Début année 1762
La neige crissait sous ses pieds, fraîche et encore vierge, tandis qu’il avançait en suivant la silhouette touffue du félin qui le précédait sur la sente. L’odeur du froid était partout, mélangée à celle du Graarh et à la senteur musquée et collante du yak. Cette dernière tendait pourtant à s’étioler depuis leur départ, sans doute parce que le bestiau n’était plus là pour la renouveler, pour son plus grand bonheur. Hors de l’abris de la yourte, la nature reprenait ses droits, lui transmettant un étrange sentiment de bien-être. Et pourtant, le haut-dragon seul savait combien il était fatigué de cette marche, bien qu’il fût trop têtu pour l’avouer. Une viscérale paranoïa l’empêchait encore d’avouer ses faiblesses, même lorsqu’elles étaient apparentes ; ainsi en avait-il été avec sa famille, et ainsi en était-il avec Purnendu, et ainsi en serait-il certainement indéfiniment puisqu’il ne se sentait pas du tout prompt à changer à ce sujet. Pourtant, le félin avait prouvé qu’il n’était pas un ennemi, et ce des centaines de fois, mais rien à faire, cela finissait toujours ainsi… La logique n’avait pas de prise sur cette méfiance instinctive qu’il éprouvait, et qui le retenait toujours, en fin de compte. Alors il se taisait, se contentant de faire dévier son attention sur autre chose, se changeant les idées autant qu’il était possible de le faire dans un univers uniformément blanc. Une bise coupante comme un rasoir lui fit étrécir les yeux sur les alentours, alors qu’il marquait une halte impromptue, laissant l’autre prendre de l’avance sur lui. Qu’était-ce donc que ce son ? Le sifflement du vent, ou bien le gémissement de l’abominable créature qui ne semblait toujours pas décidée à abandonner la poursuite ? Quelques secondes s’égrenèrent, empreinte d’une attente lassée d’avance, anticipant l’épreuve à venir comme il avait appris à le faire… pour être détrompé immédiatement après. Ce n’était pas ça, il aurait déjà dû ressentir les premiers signes. Le vent donc, tout simplement. Il s’en faisait trop, beaucoup trop. Ça n’aidait pas sa rémission d’être en permanence embourbé dans un tel état d’esprit négatif…
« Chaton ? »
Sa voix basse sembla absorbée par l’univers alentours, comme s’il avait jeté une pierre dans un puit sans fond. La constatation le fit tiquer, plissant les tournures de sa bouche nacrée dans une expression fugitive de frustration. Voilà bien son affaire, l’autre était désormais trop loin de son environnement immédiat pour l’entendre sans qu’il ne hausse le ton. L’idée de cancaner dans la plaine vide et silencieuse ne lui plaisait pas vraiment, apportant son propre lot d’insécurités. Secouant la tête, et par cela faisant tomber un peu de neige de sur sa capuche, il s’obligea à avancer de nouveau, à pas plus rapides pour regagner la distance perdue précédemment, tout en gardant le nez baissé vers le sol, prenant bien garde de ne pas glisser sur une plaque de verglas. Elles ne différaient parfois que très peu des sentes neigeuses encore praticables, et il n’avait vraiment pas envie de s’en aller rouler dans la poudreuse, l’incartade lui ferait perdre encore plus de temps et d’énergie, sans compter que le gros matou n’hésiterait certainement pas à le railler à foison, ce qu’il n’appréciait guère. Lui était plus doué, et bien plus taillé pour se déplacer dans cet environnement à pieds, en comparaison d’un simple vampire. Il était tellement concentré sur sa tâche qu’il manqua d’ailleurs percuter le Graarh de plein fouet, n’ayant qu’à peine enregistré la présence dans son champ de vision d’une queue touffue qui se balançait en rythme.
« Mais, qu’est-ce que… »
Surpris, il s’arrêta juste à temps, cilla, puis entreprit de contourner prudemment la créature pour pouvoir décocher son regard inquisiteur ailleurs que sur une surface pelucheuse et grise. Quittant à moitié la sente, son pied s’enfonça davantage dans la neige souple, et vint appuyer sur une surface dure et inégale qui devait être un morceau de roche. Il manqua perdre l’équilibre et se rattrapa à l’épaule solide du félin, qui ne broncha qu’à peine sous le poids supplémentaire qu’il lui infligeait. Raide et gauche, il oscilla un instant avant de passer devant lui pour l’observer d’un regard à présent plus critique qu’interrogateur. Allons, que l’autre ne lui dise pas s’être arrêté pour l’attendre ! Il avait bien failli lui rentrer dedans et s’expédier dans les rochers ! L’autre était difficile à lire, plus difficile que les vampires qu’il avait côtoyés, tout simplement parce que sa morphologie était différente et rendait la transcription plus délicate, sans compter que l’autre avait la manie d’une nonchalance qui n’aidait pas sa cause. Cependant, à force de l’observer, il fut convaincu que quelque chose ne tournait définitivement pas rond. Peut-être était-ce simplement un ressentit, peut-être se faisait-il des idées, mais tout de même. Se décalant légèrement en arrière, il continua de le mirer pendant quelques instants, ses prunelles vitreuses cuisant sous la lumière crue de la journée, avant de finalement prendre la décision de parler de nouveau, tentant cette fois une nouvelle tactique pour le faire réagir.
