appréciait la liberté dont elle jouissait en tant que dragonne, à savoir celle de se rendre où bon lui semblait sans devoir se soucier d’une quelconque frontière.
Elle se posa sur une plaine, au pied d’un relief montagneux, et étendit son corps filiforme de tout son long. Après sa longue traversée de l’étendue marine, Quartzécaille ne désirait rien d’autre que de prendre un peu de repos. Le firmament de cette fin d’été était empli de nuages sombres et l’atmosphère chargée d’électricité, ce qui laissait présager un violent orage. Cependant, celle qu’on surnommait la dragonne de l’orage n’éprouvait aucune crainte à l’approche de ce phénomène météorologique. Bien au contraire, en tant que fille de la tempête le grondement du tonnerre sonnait comme une musique à ses oreilles et elle adorait contempler les éclairs de lumière qui zébraient le ciel.

Cette dernière ne tarda guère à s’assoupir, espérant que nul importun ne dérangerait la tranquillité de son sommeil. En songes, elle revit les images de sa terre natale, le continent sauvage, un lieu où les dragons vivaient heureux et en paix, loin de la folie et des guerres des bipèdes. Keetech avait tout abandonné pour retrouver son bien-aimé et demeurer à ses côtés, pourtant parfois la nostalgie s’emparait de son âme. Reverrait-elle un jour le continent sauvages et les siens ? Verith désirait détruire le lien pour protéger leur peuple contre la perfidie des bipèdes qui n’hésitaient pas à utiliser cette puissante magie pour asservir les écailleux. Et la reine des nuées avait décidé de combattre à ses côtés pour protéger les dragons et défendre les idéaux.

Soudain, son esprit dragonique, toujours aux aguets, même durant son sommeil, perçut l’approche d’une créature pensante, un deux-pattes, accompagné de sa monture. Quartzécaille utilisa son pouvoir télépathique et commença à sonder l’esprit de ce bipède, ou plus précisément de cette bipède car l’orageuse avait remarqué qu’il s’agissait d’une jeune femelle.

Bientôt cette dernière prit la parole, s’adressant à elle avec politesse, comme il se devait lorsqu’on s’adressait à l’un de ses magnifiques sauriens. Keetech souleva lentement ses paupières dévoilant des prunelles d’un bleu céruléen, aussi chatoyantes que des pierreries et qui réfléchissaient leur environnement tels de grands miroirs bleutés.

- Bonjour jeune bipède. Comment te nommes-tu ? Je suis Keetech la dragonne de Quartz, mais les bipèdes me connaissent mieux sous le nom de la dragonne de l’orage, dit-elle d’un ton courtois en dardant sur la jeune inconnue ses mires d’azur.

Keetech darda ses immenses prunelles céruléennes sur la jeune humaine, qui face à elle paraissait particulièrement frêle et minuscule. A cet instant, l’écailleuse songea que celle-ci ne s’accoutumerait jamais à la petitesse et à la faiblesse de ces créatures éphémères, qui demeuraient toujours un objet de mystère à ses yeux. Sa contrée originelle abritait une multitude de dragons et leurs nuées fendaient les cieux, formant un spectacle d’une grande magnificence.

Ambarhùna appartenaient autrefois à son peuple, mais les bipèdes avaient ravagé sa surface de par leurs guerres incessantes, avant d’abandonner ce continent entre les griffes des chimères. Ensuite les deux-pattes avaient fui leur terre natale pour voguer vers l’inconnu à bord d’une flotte et rejoindre ce nouvel archipel. Hélas, loin d’apprendre de leurs erreurs passées, ils ne faisaient que les reproduire en poursuivant les conflits stériles et en asservissant le peuple autochtone de Tiamantara, les Graarh. En dépit du fait qu’elle ne nourrissait aucun espoir ni n’éprouvait aucune considération pour la majorité des bipèdes, Quartzécaille ressentait une certaine amertume à l’idée de devoir assister à l’asservissement d’un peuple dans le seul but de servir la vanité et le goût de domination des Hommes.

