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Début année 1762


La neige crissait sous ses pieds, fraîche et encore vierge, tandis qu’il avançait en suivant la silhouette touffue du félin qui le précédait sur la sente. L’odeur du froid était partout, mélangée à celle du Graarh et à la senteur musquée et collante du yak. Cette dernière tendait pourtant à s’étioler depuis leur départ, sans doute parce que le bestiau n’était plus là pour la renouveler, pour son plus grand bonheur. Hors de l’abris de la yourte, la nature reprenait ses droits, lui transmettant un étrange sentiment de bien-être. Et pourtant, le haut-dragon seul savait combien il était fatigué de cette marche, bien qu’il fût trop têtu pour l’avouer. Une viscérale paranoïa l’empêchait encore d’avouer ses faiblesses, même lorsqu’elles étaient apparentes ; ainsi en avait-il été avec sa famille, et ainsi en était-il avec Purnendu, et ainsi en serait-il certainement indéfiniment puisqu’il ne se sentait pas du tout prompt à changer à ce sujet. Pourtant, le félin avait prouvé qu’il n’était pas un ennemi, et ce des centaines de fois, mais rien à faire, cela finissait toujours ainsi… La logique n’avait pas de prise sur cette méfiance instinctive qu’il éprouvait, et qui le retenait toujours, en fin de compte. Alors il se taisait, se contentant de faire dévier son attention sur autre chose, se changeant les idées autant qu’il était possible de le faire dans un univers uniformément blanc. Une bise coupante comme un rasoir lui fit étrécir les yeux sur les alentours, alors qu’il marquait une halte impromptue, laissant l’autre prendre de l’avance sur lui. Qu’était-ce donc que ce son ? Le sifflement du vent, ou bien le gémissement de l’abominable créature qui ne semblait toujours pas décidée à abandonner la poursuite ? Quelques secondes s’égrenèrent, empreinte d’une attente lassée d’avance, anticipant l’épreuve à venir comme il avait appris à le faire… pour être détrompé immédiatement après. Ce n’était pas ça, il aurait déjà dû ressentir les premiers signes. Le vent donc, tout simplement. Il s’en faisait trop, beaucoup trop. Ça n’aidait pas sa rémission d’être en permanence embourbé dans un tel état d’esprit négatif…

« Chaton ? »

Sa voix basse sembla absorbée par l’univers alentours, comme s’il avait jeté une pierre dans un puit sans fond. La constatation le fit tiquer, plissant les tournures de sa bouche nacrée dans une expression fugitive de frustration. Voilà bien son affaire, l’autre était désormais trop loin de son environnement immédiat pour l’entendre sans qu’il ne hausse le ton. L’idée de cancaner dans la plaine vide et silencieuse ne lui plaisait pas vraiment, apportant son propre lot d’insécurités. Secouant la tête, et par cela faisant tomber un peu de neige de sur sa capuche, il s’obligea à avancer de nouveau, à pas plus rapides pour regagner la distance perdue précédemment, tout en gardant le nez baissé vers le sol, prenant bien garde de ne pas glisser sur une plaque de verglas. Elles ne différaient parfois que très peu des sentes neigeuses encore praticables, et il n’avait vraiment pas envie de s’en aller rouler dans la poudreuse, l’incartade lui ferait perdre encore plus de temps et d’énergie, sans compter que le gros matou n’hésiterait certainement pas à le railler à foison, ce qu’il n’appréciait guère. Lui était plus doué, et bien plus taillé pour se déplacer dans cet environnement à pieds, en comparaison d’un simple vampire. Il était tellement concentré sur sa tâche qu’il manqua d’ailleurs percuter le Graarh de plein fouet, n’ayant qu’à peine enregistré la présence dans son champ de vision d’une queue touffue qui se balançait en rythme.

« Mais, qu’est-ce que… »

Surpris, il s’arrêta juste à temps, cilla, puis entreprit de contourner prudemment la créature pour pouvoir décocher son regard inquisiteur ailleurs que sur une surface pelucheuse et grise. Quittant à moitié la sente, son pied s’enfonça davantage dans la neige souple, et vint appuyer sur une surface dure et inégale qui devait être un morceau de roche. Il manqua perdre l’équilibre et se rattrapa à l’épaule solide du félin, qui ne broncha qu’à peine sous le poids supplémentaire qu’il lui infligeait. Raide et gauche, il oscilla un instant avant de passer devant lui pour l’observer d’un regard à présent plus critique qu’interrogateur. Allons, que l’autre ne lui dise pas s’être arrêté pour l’attendre ! Il avait bien failli lui rentrer dedans et s’expédier dans les rochers ! L’autre était difficile à lire, plus difficile que les vampires qu’il avait côtoyés, tout simplement parce que sa morphologie était différente et rendait la transcription plus délicate, sans compter que l’autre avait la manie d’une nonchalance qui n’aidait pas sa cause. Cependant, à force de l’observer, il fut convaincu que quelque chose ne tournait définitivement pas rond. Peut-être était-ce simplement un ressentit, peut-être se faisait-il des idées, mais tout de même. Se décalant légèrement en arrière, il continua de le mirer pendant quelques instants, ses prunelles vitreuses cuisant sous la lumière crue de la journée, avant de finalement prendre la décision de parler de nouveau, tentant cette fois une nouvelle tactique pour le faire réagir.

« Je vais t’attendre ici, d’accord ? Vas-y d’abord »

Et hop, il s’octroyait une pause en même temps qu’une raison de lui laisser la bride lâche, si on pouvait l’exprimer ainsi. Lui laissant le champ libre, il fut prudemment demi-tour pour tenter d’estimer la distante qu’ils avaient parcourut depuis leur petit camp monté pour la nuit. Même s’il lui tardait de pouvoir observer d’autres Graarh que celui dont il partageait la vie depuis plusieurs mois, il n’avait pas particulièrement envie d’être mal reçu parce qu’il aurait brusqué les choses. Avisant un affleurement rocheux pouvant servir de poste de guet, il l’indiqua sommairement.

« Je me pose là, tu n’auras pas de mal à me retrouver quand tu reviendras »

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La journée s'annonçait excellente et si le ciel au bleu délavé ne présentait aucun nuage, seule la quiétude de la brise assurait au graärh qu'une soirée sans blizzard était à espérer. Un point positif puisqu'il n'avait absolument aucune idée de leur situation lorsque tombera la nuit ! Ils pourraient tout aussi bien être au chaud dans la yourte centrale du village, que pourchassés dans les glaciers. Il faut savoir que la météo de l'Inlandsis était capricieuse et ça, même pour les natifs, voire complètement folle à tout néophyte tant une après midi paisible pouvait virer au cauchemars climatique et ce, en un clin d’œil. Heureusement, ils voyageaient au printemps et les tempêtes s'espaçaient toujours, comme épuisées après l'hiver qu'ils venaient de traverser. Après tout, même les Esprits-liés les plus sadiques méritaient du repos. Un bon présage vu l'importance de l'événement que le guérisseur souhaitait accomplir aujourd'hui. Malgré son appréhension initiale,  puis l'angoisse grandissante à l'idée de se confronter à la-dite situation, il lui était dorénavant impossible de faire marche arrière. Non seulement avait-il déjà donné sa parole, mais il lui avait fallu de nombreuses veillées sous la yourte pour qu'il se décide à la faire... et encore bien d'autres pour organiser cette fameuse sortie. Reculer maintenant serait tout bonnement ridicule en plus d'être une perte d'énergie et de ressources inestimables. Autant d'arguments raisonnables pour un être pragmatique. Un lourd soupir échappa néanmoins à la truffe du graärh, enveloppant sa gueule d'un éphémère volute blanchâtre tandis qu'il allongeait inconsciemment le pas et trahissait son impatience à en finir au plus vite.

Avec les yeux rivés sur la ligne d'horizon, pupilles étrécies en un fin trait de pinceau dans l'absinthe d'iris vigilants, Purnendu observait sans ciller la route qu'ils empruntaient. Avec une fonte des neiges encore récentes, les risques d'avalanches et de fissures dans les congères étaient trop élevés pour se payer la moindre faut d'inattention. Muscles frémissants sous l'armure de cuir et de mailles, son épaisse fourrure ondoyait aux brises acérées qui remontaient depuis les plaines jusqu'à eux. Le col qu'ils empruntaient était peu connu des locaux et encore moins des rares expéditions vampiriques qui s'aventuraient de plus en plus loin dans les montagnes. Si le choix était avant toute stratégique afin de leur permettre un repli sécurisé en cas de conflits armés au village graärh, il était malheureusement tout aussi dangereux. Un éboulement pouvait survenir à tout instant, qu'il soit d'ailleurs causé par un troupeau de bharals ou par la simple fissuration des roches avec le givre et les pluies répétées, le résultat serait le même : désastreux. Il existait aussi la possibilité de croiser un prédateur embusqué ou encore de se briser une jambe en tombant dans une crevasse. Bref, l'atout majeur de ce sentier était aussi son plus gros défaut, mais au moins avaient-ils trouvé un plateau isolé où ils avaient pu monter le camps, y laisser le bétail ainsi que le yak et continuer seuls jusqu'aux plaines infinies qui s'étendaient à présent devant eux.

Un moment immobile, il laissa ses pattes s'enfoncer dans l'épais manteau de neige et leva la tête par delà ses épaules massives, humant l'air mouillé avec une sourde satisfaction. La grandeur de l'Inlandsis le grisait toujours autant, gonflant son buste d'un sentiment de liberté encore jamais égalé. Si pour beaucoup l'immensité n'était qu'un tableau virginal et monotone, Purnendu voyait quant à lui des dizaines de nuances dans la neige. Depuis la poudreuse tombée cette nuit aux plaques de verglas scintillantes de mille feux, il avait depuis longtemps appris le langage des étendues sauvages. Un long frisson d'impatience coula le long de son dos et fit s'hérisser la fourrure cendrée avant qu'il ne roule un peu des mécaniques afin de se dérouiller les articulations. Aaah comme il aimerait courir à quatre pattes jusqu'en perdre le souffle ! Malheureusement, la présence d'Ivanyr l'empêchait de commettre pareil folie, car alors quelle image aurait-il de lui après un tel spectacle !? Mains sur les hanches et queue balancée en un rythme indolent, plumeau de fourrure crème balayant la neige en petite gerbes poudrées, il laissa son regard glisser sur les dunes immaculées, les rares promontoires rocheux qui jaillissaient comme les mandibules de quelques vers des glaces ou encore les congères courbées en formes de vagues instables, acérées. Plus il observait le paysage et plus il se sentait curieusement mal à l'aise. Quelque chose n'allait pas sans qu'il parvienne à mettre la griffe dessus.

Sentant à peine le vampire butter contre lui, l'herboriste semblait s'être soudain transformé en statue de glace. Oreilles plaquées en arrière, regarde fixement porté au loin sans même enregistrer la silhouette du bipède qui entrait lentement dans son champ de vision, il semblait sur le qui-vive. Silencieux, il ne répondit pas à la proposition qu'on lui faisait tant est qu'il l'entendit seulement. Ses narines se dilataient au rythme d'une respiration profonde mais rapide, comme si le graärh humait l'air. Son buste s'était légèrement penché sur l'avant et sa queue, légèrement relevée en un point d'interrogation, s'agitait par petits spasmes nerveux. Après de longues minutes à fixer les alentours sans bouger de sa place, Purnendu cligna finalement des yeux et sembla se détendre. La tension coula hors de son corps à la façon de vagues trahies par l'ondoiement de son épaisse fourrure. Son sempiternel sourire réapparu alors qu'il pivotait souplement pour faire face à son ami. Babines vaguement étirées, yeux plissés et teintés d'amusement, il posa une largue main griffue sur l'épaule encore maigre du vampire et l'attira doucement vers lui afin de venir frapper son front au sien en un signe d'affection. Un profond et bref ronronnement vibra dans son poitrail avant qu'il ne s'écarte sans lui relâcher l'épaule.

- Faisons ainsi. Le camps est trop loin pour toi d'y retourner seul. Ici, tu seras bien. Restes à l'ombre malgré le froid. Tu es si blanc qu'en restant au soleil, une tribu pourrait te confondre avec un feu d'alarme... évitons une panique, mh ?

Taquin, il lui fit un clin d’œil et lui tapota l'épaule avant de le pousser avec douceur en direction du promontoire. Lorsque le vampire lui tourna le dos pour s'éloigner, il ne pu s'empêcher de le suivre d'un œil inquiet, puis de fixer le col qu'ils venaient tout juste de franchir. Ses babines se gonflèrent de contrariété et il passa une main dans sa crinière pour en peigner la fourrure emmêlée par le vent et le givre. Il ne pouvait pas lui demander de rentrer seul au camps, ce serait trop dangereux de le laisser partir seul vu combien il peinait à marcher dans cet environnement. Malgré ses efforts pour le cacher, Ivanyr avait la souplesse d'un pingouin sur une banquise... D'un autre côté, le laisser seul dans un endroit aussi ouvert n'était pas forcément mieux, mais si ses soupçons s'avéraient juste alors l'emporter avec lui immédiatement n'était pas une meilleure option. Un vague soupir lui échappa et il fit glisser sa paluche de sa crinière à son front puis à son museau en une lente descente aussi dépitée que résignée. Par les Esprits-liés ! Il détestait se confronter à ce genre de dilemmes. Roulant des yeux, il se détourna du col et vint s'assurer que son vampire amnésique soit bien perché.

- Je ne devrais pas en avoir pour longtemps. Je dois simplement vérifier quelque chose. D'ici mon retour, soit sage et silencieux.

Incapable de se retenir, il ronronna avec taquinerie :

- … Tu n'as qu'à faire le mort.

Sur cette ultime réplique, il se déchargea de ses affaires et s'équipa de ses armes de pugilat avant d'effectuer un bond spectaculaire de plusieurs mètres en avant. Tombant sur une pente douce, il fit voler une gerbe de neige dans son sillage tandis qu'il glissait jusqu'à parvenir sur un sentier animalier. La neige était régulièrement tassée, aussi pu-t-il aisément partir en une course puissante et aux foulées longues, souples. Courant sur ses quatre pattes, il ne tarda pas à disparaître hors de vue et laissa Ivanyr seul pendant ce qui devait être une poignée d'heures aux vues de la courbe amorcées par l'astre. Les ombres bleutées s'étaient étendues de plusieurs mètres lorsqu'il revint à petites foulées sur ses postérieures. Sa gueule était auréolée d'une buée opaque, créant de petits cristaux de glace sur sa fourrure au contour de ses babines et de sa truffe. Lorsqu'il s'arrêta aux pieds du promontoire, il posa les mains sur ses cuisses afin de retrouver son souffle dans un silence entrecoupé d'une toux légère alors qu'il souffrait du froid jusque dans ses poumons. Lorsqu'il eut retrouvé l'usage de sa voix, il se redressa et grimpa jusqu'au vampire pour s'asseoir à ses côtés. Oreilles basses et regard sombre, il entreprit de masser ses jambes pour s'éviter toute courbatures à venir. Sa queue restait inerte à ses côtés, légèrement courbes sur la pierre humide à l'exception du bout qui tapait avec agacement d'un côté et de l'autre.

- Je crains... kof... Je crains que notre expédition soit reportée, mon ami. La tribu n'est... pas au rendez-vous.

Dernière édition par Purnendu Chikitsak le Sam 21 Juil 2018 - 20:06, édité 3 fois

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Le fixant sans ciller, d’un regard de franche attente, le vampire se contenta d’attendre sa réponse, légèrement raide sous la patte griffue posée sur son épaule. En vérité, il l’aurait volontiers chassé, peu tactile qu’il était, mais il avait plus important à l’esprit sur le moment, comme savoir si oui ou non le chaton géant allait finir par lui répondre. Communément, Ivanyr était un vampire patient, mais ça ne l’empêchait pas d’avoir ses mauvais jours, comme tout un chacun. Et il semblait bien qu’il s’agisse justement d’un mauvais jour pour lui : il la voulait sa réponse. Sans doute était-ce aussi la perspective de rester planté là au beau milieu d’un sentier enneigé sans but ou logique qui aidait grandement à son manque de grâce. Et il s’en fichait éperdument. L’obtenir le dérida à peine, et il accueillit la boutade d’un simple clignement des yeux, avant de pencher la tête sur le côté, puis de jauger l’affleurement d’un coup d’œil critique. Ne sentant pas le froid, rester à l’ombre ne lui coûtait pas grand-chose, et ce serait peut-être plus discret, même s’il comptait surtout s’emmitoufler dans sa cape de brume pour se dissimuler. « Bon » Se détournant finalement, il laissa le Graarh seul sur le sentier, aussi bien physiquement que spirituellement, puisque son entière attention se tourna vers son environnement immédiat, tâchant une fois encore de lui éviter une chute aussi humiliante que malencontreuse.

Lentement, il se fraya un chemin jusqu’au plus petit des rocher, qu’il entreprit de grimper pour se donner un accès plus aisé au reste de l’effleurement. Parvenu en haut, il tourna un instant sur lui-même à la recherche d’un ensemble rocheux pouvant lui servir et jeta finalement son dévolu sur un recoin ayant une vague forme de chaise. Ramenant une fois de plus les pans de sa cape autours de lui, le vampire se donna quelques instants pour jauger l’assise, puis s’avérant satisfait, tourna de nouveau son regard, et son attention, sur le félin qui relevait le museau. Juste à temps, semblait-il, pour entendre sa dernière trouvaille en matière d’humour. Un bref instant, le regard de gemme ardente resta perplexe, le fixant avec une forme de méfiance criante, comme si le vampire cherchait le sens caché à ce qu’il venait d’entendre, persuadé qu’il y avait forcément autre chose que l’énormité qu’on lui faisait subir. Puis, lentement, il se dérida, soupira profondément, et l’observa avec lassitude, à mi-chemin entre amusement et désillusion. « Ne t’en fait donc pas, Chaton, je sais très bien faire le mort. Même toi tu t’y laisserais prendre » C’est qu’au début, le félin avait été perturbé de voir qu’il n’avait pas de signes vitaux, et lui s’en était beaucoup amusé. Et il n’était pas étranger à lui faire encore une frayeur de temps en temps.

Le voyant quitter ses fardeaux, il eut un frémissement du sourcil et se fit intérieurement la réflexion qu’il aurait sans doute dû les déposer près de lui plutôt qu’en bas. Nonchalant, il lui fit vaguement un signe de la main en le voyant partir au galop, et soupira de nouveau à se retrouver tout seul. « Je suppose que je n’ai plus qu’à me tenir compagnie tout seul » Fort heureusement, son esprit regorgeait de sujets méritant son intérêt pour les heures à venir. Sans compter qu’il pouvait en profiter pour pratique la magie, n’ayant alors pas à se soucier de savoir s’il allait enflammer Purnendu avec le reste. Le temps passa donc sans qu’il ne s’en rende vraiment compte, bien qu’au retour du félin, la roche se soit parée de plusieurs auréoles sombres, et perdus plusieurs arrêtes. Surpris de la soudaine et lourde respiration qui brisait le calme des lieux, Ivanyr tourna un regard sensiblement agrandit sur la silhouette massive et fronça les sourcils à le voir hors d’haleine. Lui laissant le luxe de se reposer un peu sans l’assaillir de questions, le vampire vint s’installer de nouveau sur son coin de roche et attendit en l’observant du coin de l’œil. Il n’avait pas l’air particulièrement dans son assiette, mais il ne voulait pas lui demander, aussi attendit-il simplement que l’autre prenne la parole. « Ah ? » fit-il avec détachement, malgré la pointe de déception qu’il ravala adroitement. S’il avait pris soin de dissimuler l’étendue de sa curiosité ce n’était pas pour rien.

« Tu n’as pas l’air dans ton assiette… tu veux me dire ? » Il passa une main dans le dos du félin, pour enfoncer légèrement le doigt dans la chair musclée de sa queue touffue. « Pur… ? » Tournant franchement la tête vers lui, cette fois, il se pencha en avant pour pouvoir croiser son regard. « Deux hypothèses au hasard… soit ils ont refusé que je vienne et te tiennent rigueur de ma présence…. Soit tu as vu quelque chose qui te travaille… » Il en resta là, cependant, ne voulant pas le pousser plus avant. Même si lui-même lui avait parlé de ses visions, de ce qu’il subissait au quotidien, l’autre n’avait peut-être pas envie de s’ouvrir à son tour sur ce qui le tracassait. Il pouvait comprendre, même si c’était, en un sens, frustrant. Se relevant pour ne pas rester à le mirer comme un tribunal inquisiteur, il s’avança sur la plaque rocheuse, avisa un petit renfoncement plein de neige et en prit une poignée pour la modeler en attendant.

