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Novembre, après la catastrophe de Cordont

C’était une réelle chance que le voyage par mer jusqu’à Cordont soit bien plus prompt que de s’envoyer les routes terrestres jusqu’à la ville du Traité. Une chance pour leur capitaine et son équipage, en premier lieu, et une chance pour lui également, ensuite. Il aurait eu bien du mal à s’en sortir, cette fois, s’il avait été contraint de répondre de la mort de plusieurs dizaines de personne, avec pour seul élément de défense que le navire n’avançait pas assez vite à son goût. C’était peu et surtout, ce n’était guère recevable devant un tribunal un tant soit peu compétent. Pourtant, il n’aurait pu être davantage dans son bon droit quand on savait l’absurdité de la situation… Il était dit, quelque part, que le monde devait absolument lui en vouloir. Il était le garde du corps personnel d’Aldaron depuis plusieurs mois, et rien ne s’était passé, et il suffisait que cette triple-buse d’elfe le quitte pour un seul évènement, et bien entendu, c’était en cette unique occasion qu’il aurait eu besoin de lui, comme de par hasard ! En sus de quoi, pour améliorer encore son humeur, il n’avait pas été mis directement au courant par le premier concerné, trop occupé à s’envoyer la gastronomie politique dans le gosier. Joie et Bonheur. Oh il allait lui devoir de très bonnes explications, le Bourgmestre, quand il aurait mis la main dessus. Avoir été séparé de lui pendant plusieurs jours s’était avéré être une torture, faisant tomber un voile terne sur tout ce à quoi il se consacrait, mais entendre qu’Aldaron avait failli mourir dans la catastrophe qui avait frappé la ville lui avait retourné tripes et cœur. Dès cet instant, rester sur place n’était plus une option et puisque Purnendu venait également, comme guérisseur, alors il ne pouvait que l’accompagner. La tension l’avait maintenu alerte et acide pendant une grande partie de la traversée et c’était seulement à présent, en posant le pied à terre, qu’il commençait à se sentir mieux. L’elfe n’était pas loin, quelque part près de ces ruines. Il allait le trouver et le récupérer.

Attendus par les soldats de l’Alliance déjà sur place, les passagers du navire furent conduits jusqu’à ceux qui demeuraient là depuis la chute de la ville. Mais une fois dans le camp installé ? Ils étaient laissés à eux-mêmes, dans un ensemble disparate. Purnendu seul, ainsi que quelques individus choisis, étaient dirigés là où ils seraient les plus utiles. Lui-même n’en étant pas, Ivanyr se retrouva à observer les lieux un moment, pour se donner assez de temps et reprendre le contrôle de l’ire qui l’avait accompagné depuis le départ de la Revenante. Elle ne lui servait à rien, bien qu’elle puisse constituer un exutoire à ce qu’il ressentait. Progressivement, la colère se trouva nuancée, par le malaise, par la tristesse… le vampire avait l’impression d’un creux, en ce lieu, d’un écho désagréable qui lui rappelait avec clarté le village ravagé des Graarh, sur Nyn-Tiamat. Ici aussi, la tragédie avait frappé. Tout ça pendant que les politiques se font la guerre, en prenant tout ça comme simple prétexte Pour tout l’amour qu’il éprouvait envers Aldaron, la constatation lui laissait un goût de bile dans la bouche. Il n’aimait pas voir l’évidence de la manœuvre et constater son efficacité, était-il mauvais joueur pour autant ? Avec distance, il se demanda ce qu’Achroma aurait fait s’il avait été à sa place. L’ancien était un politicien lui-aussi, il aurait su tirer son épingle du jeu. Lui n’avait pas la patience ou l’appétence de le faire. Il aurait préféré renvoyer tout ce beau monde à ses pénates, au risque d’en froisser plus d’un. En sommes, sans doute aurait-il préféré être plus candide, quitte à être manipulé sans s’en rendre compte. Soupirant sous cette pensée, il se déplaça rapidement pour s’assurer que Purnendu était installé avec tout ce qui lui fallait, puis il s’informa sur les derniers évènements que leur voyage leur avait fait manquer. Une fois qu’il fut assuré de ne pas être en défaut de la moindre information, le vampire se mit en quête du Bourgmestre.