La jeune fille répondit à sa question et lui révéla son nom ainsi que sa fonction. Une prêtresse de la rose ardente et une adoratrice de la flamme ? La reine des nuées savait que la plupart des deux-pattes avaient pour coutume d’adhérer à divers cultes, tentant de combler le vide immense laissé par la disparition de leurs anciennes divinités.

- Fort bien jeune Sinestra, j’ignore ce qu’est le culte de la rose ardente et la flamme, mais je connais suffisamment ton peuple pour savoir que vous possédez de nombreux cultes divers et variés. Je pense que la raison qui vous pousse à agir de la sorte est de combler l’absence des dieux ainsi que votre besoin de transcendance. C’est la première fois que je rencontre une prêtresse et je suis curieuse d’en savoir davantage à propos de ton ordre et du culte que tu professes.

Grâce à son pouvoir télépathique, la fille des tempêtes pouvait ressentir la nervosité de l’étalon face à sa stature des plus imposantes, capable de rivaliser en hauteur avec les pics rocheux environnants. Cependant, elle ne s’étonnait guère de la réaction de l’animal car les dragons incarnaient les prédateurs ultimes, aucune autre créature terrestre ou céleste ne pouvait rivaliser avec eux en force ou en splendeur.

La Saurienne pouvait également sentir l’étrange fascination qu’elle exerçait sur cette jeune prêtresse qui semblait à peine sortie de l’enfance. Autour d’elles, l’orage grondait zébrant le firmament d’éclairs de lumière, chargeant l’atmosphère d’électricité et faisant tomber une pluie torrentielle. Si l’humaine grelottait sous l’assaut des éléments, la dragonne de l’orage se sentait parfaitement en osmose avec l'éclat de la foudre et le grondement du tonnerre. Avant même d’éclore de son oeuf, ses rêves draconiques étaient peuplés de tempêtes, d’éclairs et du hurlement du vent, à tel point que tout son être s’en trouvait imprégné.

Sinestra prit de nouveau la parole pour l’interroger Quartzécaille sur son lieu d’origine. Malgré sa jeunesse, l’humaine faisait preuve de suffisamment de perspicacité pour remarquer qu’une dragonne aussi imposante et âgée devait venir d’une autre contrée que le continent perdu d’Ambarhùna.

- Tu ne te trompes guère prêtresse de la rose ardente, je ne viens pas d’Ambarhùna mais d’un autre continent, un ailleurs situé au-delà des mers, dont les bipèdes ignorent la localisation et où mon peuple vit en paix. Nous le nommons le continent sauvage.

Keetech écoutait les paroles de la jeune humaine et se montrait quelque peu intriguée par ce mystérieux culte. Ainsi, il se pouvait que des bipèdes puissent vénérer des dragons ou suivre une doctrine religieuse instituée par l’un des leurs ; jusqu’à aujourd’hui l’écailleuse n’avait rencontré que des deux-pattes animés des pires intentions à l’égard des siens. A leurs yeux, ces superbes sauriens ne représentaient que des créatures à exploiter que ce soit à l’aide du lien, en tant que montures combattantes, ou afin d’utiliser les reliques issues de leur corps comme des objets de guerre. Depuis son départ du continent sauvage, la dragonne de l’orage n’avait cessé de s’insurger contre de tels actes de barbarie et déplorait un tel irrespect à l’égard de son peuple. Après tout n’étaient-ils pas la source de toute magie et les prédateurs ultimes de ce monde ? Un tel statut impliquait que les bipèdes fassent preuve du plus grand respect envers eux et reconnaissent les innombrables bienfaits dont les dragons étaient la source.

- Il est intéressant de constater qu’un dragon puisse faire l’objet d’une telle vénération de la part de deux-pattes. Quel dommage que son nom se soit perdu dans les méandres du temps et que seul demeure le souvenir de la flamme qu’il a allumé. En vérité, depuis mon arrivée sur le continent disparu d’Ambarhùna et sur Tiamantara j’ai constaté à mon regret de nombreuses marques d’irrespect de la part des tiens. Loin d’être traités avec les égards dus à leur statut de seigneurs de la terre et des cieux et de pourvoyeurs de la magie, les dragons sont considérés comme des marchandises et asservis par le lien.