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Son museau ne se releva pas immédiatement et le graärh continua un massage méticuleux qu'il fit descendre petit à petit jusqu'à ses pattes. Orteils écartés et griffes sorties, il malaxa ses coussinets avec force afin d'y chasser toute crampe susceptible de s'y loger et, dans le même temps, essaya de retourner un peu de chaleur dans ses extrémités gelées. La course avait été longue et au lieu de s'économiser, il avait galopé comme un idiot jusqu'à perdre haleine afin de laisser au vent le soin d'emporter ses feulements de rage et d'impuissance. Irrationnel, un tel comportement aurait pu causer sa mort en d'autres circonstances, mais à présent qu'il retrouvait son souffle à l’abri de la corniche ; il n'éprouvait aucun scrupule à s'être laissé aller de la sorte. Pas après ce qu'il venait de découvrir ! Pas avec un tel poids sur le cœur.Yeux mi-clos, Purnendu souffla tout l'air de ses poumons et avec ça, l’amorce d'un autre hurlement de désespoir, puis inspira longuement et bloqua son souffle quelques secondes avant qu'il ne relève un regard surpris, presque candide, sur le vampire. Troublé, le félin cendré en oublia un instant ses chagrins pour s'accorder quelques minutes à essayer de décrypter ce que l'on venait de lui sortir. Une paire d'oreilles dressée et l'autre rabattue en arrière, il fronça un peu le museau et se gratta le menton, pensif. S'il maîtrisait les bases de la langue commune parlée par les étrangers, certaines subtilités telles que les proverbes ou expressions lui étaient encore majoritairement obscures. Pour l'exemple, celle que venait de lui servir Ivanyr n'avait pas de sens car si « Ne pas être dans son assiette » devrait, en toute logique, avoir un lien avec la nourriture, connaissant le vampire la vérité était sûrement à des années de là. Donc, soit cela signifiait que l'on n'était pas au rendez-vous espéré, soit l'on n'était pas ce que l'on devait être... ? Dans un cas comme dans l'autre, il semblerait que son comportement ne soit pas passé inaperçu au regard acéré du vampire. Rhalalala, si ce dernier continuait à percer le masque de ses bluffs alors il aurait de gros soucis pour espérer continuer à lui mentir en toute impunité...

Un fin sourire désabusé ourla les babines de Purnendu qui poussa bien vite un long soupir rauque au rappel de ses tracas. Tête basculée en arrière, il s'effondra sur la roche givrée avec les bras en croix et les jambes étendues, pattes dans le vide. Était-ce forcément un mal de lui mentir continuellement ? Il s'agissait après tout d'un mécanisme de protection ! Le vampire devait retrouver sa mémoire au rythme qui lui paraissait le plus confortable et stable, hors cela demandait beaucoup de calme, quelques séances de méditations, de l'exercice physique, mais surtout le moins de conflits possibles en rapport au peu de son passé qu'ils avaient réussi à glaner jusqu'à présent ! Voilà pourquoi il avait tant rechigné à le présenter au reste de sa tribu durant les premiers mois de leur rencontre. Voilà pourquoi il avait accepté de le cacher dans sa yourte au lieu de le rendre au premier campement vampirique croisé et voilà pourquoi il avait soigneusement évité de l'approcher de toute zone pouvant contenir la moindre trace de dragons. Par la suite, et avant qu'il puisse réfléchir à une rencontre formelle, la situation s'était horriblement dégradée entre les graärh et les vampires, rendant impossible toute marche arrière les mensonges du guérisseur qui, aujourd'hui, se retrouvait dans une position bien délicate à l'égard d'Ivanyr qui ignorait tout du comportement scandaleux de sa propre race. Décidément, le destin se révélait bien capricieux ! Immobile, Purnendu prit une longue inspiration avant de souffler un rire d'auto-dérision quand il lui vint la conclusion qu'il était au pied du mur. Il n'avait pas d'autre choix que d'abattre ses cartes.

L'appel lui fit tourner la tête vers son ami et il le détailla à l'envers, toujours vautré sur le dos et la queue battant le rythme de ses réflexions troublées. S'il ouvrit des yeux ronds aux hypothèses qu'avançait le vampire, il ne peut s'empêcher d'arborer un sourire si large qu'il révéla en partie ses crocs. L'éclat ivoirin ne portait cependant aucune joie, simplement la cruelle désillusion d'être encore plus acculé et le fauve se redressa d'un bond puissant qui fit virevolter la poudreuse autour de lui. S'approchant du bipède, il posa une main sur son épaule après s'être glissé dans son dos et observa ce qu'il faisait pendant quelques instants. Aborder un sujet à la fois vaste et terriblement restreint dans ses conclusions ne le mettait pas particulièrement à l'aise, aussi prit-il le temps de regrouper ses pensées avant de prendre la parole d'une voix lente, modulée par des sons de gorge rauques.

- Ma tribu... Elle a rejoint le cycle des réincarnations et vogue à présent avec les étoiles.

Il ne voyait pas d'autres façons de présenter la situation ! De sa main libre, il se massa la nuque puis s'écarta avec un léger soupir et vint s'accroupir en bordure de leur perchoir. Son regard d’absinthe se lustra de mélancolie alors qu'il déviait sur la ligne d'horizon, glissait sur les arrêtes acérées des plaines puis de celles, plus généreuses, des dunes enneigées. Il s'arrêta dans la direction approximative du village enseveli et coucha les oreilles avec un énième soupir. Épaules voûtées, coudes sur les genoux et dos rond en une posture d'extrême fatigue, son masque d'éternelle indifférence s'effrita alors qu'il laissait une vive douleur crisper les traits bestiaux de son noble faciès. Sa queue s'enroula autour de lui et il vint enfouir les mains dans l'épaisse fourrure de son extrémité, peignant les mèches cotonneuses d'un geste distrait.

- Il ne reste personne à qui te présenter, Ivanyr. Ils... Ils sont tous partis.

La voix trembla et maqua de se briser, mais le graärh s'interrompit avant de trahir cette faiblesse et prit le temps de déglutir avant de poursuivre avec plus de fermeté :

- Je suis désolé mon ami, loin de moi l'envie de te garder de côté, mais je comprendrai si tu ne souhaites pas être mêlé à tout cela. Je peux t'escorter jusqu'au campement... nous avons encore quelques heures avant la tombée du jour.

Il soupira encore et pencha la tête de côté alors que son ouïe captait le grattement caractéristique d'un petit rongeur sous la couche de neige, un peu plus bas sur la pente. En une autre occasion, il aurait plongé tête la première pour saisir l'imprudent, mais aujourd'hui le cœur n'y était pas. S'en plus s'y intéresser, il leva la truffe vers l'immortel et le contempla avec patience et tendresse, sans une once d'hostilité ou de rancœur. Malgré son chagrin, il savait encore faire la part des choses et Ivanyr n'était en rien responsable de ce qui était arrivé à son village.

- Je vais cependant retourner sur le site afin de prier pour eux. J'en aurais pour une journée et une nuit, peut-être deux, selon la météo. Tu te sentirais capable de t'occuper du bétail en mon absence ?

Il se redressa lourdement alors qu'il prenait appuis sur ses genoux avec un vague grondement. Sa fatigue était davantage morale que physique, se sentant déjà au bout de sa vie à la perspective de brûler des feuillets de prières et d'encens pour que les esprits de ses proches puissent les entendre dans le vent et les murmures célestes.

Dernière édition par Purnendu Chikitsak le Sam 21 Juil 2018 - 20:07, édité 3 fois

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Sans but préconçu, ses mains aux longs doigts fins, qui avaient été capables autrefois de broyer le cou d’un humain avec aisance ou de soulever de très lourde charge, modelaient la neige, faisant rapidement apparaître la vague silhouette d’un lapin. Le petit animal n’était pas aisé à sculpter, mais cela l’occupait néanmoins avec efficacité pendant qu’il attendait que le Graarh se décide à lui parler. Et s’il ne le faisait pas ? Et bien il aurait une jolie sculpture pour se consoler. S’il devait prendre un pari effectif, sans doute Ivanyr aurait-il misé sur le silence du félin, et il se serait par cela lourdement trompé. Fort heureusement, ce jeu de hasard et de devinette était resté clos à l’intimité de son esprit, dans lequel l’autre n’était pas convié. « Ah… » Il s’agissait davantage d’une marque de son attention que d’une réaction réelle à ce qui venait de lui être avoué. L’énormité de la révélation ne lui avait pas le moins du monde échappée, mais sa portée réelle commençait tout juste à lui apparaître. Sans compter qu’il n’avait aucune idée formelle de la façon dont sa réaction été attendue. Pour Purnendu, ce devait être une catastrophe, même s’il vivait en reclus loin des siens les trois quarts de l’année. Mais pour lui-même, les choses étaient moins extrêmes. Il n’avait aucun lien rationnel avec ces êtres, si ce n’était sa curiosité et son envie de les connaître, désormais durablement contrariées. Il n’était pas proche d’eux physiquement et socialement, il ne se sentait pas proche d’eux psychologiquement. Bref, ils étaient de parfaits étrangers. Son seul lien bien établit avec eux, c’était le grand félin qui se tenait derrière lui, et vers lequel il tourna légèrement la tête.

Un instant, il l’observa sans aucune autre réaction, le décortiquant pour jauger de son état réel à la lumière de ce que l’on venait de lui apprendre. Immédiatement, il décida que le guérisseur pourrait tout à fait se passer de son avis sur le sujet de la mort et de la réincarnation, au moins pour le moment. « D’accord » fit-il cette fois. C’était une manière comme une autre d’essayer de raccrocher les wagons. Le laissant s’éloigner, le vampire pondéra brièvement le principal détail qui le perturbait dans cette tournure d’évènements pour le moins inattendue. Une tribu entière disparaissant comme cela, d’un coup ? Comment était-ce possible ? Avait-il été question d’une épidémie, ou d’un accident de terrain ? Une bataille entre deux tribus adversaires ? Cette dernière solution semblait ne pas concorder avec le peu qu’il savait de cette race et de son implantation sur l’île. Se détournant de son petit rongeur de neige, qu’il déposa sur la roche, Ivanyr se mit à observer la forme sensiblement prostrée, envahit d’un léger malaise. Que devait-il faire ? Que devait-il dire ? Il n’avait aucune idée de la façon dont il devait se comporter, soudainement. Le chagrin qu’il sentait confusément chez le Graarh ne trouvait aucun écho chez lui. Il se le représentait comme une surface dure et lisse, sur laquelle il ne trouvait aucune prise qui aurait pu l’aider à le gravir pour aller chercher l’esprit qui souffrait derrière lui. Ce n’était pourtant pas faute de le souhaiter. « Bien sûr » Oui il s’en sentait capable, et la réponse fut automatique, très simple. Elle ne voulait rien dire en vérité, c’était un tac au tac factuel et pragmatique. Mais contrairement à lui, Purnendu y plaçait plus que cela.

Un instant, il entre-ouvrit les lèvres pour essayer de casser, sans trop savoir comment, cette espèce d’automatisme, ce vélin de simplicité d’un échange qui esquivait le deuil planant autours d’eux. Il n’avait pas envie d’encombrer le Graarh, ou de devoir le ralentir, ou jouer les intrus dans son chagrin et dans ce qu’il devrait probablement faire au village pour que les siens aient un bon repos. Surtout alors qu’il y était complètement étranger et même inerte. Se donnant encore davantage de distance, le vampire croisa par hasard le regard du félin à ce moment-là, et se trouva coi. Un instant s’égrena avec la lenteur d’un éon avant qu’il ne se reprenne. « Je ne me sens mêlé à rien, chaton. Je t’accompagnerais si tu veux bien de moi à tes côtés pendant ton deuil. Sinon, je retournerais m’occuper des bêtes » Peut-être se fourvoyait-il totalement, mais il avait l’impression que ce regard-là lui demandait de rester, sans que son compagnon ait la force ou la volonté de le lui demander clairement. Peut-être était-ce de la fierté, également. Peu importait en fin de compte, pour lui ça revenait au même, il ne se sentait pas mal à l’aise dans l’idée de le soutenir par sa présence. Ce qui le rendait mal à l’aise, c’était purement de ne pas réussir à compatir comme il le devrait. Et s’il devait être parfaitement honnête envers lui-même ? Il était curieux de voir ce qui s’était passé. Intuitivement, il le contourna, agissant plus sur un coup de tête qu’autre chose, et l’entoura de ses bras, se serrant dans son dos. « Retournons au campement ensemble. Pour éviter de laisser tout cela sur place, on ne sait jamais et ensuite retournons vers le village de ta tribu. Si tu veux, tu pourras m’apprendre vos rites funéraires et je t’aiderais à purifier les lieux »

Se décollant, il se pencha et lui fit un sourire « A défaut de les connaître, ce sera avec sincérité que je leur souhaiterai un bon repos et une heureuse réincarnation le moment venu » Son sourire se fana très vite, cependant, alors qu’un léger frisson coulait le long de sa colonne vertébrale. Plus loin, vers le sentier glacé qu’ils avaient quitté des heures plus tôt, se trouvait une femme. De haute taille, fine comme une lame, mais musclée comme une prédatrice, peau blanche scintillant doucement, elle regardait dans sa direction. Sa longue chevelure ressemblait à la sienne, de la même couleur d’un blond-blanc doux. Elle était belle, dans un style austère et étrange, avec son regard sombre et vibrant et son absence de sourire. Moi aussi, j’ai vu les miens périr… Ivanyr cilla, se crispant instinctivement, et lorsqu’il regarda de nouveau, elle avait disparue. Une vision de plus. Pourquoi maintenant et ici, il n’en savait rien, mais il sentait le regard de cette femme gravée à même sa chair immortelle. Déglutissant légèrement, il chassa son malaise, se reprit et revint à l’instant présent. « Pardon... juste une absence. Alors, qu’en dis-tu ? » Soudainement, il était encore plus motivé à accompagner le félin. Pour ajouter à tout le reste, il y avait maintenant la certitude qu’il ne voulait pas rester seul avec ses compagnons spirituels de toujours. Encore moins quand il s’agissait d’une nouvelle venue. Il aurait presque préféré Saeros. « Est-ce que… tu sais ce qui s’est passé là-bas ? » Il n’était pas tout à fait certain de vouloir la réponse, et pourtant il l’attendait à en perdre haleine. Définitivement de la curiosité morbide.

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Son regard croisa le sien et il eut le plus grand mal à conserver un masque imperturbable alors qu'il sentait le chagrin ronger sa volonté comme une marée corrosive et inéluctable. Il était troublant de constater combien la présence d'un ami venait à exacerber le sentiment de perte, rappelant cruellement que toute chose était éphémère. Aujourd'hui le vampire était à ses côtés, mais qu'adviendra-t-il demain ? Malgré son immortalité contre les affres du temps, Ivanyr était de chair et de sang : il pouvait être détruit à tout instant, balayé en un battement de cils… abandonnant par la même occasion le graärh à une solitude plus pesante que jamais. Il s'était reclus volontairement dans une décision guidée par le deuil et la culpabilité, mais aurait-il pu changer les événements qui frappèrent sa tribu s'il était resté à leurs côtés ? Combattre jusqu'à la mort, survivre pour soigner les blessés… ou survivre dans la honte. Comment savoir ? Il lui était impossible de revenir en arrière, de modifier quoi que ce soit. Il ne lui restait qu'à avancer, trouver des réponses puis venger la mort des siens, réparer ses erreurs et atténuer cette culpabilité qui le gagnait à nouveau.

Perdu dans ses pensées, regard voilé de mélancolie et corps crispé, il sursauta à la voix de son ami et retourna à l'instant présent avec une expression interloquée. Le fauve n'avait pas réalisé que durant tout ce temps il n'avait pas cessé de fixer Ivanyr, même si ses yeux ne le voyaient plus. Un vague sourire penaud ourla ses babines et il roula des épaules dans l'espoir de chasser son malaise avant qu'il ne redresse les oreilles en le voyant approcher, le contourner et finalement l'enlacer. Son cœur loupa un battement, puis sa queue vint s'enrouler autour de la haute, mais frêle silhouette du vampire, véritable boa de fourrure soyeux à l'odeur de musc et de neige fondue. Lentement, il ferma les yeux pour expirer longuement une partie de son émois. Ils étaient rares les instants où son compagnon de route initiait un contact quelconque, mais chaque moment privilégié était scrupuleusement conservé dans la mémoire du graärh afin qu'il puisse les chérir à jamais. Pour un peuple viscéralement lié à la gestuelle autant qu'aux paroles, Ivanyr venait de sceller l'affection que lui portait l'herboriste par ses choix.

- … Merrrci… mon ami.

Le ronronnement profond qui lui échappa modula sa phrase et rendit le mot quasiment incompréhensible. Silencieux après ça, Purnendu ferma les yeux et continua de ronronner avec force, une grande main posée sur celles du vampire et le museau levé vers le ciel afin d'anesthésier ses poumons, comme son besoin de hurler, à grandes bouffées d'air glacé. Lorsque le câlin s'acheva, il se tourna à moitié vers le vampire et lui fit un vague sourire désabusé à ses propos, haussant un peu des épaules avant d'esquisser l'ombre d'un rire sardonique.

- Au moins là, ils ne pourront pas te rendre la politesse à coups de griffes !

Avec plus de sérieux, il ajouta tandis qu'il époussetait encore son armure des restes de neiges et de givres :

- Je suis sûr qu'ils entendront tes prières. Ce soir, je t'apprendrais à en écrire. Il s'agit de l'une des rares fois où nous utilisons cette méthode de communication… allez, rentrons au camp.

Lorsqu'il se tourna vers le vampire, il le trouva complètement figé à contempler quelque chose que seul son esprit amnésique et hanté pouvait percevoir. Silencieux, le graärh attendit qu'il revienne à l'instant présent et posa une main sur son épaule en un geste de réconfort. Il connaissait ses peurs et les fantômes qui le pourchassaient ce qui le rendait parfois terriblement frustré de n'être d'aucune aide concrète pour son ami. Aux excuses, il secoua la tête pour signifier qu'entre eux ils n'en avaient plus besoin, puis répéta avec patience ce qu'il avait décidé : Ivanyr et lui iraient ensemble sur les lieux funéraires dès que les premiers rayons du soleil baigneraient le camp. La suite, cependant, lui fit froncer les sourcils et il sembla soudain extrêmement mal à l'aise ainsi qu'hésitant sur la réponse à donner. Grattant sa nuque, il ébouriffa davantage encore sa crinière avant de choisir la voie du silence le temps de descendre pour récupérer ses affaires. Il remit son équipement de voyage ainsi que son sac, puis ajusta les lanières d'attache avant de souffler par la truffe.

- Le village a… été attaqué. J'ai mes soupçons quant aux responsables, mais je ne souhaite pas m'avancer sans davantage de preuves. Je ne suis pas resté longtemps, dès que j'ai compris que la tribu était... « partie », je suis revenu directement pour te prévenir.

Il tendit une main dans sa direction, paume vers le ciel, dans l'intention de l'aider à descendre de son perchoir sans glisser ou se faire mal. Une fois sur le petit sentier gelé, Purnendu jeta un dernier regard par-dessus son épaule avant d'entamer la marche de retour. Il préférait que le vampire constate de lui-même la scène pour se faire ses propres idées concernant les terribles événements qui s'y étaient produits. Même en datant de plusieurs semaines, l'incident avait été remarquablement conservé par la neige et le froid intense ; que ce soit le bûcher funéraire comme les débris de yourtes et d'enclos. Bien sûr, tout autres indices avaient été balayé par les blizzards, mais quelqu'un était venu entre temps pour respecter les morts… donc il y avait soit un survivant, soit un témoin collatéral du massacre. L'herboriste déprima à la perspective de se rendre à la Légion pour trouver ses réponses. Tout cela allait très mal finir, il en avait le sentiment.

Silencieux tout du long, il ne reprit la parole qu'une fois à proximité de leur campement. Il demanda à Ivanyr de défaire leurs paquetages, puis d'allumer le feu et de faire chauffer de l'eau. Pour sa part, il alla s'occuper du bétail et vérifier les pièges à proximité pour ne pas manquer un possible gibier providentiel. Lorsqu'il rentra, il vint défaire l'entièreté de son armure puis s'allongea près du feu avec un soupir de bien être. Un moment inerte, regard perdu sur les braises crépitants, il finit par s'ébrouer et commença la longue et fastidieuse tâche de faire sa toilette. Il lui fallait alterner entre sa langue et son peigne, passant au crible sa fourrure pour ne risquer aucune coupure de gel et de possibles infections. Durant son toilettage, le graärh expliqua à son ami les rituels funéraires de son peuple. Le cours dura de longues heures, surtout que le félin cendré cherchait régulièrement ses mots puisque le sujet n'avait pas encore été abordé dans son apprentissage de la langue commune des bipèdes. Une fois qu'il eut terminé sa tâche ainsi que sa leçon, il bailla à s'en décrocher la mâchoire puis demanda à Ivanyr d'aller chercher son outre de sang. Capable de contenir presque deux litres du fluide carmin, elle était faite dans la panse d'un bharal et recouverte d'un cuir souple chamoisé bordé de perles de bois et de cornaline. Purnendu la désinfecta à l'eau bouillante et pendant qu'elle séchait près du feu, il s'entailla le poignet pour faire couler un sang riche et profond dans un grand bol de bois. Consciencieux, le grand félin surveillait l'état de sa plaie et la richesse dans la robe de son fluide, le gouttant même pour s'assurer de son propre état de santé.

- Une bonne cuvée cette fois aussi...

Déclara-t-il avec un vague sourire cynique avant qu'il n'use de la magie pour refermer sa plaie d'un coup de langue appliqué. Filtrant le mélange pour s'assurer qu'il n'y ait pas d'impuretés, l'herboriste attrapa plusieurs petits sachets de toiles et les ouvrit un à un pour en renifler le contenu et en jauger le contenant.

- Que veux-tu comme assaisonnement cette semaine ? Je n'ai plus de piment, mais il me reste du gingembre, du curcuma et même de la cannelle. Arf… On arrive au fond de placard, il nous faudra retourner au port commercial lié à Keet-Tiamat pour renouveler nos réserves.