Et évidemment, pas de Bourgmestre en vue. Impossible de mettre la main dessus, et le seul qui aurait éventuellement pu le renseigner lui offrait un mielleux et insupportable ‘il est occupé à plus urgent qu’à perdre son temps avec les petites gens’. Par les déesses, qu’il avait envie de lui faire ravaler son air dédaigneux… Mais encore une fois, sa défense au tribunal serait définitivement bien maigre si l’on s’en tenait aux lois établies. Si cela continuait comme ça, il allait très sérieusement envisager d’aller élever des chèvres dans un bourg de campagne perdu en plein cœur de Calastin. Puis, subitement, alors qu’il s’écartait en fulminant, son regard fut attiré par une silhouette qui trouva sa place dans sa mémoire. Et qu’il était agréable de se souvenir ! Ce devait être l’elfe dont son elfe personnel lui avait parlé… « Hey… oh… C’EST HAUT !!!!! » Se prenant les pieds dans son accent, il ravala le juron fielleux qui lui venait et s’approcha à grandes enjambées de l’infortuné qu’il venait d’interpeler en faisant se sursauter tout son voisinage immédiat. Se plantant devant le chevalier, il décocha immédiatement, en se passant de toute forme de préambule. « Bonjour. Où est Aldaron ? » Il y eut un blanc, puis il ferma les yeux en inspirant lentement et profondément pour retrouver un peu de courtoisie. « Vous êtes son ami si je ne me trompe pas ? Il va bien ? Il n’a rien ? Où est-il maintenant ? Est-ce qu’on le surveille bien ? » Il essayait de son mieux de ne pas avoir l’air d’un tribunal inquisiteur devant l’elfe, mais la simple idée qu’Aldaron soit blessé ou soit sur le point de faire s’effondrer une autre ville donnait des palpitations à son cœur mort. « Je savais que j’aurai dû l’accompagner… C’est la dernière fois que je me laisse convaincre de rester en arrière… »

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Les récents évènement ne m’avaient pas vraiment aidé ni à trouver le sommeil, ni à me reposer d’une quelconque manière. Pourtant, je ne souffrais pas des affres de ce manque, en grande partie grâce à Ïsil, la jeune Enwr qui avait elle aussi fait partie de cette singulière aventure. Même si mon âme aurait égoïstement préféré qu’il s’agisse d’une autre baptistrelle, j’étais soulagé de savoir Aurore loin de toute cette agitation, même si je devinais sa probable inquiétude ressentie grâce au Nexus qui pendait à son cou. J’avais bien sûr, dès lors que je m’étais retrouvé seul quelques instants, pris le temps de lui faire parvenir un message grâce à mon anneau et son messager. Même si pouvoir directement communiquer avec elle aurait été préférable, j’étais sur qu’elle comprendrait facilement la raison de cette impossibilité. Alors que nous étions retranchés dans l’une des tentes qui entouraient celle du Bourgmestre, dans un territoire donc très largement protégé, je laissais Ïsil raviver la lueur d’énergie qui brillait encore en moi. Si l’adrénaline qui coulait dans mon corps ne faisait pas encore effet, je me serais sans doute effondré dans l’heure qui aurait suivi notre affrontement titanesque. Je laissais alors mes pensées vagabonder, se fixant sur les évènements récents et sur leurs conséquences.