La jeune Sinestra décrivit ensuite la mission de son ordre, qui consistait à apporter la paix et la guérison aux malades et aux âmes souffrantes. La fille des tempêtes ne s’en étonnait guère car les bipèdes, en général, et les humains en particulier représentaient des créatures fragiles dotées d’une existence éphémère. Dès lors, il était naturel que ceux-ci cherchent à pallier cet état de fait à l’aide de soins et de religions.

- Ton rôle de soigneur me rappelle les tâches dont s’acquittent les Baptistrels, en quoi ton ordre est-il différent de celui de ces chanteurs-guérisseurs ?

L’écailleuse connaissait ce mystérieux ordre de maître-bardes dont le domaine se trouvait sur l’ile de Néthéril, mais à l’instar de tous les deux-pattes ils éveillaient en elle une certaine méfiance.

Lorsque la jeune fille posa une dernière question, Keetech se tut un bref instant avant de répondre :

- J’ai tout abandonné, ma terre natale et les miens pour rejoindre mon bien-aimé en compagnie de notre fille.

La première question de la jeune fille laissa la dragonne de l’orage perplexe ; celle-ci ne savait si elle devait s’insurger ou s’affliger devant tant de naïveté et d’ignorance. Est-ce que le lien était une chose néfaste ? Aux yeux de Keetech, il ne pouvait en aller autrement, car le lien asservissait les dragons et les privaient de leur liberté en les amputant d’une partie de leur âme.

Dardant toujours ses orbes couleur Cyan sur Sinestra, elle répondit de sa voix télépathique, désormais teintée de sonorités plus froides :

- Je considère le lien comme une aberration, un non-sens et une chose qui n’aurait jamais dû voir le jour. D’ailleurs, à l’origine le lien n’existait pas et a été créé par le Tarenth. Il s’agit donc d’une chose artificielle et dont l’unique objectif est d’asservir les dragons, de les priver de leur liberté et de les obliger à mettre leur puissance au service des bipèdes.

La seconde partie de la question de la prêtresse demandait quant à elle une certaine réflexion et l’écailleuse demeura un bref instant silencieuse avant de poursuivre :

- Cela dépend. Certains dragons sont destinés à se lier à des bipèdes avant même leur éclosion tandis que d’autres choisissent de se lier à l’âge adulte. J’estime que ceux qui se lient dès la naissance ne peuvent avoir un jugement éclairé car leur esprit s’est corrompu au contact de celui des deux-pattes. Mais concernant ceux qui se choisissent un lié à l’âge adulte mon opinion est plus nuancée, j’ignore ce qui peut les y pousser mais je pense qu’il ne s’agit pas d’une bonne chose…

La reine des nuées gardait à l’esprit que même Skade, la mère de Verith, et une puissante dragonne de l’orage avait choisi cette voie, en se liant à un bipède, ce qui constituait un motif d’amertume et de ressentiment pour le Rouge.

Keetech écouta sans l’interrompre les paroles de cette jeune fille à la chevelure de nuit et au visage aussi blanc que la surface de l’astre lunaire. Elle était belle, du moins selon les critères des bipèdes et la fragilité transparaissait derrière les lacs argentés de ses prunelles.

- Ma fille m’a accompagnée lors de mon voyage et j’ai retrouvé mon bien-aimé après des années de séparation. Et toi possède tu une famille ou des êtres qui te sont chers ?

A l’évocation du Tarenth par la dragonne de l’orage, la prêtresse prit la parole afin de témoigner de son ignorance à propos de cet être issu d’une race désormais disparue, mais les mots qui s’échappèrent de ses lèvres sonnaient comme un profond irrespect aux oreilles de la fière Saurienne. Sans compter que la religieuse ajoutait à cet affront, celui de lui couper la parole d’une manière grossière. Keetech sentit l’animosité la gagner et elle darda ses prunelles céladon, aussi froides que deux lacs de givre sur la jeune fille.