Une fois le choix d'Ivanyr arrêté, il versa la fine poudre et mélangea à nouveau avant de récupérer l'outre pour la remplir aux trois-quart. Même si les ingrédients listés ne donneraient pas de goût au sang, leur propriété anticoagulante empêcherait un gaspillage malheureux dans la réserve du vampire. Au quart restant dans le bol, encore chaud et au lustre profond, le fauve cendré le tendit directement au concerné pour qu'il prenne son repas en sa compagnie. Donner du sang avait été une surprise la première fois qu'il avait appris le régime alimentaire de son patient, mais sans suer plus que cela à la perspective de se saigner hebdomadairement, Purnendu avait simplement veillé à rendre son propre régime alimentaire plus riche afin de subvenir correctement aux besoins énergétiques du vampire. Aujourd'hui, après une année entière à le côtoyer, il prenait l'exercice à la rigolade et le tournait en simulacre de repas étoilé. S'allongeant, il l'observa boire avant de tourner le museau vers le ragoût qu'il réchauffait, constitué d'un lièvre maigre et de quelques racines, le tout épaissi par une crème de bharal et quelques herbes aromatiques.

- Ivanyr… comment te sens-tu de façon générale ? J'aimerais avoir un rapport de ton état sur un plan physique, mais aussi mental.

Il pouvait l'examiner sur le premier cas, mais il aimait entendre son patient décrire lui-même son état, comment il le vivait au quotidien et ce qu'il souhaiterait y changer. Ce sujet, abordé si abruptement, n'était pas aléatoire et encore moins innocent. Une idée taraudait le graärh depuis sa découverte du village et il avait besoin de certaines réponses avant de la creuser davantage.

Dernière édition par Purnendu Chikitsak le Sam 21 Juil 2018 - 20:09, édité 1 fois

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La soudaine vibration qui se répercuta dans le corps du Graarh avait surpris le vampire, lui faisant un bref instant écarquiller comiquement les yeux, avant qu’une vague crispation des traits ne vienne avouer son amusement. Blotti contre le félin, il ne répondit pas à ses remerciements, ne voyant guère quoi dire. Même après s’être détaché de lui, il avait encore l’impression de vibrer au son de son ronronnement. Silencieux, il attendait une réponse qui titillait sa curiosité autant que sa méfiance. Le laissant récupérer ses charges, et comprenant intuitivement qu’il n’aurait pas ce qu’il voulait immédiatement, le vampire prit le parti de la patience, observant à la place les alentours pour s’assurer qu’aucun autre fantôme ne l’attendait au tournant, prêt à lui sauter dessus. Spirituellement du moins. Pendant ce temps, le félin s’était de nouveau harnaché, et sa réponse vint sortir Ivanyr de sa contemplation.  « Je comprends » Il n’y avait guère plus à en dire pour l’instant, il serait bien temps d’examiner les ruines lorsqu’ils seraient sur place, pour essayer de déterminer, si c’était seulement possible, ce qui s’était passé. S’approchant du bord de l’affleurement, il s’appuya des deux mains dans la patte du Graarh et descendit, raide, de son perchoir en manquant de glisser sur la neige tassée. Une fois son équilibre retrouvé, il suivit Purnendu jusqu’au chemin qu’ils avaient empruntés ensemble plus tôt dans la journée, en direction du campement qui les attendait. Respectant le besoin de silence du félin, Ivanyr resta coi jusqu’au moment où l’autre rompit le silence, ne voyant de toute façon pas bien ce qu’il aurait pu dire…. Mieux valait le laisser venir à son rythme à lui, sans le brusquer. C’était ce que lui aurait aimé que l’on fasse dans son propre cas.

Relevant les yeux et rejetant en arrière sa capuche, le vampire hocha simplement la tête, laissant l’autre aller de son côté et s’occupant du feu en priorité. Cela ne lui demandait que quelques efforts, et lui permettait d’user d’un peu de magie bénigne. Accroupit devant le foyer, il ne perçut la forme près de lui qu’en relevant les yeux de la flamme qui commençait à prendre en crépitant. Un sursaut violent le poussa sur ses pieds, et manqua le faire tomber en arrière. « Bon sang de… » Yeux flamboyants rivés sur la silhouette aux oreilles pointues qui le toisait avec dédain, le vampire expira profondément et se redressa avant de lui tourner résolument le dos. S’approchant des paquetages, il en attrapa un à pleine main et se mit à fourrager pour en sortir les éléments les plus importants, ignorant superbement l’ancestral vampire qui l’attendait près du feu. Ce n’était vraiment pas le moment ! Une minute passa, puis une autre, et encore une autre et finalement, ayant rangé le contenu du premier sac, il darda un regard courroucé sur l’apparition. « Tu comptes rester là longtemps ? » Pas de réponse, juste l’autre qui croisait les bras narquoisement. C’était sa veine ça, magnifique ! Revêche, l’ancien nordique alla attraper l’énorme marmite, la remplit de neige et l’installa sur les montants au-dessus du feu avec détermination. Les massacres tu n’y es pas étranger, pourquoi est-ce que ça te trouble autant ? Un de plus ou un de moins… Et vla l’autre qui cause… Un soupire douloureux lui échappa, et pour toute réponse, l’apparition se vit traversée par une boule de neige. Il n’avait définitivement pas envie d’en discuter, encore moins avec lui, et en plus ce n’était pas vrai ! Il n’avait jamais rien eut à voir avec le moindre massacre.

Lorsque Purnendu revint, Ivanyr était occupé à prendre pour cible l’ancestral qui le foudroyait à son tour du regard. Heureusement, la voix du Graarh le tira de sa morbide occupation avec efficacité et il se rapprocha du feu pour l’écouter plus aisément. Le sujet était si fascinant qu’il en oublia son compagnon éthéré. Silencieux, il ne brisait son immobilisme que pour l’aider à trouver ses mots, d’une voix douce et neutre, retombant immédiatement dans le coi pour mieux réfléchir à ce qu’on lui enseignait. Les heures filèrent sans qu’il s’en rende vraiment compte et quand l’autre se mit à bouger, le vampire cilla enfin et se redressa à son tour. Il suivit le rituel nutritif sans paraître particulièrement affecté, à peine amusé de le voir si consciencieux pour le garde en vie… « Cannelle » fut la réponse sans façons qu’il servit. « Est-ce qu’on aura assez de provisions pour s’occuper de la cérémonie et pour retourner au port ? » Lui n’avait pas vraiment besoin de se nourrir régulièrement, il pouvait se passer de sang pendant un moment au besoin. Mais Purnendu était vivant lui, il avait d’autres besoins. Prenant le bol avec un signe de tête, il s’assit de nouveau et bu en silence, tranquillement, tournant le liquide de temps en temps et veillant à ne pas garder les lèvres souillées entre deux gorgées prudentes et étudiées. Il buvait comme un nanti aurait bu un vin capiteux, avec une affectation involontaire, pensif en testant le goût sur sa langue. L’ambiance se fit plus douce, dans le halo de chaleur du feu et les crépitements, le son bas de la flambée, qui berçait l’esprit et les sens. Progressivement, il se sentit s’engourdir agréablement et laissa son regard se perdre dans les flammes, cillant à intervalles réguliers pour chasser le picotement de ses yeux.

La voix du Graarh le tira de sa torpeur, et il détourna la tête du feu pour l’observer, déposant au passage le bol dans la neige, en équilibre. La question lui fit pencher la tête sur le côté, et il resta muet un long moment avant de commencer par simplement hausser les épaules. En vérité, la question tombait si étrangement qu’il pressentait le chemin qu’on voulait le voir emprunter, or puisqu’il ne trouvait pas d’échappatoire à cette manœuvre et n’aimait pas en être victime, il se murait dans le silence. Mais ça ne pouvait pas être une panacée. Il n’allait pas rester sans rien dire éternellement, d’autant que ce serait mal le remercier. En fin de compte, il se décida pour un entre-deux. « Je ne sais toujours pas reconnaître un chemin dans la neige mais je n’ai plus autant de problème à te suivre » fit-il tout d’abord, et accorda un regard franc au Graarh « Mentalement… ça va, ça vient. Je n’ai pas vu l’abomination à écailles depuis un moment. L’elfe-vampire me rebat les oreilles régulièrement mais je supporte mieux » Il y eut un nouveau silence pendant lequel le vampire retourna à sa contemplation du feu. « Je me sens bien ici » Son regard se porta une fois de plus sur le Graarh, direct cette fois. Il avait joué le jeu, maintenant Purnendu allait devoir faire la même chose s’il voulait être équitable. « Pourquoi ? Est-ce que j’ai l’air d’aller mal ? Tu penses que je ne suis pas en état de te suivre ? » Il avait l’impression que ce n’était pas de cela dont il s’agissait mais ne pouvait pas vraiment l’affirmer avec certitude. Cela pouvait tout aussi bien être sa paranoïa latente qui le lui chuchotait. La seule façon d’en être certain c’était de le laisser le lui dire.

Et pourtant, il sentait, presque viscéralement, sa réluctance. Alors, à la fois sincèrement et avec calcule, il se leva et vint s’installer contre lui en évitant de lui écraser la queue. «Dis-moi ce qui te tracasse…» Il hésita, puis après un instant, ajouta « La vision que j’ai eu au camp, celle du vampire. Elle me disait qu’elle ne comprenait pas pourquoi j’étais troublé de ce qui est arrivé… elle disait que je n’étais pas étranger à la notion de massacre… »

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L'entendre s'inquiéter sur l'état de leur réserve fit sourire le grand fauve qui appréciait de le voir s'investir et se projeter en avant, de prévoir leur avenir de façon commune. Aux premiers mois de leur cohabitation, Ivanyr avait montré un manque d'intérêt et de stimulus flagrants concernant son environnement immédiat, Purnendu compris. Cependant, le graärh avait progressivement réussi à se faire voir comme un allié, puis un ami et avait lentement éveillé l'attention du vampire sur les merveilles qui l'entouraient tel que les paysages, les animaux, les plantes et leurs vertus, ainsi que les sublimes aurores boréales. A partir de cet instant, Ivanyr s'était révélé atrocement curieux et parfois bien capricieux, de même que borné. Toutefois, cette évolution morale ravissait à chaque occasion l'herboriste qui l'encourageait de plus bel. Son but était, au final, de rendre à son patient une indépendance totale, loin de ses hantises et chaînes du passé, bien que lui faire retrouver sa mémoire soit un gros plus. Pour ce faire, le graärh avait veillé à lui donner des objectifs à court terme, puis d'autres plus conséquents afin que l'amnésique progresse par étape, qu'il restructure un caractère, une logique ainsi qu'une conception du monde pour orienter ses priorités en conséquence. Un exercice de longue haleine qui expliquait pourquoi, au-delà de son affection sincère à son égard, le guérisseur gardait toujours à ses côtés un tel cas même un an après leur rencontre.

Purnendu resta néanmoins songeur quelques minutes alors qu'il réfléchissait si, effectivement, ils auraient assez pour supporter cette halte inattendue. Jusqu'à présent il avait toujours veillé à conserver une certaine marge de confort justement pour s'éviter une pénurie en cas de blizzard ou de passage bloqué qui causeraient un détour, voire une immobilisation sur une période prolongée. Se levant, il alla vérifier la malle de bois finement gravé qui contenait le plus gros des ressources sèches en leur possession, puis souleva un angle du tapis afin d'atteindre une planche de bois rectangulaire qui servait de couvercle pour le trou creusé à même la glace et qui contenait le poisson ainsi que la viande fraîche. Tête penchée sur le côté, il calcula les rations qu'il était possible de constituer avec ses réserves, puis le nombre de jours qu'ils obtiendraient en conséquence. Une vague grimace étira ses babines alors qu'il revenait près du poêle ronflant. Sa queue s'enroula naturellement autour de ses pattes et il commença à la peigner de ses griffes courbes d'un air soucieux, mais pas plus affolé que cela. Enfin, il répondit de sa voix profonde dont l'accent prononcé rendait parfois sa dictée laborieuse :

- On en aura tout juste assez. En cas de soucis, je peux toujours sacrifier une des femelles bharals… même si je préfère éviter d'en arriver là. Lors de notre détour, il suffira d'être vigilant et de surveiller la trace de petits gibiers ou de carcasses. Sinon je peux toujours allonger d'eau mes ragoûts. Quant à toi, tu m'as dis pouvoir tenir plus d'une semaine sans nourriture, c'est bien cela ?

Attendant la confirmation, il se redressa pour se servir un bol et souffla justement sur la vapeur qui s'échappait du délicieux ragoût qu'il s'autorisait après une journée aussi forte en émotions qu'en activité physique. Le sujet réglé, il se perdit à nouveau dans ses pensées, ce qui laissait à son ami le temps de digérer l'interrogatoire qu'il lui lançait sans préavis. Ce n'était pas très gentil de sa part de venir l'asticoter ainsi, mais il avait réellement besoin de savoir où en était Ivanyr avant de poursuivre ses plans. Yeux clos entre chaque bouchée, il savourait les parfums qui éclataient sur sa langue sensible. Il était incapable de manger des plats trop chauds ou trop froids, ayant hérité de ses ancêtres félins cette fâcheuse particularité. Ses oreilles se dressèrent à la prise de parole du vampire et s'il ne fit pas mine de le regarder au début, il ne manqua pas une miette de son rapport. Plusieurs fois il hocha du chef et poussa même un grognement ou deux en signe d'acquiescement. Lui aussi avait remarqué les progrès d'Ivanyr lors de leurs longues marches dans les steppes et montagnes. Sa condition physique s'était améliorée en conséquence, redonnant à la haute silhouette du vampire une musculature saine et équilibrée. En ce qui concernait son état mental, Purnendu avait l'impression que les crises de son patient avaient, si ce n'est diminuées, au moins baissées d'intensité. Entendre Ivanyr lui confirmer ses soupçons lui arracha un vague sourire et il rouvrit les yeux pour le fixer avec sa franchise habituelle.

- C'est tout le contraire, mon ami. C'est parce que je te pense capable de me suivre si loin que je te pose la question. La volonté d'avancer est aussi importante que la capacité physique à le faire.

Il ne continua pas plus loin, car déjà l'autre se levait pour l'approcher. Curieux, il pencha la tête de côté tout en courbant les oreilles vers l'arrière pour marquer davantage sa surprise. Voilà deux fois que le vampire cherchait sa présence, voire carrément son contact. Avait-il l'air si déprimé pour obtenir pareil traitement de faveur ? Ou bien le sujet était-il plus sensible qu'il ne le pensait pour le blond ? Quand il fut proche, Purnendu l'entoura de sa longue queue et appuya son épaule à la sienne avec un vague ronronnement d'aise et de réconfort. Il l'écouta encore, incapable de cacher son inquiétude aux propos que lui portait Ivanyr sur sa vision. Silencieux, il déposa son bol dans un récipient plus grand qui contenait une neige fondue et gardée tiède par des pierres tirées directement des braises du poêle. Il observa l'eau se troubler, puis les bulles remonter à la surface. Le fauve cendré prit le temps de réfléchir, d'ordonner ses mots afin de ne pas brusquer son ami en formulant une maladresse.

- Peut-être as-tu été confronté à des événements similaires dans ton passé. Peut-être as-tu toi aussi perdu des êtres chers, comme je viens d'en perdre...

Il tourna la tête vers lui et plongea son regard dans le sien. Le bout de sa queue tapotait la cuisse d'Ivanyr alors que ses mains griffues s'occupaient de lisser un pan du tapis sous lui. Babines pincées avec un peu de rancœur, il prit une profonde inspiration avant de poursuivre.

- Les vampires qui sont installés sur Nyn-Tiamaat organisent régulièrement des pillages sur nos tribus. Ils tuent principalement, mais il arrive aussi qu'ils emportent des graärh pour alimenter un marché d'esclaves… D'après ta vision, il est probable qu'ils aient eu le même comportement sur vos anciennes terres, ce qui expliquerait ta peur de combattre.

Purnendu ferma un instant les yeux et prit sur lui de ravaler ses émotions pour ne pas risquer de transmettre les mauvaises intentions à son ami. Il ne souhaitait pas l'assimiler au massacre des siens, il voulait le voir comme une victime collatérale, car quelle autre raison pouvait-il y avoir au fait de perdre la mémoire si ce n'était se confronter à un terrible traumatisme ?

- Après, ce sont des histoires entendues dans les villages et campements que j'ai croisé ces derniers mois. Peut-être n'est-ce qu'une propagande lancée par la Légion ! Nous autre, graärh, sommes très territoriaux alors ça ne m'étonnerait qu'à moitié que ces rumeurs ne soient qu'un écran de fumée pour nous garder éloigner des autres races. Après tout, le seul vampire que j'ai croisé n'a, si l'on oublie son caractère imbuvable, rien d'un meurtrier assoiffé de sang et de pouvoir.

Taquin sur la dernière partie, il le bouscula doucement de l'épaule tandis qu'il arborait un large sourire révélant une part de sa dentition carnassière.

Dernière édition par Purnendu Chikitsak le Sam 21 Juil 2018 - 20:10, édité 1 fois

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Il l’avait laissé faire, calculant ce qu’il lui fallait, bien plus au fait que ne l’était le vampire de ce dont il avait, ou non, besoin. Purnendu vivait seul depuis longtemps, et il était vivant, deux bonnes raisons de ne pas intervenir dans ses vérifications. Lorsqu’enfin le Graarh eut terminé, Ivanyr se contenta de hocher la tête pour confirmer l’information demandée. Oui, il pouvait tenir plus longtemps, cela signifiait uniquement qu’il prendrait sur lui pour se contrôler davantage et qu’il serait plus faible, mais c’était parfaitement faisable. Ce serait un petit inconfort certes, mais tout à fait surmontable. Il le lui devait bien… C’était encore le sujet auquel il réfléchissait lorsque la longue queue de fourrure s’enroula autours de sa taille élancée. Un instant surpris, il y déposa une main, massant légèrement les muscles puissants sous la fourrure duveteuse. La prise de parole fut saluée d’un clignement des yeux de la part d’un vampire pensif, regard dans le vide et sans focalisation particulière. Est-ce qu’il avait perdu quelqu’un ? Bonne question, est-ce qu’il pouvait réellement dire qu’il avait perdu quelqu’un ? « Ma mère est partie combattre les chimères. Mais je ne me souviens pas d’elle, et je ne l’ai jamais vu. Je sais juste qu’elle était ma mère. Si j’ai perdu quelqu’un d’autre alors… je ne sais pas de qui il s’agit » Pourtant il y avait des images, et des sensations qu’il ne pouvait s’empêcher de voir ressurgir avec ce sujet très délicat. Des ressentis qu’il ne pouvait nullement expliquer, comme la tristesse qui l’avait envahi en voyant l’elfe se jeter vers lui et le traverser. Est-ce que cela avait même le moindre sens, ou bien son esprit était-il définitivement brisé, de façon invisible mais définitive ? Il était incapable de répondre à cette question.

« Quoi ? » Se tournant vers lui, il se focalisa sur les prunelles du félin, yeux arrondis par la surprise. Comment ça les vampires pillaient les villages Graarh ? C’était une blague de mauvais goût pour le faire réagir ou est-ce qu’il était sérieux là ? A voir son expression, Purnendu était sérieux… Digérant tant bien que mal l’information, Ivanyr se détourna de nouveau. Il resta un moment silencieux, tandis que le félin poursuivait en nuançant la nouvelle, lui tirant l’ombre d’un rictus ironique. Étrangement, cela ne le convainquait pas trop, même si c’était tout à son honneur d’essayer de ne pas condamner avant d’avoir des éléments définitifs à se mettre sous la dent. Inspirant, il éleva une main et vint attraper le bout de plumeau cendré pour jouer avec, un instant, avant de répondre. « Je ne suis pas imbuvable, je suis le plus sage et le plus adorable des vampires… » Son coup d’œil fut tendre, son cœur serré par la reconnaissance et par un début de confiance sincère et détachée. « Jamais je ne m’en prendrai à l’un des tient, sauf pour défendre ma vie. De cela je suis certain. Du peu que je sais de vous, je vous respecte et j’ai de la curiosité à votre égard. J’aimerais en apprendre plus et pouvoir être accepté… » Ivanyr secoua légèrement la tête. Il ne parlait pas beaucoup à Purnendu de cela, voire pas du tout. Certes, l’autre savait qu’il était curieux, mais jamais il n’avait été évoqué son besoin d’acceptation. Cette communauté qu’il effleurait simplement avec son compagnon de voyage, il l’avait instinctivement choisie pour terre d’accueil, et pourtant il avait autant d’espoir d’être absorbé qu’une plaie purulente par un corps humain. Encore plus si les vampires étaient responsables de ces exactions.

« Mais j’ai peur que cela soit d’autant plus compromis, si jamais mes semblables sont responsables de la perte de ta tribu. Les vampires aussi sont territoriaux, et cela… cela leur ressemble assez. Comme tu l’as dit, ils se comportaient déjà ainsi, sur notre ancien continent. Pendant plusieurs années, ils étaient en guerre contre les humains et les elfes » D’une voix qu’il gardait neutre, il conta comment les vampires étaient sortis de leur exile dans les terres désolées pour prendre d’assaut le royaume des hommes. Comment ils avaient grossi leur rang en transformant les plus forts des humains qu’ils croisaient… et tuaient ou réduisaient en esclavage les autres. Longtemps après qu’il eut achevé son récit, l’écho de ses propres paroles résonnait encore contre ses tympans, désagréablement. Le récit en lui-même avait été désagréable et il brûlait de se laver la bouche du goût qu’il y laissait, comme un aloès. Pourquoi le prenait-il tant à cœur ? « Je pourrais peut-être trouver un indice, sur place… même si je n’ai jamais vraiment vécu avec eux, avec les autres vampires je veux dire. Ça ne fait pas longtemps qu’ils sont ici, on ne balaye pas en un an les coutumes de milliers d’années. » Ni les défauts, d’ailleurs. Conscient qu’il était tard, et que contrairement à lui le Graarh accusait la fatigue, il vint lui lisser le poil. « Tu devrais te reposer un peu mitr* il y a beaucoup à faire demain. Je ne me sens pas de faire une transe, je vais probablement aller à l’extérieur pour m’entraîner un peu. Je tâcherais de ne pas faire de bruit » Se redressant, il attendit que la queue se déroule puis se tint droit, rabattant la cape sur ses épaules et sortant à l’extérieur.