Car, des conséquences, il allait y en avoir. La décision d’Aldaron était, à mes yeux, particulièrement juste, surtout après le discours candide et alarmiste de Luna. Les affres d’une guerre récente ressurgissaient peu à peu, et à raison. Mais il fallait aussi comprendre l’empire Kohan. Bien que je ne portais pas cette dynastie établie et parfois non-méritante dans mon cœur, ils étaient, sur un point, bien semblables au Bourgmestre. Ils avaient peur. Peur de cette nouvelle découverte et de tous les dangers qu’elle pouvait représenter pour leur peuple. Et c’était surtout ça, qui m’inquiétait. La peur était souvent vectrice de décisions stupides et emportées, et c’était ce genre de décisions qui menaient au chaos. Et pourtant, là où ma fonction aurait exigé de moi que je reste neutre et en retrait, j’avais dû me positionner. Je l’avais fait pour l’amitié qui me liait à Aldaron, mais j’essayais de me convaincre qu’au-delà de cet aspect, c’était une bonne chose. L’ordre Baptistral était respecté et écouté par chacune des parties en tant que représentants de la neutralité même, et c’était de neutralité dont avait besoin le contexte. Je ne m’étais pas positionné sur les paroles ou les convictions de mon ami, mais je m’étais simplement mû en un protecteur silencieux, présent pour l’aviser au besoin et surtout empêcher que la situation ne dégénère. J’espérais simplement que la présence d’un membre du domaine, même d’un ordre aussi jeune, suffirait à maintenir l’équilibre le temps d’éviter un véritable désastre diplomatique ou militaire.

Un brusque regain d’énergie me fit sortir de ma litanie, alors qu’Isil détachait sa paume de mes omoplates. Son traitement était temporaire, mais il suffirait le temps que je finisse ce que j’avais à faire. Ensuite, un retour au domaine s’imposerait surement. La Rhapsodie voudrait être avisée de la situation, et il m’incombait de leur détailler les faits. Je me redressais donc à mon tour, avant de me tourner vers la baptistrelle qui me regardait, l’œil inquiet.

« Tout va bien, Maitre Wënmimeril ? Vous savez… Vous devriez vous reposer, vous aussi, le contrecoup risque d’être difficile à encaisser. » Tenta-t-elle. Je lui souriais, presque amusé, avant de lui répondre.

« Ne t’inquiète pas, je vais surement mieux que beaucoup d’autres qui ont été blessés dans cette catastrophe. Je tiendrais bien quelques jours. » Lui dis-je simplement.

Peu convaincue, mais sans insister, la baptistrelle hocha alors la tête avant de retourner vers le camp des blessés pour mettre ses talents à profit. Je pris alors le temps de faire parvenir les quelques informations que je possédais au domaine. Les destinataires étaient tant les Cawr que les deux autres chevaliers en fonction que je savais encore stationnés là-bas. Lennart, le Glacernois, et Maïlin, la Sainnûr, seraient sans doute intéressés par la tenue des événements, et il était probable que le conseil ne décide de les envoyer en renfort, accompagné de quelques représentants de la Rhapsodie. Une fois fait, je me dirigeais vers le porte-armure qui soutenait Nurtälehir, Aqualönde et Ahavarion. Je m’équipais de l’intégralité de mon armure, sans spécialement de méfiance. Il s’agissait surtout de la présence rassurante du sceau Baptistrel protégé par les ailes d’un grand cygne gravé à même le cuir et le métal de mes protections composites. Ce simple fait suffisait souvent à apaiser ceux qui en connaissaient la signification, et c’était toujours ça de prit.

Ainsi renforcé, je quittais la tente, réajustant mon fourreau dorsal et levant les yeux vers le ciel. Aldaron était toujours retranché dans sa tente, usant probablement de sa compétence de passeur pour les diverses discussions politiques qui s’imposaient. Il était inutile de le déranger, car la politique n’avait jamais été mon fort, et le conseiller n’était pas la raison première de mon séjour au camp. Je préférais donc avancer jusqu’à l’entrée de la palissade qui protégeait modestement le petit groupe de tentes calédoniennes, discutant avec la garde. Fidèles au poste, ils ressentaient eux aussi la pression et la précarité de leur position. Si la moindre attaque survenait, ils étaient en première ligne. Au cours de la discussion, une voix se fit soudain entendre dans mon dos. Il pouvait s’agir de mon prénom, avec toutefois un accent particulièrement prononcé.

J’aperçus alors une imposante silhouette me faire face. Si les gardes, surpris, se méfièrent immédiatement de la stature colossale qu’ils avaient en face d’eux, raffermissant par instinct la prise sur leurs moyens de défense, je rivais, moi, mes yeux dans ceux de l’inconnus. Il ne fallait pas longtemps pour deviner qu’il s’agissait d’un vampire, en attestait la pâleur de sa peau. Mais, malgré son allure potentiellement menaçante, il n’y avait rien, en son regard ou en son attitude, qui attestait d’une quelconque agressivité. Sans plus de cérémonie toutefois, il m’abreuva de questions concernant Aldaron, le Bourgmestre. Même si son attitude pouvait paraitre candide, et pouvait témoigner d’une affection particulière pour ce dernier, je ne pouvais bien entendu répondre si simplement à ses interrogations, du moins, pas à une partie d’entre elles. Toutefois, cela n’excluait en rien une sincère courtoisie de ma part.