Hélas, cette jeune effrontée loin de s’apercevoir que ses propos et son attitude suscitait l’hostilité de son interlocutrice poursuivit sur sa lancée et ajouta que sa famille avait péri dans les flammes d’un dragon rubicond. Et ses derniers mots «  qu’il aille au néant » firent littéralement bouillir le sang de l’écailleuse…

Quelle impertinence ! Quelle folie ! Quelle grossière erreur ! Si Quartzécaille était capable de faire preuve de tolérance envers certaines maladresses commises par ces créatures frêles et éphémères, elle ne pouvait accepter une telle insulte vis-à-vis de l’un de ses congénères, surtout d'un en particulier. En effet, les dragons couleur écarlate étaient rares et un seul correspondait à cette description : Verith le colérique, l’époux de la reine des nuées.

Pour avoir osé insulter gravement son bien aimé l’écervelée qui se tenait face à elle allait encourir son courroux et subir un châtiment mérité. A présent, la colère se muait en tempête prête à déferler et à tout détruire sur son passage.

- Comment oses-tu proférer de telles accusations et tenir de telles calomnies à propos du Rouge ! Petite sotte ! Comment peut-on être aussi ignorante et aussi bornée pour refuser de voir la vérité en face ? Ton aveuglement me stupéfie !

La voix télépathique de l’écailleuse grondait dans l’esprit de la jeune fille, aussi tonitruante que le son d’un orage tandis que de violents éclairs déchiraient le firmament. Furibonde et incapable de contrôler les émotions qui la submergeaient, Keetech approcha son large museau de l’humaine et fit jaillir de la fumée de ses naseaux, précipitant cette dernière plusieurs mètres plus loin. Affolé, sa monture à hennir de peur avant de s’enfuir, terrifié par cette créature aux proportions titanesques.

Après cela, la dragonne de l’orage demeura silencieuse, écoutant les hurlements de l’orage qui continuait à gronder. La jeune fille gisait inanimée sur le sol. Était-elle morte ? Quartzécaille ne ressentait aucune sympathie pour les deux-pattes ; pourtant, elle n’éprouvait nulle envie de leur ôter la vie. Aussi une part d’elle-même espérait que la prêtresse se relèverait indemne après ce coup de colère.

Peu à peu, elle regagna son calme et c’est alors qu’elle réalisa qu’une chose terrible venait de se produire. L’un de ses sorts provoquant une malédiction s'était déclenché par inadvertance et un drame allait peut-être se jouer sous ses yeux, car Keetech ignorait tout des conséquences que celui-ci engendrerait sur l’humaine…du moins si elle avait survécu.

[Inconscient] Bénédiction/Malédiction

Il arrive qu'un dragon bénisse ou maudisse un être sans même le vouloir.

Qu’avait-elle fait ? Keetech ne parvenait pas à mettre de mots sur ce qui venait de se passer et sentait des frémissements de colère hérisser les écailles de sa silhouette serpentine. Ses émotions, de par leur impétuosité, ressemblaient à une tempête déchaînée, faisant écho au tonnerre qui grondait dans le firmament illuminé par les zébrures de l’orage. La reine des nuées tenta de retrouver la maîtrise d’elle-même et de faire renaître le calme au sein de son esprit afin de pouvoir clarifier ses pensées.

Inconsciemment et,  de manière involontaire, cette dernière avait lancé un sort de malédiction sur cette jeune prêtresse, projetée quelques mètres plus loin par la fumée de ses naseaux. La dragonne de l’orage ignorait les effets néfastes qu’aurait ce sort de magie draconique sur cette religieuse et demeura silencieuse, figée dans l’attente, ne quittant pas de son regard de givre le corps immobile de Sinestra. Bientôt cette dernière se releva doucement, le dos voûté et sa longue chevelure, d’un noir de jais, dégoulinante de pluie et ses cris retentirent. Était-ce la peur, la douleur, l’incompréhension ou le désespoir ? Sans doute les quatre à la fois ; et ces sentiments mêlés rendaient ses plaintes déchirantes, aussi poignantes que les sanglots d’un enfant.