Une fois dehors, il inspira profondément l’air glacé et s’écarta de la yourte. Il reviendrait lorsqu’il se sentirait à l’aise à le faire. Probablement qu’il commencerait aussi à ranger le campement, afin de faciliter la tâche à Purnendu le lendemain matin, et ainsi accélérer leur départ. Il voulait vraiment voir le village et tirer tout cela au clair.
* Mitr = Ami

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Le sourire s'estompa doucement et il coucha les oreilles vers l'arrière en une posture navrée lorsque le sujet retomba malgré ses efforts en des préoccupations bien plus sinistres. Toutefois, il était heureux de voir que sa vrille humoristique avait fais mouche et il s'en félicita intérieurement, mais il se promit quand même d'emporter Ivanyr voir les aurores boréales dès qu'ils en auraient l'occasion. Son ami semblait avoir besoin de faire le vide, de trier ce qu'il retrouvait dans sa mémoire morcelée et d'apprivoiser ces souvenirs avant de poursuivre sa route vers un rétablissement complet. Et ça tombait bien, car non loin il y avait un grand pic montagneux qui débouchait sur un minuscule plateau à la façon d'une coupe au sommet du monde. Si le bétail et le vampire ne pourraient pas y aller à cause du sentier bien trop abrupte, le félin pourrait toujours  prendre son ami à même son dos et grimper jusqu'à destination sans trop de mal. Une fois là-haut, Ivanyr n'aurait rien pour l'empêcher de tendre les bras vers les rubans lumineux, ni de plonger dans les étoiles et hurler ou pleurer tout son saoul, à l’abri des regards. Nostalgique de cette beauté naturelle qu'il n'avait vue lui-même qu'en de très rares occasions, Purnendu s'ébroua finalement pour revenir à l'instant présent et releva un regard limpide, au vert intense, sur le vampire. La nouvelle semblait l'avoir davantage ébranlé qu'il ne l'aurait espéré et il regretta un instant d'avoir joué avec lui la carte de l'honnêteté plutôt que celle de la prudence. L'état de son patient était encore fragile, surtout à cause de ses visions qui agissaient comme des cauchemars puisque l'être immortel ne pouvait plus dormir. Cependant, ses remords s'estompèrent alors qu'il écoutait la suite et il posa une main sur une de ses épaules afin de l'attirer contre lui en une accolade étroite. Il posa sa joue contre la sienne, fourrure soyeuse contre peau glacée et alors que son souffle chaud se perdait sur la gorge du bipède, il ferma les yeux avant de lui souffler avec tendresse et sincérité :

- Il n'y a que ceux qui resteront à tes côtés malgré les différences de nos peuples qui se montreront digne de ta confiance et de ton amitié... kyonki aap ek adbhut aatma hain.(1)

Il tourna le museau de sorte à presser une truffe fraîche sur sa tempe et se redressa ensuite avec un sourire affectueux aux babines. Lui lâchant l'épaule, il leva ses griffes pour chasser délicatement une longue mèche platine qui lui barrait le front et vint la glisser derrière l'une de ses oreilles. Ses yeux s'attardèrent sur ce cartilage tout rond et si unique dans l'ensemble du corps humain qu'il regretta de ne plus pouvoir étudier Ivanyr comme aux premiers jours. L'anatomie des bipèdes le fascinait, tant elle lui semblait frêle. Il laissa pensivement une griffe courber le lobe velouté avant d'écarter la main avec un sursaut et d'un rire désabusé, il reprit le fil de la conversation comme si rien ne s'était passé :

- Tous les autres ne mériteront que notre mépris et notre désintérêt. J'aime à penser que les Graärh sont des êtres de convictions et d'honneur, capables de distinguer un être bon à un ennemis et ce, sans distinction pour sa race.

Une fois son élan patriotique énoncé avec une pointe acide d'ironie, Purnendu s'allongea pour écouter la leçon d'histoire vampirique. Hautement intéressé par tout ce qui avait trait aux nouvelles races, il garda les oreilles bien droites et l’œil vif tout le long du récit. Lorsque ce fut terminé, il se redressa sur un coude et observa longuement le conteur improvisé avec bienveillance. Son cerveau chauffait de toutes les informations qu'il s'empressait d'engranger précieusement dans des dizaines de boites, sur des étagères bien codifiées dans son esprit. L'intelligence remarquable du fauve cendré se basait principalement sur son incroyable mémoire et quasiment rien de ce qu'il entendait ou ne lisait n'était oublié. Cillant enfin après de longues minutes de cette fixité propre aux félins, il roula sur le ventre pour s'étirer avec un énorme bâillement qui roula sa langue et révéla ses quatre paires de canines. Il n'avait pas le cœur à lui dire que le village avait été attaqué des semaines, voire des mois plus tôt que l'ensemble du rite funéraire avait déjà été conduit par un autre membre de sa race. Oh ils verraient bien cela demain, car effectivement il commençait à se faire drôlement tard et la journée du lendemain serait chargée. Au conseil, il ne pu qu'acquiescer et s'assura de mettre la bûche dehors puis d'étendre les braises dans le petit poêle avant d'approcher du lit circulaire qui lui servait de panier. La première couche était constituée de branches de sapins, puis d'un matelas souple de crins de chevaux et de duvets de perdrix. Le reste n'était qu'un amas de peaux de bêtes soyeuses et bien chaudes sous lesquels il alla s'enfouir avec un puissant ronronnement d'aise. Distraitement, il tricota son matelas pour s'assurer du rembourrage puis tourna deux fois sur lui-même avant de s'effondrer et d'amasser davantage de pelisses sur lui. Il ne fallu qu'une poignée de minutes pour qu'il s'endorme profondément, ayant dépassé depuis longtemps son heure habituelle de coucher.

L'aube le trouva déjà debout, en tailleur au milieu de la yourte et plongé dans sa méditation quotidienne. Il avait terminé ses longs exercices martiaux il y a peu, enchaînant naturellement sur le reste de sa routine avant de se prendre une collation légère, puis de sortir prendre une grande bouffée d'air glacé. Le grand fauve s'ébroua, attrapa une poignée de neige et se frictionna le corps avec avant de rentrer pour s'essuyer la fourrure et la brosser sommairement. Lorsqu'il entendit le crissement des pas d'Ivanyr dans la neige proche du camp, il sortit pour l'accueillir d'un immense sourire et l'invita à se reposer à l'intérieur le temps qu'il vérifie le bétail puis le sangle pour le voyage. Il convia aussi son ami à commencer le rangement à l'intérieur puisque ce dernier l'avait déjà vu faire et aidé un nombre conséquent de fois ; il lui faisait aujourd'hui pleinement confiance pour s'en occuper sans sa supervision. Il fallu quelques heures pour tout plier et harnacher sur la femelle yak les lourds paniers de provisions ainsi que la charrette qui transportait le reste de leurs affaires telles que la yourte, les meubles ou encore les nombreux ingrédients du guérisseur. L'animal placide sembla râler du poids soudain sur son dos, mais quand le graärh l'amadoua d'une racine juteuse, elle se mit en marche sans plus piétiner dans la neige. Les bharals suivirent avec entrain, sautillant sur les roches et bêlant avec bonne humeur tandis qu'ils venaient parfois mâcher une manche sur la cape d'Ivanyr ou encore frotter leur museau contre les paniers à provision avec l'espoir insensé d'y faire tomber quelque chose. La matinée passa paisiblement et au temps de midi, ils étaient arrivés à l'endroit exact de leur dernière halte. Les roches ébréchées portaient encore les brûlures causées par la magie du vampire, le givre et la neige n'ayant pas encore eut le temps d'effacer leur trace. Prenant un repas léger constitué de viande séchée, de légumes marinés ainsi que d'une poignée de fruits secs, Purnendu décida d'entretenir une conversation légère sur les différentes strates neigeuses : un sujet depuis longtemps abordé avec son ami afin de le sauvegarder des pièges dissimulés, mais qu'il continuait d'étoffer au rythme de leurs déambulations. Après tout, le sujet était aussi vaste et subtile que les immenses plaines de l'Inlandsis. Lorsqu'il s'estima assez reposé, il brossa le yak puis vérifia que les bharals n'étaient pas blessés avant de reprendre la route.

Ils arrivèrent en milieu d'après midi et déjà le soleil commençait à décliner sur la courbe céleste, allongeant les ombres bleutées sur les dunes de poudreuse fraîche, rendant au lieu un fort sentiment de solitude et de mélancolie. Le nord des ruines était à flan d'une colline légèrement boisée, protégeant ainsi des plus redoutables blizzards. A l'est, il ne restait que des barrières  faites de branches entrecroisées et qui formaient vaguement la délimitation de ce qui avait dû être, avant l'attaque, les pâturages du bétail. Vers l'ouest, un petit lac gelé avait été aménagé d'un ponton de bois afin que les pêcheurs puissent atteindre son centre sans risquer de tomber dans un trou de glace  trop fine. Pour ce qui était du village en lui-même, il ne restait que des ruines. Un grand incendie avait rongé les fourrures sur toutes les yourtes, ne laissant jaillir des couches de neige que quelques poutres et cerceaux de bois noircis comme autant de côtes d'une immense bête carbonisée. De nombreuses tombées neigeuses avaient couvert toute trace au sol, rendant impossible de savoir par quel côté était survenue l'attaque, ni par qui. Purnendu resta à l'entrée des ruines et les observa avec une expression indéchiffrable. Silencieux, il commença à monter leur propre camps à quelques minutes de marche et s'assura d'emporter son bétail vers les vieux enclos dont il vérifia la solidité avant de commencer à balayer un grand espace de neige pour révéler dessous une herbe rase, au vert passé presque jaunissant, mais qui sembla satisfaire les herbivores puisqu'ils se jetèrent dessus. La nuit tombait presque lorsqu'il se rendit aux côtés de son ami, une torche flamboyante dans une patte afin d'éclairer leur chemin, mais surtout permettre d'allonger la vision mélancolique des ruines calcinées.

- Nous brûlons les biens de nos morts afin qu'ils les accompagnent durant leur chevauchée dans les étoiles. Plus tard, je brûlerai des prières pour ces mêmes raisons.

Il eut un soupir et observa les poutres principales, noircies et parfois penchées ou même brisées en deux et qui pendaient de leur support verticaux, retenues par d'énormes clous de fer. D'un pas lent, il approcha des vestiges d'une yourte et passa la paume de sa dextre sur les gravures qui ornaient les piliers principaux, puis s'arrêta au milieu de ce qui devait être la pièce principale.

- C'était celle de ma mère. Une femelle fougueuse et remarquable, respectée dans le village. Je regrette de ne pas avoir cherché à la connaître davantage, lorsque j'en avais l'occasion. Mh ? Oh oui, je ne te l'avais pas encore expliqué je crois, mais nous ne sommes pas très portés sur les liens familiaux. Du moins, pas dans le même sens que vous autres d'après ce que tu m'expliquais.

Il haussa des épaules et précisa ensuite qu'il aurait aimé la connaître en tant que guerrière et amie, plutôt qu'en tant que pure figure maternelle. Des regrets cependant troubles, puisqu'il continua un moment d'errer dans cette ruine, essayant de rattraper les souvenirs oubliés de ses premiers mois d'existence. Il ne gardait qu'une odeur instinctive pour sa génitrice ainsi que quelques scènes de couleurs troubles et de bruits lointains. Finalement, quand la nuit fut totale et qu'une brise glacée se leva pour charrier la poudreuse déposée la veille, le grand fauve cendré proposa de rentrer au chaud.

- Nous verrons demain pour le bûcher funéraire et la présentation de nos prières. Ensuite, nous essaierons de trouver la fosse commune où les corps des assaillants auront été, normalement, rassemblés. Cela prendra la majeur partie de notre temps vu que les couches de neiges ainsi que celles de givre recouvrent à présent tout indice sur sa position.

Serré contre le poêle, il tenait un bouillon de poisson séché délayé avec de l'eau et un peu de lait, d'herbes et de racines anciennes. Museau dans la vapeur parfumée, il fixait les braises dansantes et soupira longuement.

- N'essaie pas de trouver ça par toi-même cette nuit, je ne voudrais pas fâcher les Esprits-liés s'il y en a encore de rattachés à ce village. Faisons cela dans l'ordre, après tout nous avons tout notre temps et rien ne changera ici dorénavant. Puis-je compter sur toi ?

Il posa sur le vampire un long regard patient accompagné d'un fin sourire, assuré qu'il respecterait son souhait et lui faisant confiance pour pouvoir aller dormir sur ses quatre oreilles.

*****
(1) Kyonki aap ek adbhut aatma hain : Parce que tu es une âme merveilleuse.

Dernière édition par Purnendu Chikitsak le Sam 21 Juil 2018 - 20:14, édité 5 fois

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Seul à l’extérieur, le vampire expira profondément, laissant ses épaules retomber légèrement. Une brise évanescente vint lui agiter les cheveux et la cape, et il resta quelques instants immobiles et silencieux, observant simplement le paysage montagneux en laissant la cacophonie de ses pensées mourir lentement, étiolée dans l’air glacial ambiant. Lorsqu’il se remit à bouger, une légère pellicule de neige s’était formée sur ses épaules et il avait quelques étoiles délicates et scintillantes dans des boucles qui ne l’étaient pas moins. Ses pas le menèrent dans un coin isolé de leur escarpement, sous l’abris d’un sapin solitaire et émacié qu’il n’en remerciant pas moins de son point d’appui. Il serait un appui appréciable si le vent se levait un peu trop. Là, il chassa les flocons, puis inspira profondément en focalisant son esprit sur la magie de la trame alentours. Pour les prochaines heures, il ne devait penser qu’à cela et à rien d’autre… Le lendemain, lorsqu’il revint près de l’entrée de la yourte, il constata de visu que le Graarh était déjà debout. Purnendu n’était pas un lève-tard, de façon générale, ce qui lui convenait très bien, mais après ce qu’il avait découvert la veille et le don de sa personne effectué, il ne l’aurait certes pas jugé de prendre un peu plus de repos. L’invitation, de même que son apparente jovialité furent sources de surprises bien qu’il n’en souffla pas mot, se contentant d’un hochement de tête calme avant de s’engouffrer à l’intérieur, loin de l’étreinte des bourrasques gelées. Lorsque le vent hurlait, son contact ressemblait à la lame bien aiguisée d’une dague raclant la peau. Installé à l’intérieur, il se retroussa les manches pour pouvoir commencer à empaqueter leurs affaires. Plusieurs heures furent nécessaires avant qu’ils ne soient prêt à partir. Durant la marche, Ivanyr resta majoritairement silencieux, conservant son énergie et son attention sur leur avancée pour ne pas les ralentir. Sur l’heure de leur bivouac de midi, il se laissa porter par le félin mais se contenta de poser des questions pragmatiques de temps en temps, ne ressentant pas forcément le besoin de rompre le silence de lui-même.

Puis en fine de journée, ils arrivèrent à destination. Le vampire s’arrêta un moment devant le spectacle, immobile, observant simplement les lieux de son regard fixe, y comprit lorsque le Graarh commença à avancer. Après un long moment, Ivanyr sembla enfin s’animer de nouveau et il alla aider à monter le camp, avant de retourner à son observation. L’obscurité n’était nullement un problème pour lui et seule l’approche de la flamme du Graarh le fit ciller et détourner les yeux vers la forme éclairée. « Nous avons tous des points de vue différents » fit-il distraitement, avant de retourner à l’observation du village. Les humains vivaient en de grandes familles, à plusieurs branches parfois très éloignées, et leurs noms signifiaient la richesse ou la pauvreté. Les elfes vivaient la famille comme le bien le plus sacré qu’ils puissent avoir, tant leurs enfants étaient rares. La famille était tout pour eux, mais si on creusait, elle était surtout la survie. Les vampires n’avaient pas vraiment de notion de famille, à part… mais peu importait. C’était des Graarh qu’il était question ce soir. « Tu m’en parleras davantage ? » La voix était révoltante d’une innocence détachée. Il le laissa là, avec ses possibles spectres, se déplaçant vers le petit lac gelé pour l’observer, étudiant le ponton avec curiosité. Une fois encore, il ne réagit qu’à retardement à l’offre de retourner à l’intérieur et hocha simplement la tête avant de le suivre. « D’accord… oui, je suppose qu’il sera difficile de retrouver leurs traces » Il avait du mal à se sortir de sa torpeur et se sentait étrangement lourd et engourdit… et le pire ? Il était certain que ça n’avait rien à voir avec la nuit passée ou un manque de nourriture. En rentrant, il s’était installé à distance de la source de chaleur mais face à son compagnon de voyage et contre toute forme de prudence, il décida de boire un peu, espérant que le sang l’aide à se donner un coup de fouet.

« Ne t’en fait pas » Il ne se sentait pas l’envie d’aller au dehors seul, en vérité. Conscient que cette pensée subite était peut-être la clef de son malaise, il se redressa et glissa avec tranquillité : « Cet endroit… il respire la tristesse…il est étrange… je me sens épuisé rien que d’y être » Il n’allait pas faire l’enfant et s’enfuir, son désir d’aider était sincère, vraiment, mais il estimait devoir faire part de ce qu’il ressentait tout de même. Son regard se perdit un instant dans les flammes. « C’est vrai que j’étais curieux de voir ton village natal mais… pas comme ça. Je sais qu’il ne faut pas regretter les morts, que cela ne simplifie par leur réincarnation, je sais aussi que ce n’est pas juste à leur égard, et ce n’est pas de cela qu’il s’agit… » Il fronça légèrement les sourcils, contrarié et vexé de ne pas trouver les mots adéquats « Je trouve simplement regrettable que ce soit le premier contact que je puisse avoir avec votre peuple en dehors de toi. Je suis réellement mal à l’aise ici et je ne parle pas de mon état médical… c’est vraiment lié à ce qui se dégage des ruines» [/color]

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L'ambiance au sein de la yourte était maussade malgré le ronflement du feu, le crépitement des bûches, le cadre douillet ou encore la chaleur diffusée autant par l'âtre, que la lueur ambrée et dansante projetée depuis les flammes. Avec un soupir, il ferma à demi les yeux et resta silencieux, écoutant les aveux de son ami et ne pouvant s'empêcher d'avoir le cœur étreint à l'empathie étrangement exacerbée qu'il révélait. Ivanyr n'avait jamais été un être très expressif, autant dans ses émotions que dans ses paroles, aussi le voir aussi affecté par la disparition de son village arracha à ses babines un vague sourire sans joie. Bien qu'il soit malheureux qu'un tel progrès se révèle en un moment aussi triste, l'esprit pratique du guérisseur ne pouvait s'empêcher de se réjouir. Encore silencieux de longues minutes, il déposa finalement sa gamelle pour attraper le tisonnier et vint remuer les braises dans l'espoir de faire craquer quelques notes boisées. Dans une longue et profonde inspiration, il s'imprégna du parfum boisé avant d'expirer tout aussi lentement et de couler un regard pensif en direction de son lit. Une idée lui trottait dans la tête, mais il n'osa pas encore la formuler de crainte que le vampire ne se braque et n'aille se perdre dehors, probablement à bouder. Pour autant, plus il l'observait et plus il était persuadé que tenter le coup en vaudrait largement la peine. De façon plus honnête, lui-même avait terriblement besoin de réconfort malgré l'expression neutre qu'il affichait avec obstination depuis la veille. Après tout, ce chagrin était sien et il n'avait aucun droit de l’épancher sur son ami qui avait déjà ses propres problèmes à traiter. Finalement, il éleva la voix avec une douceur amère, bras croisés sur ses genoux remontés, queue battant les tapis en un ondoiement démotivé.

- C'est un lieu abandonné aux regrets et au chagrin. Les morts violentes, nous connaissons... Cependant, si certains Graärh auront été tenu en vie pour devenir esclaves, alors ils auront assisté au massacre des leurs et au saccage de leur maison. Des sentiments si forts n'auront eut aucune difficulté à s'infuser dans les ruines et venir créer cette ambiance particulière. Peut-être plus encore si celui qui aura effectué le rituel était un survivant... Que les Esprits-liés aient pitié de lui car aujourd'hui, il est probablement un ashuddh(1).

Ne pas mourir au combat, survivre à une telle expérience et devoir en plus porter seul le fardeau du deuil jusqu'à la Légion, Purnendu savait combien celui ou celle qui aura porté pareille nouvelle sera devenu(e) un proscrit, une honte à leur race. Une condamnation injuste si l'on restait purement objectif, mais compréhensible lorsque les coutumes de son peuple entraient alors en compte. Le rescapé aurait dû poursuivre les vampires, trouver leur nid et possiblement revenir avec des renforts ou bien mourir glorieusement dans une ultime attaque... L'herboriste souffla par la truffe et vint s'écrouler sur le dos, sa chute amortie par les nombreuses couches de tapis et de pelisses. Pattes étendues, ses coussinets chauffaient agréablement près du poêle et il ronronna très faiblement. Il était heureux d'être ici, en sécurité et au chaud plutôt qu'à tout autre endroit de l'Archipel. Un sentiment égoïste, mais qu'il ne pouvait s'empêcher d'éprouver alors qu'il était si proche des ruines de son ancien village. Il ne voulait pas penser à ce qui aurait pu lui arriver s'il avait été présent : aurait-il changé la finalité par ses dons de guérisseur ? Serait-il mort ou pire... serait-il aujourd'hui dans une cage, castré et humilié d'un collier autour de la gorge ? Un vague frisson le prit et il se redressa sur les coudes pour fixer le vampire. Seulement à cet instant il réalisa combien Ivanyr se tenait à distance du feu et de lui. Dressa une paire d'oreille tandis que les autres se couchaient en arrière, il afficha une expression surprise et vaguement consternée alors qu'il se rasseyait pour terminer en quelques bouchées hâtives son repas.