« Je… Vous semblez connaitre mon nom, mais je ne crois pas que ça soit réciproque. » Dis-je, avec un sourire posé et une pointe d’amusement dans la voix. « Au risque de me répéter, puisque vous me connaissez, je me nomme Seö Wënmimeril, Chevalier Baptistrel et représentant du domaine éponyme. » Me présentais-je, cordialement, l’invitant par la même occasion à faire de même. « En ce qui concerne vos différentes questions, et, à moi de savoir qui vous êtes, je ne puis vous renseigner à la hauteur de vos espérances. Si sa santé vous importe, sachez simplement qu’Aldaron va bien, il est simplement particulièrement occupé par les récents évènements. Pour ce qui est de sa protection, mon simple refus de vous laisser ainsi vous approcher plus de notre intéressé n’est-il pas une réponse suffisante ? » Fis-je, sur un ton légèrement taquin.

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Ce n'était certainement pas la réponse qu'il attendait, et une éphémère lueur de surprise et d'incrédulité traversa ses prunelles aqueuses avant de s'étioler dans un océan de prudence, et même de méfiance. Coi, le vampire se tint là, observant attentivement son interlocuteur, le détaillant de cette fixité rigide des prédateurs nocturnes, le décortiquant détail par détail, battement de cœur par battement de cœur, comme s'il cherchait à se glisser sous sa peau et à lui écarter les tripes pour voir ce que sa chair pouvait bien receler. Dans le silence relatif de la soirée, uniquement entrecoupé, désormais, des bruits du campement, Ivanyr continua de mirer son interlocuteur, avec l'évidence d'une pensée rampante et qui s'aventurait vers des lieux peu agréables. Cet elfe… il voulait l'empêcher de rejoindre Aldaron. Voilà ce qu'il venait d'affirmer et qui oblitérait tout le reste sur l'instant fatidique et haletant. Cela tournait, encore et encore, dans sa tête, comme le martellement d'un tambour ou la corrosion d'un venin qui l'envahissait lentement. Il voulait l'empêcher de rejoindre Aldaron. Une lente inspiration vint enfin briser son immobilisme. La colère, sourde, noire, l'envahissait lentement à cette perspective. Une lente pulsation hivernale envahit ses prunelles, suintant d'abord la douleur, puis, lentement, une profonde aversion calculatrice, une ire silencieuse, grattant derrière la surface miroir de son regard céladon, tapie, observatrice… Ses traits d'albâtre fleurirent sous un sourire suave à la courtoisie impeccable, mais à la malveillance sous-jacente. Ah il voulait l'empêcher de retrouver Aldaron, hein ? Mais ça n'allait pas du tout se passer comme cela, oh que non, personne ne pouvait le détourner de l'elfe, et certainement pas l'être qui se trouvait face à lui. S'apprêtant enfin à répondre, il fut néanmoins interrompu par l'un des gardes, dont la voix hésitante vint à l'arrêter net dans son impulsion, le déridant un bref instant.

« A-Achroma Seithvelj... »

Un blanc. Un silence. Une hésitation.

« Mais.. vous… vous êtes mort... »