En la voyant si fragile et si démunie, telle une prisonnière désespérée incapable de fuir les murs de sa geôle ; Keetech sentit la pitié sourde à l’intérieur de son cœur. Certes, elle était une dragonne libre et préférait conserver une distance prudente vis-vis de ses créatures éphémères, mais cette fois-ci l’orageuse se sentait responsable du sort de l’une d’entre-elles. En calomniant le Rouge, la jeune fille venait d’encourir son courroux, et devrait en subir les fâcheuses conséquences. Pour l’heure, la fille des tempêtes ignorait les effets de cette malédiction ; toutefois, cette dernière s’attendait au pire et plaignait de toute son âme l’infortunée humaine.

- Tes propos médisants et injustifiés ont fait naître en moi la colère et le ressentiment et tu viens d’apprendre à tes dépends que je ne tolère point qu’on insulte ou bafoue un être cher à mon cœur. Celui qui agit ainsi risque de subir les flammes de mon ire.

Après cela la voix sévère de la dragonne de Quartz se radoucit et elle continua d’un ton empreint de compassion :

-  Je ne voulais pas te blesser ni te maudire, il s’agit d’un acte involontaire de ma part. Hélas j’ignore comment défaire ce qui est fait mais j’espère trouver un moyen de te délivrer de cette malédiction quelle qu’elle soit. Désormais je veillerais sur toi et tu seras ma protégée. Mais est-ce que tu as remarqué des changements dans ton corps ou ton esprit depuis tout à l'heure ?

L’orage continuait à gronder sans discontinuer et les éclairs zébraient de ciel de gerbes de lumière, rendant l’atmosphère encore plus apocalyptique. Au milieu de cette scène, la jeune fille, à peine plus grande qu’une enfant, se traînait péniblement en direction de la Saurienne qui n’était autre que son bourreau. Elle était maculée de boue, grelottante sous la pluie glacée et échevelée mais malgré cela elle semblait déterminée à se rapprocher de celle qui l’avait maudite. Keetech demeurait immobile, la fixant sans ciller du regard, et de loin l’imposante dragonne aurait pu ressembler à une montagne tant elle en possédait la stature et la fixité. Des sentiments contradictoires s’entremêlaient dans le cœur de Quartzécaille ; celle-ci avait éprouvé alternativement de la colère, du ressentiment, de la pitié et à présent de la culpabilité.

Sinestra avait péché par ignorance, en raison de sa candeur et l’écailleuse s’était montré incapable de contenir ses émotions alors que cette dernière mettait un point d’honneur à faire preuve de tempérance et à demeurer maîtresse d’elle-même. Dès lors n’était-elle pas au moins aussi coupable que l’infortunée prêtresse ? Hélas, elle ne pouvait revenir en arrière et en attendant de défaire ce sort, la reine des nuées prendrait cette fillette, à la chevelure couleur de jais, sous son aile, afin de lui enseigner ses croyances et lui transmettre une part de sa sagesse de dragonne libre qui n’était pas souillée par les préceptes des bipèdes.

De sa voix frêle et tremblotante Sinestra implora la clémence et le pardon de la reine des nuées, en joignant ses mains dans une supplique tout en arborant une expression de vénération comme si elle s’adressait à une divinité vengeresse. Quartzécaille la regardait avec gravité, les prunelles d’acier de la gamine semblaient éteintes et les larmes qui ruisselaient sur ses joues se confondaient avec la pluie, tandis que son corps agenouillée était agité de tremblements de froid ou de peur. Qu'avait-elle ? Était-ce l’un des premiers effets de la malédiction ?