- Veux-tu rester méditer dans ma couche?

Il ne pouvait pas réellement lui proposer de dormir, vu qu'une telle capacité échappait à son ami depuis sa vampirisation. Cependant, il ne se souvenait pas de l'avoir vu récemment se plonger dans cet état léthargique et il s'inquiétait de sa santé morale en plus de celle physique... aussi particulière soit-elle. Rinçant son bol et ses couverts, Purnendu vint retirer plusieurs couches de son armure souple qu'il alla ensuite disposer proprement à côté de son petit râtelier. Il jeta un regard à son ami et se glissa sous les premières couvertures, duvets et pelisses, veillant à laisser une place confortable pour lui s'il désirait le rejoindre. Tapis dans son panier, seule sa truffe et ses cornes dépassaient de l'amas douillet et il lâcha un « prrrr » taquin et enjôleur à l'intention du vampire quand il le vit se redresser. Satisfait de le voir approcher, il retint l'envie soudaine de le saisir pour l'enfouir à son tour dans son panier et le laissa plutôt s'installer de lui-même. Une fois que le bipède fut allongé, le grand prédateur des couettes émergea de sa cachette pour l'engloutir d'une étreinte aussi soyeuse que prudente. C'est que le vampire lui paraissait parfois tellement fragile ! Ainsi, Ivanyr fut enveloppé par des bras et une longue queue, serré contre un torse puissant d'où s'échappait un profond ronronnement diffus uniquement rythmé par la respiration du grand fauve. Museau enfouit dans les mèches platines, le graärh ferma lentement les yeux alors que la fatigue le rattrapait enfin. Progressivement le roulement rauque s'estompa et il ne resta qu'un souffle lourd, un corps relâché par le sommeil bien que l'étreinte autour du vampire ne se relâcha pas une seule fois et ce, pendant toute la nuit.

L'aube pointa timidement alors que le ciel se couvrait d'un gris pâle, encombré de nuages cotonneux et lourds qui promettaient une belle chute de neige poisseuse d'ici le crépuscule, voire le lendemain avec un peu de chance. Il n'y avait pas un souffle de vent et l'air était si froid qu'il en paraissait coupant sur le visage ou, pour ceux respirant, dans la gorge et les poumons. Purnendu s'éveilla avec un peu plus de difficulté et sembla rechigner à émerger, mais contraint de se plier à des besoins biologiques il s'extirpa des pelisses pour gagner l'extérieur. Lorsqu'il retourna dans la yourte un bon quart d'heure plus tard, sa fourrure avait doublé de volume pour le garder au chaud et il s'ébroua énergétiquement à l'entrée avant de jeter une brassée de bois sur les braises somnolentes du poêle. Quelques souffles et brassées de bouses plus tard, le feu prenait avant de carrément ronfler et crépiter joyeusement. Le fauve se fit une infusion d'herbes puis s'habilla avant d'effectuer quelques étirements. Il ne fit pas de méditation et passa plutôt une heure graver sur de petites plaquettes de bois plusieurs syllabes abugida pour former des prières aux défunts. Il fit de même sur des lanières de cuir et récupéra quelques omoplates de lapins et d'autres petits mammifères pour effectuer des prières qui ne succomberaient pas au feu et qu'il clouerait dans les ruines afin que personne n'oublie ce qu'il s'était passé ici. La matinée en était à sa moitié lorsqu'il termina et il proposa à son ami de transporter une partie des offrandes pendant qu'ils chercheraient le bûcher funéraire.

Ils le trouvèrent dans le sous-bois au sommet de la colline, à l'arrière du village. Les arbres les plus jeunes avaient été tranchés ou carrément brisés afin de servir de sommier en cette ultime litière. L'écrin de sapin avait protégé en grande partie les vestiges du site et Purnendu contempla avec une expression désemparée le nombre affolant de corps calcinés et d'ossements qui s'empilaient là, givrés par les longues nuits, poudrés par les quelques neiges qui avaient pu passer la frondaison des grands résineux. Le centre du bûcher n'était plus qu'un amas de charbons et d'os brisés par la chaleur ou peut-être les coups reçus de leur vivant. Aux extrémités, les troncs étaient encore composés bien que sévèrement entamés et quelques corps n'avaient pas entièrement été dévorés par les flammes. Elles avaient dû s'essouffler sous un blizzard ou une nuit trop fraîche. La gorge nouée, le graärh déposa les offrandes sur un tas de neige puis sortit une hachette et commença à abattre de nouveaux troncs et larges branches afin de faire un second rite funéraire. Silencieux, il travailla rapidement et accepta l'aide que lui proposait Ivanyr, se contentant d'un vague grondement comme seul signe de remerciement. Au lieu de déplacer toutes les dépouilles, il vint simplement renforcer les bases de l'ancien bûcher et replaça certains corps avec une immense références afin qu'ils puissent brûler entièrement cette fois. L'après-midi s'entamait quand ils eurent terminés et après une brève collation morose, Purnendu demanda au vampire de se charger d'allumer les épais fagots et de s'assurer que le feu ne s'essouffle pas. De son côté, il prit un bol de bois qu'il remplit de neige fondue avant d'y verser quelques gouttes de son sang. Il y ajouta de l'huile de poisson, des herbes sacrées puis fit brûler le tout en un petit autel décoré d'ossements d'animaux gravés et de fruits ainsi que de fleurs séchés. D'une voix profonde, il entama des prières où se mêlaient rugissements, miaulements déchirant et langage guttural. De façon régulière, il jeta dans le bûcher les plaquettes de bois et lanières de cuir préparées plus tôt et ce, jusqu'à n'avoir plus rien à offrir aux défunts.

Un silence s'abattit dès lors sur la colline. Plongé dans un profond mutisme, les yeux d'absinthe du guérisseur fixaient la minuscule silhouette d'un enfant, nimbée de flammes et recroquevillées sur le flan des autres adultes. L'attaque n'avait épargnée personne, témoignant d'un acte de pure violence et cruauté. Les vampires avaient dû songer à de possibles esclaves qu'après s'être rassasiés de sang frais, piochant chez les survivant les plus beaux spécimens à revendre ou préserver. L’écœurement d'une telle hypothèse noyait la gueule de Purnendu au goût acre de la rancœur. Malgré tous ses efforts pour ne pas devenir raciste, il ne pouvait s'empêcher d'éprouver une rage viscérale envers la race vampirique. Aveuglé par ses émotions, il se détourna d'Ivanyr et redescendit dans le village à grandes foulées nerveuses, frappant de l'épaule les troncs épais qu'il croisait, défoulant une partie de sa colère sur ces mannequins immobiles plutôt que de commettre l'irréparable avec son ami. Quand il fut dans les ruines, il était essoufflé mais aussi plus calme et pu clouer les ossements sur les poutres principales de chaque demeure et yourtes. Le geste répétitif l'aida à canaliser ce qu'il lui restait de rage, aussi lorsqu'il s'en alla vérifier son bétail ; l'herboriste avait retrouvé cette expression indéchiffrable ourlée d'un vague sourire désabusé. Encore un moment plus tard, une poignée d'heures avant que le soleil ne commence son déclin, il retourna voir Ivanyr et posa une main douce sur son épaule. Sans un mot, il regarda dans la même direction que lui puis l'invita à chercher la fosse commune pour finir leur quête de vérité et enfin pouvoir quitter cet endroit.

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(1) Ashuddh : Pariât dans la société graärh.

Dernière édition par Purnendu Chikitsak le Sam 21 Juil 2018 - 20:17, édité 1 fois

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S’il comprit le terme, celui-ci ne lui laissait qu’un sentiment de perplexité, au lieu d’une réalisation ou d’une compréhension quelconque. Même si Purnendu lui avait un peu expliqué la façon dont la société Graarh fonctionnait, il n’arrivait pas à admettre qu’un survivant puisse être renié simplement pour n’avoir pas périt avec les autres. La valeur sous-jacente n’était pas invisible pour lui, et elle se rapprochait en un sens de la façon dont les nordiques traitaient les leurs, mais ce n’était pourtant pas pour cela qu’il arrivait à le comprendre réellement. C’était sans doute purement psychologique, aussi le garda-t-il pour lui, ne voulant pas blesser davantage son ami par des mots trop candides. Quelle que soit la façon dont il jaugeait de tout cela, il était un spectateur extérieur et ne devait, en vérité, qu’accepter, tant que cela ne l’impactait pas immédiatement. Chaque culture avait ses propres bizarreries. Hochant simplement la tête, le vampire se passa donc de commentaires, attendant simplement de voir si le félin voudrait reprendre la parole, ou bien en rester là, tout simplement, auquel cas lui-même n’avait rien de plus à dire. La proposition soudaine  lui fit relever les yeux, légèrement, et il considéra la chose un instant avant de hocher la tête pour marquer son assentiment. Cela faisait un moment qu’il n’était plus entré en transe. Cela lui permettait de soulager son esprit, de le mettre en sommeil pendant un temps et il savait que Purnendu était très favorable à ce procédé, d’un point de vue purement médical. Néanmoins, il y répugnait légèrement, non par malaise quelconque ou parce qu’il avait peur de ce qu’il pouvait y trouver mais surtout parce qu’il n’en ressentait nullement le besoin. Lorsqu’il était épuisé, la fatigue était physique, et son fardeau mental et spirituel ne pouvait pas s’alléger par la transe, il en était persuadé, il le sentait en lui-même, comme une donnée impossible à nier ou changer. Oh il avait essayé, plusieurs fois, pour ne pas se borner, mais non, rien à faire. Ses cauchemars et ce qui hantait son esprit, tout se matérialisait réellement, tangiblement, sous ses yeux éveillés… cela avait depuis longtemps franchit les limites entre psyché et physique. La proposition avait une autre portée néanmoins, aussi acceptait-il volontiers, pour alléger une forme différente de fardeau.

Un instant, il l’observa se préparer au sommeil, et mit un moment à le rejoindre, retirant avec réluctance sa cape ample pour la déposer, nettement pliée, dans un coin, hors du passage. Puis il vint nouer sa chevelure en une tresse serrée, afin de ne pas être gêné et d’éviter qu’en bougeant, le félin ne lui tire une mèche ou deux, ou ne le scalpe carrément sans le vouloir. Un roucoulement enjôleur lui avait fait tourner la tête vers le tas de pelisses et de couvertures, et un vague sourire naquit sur ses lèvres. « J’arrive » souffla-t-il un instant, doucement, avant de lâcher l’étoffe et de l’approcher à pas lents. Se mettant à un genoux, il retira ensuite ses bottes puis se glissa avec lui dans les couches chaleureuses dont la tiédeur l’enveloppa comme un cocon, lui piquetant délicieusement la peau en un long frisson avant que ses muscles ne se détendent d’eux-mêmes. Il sourit davantage en le laissant l’enlacer et le ramener plus près, et vint passer les mains sur la queue soyeuse et touffue, comme il l’aurait fait d’une peluche pour enfant. La vibration qui vint lui masser le corps fut accueillie d’un léger soupire et il resta ainsi, paisiblement, le laissant s’endormir tandis que lui-même restait, flottant dans la chaleur et la vibration constante et apaisante. Son esprit mit bien plus de temps à se défaire de l’emprise physique mais il parvint finalement à atteindre l’état nécessaire à la transe et se laissa plonger, afin que son corps profite des bienfaits de ce repos. Comme il s’y attendait, l’expérience fut moins plaisante pour son intellect, et le laissa perturbé, l’esprit plein de questions sans réponses réelles. Toujours plus d’énigmes, comme l’était sa vie entière. Plusieurs fois, il quitta son état de stase et se laissa aller sous la respiration profonde du grand félin, ancré par sa présence puissante à ses côtés. Il suivit plusieurs de ses pistes, mais n’arriva nul part, et replongea finalement, ne trouvant aucun intérêt à continuer de penser. Lorsque l’aube pointa, il resta parfaitement immobile et détendu, n’indiquant rien de son éveil et de sa conscience. Il le laissa aller, et ne se redressa qu’à cet instant, s’étirant puis resta assit, pelisses sur les genoux, observant l’intérieur de la yourte.

Le silence régnait encore lorsqu’il revint et il perdura bien au-delà, le vampire venant s’installer près du Graarh pour pouvoir le regarder faire, sans le gêner. Quand il eut finit et lui proposa de l’accompagner, il hocha la tête, prit les offrandes et l’accompagna à l’extérieur. La découverte du lieu d’inhumation le plongea de nouveau dans un état contemplatif et il obéit scrupuleusement aux indications de son ami sur ce qu’ils devaient faire. L’après-midi brillait lorsque le vampire rompit enfin son silence, lorsque Purnendu lui demanda d’allumer les feus pour le bûcher funéraire. «  Veux-tu que je le fasse manuellement, ou par magie ? » Naturellement, il aurait été tenté de le faire par magie car elle était pour lui plus pure et donc plus adéquat, mais les Graarh avaient une culture bien à eux et il ne voulait pas risquer de troubler le passage des morts dans l’autre monde. Une fois qu’il eut la réponse, il s’attela à la tâche de son mieux. Bientôt le feu brûla, craquant et crépitant, sa chaleur ignée agressant et purifiant également… La danse était hypnotique, mais elle ne lui suggérait rien comparé aux prières de son ami, qu’il ne comprenait pas vraiment mais dont il percevait l’essence. Y avait-il certain de ses enfants parmi ces morts ? Probablement et même si la famille n’avait pas la même signification que chez les peuples de sa terre natale, enterrer un enfant était sans doute quand même quelque chose de douloureux. Il ne savait pas quoi dire, ni quoi faire par lui-même face à tout cela, cette énormité de mort… Lui n’avait pas peur du trépas, mais là, c’était différent, une chose étrangère, étrange, aliénante pour lui comme pour son compagnon de vie. Il allait finalement ouvrir la bouche quand le félin décampa en bondissant, lui faisant ouvrir de grands yeux surpris et tourner la tête pour le suivre du regard, bras ballants. Que lui arrivait-il subitement ? Pourquoi ? Il forma un moment l’idée de le rejoindre, mais comprit rapidement qu’il ne serait jamais assez rapide et qu’il ne savait pas même où Purnendu se rendait réellement.

Il resta donc sur place, veillant les flammes, attendant que le bûcher se consume, ne voyant pas les heures passées. Lorsque la danse s’étiola, que les braises seules éclairèrent le voile d’une nuit s’avançant, Ivanyr finit par reprendre vie. S’installant un genou à terre devant le bûcher, il posa un poing au niveau du cœur, et, lentement, entama un chant ancien provenant de la vieille terre du nord, qui lui revenait comme un songe mélancolique. Sa voix profonde et vibrante entama d’elle-même les paroles de la langue Glacernoise, roulant sur ses lèvres comme de l’eau, avec ses inflexions exotiques et antiques, sa profondeur, comme une nuit d’hiver dans les montagnes. Il ne sentit pas le Graarh lui revenir, yeux fermés, le visage caressé par la chaleur mourante et l’impression qui quittait les lieux, il alla jusqu’au bout de la complainte aux morts, les yeux humides de larmes sanglantes, et le cœur serré d’une émotion indescriptible. Lorsqu’enfin il eut terminé l’adieu des fils du froid, il rouvrit les yeux et se redressa péniblement, se sentant un peu ridicule de s’être comporté ainsi. Toujours ignorant de sa solitude avortée, il prononça pour les morts sur le départ. «  Je suis incapable d’imiter vos prières… et je pense que ça serait vous insulter que d’essayer de les reproduire de toute façon… alors j’espère que vous me pardonnerez si j’utilise une prière provenant de la contrée où je suis venu au monde. C’est… c’est la plus adéquate que je connaisse. Elle appartient à un peuple qui vivait avec la neige et le vent, comme vous. Et qui était aussi ombrageux et fier que vous. Vous… vous avez plus de choses en commun que vous n’imaginez… j’espère que dans une autre vie, vous aurez l’occasion de rencontrer ces hommes en paix et que vous serez heureux…. » Il baissa un instant la tête, déglutissant sa propre peine et ajouta, la voix légèrement étranglée. «  Merci… de m’avoir donné mon ami » Il se détourna sur cela, et marqua un temps d’arrêt en voyant le sus mentionné présent.

Par bonheur pour lui-même, il n’avait pas assez de sang pour rougir et savait afficher une expression neutre. «  … Tu vas mieux ? Bien » La proposition fut accueillie avec sérieux et il l’accompagna pour essayer de trouver où la fosse pouvait se trouver. Il fut difficile, mais ils y parvinrent, dans un recoin isolé et décentré de l’autel funéraire des Graarh, sans doute pour éviter de mélanger les essences. Elle était peu profonde, sans doute n’avait-elle pas été creusée avec la même révérence que le bûcher avait été battit. C’était compréhensible. Les corps qui s’entassaient là étaient préservés par le froid, entassés les uns sur les autres, et dans ce froid, aucune raison de s’en faire pour de potentielles maladies. Les prédateurs auraient éventuellement pu profiter de ce qui se trouvait là, et pourtant tout semblait intact, sans passage animal. Cela seul était déjà une preuve suffisante, mais Ivanyr se contint, et après un moment d’observation s’avança pour les étudier davantage, et de plus près. Son visage resta indéchiffrable et en vérité, aucune pensée ne vint le troubler. Il restait vide, à contempler de ses propres yeux une odieuse et répugnante vérité. Mais depuis l’instant où Purnendu avait évoqué la possibilité, il l’avait adopté, même sans le vouloir. Cela ne le surprenait pas vraiment, mais cela ne lui donnait aucune joie pour autant. S’il y avait eu la moindre chance que ce ne soit pas vrai, il l’aurait prise. Lorsqu’il se redressa pour sortir de la fosse, il gardait cette expression lisse et dénuée de sentiments, s’adressant à son compagnon avec distance alors qu’il venait se tenir devant les corps. «  Dans le nord de notre terre natale, il existe un clan humain qui chasse les vampires. C’est leur devoir, leur raison de vivre, la base de toute leur culture. Ces hommes préfèrent tuer et brûler les leurs lorsque ceux-ci sont infectés par le venin vampirique, plutôt que de les laisser se transformer. Un père… peut couper la têt de son propre fils en train d’agoniser, pour qu’il ne… change pas. Pour le préserver. Ils considèrent le vampirisme comme pire que la mort… »

Il inspira profondément, le vent jouant dans ses mèches pâles et lunaires et sur son visage de marbre. «  Pas seulement parce les vampires sont leurs prédateurs, à eux et au reste de l’humanité. Mais aussi parce qu’ils considèrent que le vampirisme est la perte de toutes les valeurs, et de l’identité… » Et souvent, ils avaient raisons. Tournant la tête, il posa un regard pensif sur le Graarh. «  Serait-ce une trop grande insulte de ma part envers toi que d’effectuer nos rites pour eux ? Je le comprendrais et m’abstiendrais, si tu me le demande. Sinon, je vais officier. Les crimes de nos vies sont punies d’une façon ou d’une autre, même au travers de nos réincarnations, du moins c’est ce que l’on m’a enseigné. Mais dans la mort nous sommes tous égaux, je pense… » Il se détourna de lui de nouveau «  Aujourd’hui, ce sont des monstres qui ont commit un crime grave mais… un jour, ils ont été de simples humains, des pères, des frères, des fils… des hommes qui ne demandaient qu’à vivre leur courte existence en paix, avant qu’un prédateur assoiffé et cruel ne vienne les changer, souvent sans même le vouloir, ou alors simplement parce qu’il en avait la possibilité. Un jour ils ont aussi été des victimes… et ils seront jugés, chacun par leurs actes, par plus grand que nous ne sommes… du moins je l’espère »

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S'il avait tout entendu du discours, il n'en montra rien et se contenta de hocher la tête par l'affirmative à la question que son ami lui posait. Sa colère était à nouveau sous contrôle, . Regard limpide de tous ses troubles, seule sa truffe semblait plus humide qu'à son habitude et pouvait, au regard acéré, trahir tout l’émoi que le graärh cachait habilement derrière son sempiternel masque de je-m'en-foutiste. Les actes d'Ivanyr, qu'ils soient du chant funeste à ses propos et remerciements pour les âmes disparues, l'avaient confortés dans son besoin de ne pas sombrer dans la facilité des préjugés. Il lui était impossible de renier les efforts que son ami déployait pour faire amende honorable sur les actes ignobles qu'une majorité de son peuple commettait. Purnendu avait bon espoir que si sa famille et ses proches n'étaient qu'un dixième d'Ivanyr, alors ils sauraient œuvrer pour sauver Nyn-Tiamat et tous les graärh de l'extinction. Sous le regard céruléen et l'expression neutre de ce dernier, l'herboriste ne pu être leurré sur ses véritables émotions et vint fourrager la truffe contre sa tempe pour y souffler un « merci » à peine audible, roulé sur un ronronnement diffus et plein de contentement. S'il avait perdu sa tribu, il avait heureusement trouvé un précieux ami. Son cœur se gonfla de joie et ce fut avec bien moins de chagrin qu'il tourna le dos au bûcher funéraire pour descendre la pente neigeuse, en direction du village.