Sans blague? manqua-t-il piquer le pauvre hère de sa mauvaise humeur irraisonnée. A la place, il ravala le fiel lui brûlant le palais et se contint de son mieux. Encore un qui le prenait pour le dragonnier trépassé apparemment. Ils étaient nombreux, à Caladon, et s'il avait fini par s'habituer aux regards en coin et aux légers retraits de certains en le voyant, il ne parvenait toujours pas à empêcher l’incommensurable amertume de l'envahir chaque fois que le spectre de l'Aîné lui tombait dessus. Pourquoi fallait-il qu'il soit son portrait, et pire encore ? Pourquoi fallait-il qu'il porte sa mémoire, ses manières, ses capacités ? Mais ce n'était certainement pas le bon moment pour faire un caprice. Aldaron acceptait de faire la différence, sa famille aussi, c'était ce qui devait lui importer, pas le reste, pas les autres. Il ne leur devait rien après tout, ils n'étaient rien. Oui, voilà qui était bien plus constructif, et en y pensant… peut-être pouvait-il même se servir de cette insupportable méprise. L'aura du dragonnier était impressionnante après tout, cela pouvait aller dans son sens s'il accepter de ravaler ses prétentions personnelles et qu'il incarnait effectivement ce vampire qu'ils voyaient tous en lui. Redressant légèrement le menton, il étudia les deux gardes pendant quelques douloureux instants supplémentaires, pesant encore la frustration du choix qu'il envisageait, puis s'y retrancha enfin, ne pouvant nier l'évidence quand elle était si criante. Oui, autant adopter Achroma comme identité pour le reste du monde, si c'était vraiment cela qu'ils voulaient, mais ce serait à leurs risques et périls. Il serait toujours Ivanyr lorsque cela compterait vraiment, et c'était, en fin de compte, tout ce dont il avait besoin. Non ? Si, et cette simple constatation lui permit d'aller de l'avant, de franchir le dernier pas, malgré ce que cela pouvait représenter pour lui.

«  Oui  »

Sa voix restait douce, et néanmoins, il y avait un laçage impossible à appréhender dans cette simple affirmation, une tension sous-jacente conférant une netteté chirurgicale à son accent déjà sec.

«  Et il semblerait que je ne le soit plus…  »

Pendant une poignée de battements de cœur mortel, il eut l'impression diffuse de se perdre, de s'enterrer, d'accepter la cangue qu'il avait refusé jusqu'ici. La constatation lui fit tourner la tête, et il frémit à la chape glacée qui lui coula le long de l'échine et jusque dans le dos. Malgré tout, cela restait à ses yeux une défaite que d'en arriver là, de façon purement personnelle. Encore fallait-il que l'acceptation paie à présent. Son regard de lagon retomba finalement sur l'elfe qu'il avait interpellé en premier lieu.

«  Au risque de paraître désagréable, votre refus ne me rassure en aucun cas. Je pourrais décider de vous massacrer tous trois ici et maintenant, si j'avais des intentions homicides et vous auriez constitué une piètre barrière…  »

Et y parvenir.
La menace était réelle. Il ne sentait pas de pression magique comparable à la sienne en aucun des trois individus qui lui faisait face, bien que l'armement du principal intéressé pu éventuellement constituer une menace latente à prendre en compte s'il mettait son affirmation à exécution. Mais non, là encore, rien qui ne lui sembla devoir réellement l'empêcher de commettre l'irréparable s'il se motivait, bien que, dans son insatiable curiosité, les pulsations émanant des glyphes puissent, en d'autres temps, attirer son attention. Mais sur l'instant, les griffes glacées de la malignité le tenaient bien trop fermement pour qu'il céda face à sa propre candeur. Quiconque tentait de le séparer d'Aldaron en paierait le prix au centuple.

«  Et au risque de paraître également méprisant, votre motivation serait plus crédible si cela ne faisait pas déjà quatre fois que j'entrais et ressortais de ce camp à ma guise…  »

Haussant un sourcil, il tâcha, dans un sursaut de rationalité, de ne pas continuer à s'agacer de tout et de rien, ou il risquait véritablement d'en arriver à de regrettables mesures. En y regardant bien, l'autre avait l'air de ne pas saisir à quel point il l'avait agressé à refusant de lui livrer les informations qu'il désirait… et d'ailleurs, comment pouvait-il vraiment le savoir ? Ce qui l'unissait à Aldaron n'avait guère de précédent. Inspirant profondément, il se força à revenir les deux pieds sur terre, et haussa légèrement un sourcil. Aller… qu'est-ce qu'une seconde chance offerte avec largesse pouvait bien véritablement lui coûter ? Le prix d'un effort social qu'il rattraperait plus tard ou ferait payer à son elfe de compagnie, sans aucun doute. Rien d'insurmontable donc, non ? Pourtant, ça lui semblait bien insupportable, ou du moins était-ce ce que le spectre glacé en lui sifflait, mauvais et rosse.