- J’accepte de t’accorder mon pardon et de faire preuve de mansuétude à ton égard à la condition que tu fasses preuve d’un repenti sincère et que tu ne réitère jamais plus une telle offense. La malédiction dont je t’ai infligé inconsciemment représente déjà un châtiment suffisant et je ne désire pas t’accabler davantage. Puisses-tu trouver la paix de l’âme et marcher sur la voie de la sagesse dorénavant. Les épreuves nous aident à grandir et tout ce que ne nous tue pas nous rend plus fort, retiens bien cette leçon.

Le corps de Sinestra paraissait perclus de douleur et bientôt celle-ci se mit à portait ses mains vers les orbes de ses yeux à présent vitreux et en dépit de cela, elle continuait à avancer maladroitement en direction de Keetech et s’agrippa même aux immenses griffes de la Saurienne. La fille des tempêtes aurait pu la chasser ou d’un seul geste la repousser quelques mètres plus loin comme elle l’avait fait précédemment ; pourtant elle n’en eut pas le cœur et malgré une forme de répulsion qu’elle éprouvait à l’idée de se savoir si prêt d’une bipède elle se sentait également responsable de cette jeune prêtresse. Désormais, la damnée et la dragonne étaient unies par une forme de lien en raison de cette malédiction et qui ne devait rien à la magie mais plutôt à leurs sentiments respectifs, l’une recherchait la protection de l’autre dans l’épreuve et l’adversité et l’autre voulait réparer ce qu’elle avait brisé et se libérer de la culpabilité. L’adoratrice de la rose ardente balbutia d’une voix éteinte qu’elle avait l’impression qu’un feu la consumait et qu’elle était atteinte de cécité :

L’adoratrice de la rose ardente balbutia d’une voix éteinte qu’elle avait l’impression qu’un feu la consumait de l’intérieur et qu’elle était atteinte de cécité :

- Ainsi c’est là ton supplice jeune prêtresse, tu es consumée par le feu de ma colère et ma malédiction t’as privé de la vue. Je crois en connaitre l’explication, pour chasser l’obscurité il faut allumer la lumière, mais les yeux de ton âme restaient fermés et tu étais incapable d’observer le monde avec un regard éclairé. Même si elle te sembler bien cruelle cette malédiction t’aidera à trouver la lumière intérieure, à te guider vers plus de sagesse, à faire preuve d’introspection et à devenir plus forte.

Aux paroles suivantes de la jeune fille, Keetech hocha la tête avec solennité et répondit :

- Je vois que tu commences à comprendre, nous ne sommes pas dans l’erreur nous avons simplement choisi une voie différente de celle des dragons liés et luttons pour conserver notre liberté. C’est la liberté qui permet de décider du chemin à suivre, sans liberté de pensée et d’action il ne peut y avoir de choix éclairé et la majorité de mon peuple a décidé jadis de quitter Ambarhùna pour effectuer le grand exode en direction du continent sauvage, les dragons l’ont fait en connaissance de cause afin de ne plus être impliqués dans les guerres des bipèdes mais aussi pour que ceux-ci prennent leur destin en main sans dépendre d’autres créatures qu’ils utilisaient en les liant à eux à l’aide d’une puissante magie.

Soudain, le corps de la prêtresse fut agité de violents spasmes et la reine des nuées dans un geste de protection rabattit l’une de ses longues ailes, formant au-dessus de la femme-enfant un refuge membraneux qui l’abritait du vent et de la pluie.

- Je t’autorise à demeurer dans cet abri et à te blottir contre mon corps au sang brûlant pour te réchauffer, sinon tu risques de prendre froid à cause de l’orage et aussi car tu es rongée et affaiblie par la malédiction. Tu peux rester auprès de moi le temps que je t’apprenne à te débrouiller et à apprivoiser ta cécité mais après cela tu devras reprendre ta route car les dragons et les bipèdes appartiennent à deux univers différents et tu ne pourras pas toujours demeurer à mes côtés. Un jour, il te faudra vivre parmi les tiens car c’est là que se trouve ta véritable place. Mais jusqu’à ce que je trouve le moyen de lever cette malédiction et de te redonner tes yeux, je veillerais sur toi, même si c’est de loin.