La traque de la fosse commune prit du temps, cependant ils finirent par la trouver et c'est après plusieurs longs instant à creuser la neige, puis quelques parcelles d'une terre gelée, mais heureusement rendue friable, qu'ils découvrirent une dizaine de corps. Les silhouettes humaines, brisées et raidies par le froid, apportèrent au Graärh davantage de malaise qu'un quelconque sentiment de satisfaction. Même s'il était soulagé de voir combien d'ennemis étaient tombés au combat avant que les siens ne soient exterminés, il ne pouvait que regretter qu'un tel massacre se soit produit en premier lieu. Si seulement les vampires avaient tenté une approche commerciale plutôt que militaire ! Si seulement ils s'étaient montrés assez intelligent pour surpasser les apparences et comprendre combien ils pouvaient s'enrichir l'un de l'autre sur cette terre inhospitalière... Ô comme il regrettait la bêtise et l'ignorance des dirigeants vampiriques ! Un vague frisson d'inconfort le gagna lorsque son ami descendit dans la fosse pour observer ses anciens compatriotes et, sans un mot, il resta accroupi dans la neige à le contempler lui plutôt que le reste du tableau macabre. Il ne s'attendait pas à le voir piquer une crise ni à émettre une quelconque plainte, car le mage n'avait jamais été prolixe sur ses émotions et encore moins dans des effusions corporelles. Pour autant, vu l'horreur qui s'offrait sûrement à lui, Purnendu aurait aimé le voir lâcher la bride et expulser une partie de ce qui devait forcément le ronger ; là tout à l'intérieur de ce cœur mort. Après tout, ne venait-il pas de le faire quelques instants plus tôt, près du bûcher ? Oreilles couchées sur l'arrière et tête légèrement penchée sur le côté, il se redressa en le voyant revenir et lui tendit une main secourable pour l'aider à sortir du trou dont les bordes déchiquetés par sa pelle pouvaient se révéler instables. Il ne voulait pas le voir glisser et tomber parmi les corps, la scène serait bien trop traumatisante pour eux deux.

La prise de paroles d'Ivanyr le fit légèrement tiquer et s'il ne comprit tout d'abord pas où il voulait en venir, l'odieuse vérité se fit lentement un chemin dans son esprit. Son premier réflexe fut de montrer les crocs, de hérisser son épaisse fourrure et d'effectuer un léger mouvement de recule comme s'il venait de recevoir une gifle. Et c'était clairement ce qu'il ressentait en ce moment, voire bien pire puisque la demande venait de personne d'autre que son ami. Ouvrant la gueule, il fut tenté de le renvoyer paître et manqua même de l'attraper aux épaules pour le secouer comme un prunier. Pour autant, l'herboriste ne trouva ni les mots, ni le courage d'agir et il se mura dans un long silence confus. Poings crispés, il détourna la tête pour fixer les corps entassés, puis leva la truffe vers le ciel qui s'assombrissait de minutes en minutes. Les étoiles scintillaient déjà, encore timides tandis que luisait un soleil dissipé sous le brouillard d'une ligne d'horizon dentelée par ses dunes neigeuses. Le fauve cendré inspira longuement et vint croiser les bras pour réfléchir à ce que l'autre venait de lui conter. Si le vampirisme était réellement une malédiction, une perte de mémoire et de personnalité, alors ceux qui avaient attaqué son village et tous ceux qui poursuivaient leur méfaits n'étaient que des fantoches ? Des êtres perdus, arrachés à leur véritable essence et oubliés, voire reniés par leurs proches, puis abandonnés à la douleur du déni et l'absence de souvenirs ? Si tout cela lui était refusé, alors sûrement deviendrait-il un animal ivre de colère, jalousant le bonheur des autres, la mortalité et la capacité à procréer dans le bonheur et le consentement. S'il usait d'assez d'empathie, alors il pourrait percevoir les morts de la fosse comme des victimes... mais le voulait-il seulement ? Un tel dilemme le déchirait et il ne savait pas quoi répondre. Pas quoi décider.

Ses yeux d'absinthe se posèrent sur la haute silhouette d'Ivanyr et une cruelle vérité le frappa : lui aussi était maudit. Qui avait pu l'arracher à sa vie d'humain pour le transformer en « ça » ? Avait-il pu seulement se venger ? Pire encore : avait-il pu se souvenir de sa vie d'avant et lui avait-il été possible de renouer avec les siens avant qu'ils ne disparaissent dans le flot du Temps tandis que lui, immortel, ne poursuive inexorablement son existence ? Combien d'êtres chers avait-il ainsi vu mourir par la main de l'âge avant qu'il ne se résigne à poursuivre seul son chemin ? Non, il n'embrasserait jamais la solitude pour la simple et bonne raison que son cœur, aussi mort et froid était-il en l'instant, ne pourrait y survivre. La gorge nouée, Purnendu baissa lentement le museau vers le sol et crispa ses bras avec davantage de force, pris d'un frisson violent. Lui-même finirait par mourir d'ici quelques décennies et malgré ce constat évident, Ivanyr s'était quand même lié à lui. Un lourd soupir gonfla son torse alors qu'il fermait les yeux et poussait un vague grondement de dépit. Son ami portait un fardeau bien plus lourd qu'il ne l'aurait jamais imaginé. Privé de sa vie humaine, volé par deux fois de ses souvenirs, esclave d'une soif carmine, incapable de ressentir bien des choses... que lui restait-il à part le réconfort de ses valeurs ?

- Bien. Je t'aiderai.

Souffla-t-il alors qu'il relevait la truffe et regardait à nouveau la fosse déblayée, une main passée dans sa crinière. Sincèrement, pouvait-il seulement lutter contre lui ? Ce fichu mage de pacotille avait le don pour frapper là où ça faisait mal ! Son empathie et ses propres valeurs ne faisaient pas le poids face à ses arguments. Purnendu finit par afficher un vague sourire désabusé, lacé d'un petit air taquin et un brin moqueur quand il haussa des épaules pour s'approcher ensuite de la fosse avec la ferme intention d'y extraire les corps raidis par le froid et la mort permanente. Il grogna par dessus son épaule :

- Après tout, si je te laisse officier seul, sachant combien tu es doué de tes dix doigts, tu serais capable de mettre le feu à la neige !

En vérité, il s'inquiétait pour son ami. L'impassibilité dont il faisait preuve l'angoissait étrangement tant elle ne correspondait pas au comportement logique que devrait avoir quelqu'un confronté à une telle vérité. Refouler ses émotions n'aidait personne sur le long terme et la rupture risquait d'être catastrophique vu les capacités du vampire. Si l'heure n'était pas à un diagnostique plus poussé, l'herboriste se promit de revenir sur le sujet lorsqu'un peu de temps se serait écoulé, lorsque les chagrins se seraient apaisés et les esprits calmés. Sautant au bas des bords ébréchés, il souleva sans grand mal le premier cadavre et le hissa hors de la fosse pour le déposer avec révérence dans la neige.

- Allume plusieurs petits feux en cercle, nous allons les décongeler afin de leur offrir une posture plus adaptée.

De nombreux visages étaient tordus d'un masque de douleur, certains n'en possédant même plus, mais nombre de corps étaient piégés dans une posture atroce, si ce n'était parfois absurde. Purnendu reconnaissait bien là toute la violence dont pouvait faire preuve les siens lorsqu'il s'agissait de combattre : d'énormes plaies causées par les crocs et les griffes, membres brisés ou simplement arrachés... si l'attaque avait été une surprise totale pour les siens, ils n'avaient probablement pas eut le temps de saisir leurs armes et s'étaient défendus avec toute la rage primale qu'ils possédaient. Une telle action devait très certainement alimenter le moulin des préjudices à leur égard, ce qui navrait l'herboriste, mais que pouvait-on y faire ? Le temps de sortir tous les corps et il faisait déjà nuit noire. Purnendu releva le museau vers le ciel aussi sombre qu'une flaque d'encre et pailleté d'innombrable étoiles. Il inspira longuement et désigna une autre colline plus loin.

- Veux-tu que l'on officie là bas ? Si tu comptes faire un autre bûcher, autant choisir un lieu en hauteur pour que leurs cendres s'envolent sur les meilleurs vents possibles. Si tu préfères, l'on peut attendre demain, mais sache que je ne me sens pas fatigué et que je ne parviendrai pas à trouver le sommeil dans mon état. Il posa une main sur son épaule et la lui serra avec douceur. Juste... ne me demande pas de chanter comme toi tout à l'heure, je ne voudrais pas attirer un blizzard !

Taquin, il alla chercher son yak ainsi que la petite charrette qui servait principalement à charger le mobilier de la yourte. Cette fois, il couvrit le fond d'une couverture de grosse laine et commença à y mettre les corps malgré le malaise que montrait la femelle à ce macabre chargement.

Dernière édition par Purnendu Chikitsak le Sam 21 Juil 2018 - 20:18, édité 1 fois

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Il attendit, silencieux et immobile, dépourvu d’expressivité, que le Graarh fasse le cheminement de ses paroles et ne lui donne sa réponse. Détaché, il ne fit rien pour l’influencer, ayant déjà offert son point de vue de façon objective et ne désirant pas en dire davantage au risque de tomber dans l’exact inverse. Dès l’instant où Purnendu avait toutes les cartes en main, il devenait seul acteur de son choix. Lui ne pouvait que faire avec ce que le félin trouverait en son cœur. C’était très important, de lui laisser sa pleine et entière liberté, pour leur relation, mais également pour l’esprit du Graarh qui vivrait avec le choix fait pour le restant de sa vie et peut-être davantage. Comprendre ce qu’il lui expliquait était déjà une première étape, accepter d’y réfléchir, la seconde étape était d’en déduire ce qu’il désirait, de juger ou non, d’accepter ou de refuser, de condamner aveuglément ou non, et d’assumer. Il n’y avait pas de bonne ou de mauvaise réponse, de bonne ou de mauvaise conduite, il y avait des arguments logiques et acceptables pour chaque décision possible, des points de vu tous plus compréhensible les uns que les autres. Le tout était ensuite de vivre avec soi-même. Si lui avait affirmé qu’il n’effectuerait pas les rites de passage si le Graarh le lui demandait, c’était qu’il était autant prêt à ne pas le faire, comme à s’y atteler. Sentant le regard du félin sur lui, il tourna la tête et lui adressa l’ombre d’un sourire, parfaitement à l’aise malgré le funeste sujet abordé. La réponse finale le fit doucement soupirer, et s’il aurait voulu lui affirmer que son aide ne serait pas nécessaire, il ne souhaitait en rien insulter l’effort sans doute gigantesque que Purnendu faisait en allant dans son sens si tôt après leur macabre découverte. S’il avait commencé par se braquer, Ivanyr aurait comprit et même abondé en son sens : commencer par une rébellion face à l’insupportable vérité du vampirisme était très sain.

« D’accord  »

Il ne le remercia pas. On ne remerciait pas pour ce genre de choses. C’était juste triste et regrettable d’en arriver là. Riant doucement de la pique verbale, il secoua la tête et le laissa faire pendant qu’il tâchait de se souvenir de la façon dont les vampires officiaient pour leurs morts. C’était, en vérité, fort sobre, et cela serait sans doute une bonne chose… Purnendu n’aurait pas à subir une cérémonie complexe et coûteuse pour sa résolution.

« Je vais réunir le bois nécessaire  »

Il s’éloigna, ne craignant guère pour les morts congelés. Une heure de plus ou de moins ne changerait rien pour eux. Chaque fois qu’il réunissait suffisamment de bois pour un feu, il l’allumait puis repartait sans un mot, dans un silence composé et appliqué. Puis, lorsqu’il y en eut assez, il s’assit et attendit qu’ils décongèlent un peu pour pouvoir arranger leurs postures. Le contact mortuaire n’était pas répugnant, et pour autant, il sentait le regard perçant de Saeros dans son dos. Lorsque Purnendu parla de nouveau, il releva la tête en semblant sortir du fin fond de ses pensées, cillant un instant avant de lui accorder son attention.

« Nous pouvons faire cela ce soir  »

Il sourit et posa une main sur celle du Graarh avec douceur.

« En fait les cérémonies vampiriques sont très sobres, à part pour les hauts dignitaires. Mais je suis incapable d’en reconnaître un, dans l’état des corps, alors autant les considérer sur un pied d’égalité…  »

Se redressant, il l’aida à empiler les corps, puis à conduire la charrette sur une élévation rocheuse. Là, il dirigea pour étendre chaque corps sur la pierre, en rangs, comme des soldats. Lorsque ce fut fait, et sans fioriture, il alluma chaque cadavre par magie, avant de se placer face à la large flaque ignée. Le bûcher illuminait la nuit, projetant des éclats or et pourpre sur les arpents rocheux et leurs silhouettes. Après un long moment, il chantonna l’un des chants de passage des baptistrels qu’il avait un jour apprit. Il avait peu d’espoir de parvenir à faire le moindre miracle, mais c’était davantage par souci d’ambiance, d’éthique… Il avait l’impression que cela les ramenait vers leurs origines humaines, au-delà du vampirisme. Croisant les bras, il se tint là, vigile silencieuse pendant que les corps se consumaient. Sa longue chevelure prenait des teintes dorées chatoyantes dans la danse brûlante.

« Beaucoup étaient probablement de jeunes vampires qui ne se contrôlaient pas encore bien… les vieux ne sont pas nombreux, avec un peuple aussi violent c’était couru d’avance  »

Se détournant des flammes, il observa attentivement le Graarh.

« Je n’aime pas beaucoup ma race, à vrai dire. Je ne me sentais pas à l’aise avec eux… je voyais leurs défauts exacerbés, pas leurs qualités. Lorsque je suis arrivé ici, que je t’ai rencontré, j’en suis venu à davantage d’objectivité sur eux. Du moins je le pense. Leur problème vient de très loin… et il rejaillit sur toutes les autres races. En définitive, le problème devra être adressé, mais je ne suis pas certain de la quantité de souffrance qu’il faudra encore, avant d’en arriver là  »

La genèse d’une race n’était pas toujours immaculée. Soupirant à cette pensée, il recula finalement, s’installa sur une pierre et s’adossa sur une autre. L’épuisement soudain était davantage moral que physique, et il ferma les yeux, laissant les vagues de chaleurs venir lui baigner le visage comme un souffle d’été par la nuit glaciale.

« J’ai eu beaucoup de chance. Ma mère vampirique était quelqu’un de raisonnable… elle m’a éduqué, ce qui est déjà beaucoup, et elle m’a éduqué comme une personne. C’est du moins ce que le reste de ma famille m’a conté. Je ne me souviens pas d’elle… je le regrette beaucoup. On m’a dit que ma sœur lui ressemblait beaucoup, au moins de physique. Et on m’a quelque peu conté les exploits qu’elle avait réalisé… J’ai du mal à croire que nous sommes apparentés  »

Lui, qui n’avait rien de manuel et… elle. Un peu comme avec le chaton.

« … elle me manque, ma sœur…  »

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Il laissa sa patte peser sur l'épaule quand bien même la sensation du corps froid faisait écho à ceux qu'il venait de sortir de la fosse. Il ne voulait pas heurter ses sentiments ou même le rapprocher d'une quelconque façon aux monstres qui avaient péri. Au fait qu'Ivanyr ne reconnaissait là aucun dignitaire, le fauve cendré approuva l'idée de tous les mettre sur un pied d'égalité. La roue de réincarnation n'avait que faire des castes et strates sociales. Il n'y avait que les êtres de conscience pour se diviser de la sorte... Ne désirant pas entamer une prose philosophique au milieu d'un ancien charnier, Purnendu s'en alla donc charger le yak de tous ces morts jusqu'à couvrir les carcasses d'une autre couverture rustique quoique bien épaisse. Il passa plusieurs tours de cordes afin de s'assurer qu'aucun de ses voyageurs immobiles ne tombent lors du bref voyage jusqu'à destination. Une fois perchés sur la hauteur de cet aplombs rocheux, seul le vent se fit entendre en longues plaintes déchirées. L'air piquait la peau et engourdissait les doigts tandis que la lune gibbeuse se penchait sur eux pour éclairer les corps allongés dans une nimbée fantomatique et argentée.

La cérémonie fut extrêmement sobre, comme le lui avait promis son compagnon de route et bientôt Purnendu observa le bûcher funéraire envoyer la cendre des défunts très haut dans le ciel nocturne où les volutes tourbillonnaient, poisseux de leur carburant humain, à peine dissipé par la brise glacée. Le silence s'éternisait, apaisant quelque peu les troubles du graärh qui, dans un sursaut, se tourna vers le mage qui entamait à nouveau un chant de deuil et de promesses de retour. Il coucha de biais ses oreilles, incapable de réellement comprendre les paroles, puis observa les silhouettes englouties dans les flammes avant de soupirer. De jeunes vampires, hein ? Il était heureux que sa race soit immunisée à ce terrible poison, sans quoi nombre d'entre eux iraient se tuer plutôt que de vivre une telle non-vie. Étrangement, il désirait rencontrer le peuple d'origine d'Ivanyr ; ils auraient beaucoup en commun. Pourquoi n'étaient-ils pas sur Nyn-Tiamat ? Bonne question. Un soupir lui échappa et il passa une main sur son museau avant de lécher lentement ses babines. Sans un mot, il baissa la truffe vers son ami et l'écouta avec une grande attention.

A ses paroles, il lui offrit tout d'abord un sourire et glissa qu'il était heureux d'avoir pu aider. Il n'ajouta cependant pas qu'Ivanyr était bien plus qu'un vampire et que cette étiquette ne lui convenait de toute façon pas. Il n'avait pas souhaité devenir ce genre de monstre et se battait probablement contre ses instincts de façon récurrente. Le mage tirait le meilleur de sa situation et rien que pour cela, Purnendu le respectait profondément. Plus encore maintenant qu'il entre-apercevait le pire de la race vampirique. A le voir reculer et s'installer de la sorte, l'herboriste s'inquiéta de son état et le suivit pour s'installer non loin. Il avait envie de l'enfouir dans ses bras et sa fourrure, de l'inviter à s'oublier dans un ronronnement rassurant et profond, comme une berceuse. Son instinct l'incitait à le protéger, le percevant comme un compagnon blessé, inapte... mais il savait de façon rationnelle que le vampire était tout à fait capable de survivre s'il s'en donnait réellement les moyens. Il suffisait de constater l'état déplorable des rochers au dernier campement ! La reprise du monologue lui fit dresser les oreilles et sortir de ses pensées. Interloqué, il se rapprocha finalement et finit par tendre les pattes pour l'attirer à lui. Assis en tailleur, il percha le vampire entre ses cuisses, dos à son torse et vint l'enfouir entre ses bras alors qu'il usait de sa queue comme un boa autour d'eux. Il posa son museau sur l'une des épaules du bipède, ferma les yeux et inspira profondément.

- Parles moi de ta sœur.

La demande fut à peine murmurée et il l'écouta pour ce qu'il avait à lui confier. Que ce fut une poignée de mots ou tout un chapelet d'anecdotes, Purnendu le garda dans ses bras. Quand son ami eut terminé, il se redressa légèrement et chercha son regard du sien.

- Sais-tu si elle se trouve ici ou bien sur une autre île?

Une idée germait depuis longtemps dans son esprit sans qu'il n'ose jamais s'y pencher sérieusement. Cependant, avec la perte de sa tribu et de ses proches, qu'est-ce qui l'empêchait de mettre à exécution un plan aussi dangereux ? Les probabilités de réussir étaient mince, voire inexistantes. Toutefois, garder Ivanyr ici indéfiniment n'était pas possible et si jamais la situation entre les deux races se détériorait comme il le pensait, alors jamais son ami n'aurait l'occasion de découvrir les graärh autrement que par un bain de sang. Purnendu posa la tête sur celle du vampire, s'en servant de reposoir temporaire et fixa la lune débordante avec un air sceptique. Pour mettre ce plan à exécution, il aurait d'abord besoin d'informations complémentaires et de certaines ressources rares. Il lui faudrait aussi prendre ses dispositions à l'égard de son peuple, afin qu'il puisse tourner la page avec le moins de regrets possible.

- Je dois me rendre à la Légion pour rapporter ce qu'il s'est passé ici. Je ne sais pas si le survivant est encore en vie et s'il a pu faire suivre la nouvelle. Lorsque je reviendrai, nous aurons une autre discussion sur la prochaine destination que nous choisirons. D'accord?

Il souffla de la truffe pour lui balayer le visage de son souffle chaud ainsi que plusieurs de ses mèches platines. Amusé, il poussa un roucoulement narquois et se leva en l'entraînant avec lui de sorte à ce qu'ils soient sur pieds d'un seul et même mouvement. Il lui chassa la neige des épaules et l'observa avec gravité.

- Pour l'instant, allons nous reposer. Nous lèverons le camps demain en journée. Je souhaite te laisser avec le bétail dans un endroit sûr... la traversée de l'Inlandsis est trop dangereuse pour toi et pour eux... hors passer par les côtes risque de pendre trop de temps.

Ils augmenteraient aussi les risques de croiser d'autres caravanes de graärh et donc mettre la vie de son patient et des autres en danger. Lui prenant la main au creux de sa patte aux coussinets rugueux, il l'entraîna à sa suite jusqu'à la yourte alors que le yak suivait d'un pas nonchalant à quelques distances.

- Tu vas aimer cet endroit. Il est isolé, il y a pleins de cailloux à martyriser et la vue est... Oh, tu verras bien!