«  Comme je ne doute pas de votre bonne volonté ni de l'amitié que vous portez à Aldaron, je vais prendre tout cela comme un zèle positif… néanmoins, vous avez reçu la réponse que vous attendiez et pas moi. Allez-vous consentir à m'éclairer à présent ?  »

Il doutait qu'Aldaron aille véritablement bien, que ce soit physiquement, ou moralement mais il se doutait également que l'autre ne le lui dirait pas en plein milieu de l'entrée du campement non plus. Ce n'était après tout que pure logique. Et en même temps, il se guignait tant des gardes et de tout le reste qu'il avait aussi du mal à accepter de ne pas avoir les réponses demandées séance tenante. Cet écart incompréhensible dans sa propre tenue aurait dû l’alarmer bien davantage, alors même qu’il n’y prêtait qu’une attention secondaire en l’instant. Malgré les différences de subtilité, si l’elfe lui disait que son lié allait bien, c’était au moins qu’il n’était pas gravement blessé ou mort, même si, pour cette dernière et terrible hypothèse, il estimait qu’il l’aurait déjà senti. Enfin, il espérait… comme il espérait que l’autre ne sourirait pas ainsi pour lui annoncer la mort d’une des seules personnes comptant à ses yeux.

«  Il serait dommage que je sois contraint d'ouvrir chaque tente de ce campement pour retrouver notre très demandé Bourgmestre...  »

Une pensée vint perturber un instant la focalisation fiévreuse qu’il portait envers son saumon d’elfe.

«  Attendez… chevalier baptistrel ? C’est nouveau ça, ils ont fini par arrêter de jouer les hypocrites alors ? Le monde marche vraiment à l’envers…  »

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Si je pensais ma courtoisie et mon ton détaché capables d’apaiser le soucis du vampire, ces derniers eurent plutôt l’effet totalement inverse. La tension et la crispation que je ressentis alors chez mon interlocuteur fit un instant passer une lueur sombre dans mon regard, qui finit rapidement par s’estomper. Non, la personne en face de moi ne pouvait pas être un membre du conseil particulièrement proche d’Aldaron. Il y avait autre chose, leur lien devait être bien plus puissant pour qu’il ne se mette à réagir comme ça. Je ressentis comme une sorte de malaise devant son sourire faussé, emprunt de maux dont je ne pouvais deviner ni la nature, ni l’origine. Un réflexe, dans un geste presque imperceptible, fit reculer légèrement mon pied. Non pas par frayeur, j’assurais simplement un appui plus stable. L’homme face à moi était tout sauf une proie, mais je n’étais pas non plus son agneau. Le silence devenait pesant, même s’il ne durait que depuis une infime mais éternelle seconde, mais se fut le garde qui brisa le silence.

Achroma. Impossible. Et pourtant, le garde ne semblait pas en démordre, et ses propos furent vite confirmés par l’individu. Un homme revenu du royaume des morts. Un homme qui avait, un jour, été un dragonnier ainsi qu’un mage d’exception. Un homme qui avait, selon les dires d’Aldaron, l’un des plus proches des proches du roi du marché noir. Autrement dit : une énigme. Je ne pouvais croire que, si un être tel que lui avait refait surface dans la vie de mon ami, ce dernier ait oublié de m’en parler. Me fixer sur une simple similarité physique et laisser passer un être à l’aura aussi dangereuse n’était pas vraiment dans mes objectifs. Je conservais toutefois mon calme, laissant soin au vampire de défendre sa cause.

Mais, si mon discours ne l’avait pas rassuré, le sien n’avait pas meilleur effet sur moi. Si je m’en fiais aux légendes et histoires qui gravitaient autour de l’homme dont on m’avait vanté les mérites, je ne pouvais qu’être surpris par la brutale tournure de ses propos. Venir instantanément menacer de mort une troupe de gardes relevait d’un mépris, d’une condescendance et d’une arrogance qui ne pouvaient être des traits de l’ancien gardien de la Caste des Dragonniers. La situation avait dégénéré presque contre natures, l’homme apprêtant le comportement destructeur de l’enfant que l’on prive contre sa volonté. Sauf qu’ici, lui avait possibilité d’arriver à ses fins.