« Je vais t’attendre ici, d’accord ? Vas-y d’abord »
Et hop, il s’octroyait une pause en même temps qu’une raison de lui laisser la bride lâche, si on pouvait l’exprimer ainsi. Lui laissant le champ libre, il fut prudemment demi-tour pour tenter d’estimer la distante qu’ils avaient parcourut depuis leur petit camp monté pour la nuit. Même s’il lui tardait de pouvoir observer d’autres Graarh que celui dont il partageait la vie depuis plusieurs mois, il n’avait pas particulièrement envie d’être mal reçu parce qu’il aurait brusqué les choses. Avisant un affleurement rocheux pouvant servir de poste de guet, il l’indiqua sommairement.
« Je me pose là, tu n’auras pas de mal à me retrouver quand tu reviendras »
« Chaton ? »
Sa voix basse sembla absorbée par l’univers alentours, comme s’il avait jeté une pierre dans un puit sans fond. La constatation le fit tiquer, plissant les tournures de sa bouche nacrée dans une expression fugitive de frustration. Voilà bien son affaire, l’autre était désormais trop loin de son environnement immédiat pour l’entendre sans qu’il ne hausse le ton. L’idée de cancaner dans la plaine vide et silencieuse ne lui plaisait pas vraiment, apportant son propre lot d’insécurités. Secouant la tête, et par cela faisant tomber un peu de neige de sur sa capuche, il s’obligea à avancer de nouveau, à pas plus rapides pour regagner la distance perdue précédemment, tout en gardant le nez baissé vers le sol, prenant bien garde de ne pas glisser sur une plaque de verglas. Elles ne différaient parfois que très peu des sentes neigeuses encore praticables, et il n’avait vraiment pas envie de s’en aller rouler dans la poudreuse, l’incartade lui ferait perdre encore plus de temps et d’énergie, sans compter que le gros matou n’hésiterait certainement pas à le railler à foison, ce qu’il n’appréciait guère. Lui était plus doué, et bien plus taillé pour se déplacer dans cet environnement à pieds, en comparaison d’un simple vampire. Il était tellement concentré sur sa tâche qu’il manqua d’ailleurs percuter le Graarh de plein fouet, n’ayant qu’à peine enregistré la présence dans son champ de vision d’une queue touffue qui se balançait en rythme.
« Mais, qu’est-ce que… »
Surpris, il s’arrêta juste à temps, cilla, puis entreprit de contourner prudemment la créature pour pouvoir décocher son regard inquisiteur ailleurs que sur une surface pelucheuse et grise. Quittant à moitié la sente, son pied s’enfonça davantage dans la neige souple, et vint appuyer sur une surface dure et inégale qui devait être un morceau de roche. Il manqua perdre l’équilibre et se rattrapa à l’épaule solide du félin, qui ne broncha qu’à peine sous le poids supplémentaire qu’il lui infligeait. Raide et gauche, il oscilla un instant avant de passer devant lui pour l’observer d’un regard à présent plus critique qu’interrogateur. Allons, que l’autre ne lui dise pas s’être arrêté pour l’attendre ! Il avait bien failli lui rentrer dedans et s’expédier dans les rochers ! L’autre était difficile à lire, plus difficile que les vampires qu’il avait côtoyés, tout simplement parce que sa morphologie était différente et rendait la transcription plus délicate, sans compter que l’autre avait la manie d’une nonchalance qui n’aidait pas sa cause. Cependant, à force de l’observer, il fut convaincu que quelque chose ne tournait définitivement pas rond. Peut-être était-ce simplement un ressentit, peut-être se faisait-il des idées, mais tout de même. Se décalant légèrement en arrière, il continua de le mirer pendant quelques instants, ses prunelles vitreuses cuisant sous la lumière crue de la journée, avant de finalement prendre la décision de parler de nouveau, tentant cette fois une nouvelle tactique pour le faire réagir.
« Je vais t’attendre ici, d’accord ? Vas-y d’abord »
Et hop, il s’octroyait une pause en même temps qu’une raison de lui laisser la bride lâche, si on pouvait l’exprimer ainsi. Lui laissant le champ libre, il fut prudemment demi-tour pour tenter d’estimer la distante qu’ils avaient parcourut depuis leur petit camp monté pour la nuit. Même s’il lui tardait de pouvoir observer d’autres Graarh que celui dont il partageait la vie depuis plusieurs mois, il n’avait pas particulièrement envie d’être mal reçu parce qu’il aurait brusqué les choses. Avisant un affleurement rocheux pouvant servir de poste de guet, il l’indiqua sommairement.
« Je me pose là, tu n’auras pas de mal à me retrouver quand tu reviendras »