Taquin, Purnendu le laissa entrer en premier alors qu'il s'occupait d'ôter le harnais à la femelle yak, puis de la conduire tendrement jusqu'à son enclos. Autant qu'elle mange à sa faim vu la longue route qui les attendait tous deux. Avant d'entrer dans la yourte, il jeta un dernier regard vers les deux bûchers qui continuaient de teindre l’horizon d'ocre, d'amarante et de pourpre tremblotants. Avec une dernière prière silencieuse, il s'empressa de gagner la tiédeur bienvenue de sa yourte et se déshabilla avant de prendre le temps de brosser et rincer sa fourrure. A chaque fois, il semblait doubler en volume tant les poils soyeux ondoyaient à chaque coup de peigne et de brosse. Tout cotonneux, il s'ébrouait ensuite pour remettre la fourrure dans son sens naturel et plongeait rapidement sous les pelisses et draps pour s'offrir un peu de sommeil. Ne laissant poindre que le bout de son museau, ses yeux d'absinthes brillaient des reflets des braises alors qu'il soufflait pour le vampire :

- On en a pour quelques jours de marche avant d'atteindre le pied d'une petite montagne. L'un des bras du Nin Daaruth. Tu peux te téléporter dans ta magie, je crois ? Combien de distance ? Mh... Il faudra poster le campement à ce maximum alors, afin que tu puisses naviguer aisément entre le sommet et lui en mon absence. Je suis navré, Ivanyr... tu vas être au régime pendant mon voyage, même si je vais faire mon maximum pour ne pas trop tarder.

Il ferma les yeux et soupira, la truffe enfoncée dans un coussin. D'une ondulation, il se positionna de sorte à laisser une place confortable à son ami s'il désirait le rejoindre plus tard et marmonna entre deux bâillements :

- Mmmh... On avisera... médites bien.

Dernière édition par Purnendu Chikitsak le Sam 21 Juil 2018 - 20:20, édité 1 fois

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Se laissant attirer sans faire le moindre commentaire, Ivanyr vint simplement poser les mains sur la queue avec un léger soupire ne laissant pas présager de son état d’esprit. Il tourna à peine la tête lorsque la demande tomba et resta quelques instants pensifs, à se demander ce qu’il pourrait bien lui dire au sujet de Cymoril. Puis, finalement, le vampire commença par la décrire physiquement, avec son visage sévère bien que juvénile, sa peau si pâle et ses cheveux argentés, comme les siens, comme sa mère, ses grands yeux verts qui brillaient toujours d’une lueur amusée. Puis il la décrivit de caractère, ou autant qu’il le pouvait avec ses connaissances, son dynamisme, son ouverture d’esprit, leur envie commune de liberté, l’absence de ses souvenirs humains qu’elle vivait comme une chasse au trésor. Il y avait tant à en dire qu’il ne savait pas très bien ce qui serait pertinent d’expliquer, aussi essayait-il de dépeindre un portrait global de la jeune vampiresse, son affection pour elle transpirant du discours qu’il tenait au Graarh. Il respectait énormément sa sœur, pour tant de raisons qu’il n’aurait su les énumérer, il l’admirait pour sa capacité à allier pragmatisme et rêverie, comme si ces deux choses parfaitement contradictoires n’étaient finalement pas si improbables à relier. Et surtout, il l’aimait pour ce qu’elle avait fait pour lui, sa façon de l’accompagner et de le veiller sans le juger.

« Tu l’apprécierais, je pense »

C’était là sa conclusion à une longue diatribe, confiée avec une tranquille assurance. Oui, tous deux s’apprécieraient certainement. S’interrompant enfin, il prit le temps de goûter au silence, un bref instant, avant que Purnendu n’attire de nouveau son attention par une question troublante. Où se trouvait-elle ? Bonne question… Il aurait aimé le savoir, justement. Penchant la tête en arrière, le vampire se laissa reposer sur le poitrail du félin, observant de légers flocons tomber sur eux, mêlés à la cendre du bûcher. Son compagnon avait l’art de mettre le doigt sur les choses qui pouvaient le troubler ou lui faire mal. Ce n’était cependant pas destiné à un tel usage et c’était la raison pour laquelle il ne réagissait pas par inimité…

« Je ne sais pas vraiment… J’aime à croire que, si elle se trouvait sur cette île, je l’aurais retrouvé à présent. Je pencherais donc davantage pour le fait qu’elle se trouve ailleurs »

Il aurait voulu en savoir davantage, comprendre ce qui s’était passé, apprendre ce que sa famille avait pu faire pendant tout ce temps. Etaient-ils saufs ? Heureux quelque part ? Est-ce que lui-même aurait voulu faire partie de leur installation, de cette construction certainement déjà entamée ? Peut-être aurait-il voulu leur montrer sa propre vie ici. Ivanyr doutait de ses propres sentiments et affects, de ses envies et aspirations. Peut-être était-ce mieux qu’il ne puisse pas être avec eux ? Non, pourquoi cela ? Il n’y avait aucune raison réelle pouvant soutenir une telle perspective. Cymoril lui manquait sincèrement, il ne mentait pas, c’était la suite, l’après, qui restait flou à son regard. Soupirant doucement, il repoussa la question, une fois de plus. Ce n’était pas le meilleur moment pour ça.

« D’accord »

Oui, Purnendu lui avait déjà expliqué le rôle du messager auprès de la Légion, et il s’inquiétait de le voir endosser ce rôle. Mais dans le même temps, il ne pouvait pas lui demander de ne pas le faire. Ce serait une insulte à leurs coutumes, un manquement de sa part. Non, il ne pouvait pas lui demander de se désister, dans le doute… néanmoins, il n’avait aucune raison de ne pas lui faire comprendre son inquiétude pour lui. Ils avaient encore un peu de temps pour cela, pendant la préparation de leur campement avant son départ. Cela ne le ferait sans doute pas changer d’avis, mais il saurait au moins que ses pensées l’accompagnaient. Le félin en supportait assez en cette journée, pas besoin d’aggraver les choses. Soudainement, il était épuisé, et son regard lassé caressa la scène mortuaire en ayant l’impression que le monde entier périssait dans les flammes…

« Aucun problème, je t’attendrais »

Un léger sourire avait fleuri sur ses lèvres à la sensation du souffle chaud sur son visage et avait même laissé échapper l’ébauche d’un rire en se faisant relever de force. Sa tendresse venait souvent éroder le tranchant de sa désillusion, mais uniquement de façon temporaire. La glace revenait, perpétuellement, comme dans cet environnement… mais il aurait tant aimé que Purnendu puisse retourner l’été à son être plus facilement. Sur le chemin du retour, il se permit d’observer de nouveau les lieux, sans rien en dire. Entrant finalement dans la yourte, il retira sa cape, puis chassa ce qui était venu se prendre dans ses cheveux. Puis il s’installa dans un coin et observa le félin faire sa propre toilette, un sourire en coin à le voir se transformer en une grosse boule de coton. Lui-même se tressait de nouveau les cheveux pour éviter d’en être gêné. Le voyant s’enfouir sous les pelisses, il eut un nouveau sourire bref.

« Environ trente mètres »

La suite lui tira une brève négation de la tête.

« Ne t’en fait pas, je peux tenir… Bonne nuit »

Se relevant, il sortit de la yourte, comme il le faisait souvent à la nuit tombée. La transe ne lui faisait pas beaucoup de bien, et surtout elle ne durait jamais autant que le repos du félin. Il était donc laissé à lui-même pendant que Purnendu voyageait vers ses songes. Cela ne le dérangeait pas, il s’installait en général dans un coin pour pratiquer les arts magiques, retrouvant petit à petit sa maîtrise. Lorsqu’il en eut assez, et qu’il fut tard, Ivanyr revint finalement dans la petite bâtisse, puis vint s’allonger aux côtés du Graarh pour plonger dans la transe méditative de son propre peuple. Il en émergea en même temps que lui, le lendemain matin, cillant plusieurs fois avant de se redresser, lissant les boucles légères de ses tresses avant de marmonner qu’il allait rallumer le feu, laissant au guérisseur le temps de faire ses exercices et avançant utilement les menus travaux de la matinée. Lorsqu’ils furent finis, que le Graarh eut mangé et qu’ils furent sortis de nouveau, le vampire l’aida à défaire le camp, puis le suivi sur le chemin qu’il empruntait vers la racine des montagnes proches, curieux de voir le lieu qu’il voulait adopter comme havre de longue durée.

« Qu’a-t-elle de singulier, cette montagne où tu désir me mener ? Que va-t-il se passer lorsque tu rejoindras la légion ? »

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Son sommeil fut long et profond, comme si son corps se préparait d'avance à la terrible épreuve qui l'attendait, conscient du peu de temps qui lui était accordé pour s'y préparer. Cependant, lorsque le vampire se glissa entre les nombreuses couches de fourrures, le fauve tendit instinctivement les pattes pour l'attraper et le serrer dans une étreinte ferme, mais délicate. Un ronronnement diffus et doux s'éleva alors de lui à chacun de ses souffles, ponctuant sa nuit d'une mélopée en rondeur et tendresse. L'aube les accueillit tous deux et Purnendu effectua comme à son habitude son rituel matinal, silencieux et contemplatif. Il s'occupa du bétail, mangea et s'exerça longuement avant de méditer tout autant. Quand enfin le soleil pâle et frileux s'éleva par delà les pics rocheux et vint faire scintiller la neige fraîche tombée durant la nuit, il se redressa et s'étira de tout son long pour ensuite observer les alentours proches du camps. Après avoir confirmé que la météo ne provoquerait pas une fonte malencontreuse des pentes alentours et que leur route serait sûre, dénuée d'avalanches et autres mauvaises surprises, le graärh plia le campement avec l'aide de son ami, puis entama la longue marche qui les attendait.

Aux questions qu'Ivanyr finit par lui poser, il n'y répondit pas tout de suite, battant la poudreuse devant eux à l'aide d'un bâton pour s'assurer qu'aucune crevasse dissimulée ne vienne les engloutir vers leur mort et attendit qu'ils soient en pause pour répondre. Le soleil était à son zénith, ce qui signifiait que la nuit ne tarderait déjà pas, hors ils avaient encore de longues heures devant eux avant d'atteindre la première véritable escale. Sortant des lanières de viande séchée, il en mâchouilla une avec un regard placide posé sur l'immense étendue rase et stérile qui se déroulait à perte de vue. Assis à l'ombre de la chaîne de montagnes, il prit une longue inspiration avant d'élever la voix :

- Cette montagne n'a rien de singulier. C'est juste un étroit plateau au sommet d'un pic rocheux abrupte. De là haut, tu verras l'Inlandsis comme un océan de glace bleue. Littéralement : par endroit, le vent a creusé des blocs en forme de vagues, la neige accumulée sur le dessus forme l'écume et quand le soleil se couche et que le ciel est dégagé ? Elle s'embrase. La nuit, tu n'auras que les étoiles au dessus de toi... mais aussi les feux nocturnes qui vont former des rubans émeraudes et moirés, parfois violets ou d'un blanc de nacres, l'on dit que ce sont les voies empruntées par les Esprits-Liés.

Il tourna un regard brillant de larmes et d'émotions vers lui, babines légèrement gonflées alors que sa voix, rendue sourde par les souvenirs qui lui venaient de ce coin isolé en Nyn-Tiamat, s'essoufflait abruptement. Plongé dans le silence, il l'observa longuement sans chercher à l'influencer sur ce qu'une telle description pourrait lui apporter, puis baissa la truffe vers l'outre d'eau claire et vint en lamper plusieurs longues gorgées. Il finit par reprendre :

- Il n'y a rien de merveilleux là-bas. Il n'y a pas de source d'eau, pas de racines ou de baies à ramasser. Et puis, cette mer de glace tu peux la voir de partout de ce côté de la montagne ! Quant aux feux nocturnes, ils sont accessibles aisément quand on sait écouter les étoiles...Et pourtant, j'aimerai que ce plateau devienne le notre. Le recueil de nos souvenirs à Nyn-Tiamat.

Purnendu se racla la gorge et détourna du chef pour fixer l'exact opposé d'Ivanyr. Épaules crispées et l'extrémité de la queue battant furieusement le sol gelé, il prit une longue inspiration. Ces émotions étaient nouvelles, jusqu'à présent il n'avait jamais vécu si longtemps avec quelqu'un autrement qu'un membre de sa tribu. Jamais il n'avait eut un patient pour une si longue période et jamais il n'aurait cru éprouver autant pour le mâle d'une autre race. Songeur, il continua de mâchouiller sa lanière séchée, laissant la saveur imbiber sa salive et combler son appétit. Pour un temps seulement.

- Cet endroit... Les hivers, où que tu te trouveras sur l'Archipel... je voudrais que tu te souviennes de ce plateau, commun à tous les autres plateaux, comme étant le notre. Unique en ce sens qu'il contiendra nos mémoires... Ma mémoire. Tu me le promets ?

Ivanyr n'était pas stupide, il comprendrait sans qu'il ait besoin de le lui dire autrement, n'est-ce pas ? La réponse à sa deuxième question, celle qui jetait une ombre dans son regard. A nouveau silencieux, il finit par se lever et ranger le peu d'affaires qu'il avait sorti pour leur pause. Sourd et muet aux approches du vampire, il reprit la longue marche d'un pas soutenu. Si jamais l'autre fatiguait, il n'hésiterait pas à le percher sur le reste des affaires dans la charrette. La seconde escale fut bien des heures après le coucher du soleil, quand le froid fut trop intense, même pour la résistance innée du graärh à cette région hostile. Il ne monta pas toute la yourte et se contenta d'un camps austère, lui dormant contre le flanc du yak avec ses pelisses les plus chaudes et le bétails solidement harnaché par une corde pour ne pas se perdre dans la nuit. Il invita son ami à le rejoindre d'une roucoulade tendre, l'observant à nouveau avec calme et sérénité. Comme si rien ne s'était avoué à demi mot. Une fois de plus, il dormit profondément et se réveilla avec l'aube.

Une autre journée de marche commença. Une nuit supplémentaire se succéda. Ce fut finalement à la fin de la troisième journée que Purnendu bifurqua à nouveau vers la montagne. Ils passèrent un premier plateau où le graärh fit une halte le temps de monter la yourte, lever un enclos pour les bharals, puis de déblayer la neige afin d'empiler un cercle de pierres qui servirait de foyer aux prochains feux. Lorsqu'il fut satisfait, il désigna un pic sur leur droit et commença son escalade. Il veillait à trouver des corniches étroites, mais solides où le vampire pourrait se téléporter sans risquer de se rompre le cou et les marquait d'un long ruban jaune afin que son ami puisse les retrouver dans les nuitées et jours prochains. Quand il atteignit le sommet, même lui était essoufflé ; le manque d'oxygène et la raideur de la côte eurent raison de son endurance pourtant coriace. S'installant en tailleur, il observa les alentours avec une expression amusée avant de concentrer son attention sur Ivanyr.

- Tu vois ? Il n'a rien de merveilleux au premier regard. Ce plateau semble même stérile et voué à l'oubli, voire l'abandon. Personne ne parierait sur lui et pourtant nous voilà, semblables à cet endroit. On s'est accroché malgré la futilité de cette relation... tu aurais pu retourner vers les tiens pour retrouver ta sœur et ta famille. J'aurais pu t'abandonner après avoir entendu le récit des vampires. Mais on a essayé, on s'est obstiné...

Il leva le museau vers le ciel qui s'enfonçait dans la nuit de plus en plus obscure. Les étoiles semblaient être à portée de mains tant ils étaient hauts dans la montagne. Il n'y avait que cet océan de poudre d'argent, d'éclaboussures de mercures qui teintait l'immensité ténébreuse de la voûte, coupole d'encre serties de diamants brûlants. Puis, dans un chuchotement porté par le vent glacial, les rubans se déployèrent paresseusement. Il n'y en avait que deux pour l'instant et ils tombaient comme des rideaux depuis les étoiles lointaines jusqu'à caresser les sommets aux glaces éternelles de la montagne. Ils s'estompaient pour mieux réapparaître, leur chutes se moirant de couleurs pastels délicates comme du rose, du nacre et un peu de jaune ou d'opale.

- … et pour rien au monde je ne regrette mes choix, surtout lorsque je vois leurs résultats.

Il baissa les yeux sur Ivanyr alors qu'un sourire paternel étirait ses babines.

- Je suis tellement fier de toi et de tes progrès... mon ami.

Purnendu se leva après cet aveux porté par la sincérité et l'affection. Il posa une patte sur son épaule pour la lui serrer avant de s'écarter. Un frisson lui coula dans l'échine et d'un geste du museau, il désigna le chemin par lequel ils venaient d'arriver.

- Je dois redescendre. Prends le temps qu'il te faut, je ne partirai qu'à l'aube.

Dernière édition par Purnendu Chikitsak le Sam 21 Juil 2018 - 20:22, édité 3 fois

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Le paysage de Nyn-Tiamat était unique en son genre. Il avait beau ne pas avoir vu le reste de l’archipel, il le sentait confusément, comme si l’île elle-même le chuchotait dans chaque flocon, chaque brise. Comme si elle l’ancrait en chacun, au travers de ses serres gelées. Depuis les hautes montagnes aux pics disparaissant dans les brumes célestes jusqu’aux confins de la mer de givre, la beauté majestueuse et grave de cette terre vibrait. Combien aurait-il donné pour être capable de comprendre son chant, le rythme de son cœur ancestral qu’il ne pouvait qu’imaginer sans jamais approcher de la vérité. Mais parmi toutes ces merveilles, la plus exceptionnelle, celle qui le saisissait d’admiration et de respect, était bien l’Inlandsis, qu’il avait aperçu sans que jamais ils ne s’y aventurent réellement. L’entendre évoquée faisait déjà courir un frisson le long de son échine, le plaisir éclosant subtilement le long de ses terminaisons nerveuses pour baigner la froideur tombale de son enveloppe immortelle. L’imagination se hâtait déjà de prendre possession de cette inspiration, tentant naïvement d’y tisser une rêverie percluse de cauchemars latents, aux aguets. Peut-être pourrait-il tenter d’arpenter ses abords, s’il restait là quelques temps ? Avec prudence, avec doigté et respect, pour ne pas froisser la sublime entité. Peut-être y songerait-il, si son attention n’était pas subtilement détournée par le Graarh vers d’autres allégories.

Une voie empruntée par les esprits-liés ? Etait-ce véridique ? Pouvait-il seulement exister pareil mythe ? A quoi cela pouvait-il ressembler réellement ? Les mots de Purnendu étaient bien sobres pour décrire la féérie d’une telle procession. Il voulait voir cela. Etait-ce un lieu où l’on pouvait voir les esprits ? Avec un peu de chance, il pourrait en convaincre un de l’accepter comme élu, peut-être cela inciterait-il les Graarhs à l’accueillir plus aisément, à lui faire davantage confiance, ne pas le voir comme un monstre mais comme une personne digne d’être entendu ? Combien d’esprits-liés existaient-ils d’ailleurs ? Des dizaines, s’il se souvenait bien des discussions partagées avec son compagnon. Et pourtant, alors qu’il écoutait, se laissant guider par la voix grave du guérisseur, le vampire relâcha l’attention portée à ces considérations, attiré par la brillance du regard du félin. Silencieux, il le couva de son regard clair et vif comme l’alizée coupante de cette péninsule où l’éternité n’était pas un vain mot. Aussi instinctivement qu’il percevait combien cette terre était singulière, il sentait l’émotion qui gorgeait ces mots simples et lui nouait la gorge, contractant douloureusement un cœur pourtant coi. Aucun palabre ne lui venait, qui aurait semblé convenir pour convoyer ses pensées et ses sentiments en l’instant, aussi se content a-t-il de frôler sa fourrure et d’apposer une main sur elle.

La demande fut répondue dans un bref souffle, un acquiescement timide, quelque peu intimidé devant la profondeur de ce qui se dessinait pour lui, en lui, en eux, alors que, lentement, l’impression s’enracinait et l’étouffait de son iniquité. Avait-il jamais vraiment réfléchi à cet instant-là ? L’inévitable ? Certaines notions n’apparaissaient clairement qu’après les avoir expérimentés, et pourtant celle-ci avait tant de ramifications et la dénomination n’en était qu’une surface vide, un jardin que l’on emplissait selon ses pensées. Le sien semblait soudainement s’emplir d’œillets discrets mais au parfum entêtant, couvrant d’une fine pellicule ce qui le suppliciait. Quelle intolérable ironie ce serait, qu’en lui infligeant la primeur de ses peines, il le délivrât de tout ce qui l’enchaînait jusqu’alors. Ses lèvres pâles s’entre-ouvraient alors sur un souffle mort-né, ébauché et déjà trépassé dans la tourmente d’une réalisation forcenée. Rien ne vint, le laissant avec la candeur de sa rébellion contre l’austère vérité, bataillant intérieurement avec son impuissance et sa vivacité, maudissant sa perception comme la destinée. La route reprie, rendue lointaine mais non moins pénible, son esprit engourdit par ce qui les attendaient. Docile marionnette tirée par les filins d’une volonté devenue étrangère, il avançait, regardant les grains de sable lui glisser entre les doigts.