S’il s’agissait bel et bien d’Achroma, alors sa puissance magique était presque sans commune mesure. Ainsi, il était dangereux, non pas seulement pour nous trois, mais pour le campement au complet. Son impulsivité ne venait qu’amplifier ce sentiment, et les gardes semblaient l’avoir compris, faisant un pas en arrière, presque tétanisés par la peur. Si j’envisageais de dégainer ma lance, alors il me fallait d’abord faire un rapide calcul. Un affrontement ne durerait sans doute que l’espace d’un battement de cil, moment fugace pour d’autres, moment d’éternité pour nous deux. Un mage aussi exceptionnel que lui n’était toutefois pas invincible, et se devait de posséder les faiblesses communes aux autres mages. Tout d’abord, la lenteur de leur art m’avantageait. Je ne doutais pas que l’homme soit capable d’une dextérité incroyable, mais, sur une aussi courte portée, j’avais une chance d’exploiter l’une de ses tares : ses mains. S’il avait surement l’expérience pour lui, son impulsivité et sa foi semblant inébranlable en ses capacités pouvaient également constituer un point d’appui. En d’autres termes, il me sous-estimait, et il m’était alors possible de le surprendre. Je l’observais alors en silence, écoutant ses piques sans broncher. Son mépris et ses acerbes remarques étaient bien loin de me faire perdre mon calme, car telle n’était pas ma nature. Aussi, lorsqu’il eut fini, un instant de silence s’imposa, avant que je ne lui répondre, un sourire amusé sur le visage.

« Vous seriez donc Achroma. Une surprise plutôt étrange, compte tenu des dernières nouvelles que je possède sur votre compte. Je ne puis m’empêcher d’être surpris qu’Aldaron ait oublié de me parler d’un tel retour, surtout après m’avoir demandé de veiller sur lui lors des évènements à venir. » Arborant toujours le même air, je croisais un instant les bras, dévisageant l’homme sans gêne. « Que vous soyez cet homme, et il semblerait que nos deux amis le croient fermement, ne me dérange pas. Mais n’espérez pas, après avoir proféré de telles menaces, vous en sortir sans plus d’explications. »

Sous l’œil médusé des deux gardes, je décroisais alors les bras pour avancer vers mon interlocuteur. Malgré ma taille déjà grande, il me rendait facilement une tête de plus, ce qui ne m’empêchait toutefois pas de m’approcher avec le même sourire. Cependant, d’une manière imperceptible, je guettais le moindre mouvement de ses mains, le regard soutenant toujours celui de l’ancien.

« Je ne vous veux pas vraiment de mal et, si vous êtes celui que vous prétendez être, et que je suis celui que je suis, vous devez bien avouer qu’un affrontement entre nous nous desservirais tout deux. Après tout, j’imagine que vous vous voyez assez mal annoncer à Aldaron avoir tué deux de ses gardes ainsi qu’un ami qui lui est précieux, tout comme je n’ai pas envie de lui exposer vos mains tranchées et votre corps sans vie. Je souffrirais donc d’avoir à vous combattre, quelle que puisse être l’issu de notre bataille, tant elle pèserait sur l’âme de notre ami commun. »

Je n’avais pas perdu mon sourire un seul instant, et ce dernier était sincère. Si l’homme semblait prompt à utiliser la violence, ce n’était en rien mon cas. Que ce soit vis-à-vis de mon serment envers l’ordre baptistral ou pour ma conscience personnelle, je me répugnais à envisager d’utiliser une telle forme pour résoudre le problème. La différence avec les Baptistrels étant que, si le besoin devait s’en faire sentir, et je n’hésiterais pas une seconde, quand bien même faudrait il que je sacrifie une part de mon âme pour faire ce qui devait être fait. Sur un ton plus léger, toutefois, je terminais mon discours.

« Et, pour ce qui est de l’ordre baptistral, disons qu’il évolue avec le monde autour de lui. » Dis-je simplement, un sourire amusé sur les lèvres, toujours campé devant le vampire.