Il veilla dans ses bras ce soir-là, lové dans la fourrure douce, yeux grands ouverts fixant le vide, espérant y trouver une réponse sans réelle question. Puis vint un nouveau jour blême, où ils parvinrent finalement à destination, lui aidant son compagnon à monter le camp, suivant ses instructions sans un son avant d’entamer l’ascension à ses côtés. Là-haut, son regard porta vers l’horizon, s’y perdant comme si cela pouvait délier l’encre de pages déjà préécrites. Ce n’était pas le cas, et immuablement, ses prunelles vinrent enlacer la silhouette cendrée, prenant dans sa présence sans oser se l’avouer. Un frêle sourire vint à saisir ses lèvres en l’écoutant, et dans le creux du discours, resta ébahit du ballet envahissant soudainement le ciel, ses yeux scintillants d’une innocente admiration, la pureté des lueurs célestes le lavant de la lassitude d’une existence condamnée à l’adonis. Ce ne fut qu’à contre-cœur qu’il cessa, retrouvant pour un temps la réalité de leur commune postérité. Cillant légèrement, il eut un faible mouvement de la tête mais ne s’ingénia pas plus, toute voix ôtée. Seul et isolé sur ce plateau, Ivanyr retourna à la contemplation de la beauté nocturne, petite créature perdue dans un univers infini à la stellaire beauté, petit flocon de neige se mêlant à un tout immense qui n’avait pas besoin de s’embarrasser des états d’âme d’une si frêle entité.

Quand était-il redescendu, il n’en savait rien, ayant oublié la notion de temps, que seul Purnendu et l’univers auquel il appartenait lui rappelaient. Il le trouva peu avant l’aube, ayant baigné dans sa présence chaude pendant quelques heures à peine. Sa gorge était toujours serrée, ses yeux le piquaient toujours, mais il lui fit un sourire franc et décidé, et s’installa près de lui alors, dans les premiers feux de l’aurore. Prenant une grande inspiration, Ivanyr brisa enfin le silence qu’il avait observé jusqu’ici, d’une petite voix mal assurée, qu’il essayait de garder sous contrôle pour qu’elle ne chevrote pas.

« Il y avait de la poudre de poissons-étoiles dans un petit creux là-haut. Et depuis le sommet, j’ai cru voir une étoile que nous n’avions jamais croisé auparavant. Et… et il y a aussi des roches sous la couche de neige et de glace qui possèdent de très belles veinules »

Il s’interrompit, inspira profondément, et continua vaille que vaille.

« C’est vrai que… à première vue, il n’a rien de bien intéressant, ce plateau mais… mais il suffit de regarder au-delà du premier coup d’œil pour voir que ce n’est pas le cas. Comme pour nous, tu as raison. Alors… je vais t’attendre, Purnendu. Je vais t’attendre ici et… »

Il sentit sa voix vaciller, sa gorge se fermer davantage et une fine pellicule carmine couvrir ses yeux, qu’il réprima le temps de quelques battements de cœur, cillant furieusement, sans quitter son sourire. Lorsqu’il reprit, le son de ses mots était plus ténu encore, si bien que la moindre brise aurait pu les lui ôter.

« Et je vais… trouver toutes ces petites choses qui rendent ce lieu singulier et… »

Un instant, il fut incapable de poursuivre, pulpes tremblantes, silhouette frissonnante dans la bise de ses émotions. Puis il pinça les lèvres et déglutit, retrouvant finalement un mince filet de voix.

« Et quand tu reviendras… je te les dirais toutes, d’accord ? Je n’en oublierais pas une seule. Tu verras tu… tu seras surpris… je suis certain que tu aimeras. Alors, s’il te plaît, ne… ne traîne pas trop d’accord ? Même si je sais que… que je n’ai pas trop la notion du temps. Je t’attendrais, autant qu’il faudra… »

Même si cela devait être toute un cycle de réincarnation.

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Ne pas trop penser à ce qu'il venait de dire, aux implications et aveux à peine esquissés. Ne pas trop s'y arrêter où alors sa traversée de l'Inlandsis ne s'effectuerait jamais. Il avait lentement redescendu la montagne, autant engourdi par la fatigue et le froid, que par le maelstrom d'émotions nouvelles qu'il ressentait. Jamais son peuple ne s'était penché sur une telle profondeur, une telle intensité dans les émois qui traversaient l'esprit et le cœur. Lorsqu'il arriva au campement, Purnendu leva la truffe en direction du sommet et coucha piteusement des oreilles alors qu'il sentait ses yeux lui brûler. Perdre Ivanyr lui était plus douloureux qu'apprendre la destruction de son village et s'il savait instinctivement que c'était mal d'éprouver un tel déchirement, que c'était injuste envers ceux qui l'avaient élevé, nourri et guidé tout au long de ses jeunes années ; il ne pouvait renier l'affection sincère qu'il portait au vampire. Ce serait injuste à l'égard de ce dernier et hypocrite envers lui-même que d'y renoncer. Un soupir résigné échappa à sa truffe et la buée formée se cristallisa aussitôt pour venir déposer sur ses babines une myriade de petites esquilles argentées.

Le confort de la yourte l'apaisa grandement et il parvint à étouffer une partie de son trouble alors qu'il plongeait dans la chaleur des nombreuses couches de pelisses, couvertures et coussins. Bien sûr, il veilla à laisser une place pour son vampire si ce dernier décidait à le rejoindre avant l'aube et ne tarda pas à fermer les yeux pour sombrer dans un profond sommeil sans rêves. Des heures plus tard, lorsqu'il sentit quelqu'un se glisser à ses côtés, il referma instinctivement les pattes sur lui et s'y enroula à la façon d'un immense boa de fourrure, museau plongé dans les mèches platines et souffle balayant un front soucieux. Quand l'aube se présenta, le flanc de la montagne baignait dans un épais brouillard, diffusant alors une nimbe dorée sur les silhouettes estompées de la yourte et des bêtes tassées dans un coin de l'enclos. Exceptionnellement, Purnendu refusa de sortir pour faire sa ronde et ses exercices habituels. Il savait qu'Ivanyr s'en chargerait après son départ et ne voulait pas lui ôter le peu d'occupations qu'il aurait en sa possession et qui l'empêcheraient de trop réfléchir à leur situation. Son silence de la veille ne l'avait pas plus dérangé que cela, comprenant combien mettre des mots sur ses émotions pouvait être compliqué : vivant cette frustration de première main. Aussi, lorsque le vampire prit la parole, le grand fauve redressa les oreilles et interrompit le peignage de sa fourrure pour l'observer d'une attention accrue.

Il eut tout d'abord du mal à comprendre le sens de ses mots, puis le tableau fit jour en son esprit et il ne pu retenir un sourire d'ourler ses babines. Lentement, il reprit son brossage et détourna un peu le museau de sorte à laisser une certaine intimité pour son compagnon de route et ses larmes contenues. Entendre sa voix trembler, puis se rompre, manqua de le faire bondir sur ses pattes pour aller le prendre dans ses bras et l'enfouir de ronronnements. Puis vint la promesse et le graärh se figea à la façon d'une statue de sel. Ses yeux s'écarquillèrent tandis que ses pupilles s'arrondissaient et dévoraient l'absinthe de ses iris. Il sentit son cœur se serrer, puis batte plus vite avant qu'il ne gronde à voix basse et ne le fixe avec une intensité ignée. Le sourire d'Ivanyr lui vola son souffle en même temps que ses mots et dans l'ensemble de son expression, il cru sentir quelque chose s'éveiller en lui. Un petit bourgeon timide, mais si chaud dans le creux de son cœur qu'il avait l'impression de couver une braise, l'essence d'un sentiment encore inconnu mais qu'il désirait instinctivement couver, nourrir et voir grandir. Il y avait la peur de l'inconnu, mais surtout la soif d'en apprendre plus. Lentement, il leva une main pour venir cueillir la joue de son ami et l'observa encore de longs instant avant qu'il ne se penche et ne vienne lécher tendrement le haut de cette joue, goûtant à la douceur de sa peau imberbe. Sa truffe dévia jusqu'à son oreille qu'il chatouilla d'un souffle chaud alors qu'il lui murmurait une promesse :

- J'irais aussi vite que mes jambes me porteront, galvanisé de te savoir à m'attendre. Ni la neige, ni le vent, ni même la Légion ne pourront m'empêcher de te revenir. Je t'en fais la promesse.

Il se recula pour échanger avec lui un long regard, puis il termina rapidement son toilettage avant de s'habiller chaudement et de prendre la femelle Yak qu'il prépara à son tour pour l'éprouvante traversée de l'Inlandsis. Il y avait peu de chance qu'elle y survive car il risquait de la tuer pour manger sa viande, se vêtir de son cuir et dormir dans sa carcasse encore tiède s'il rencontrait un long blizzard... mais pour l'heure, elle lui servirait pour couper le vent et réchauffer ses nuits ou simplement le reposer lors des jours les plus calmes. Il prit avec lui toute sa provision de poisson séché, une ligne de pêche roulée sur un bout de bois flottant gravé, puis de quoi allumer du feu et de la mousse séchée ainsi que quelques fagots et écorces. Une fois fin prêt, il approcha d'Ivanyr pour venir presser son front au sien en émettant un profond roucoulement, puis se détourna et partit d'un bon pas sans plus se retourner. Bientôt sa silhouette disparu au détour d'un bord de montagne et ne réapparu que bien des heures plus tard dans l'immense steppe, silhouette solitaire en marche vers l'océan de glace.


Cette même silhouette réapparu des semaines plus tard. Chancelante, elle se pliait face à un vent impitoyable qui soulevait de véritables tourbillons de neige et de glace sous un ciel terriblement bas. Les nuages au gris profond arboraient parfois une teinte jaunasse prometteuse d'une averse proche et intense. Plusieurs gros flocons tombaient déjà paresseusement sur les hauteurs, accrochant parois et contours dans un flot de plus en plus épais et collant. Le Yak qui accompagnait Purnendu n'était pas la même femelle ; il s'agissait d'un mâle si l'on s'en référait à ses immenses cornes courbées. Extrêmement maigre, la traversée semblait l'avoir rudement éprouvé alors que chacun de ses pas trahissait sa lassitude. Si ce n'était pour le Graärh qui tirait sa longe, l'animal se serait depuis longtemps écroulé dans la neige afin de s'y laisser mourir et c'était bien le poids de cette vie innocente qui motivait le fauve cendré à poursuivre sa propre route. Et il arrivait à son terme malgré la fatigue et l'engourdissement de l’hypothermie qui rongeaient son corps. Aveugle et sourd à ses anciennes promesses, il n'était qu'une écharde de souffrance obstinée, forçant ses pas, les comptant même dans une gymnastique mentale absurde, mais qui avait le mérite de l'empêcher de sombrer.

Lorsque ses coussinets fendus de gelures rencontrèrent la roche verglacée, Purnendu manqua de s'écrouler. Dans un hoquet étranglé, il s'accrocha à l'encolure du Yak qui, à son tour, manqua de glisser et s'immobilisa dans un profond mugissement alarmé. Battant des cils congelés, le voyageur leva une truffe frigorifiée sur les pentes escarpées et ne pu retenir un rire essoufflé avant de lentement reprendre sa marche. Ils y étaient ! Plus qu'un dernier effort avant d'atteindre la yourte. Son esprit s'ébroua de sa catatonie, remettant en route le cheminement de sa logique, de sa mémoire et osa enfin consommer une énergie si chère au corps qui l'hébergeait. Revigoré à la pensée de rentrer chez lui, il espérait y trouver un bon feu et surtout de quoi manger, toutefois il doutait que son vampire ait pensé à l'entretenir chaque jour pendant son absence. Le voyage avait duré plus longtemps que prévu, est-ce qu'Ivanyr était encore là ? S'était-il lassé d'attendre après lui ? Le pensait-il mort ? Non, jamais son ami ne l'aurait abandonné... Mais la faim ? Il était parti depuis plus d'une semaine maintenant, il n'en voudrait pas au vampire d'avoir cherché un moyen quelconque de subsistance. Purnendu s'ébroua et chassa les sombres idées pour se concentrer sur le dernier tronçon de route.

Ce fut au détour d'une arrête rocheuse qu'il découvrait la silhouette trapue de la yourte ainsi que la lueur chaude d'un petit feu de camps. Une vue si simple et pittoresque, mais qui vint tirer de douloureuses larmes de joie et de soulagement au graärh qui, n'en pouvant plus, tomba à genoux. Après les jours entiers à traverser l'Inlandsis, n'ayant pour compagnie que sa propre solitude et chaleur corporelle, trouver un paysage aussi familier et accueillant l'émouvait au delà des mots. Les pleurs furent d'autant plus douloureux que les larmes gelaient à peine esquissées, brûlant la peau sensible de ses paupières. Le graärh vint enfouir la truffe dans l'épaisse écharpe qui ornait sa gorge, puis se redressa dans un dernier sursaut de volonté afin de couvrir les quelques mètres qui le séparaient du campement. Laissant la monture s'approcher de l'avoine et de l'eau fraîche près de l'enclos, il entra lui-même sans plus attendre dans la tiédeur de la yourte. L'écart de température fut tel qu'il se sentit nauséeux et tout son corps, que ce soit des articulations jusqu'à ses os hurlèrent d'un bonheur lanscinant. Il s'écroula une seconde fois au sol, puis s'empressa de retirer les nombreuses couches qui constituaient sa tenue, peu désireux d'être coincé dans des vêtements humides et rances.

- Koff... kof... Ivanyr ? Es-tu encorrre avec moi ?

Il voyait flou tant ses yeux étaient éblouis par les braises du poêle d'intérieur. Les larmes roulaient sur son museau pour mouiller sa truffe et il se roula en boule avec de sourds frissons de fatigue et d'inconfort. Ses pattes arrières le faisaient atrocement souffrir et ses poumons se déployaient enfin complètement après des jours à s’atrophier du froid. Le fauve continua de tousser un moment, totalement aveugle et chercha la présence de son ami, griffes plantées dans les tapis et couvertures.

- Pa...rrrrdonnes moi... j'ai... tarrrrdé... te...tellement tardé... Kof kof...

Sa fourrure était terne, broussailleuse d'innombrable nœuds. Sa puissante silhouette avait fondue, l'herboriste ayant perdu plusieurs kilos durant sa double traversée. Sa courte escale dans la Légion ne lui ayant pas réellement permis de se reposer et de reconstituer ses forces. Il força sa conscience délitée pour souffler dans la langue commune quelques mots plus cohérents :

- Sang... sur le Yak... outre pleine... Koff... très épicée pour... pour conserver... mais... mais tu dois... boire.

La première chose à laquelle il pensait et la dernière, puisqu'il sombra dans l'inconscience après une quinte de toux particulièrement virulente. Il lui faudra plusieurs heures avant qu'il ne reprenne conscience, ayant dormi d'une seule traite sans faire de songes ou de cauchemars. Il bougea beaucoup et grogna parfois, miaulant même à plusieurs reprises quand la douleur dans ses pattes l'élançait trop.

- Mmh... Ivanyr ? Je... suis bien là ?

Il chercha son ami des yeux, la vue encore un peu troublée, mais cette fois par un éveil cotonneux et difficile. Il avait l'impression d'avoir un corps de plombs et une bonne fièvre au vue de la transpiration qui trempait sa fourrure. Gueule pâteuse, il lécha un peu sa truffe avant de claquer à plusieurs reprises la langue sur son palais, puis d'essayer de se redresser sur un coude pour s'effondrer aussitôt dans un vague grondement.

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La routine l'empêchait de sombrer dans son inquiétude. Chaque jour, il cessait sa transe aux heures où Purnendu se serait éveillé, se pliant aux vérifications habituelles, entretenant le grand feu qui brûlait là, s'occupant des animaux que le félin n'avait pas emporté de son mieux. Ceux-ci avaient heureusement finit par s'habituer à lui, depuis le temps, mais cela ne voulait pas un instant dire que sa tâche était simple et les premiers jours furent difficiles avant qu'il ne prenne le coup de main. Chaque après-midi, lorsque les tâches journalières étaient achevées, il reprenait son entraînement à la magie afin de perfectionner ce qu'il sentait déjà en lui. Lorsque la nuit venait à lui, il grimpait jusqu'au sommet du plateau afin d'observer la voûte stellaire, se gorgeant de cette vision magnifique, des feux qui l'illuminait et, comme il l'avait promit, ratissait les lieux afin de pouvoir trouver chaque petite singularité qu'il pourrait montrer à son Graarh lorsque celui-ci reviendrait. Après avoir eut Purnendu au quotidien pendant un an, le vampire vivait mal son départ et en souffrait sans se laisser faire pour autant. Il avait dit qu'il reviendrait et le plus vite possible, et il avait confiance en lui. Une confiance peut-être aveugle lui soufflait une part de son esprit, qu'il préférait ignorer. Les jours passaient, les uns après les autres, et plus le temps s'allongeait plus l'inquiétude l'étreignait. La légion allait-elle le laisser repartir ? Devait-il commencer à penser s'installer davantage, agrandir le camp, peut-être essayer de se construire une vrai maison et chercher des animaux sauvages qui pourraient sustenter sa faim lorsqu'il aurait épuisé la réserve laissé par son ami… Il se rationnait, cependant, laissant la faim traîner autant que possible. Elle était le cadet de ses soucis. Les jours se firent semaines, et pourtant le vampire ne cessait pas de se plier à sa routine, apprenant même à couper le bois pour alimenter le feu de la yourte qu'il avait apprit à entretenir malgré des instants alarmants.

Et puis, soudainement, il l'entendit. Le son de son cœur, qu'il connaissait très bien, là, au dehors, le tirant de ce qu'il était entrain de faire. Ivanyr se redressa subitement, ouvrant de grands yeux, et défit les pans d'entrée de la yourte au moment où le félin s'y engouffrait. Le soulagement subit et le bonheur de le voir lui firent monter les larmes aux yeux, mais l'inquiétude revint en voyant et sentant l'état de son ami. Le voyant gesticuler pour se défaire de ses vêtements, le vampire tira un peu sur un pan de tissu pour l'aider de son mieux et se tint près de lui, combattant l'envie d'enfouir les mains dans sa fourrure pour vérifier qu'il était bien réel, bien présent, là avec lui… Il se retint de le percuter en se mordant l'intérieur de la joue et inspira profondément avant de doucement poser une main sur son bras, puis autours de sa truffe et enfin, l'enlaça brièvement.

«  Je suis là… je suis encore là, ne t'inquiète pas… tu… tu es pile dans les temps »

L'âme du vampire n'était pas particulièrement rancunière en l'instant, aussi oublia-t-il totalement les semaines passées pour ne garder de tout cela que la présente résolution. Peu important combien de temps il avait attendu, le félin était de retour. Dans un sale état, mais de retour. Avec de l'attention et des soins, il irait mieux bientôt… La pensée lui redonna ses forces, et il se reprit, essayant de tirer le félin pour l'approcher du tas de fourrure qui l'attendait depuis son départ et où il pourrait se reposer douillettement. Mais le Graarh s'écroula avant. Soupirant, Ivanyr tenta de le manipuler pour le mener au bon endroit, mais finit par rapporter les couvertures de fourrure pour le couvrir plutôt que de le bouger. Ce n'était pas la panacée, mais c'était déjà quelque chose. Une fois que ce fut fait, il alla s'occuper de la bête qu'avait rapporté le Graarh et récupéra également l'outre pour la mener à l'intérieur.

Il veilla son ami durant son inconscience et était toujours à son chevet lorsqu'il revint à lui. Lorsque l'autre voulut bouger, il l'en empêcha et le força à se rallonger en lui murmurant des paroles réconfortantes et en caressant sa fourrure. Lorsque Purnendu se fut rallongé, il alla lui chercher un peu d'eau dans un bol et d'un bouillon de légumes et de diverses herbes qu'il avait réussit à conserver jusque là grâce au froid, et qu'il connaissait assez pour que ça ne fasse pas de mal au félin. Puis, il vint lui mettre un linge humide sur le front pour essayer d'aider sa température… Il n'osait pas user de magie pour le soigner, ne se sentant absolument pas capable d'y arriver. Quel idiot il faisait ! S'il avait eut le sens des réalités, il aurait songé à essayer d'apprendre pendant son temps de solitude plutôt qu'à lancer des boules de feu. Installé près de lui, il lui peigna un peu la fourrure, avec douceur.

«  Ne t'inquiète pas… je vais m'occuper de toi… tu es à la maison, Pur', tu l'as fais »

Il sourit légèrement et vint l'étreindre avant de reprendre ses gestes, attentions. Le félin avait l'air d'avoir mal aux articulations et il lui semblait avoir trouvé son baume pour ça quelques jours auparavant, il pourrait l'utiliser, peut-être. Ce ne serait pas aussi efficace que les soins du guérisseur, mais au moins cela débuterait le processus et l'aiderait à se remettre.

«  Merci… d'être revenu »

* * * * *

L'amusement le disputait à l'inquiétude, alors qu'il observait le félin, fourrure gonflée, qui n'avait toujours pas l'air d'arriver à apprécier leur début de voyage maritime. Il ne savait toujours pas ce qui avait décidé son ami, mais cela lui allait très bien. Quand il était revenu, il avait juste dit qu'ils iraient sur Calastin chercher sa famille, et rien d'autre… En l'observant, Ivanyr s'était résigné à ne pas savoir ce qui avait bien pu se passer, et c'était contenté du plaisir de leurs retrouvailles. Quand le Graarh s'était sentit un peu mieux et avait commencé à reprendre des forces, ils avaient reprit la route pour aller jusqu'au port et trouver un navire qui les porterait tous deux vers l'île des humains, où il pensait trouver les siens. L'idée du voyage en mer lui avait plut, mais surtout celle de le faire avec son ami. S'installant près de Purnendu, il vint lui caresser la fourrure de la nuque tout en lui racontant ce qu'il voyait avec ses propres yeux, et la beauté que la mer lui inspirait. Pourtant, dès qu'il tournait la tête vers les montagnes qui s'éloignaient, une vague de nostalgie l'envahissait. Avec un léger sourire plus doux, il glissa en un murmure :

«  Un jour, on retournera sur ce plateau… on y mettra nos nouveaux souvenirs, d'accord ? »

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