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Il haussa un sourcil, face aux propos de l’autre, et roula sensiblement des yeux, déjà désabusé par la candeur que l’elfe pouvait bien affecter. Déesses, cette race n’était donc vraiment pas prête de changer hein… il fallait toujours qu’elle se dédouane après avoir fauté et ne se croit capable de régenter le reste du monde. Seul point positif à l’égard de son interlocuteur forcé, il ne cédait pas facilement sous la menace. A défaut d’être futé, il était donc au moins courageux. En une orientation plus pensive, il semblait réellement que le manque de remise en question et l’aveuglement soit des stratégies communes en Calastin. Avait-il vraiment envie de perdre davantage son temps avec son vis-à-vis, ça, c’était une autre excellente question. La réaction première qu’il avait eut était un mélange d’incrédulité et d’outrage amusé tant la répartie était aberrante : l’autre avait tenté de lui affirmer que son comportement seul prévalait de la sécurité de l’être qui lui était le plus cher en ce monde, et il lui avait démontré par un fait très simple que ce n’était absolument pas le cas. Ce n’était pas parce qu’un elfe vous refusait une réponse que cela signifiait être en sécurité, n’importe qui qui, comme lui, était doté d’un tant soit peu de pouvoir, pouvait passer outre. C’était simplement du pur pragmatisme, quelque chose ne tournait vraiment pas rond chez lui, impossible que cela indique quoi que ce soit d’autre.

« Fort heureusement vous n’êtes pas garant de mon identité et votre opinion m’importe peu à ce sujet. En revanche, je ne vois vraiment pas quelle explication additionnelle vous pourriez désirer. Si vous n’êtes pas à-même de comprendre par vous-même que compter sur de simples bons mots est absurde face à quelqu’un ayant les moyens de vous contourner ou de vous passer dessus, je ne peux pas grand-chose pour vous… »

En fin de compte, c’était la perplexité qui l’avait emporté sur tout le reste. C’était simplement trop énorme pour être crédible, il fallait qu’on lui explique quel cheminement exact de pensée l’elfe avait pu suivre ! Il savait cette race hautaine, et biaisée, mais non, même son pessimisme admettait que là, il y avait une donnée qu’il ne comprenait vraiment pas. La colère incrédule passée, c’était le questionnement qui restait, profond et sincère. Finalement, ne serait que pour comprendre ce qui avait pu aller de travers, il voulait bien perdre un peu de temps. Mais juste un peu.

« Quant à savoir si vous me voulez du mal, là n’est pas la question, la question, en revanche, est de savoir l’utilité de nos positions respectives. Et si je dois effectivement vous éliminer, ça n’aura rien de personnel, ça sera justement de l’utilitaire, croyez-moi. Ainsi, de même esprit, annoncer votre mort ne me fera ni chaud ni froid. Vous aurez choisi votre fin de vous-même en parfaite connaissance de cause. Et elle aura été inutile »

Il se retint tout juste de préciser qu’avec les Baptistrels, l’inutile était souvent le mot d’ordre, de même que les sacrifices inutiles. C’était mesquin… et gratuit. Et ça ne serait pas indiqué, tandis que tout le reste lui était légitime. Il voulait bien lui accorder, dans un effort pour être juste et ne pas écouter sa colère, qu’il était brave, à vouloir jouer les protecteurs, mais là… là ce n’était tout simplement pas une bataille choisie judicieusement.

« Je signalerais également, au passage, qu’outre de très nombreux allers et retours dans ce camp, c’est moi qui suis venu vous interpeller. Si j’avais des intentions homicides, je me serais contenté d’user d’un chemin du cœur pour traquer et tuer Aldaron ou qui que ce soit d’autre. A la place, j’ai fait l’effort de prendre sur moi, d’oublier l’insulte que l’on m’a faite, et d’agir avec discernement, en interrogeant à la place quelqu’un sensé être capable de répondre et de m’éviter de déranger le premier intéressé au mauvais moment… »

Il expira sèchement avant d’achever :

« Et vous n’aurez qu’à lui demander vous-même pourquoi il ne vous a pas mis au courant, ce n’est pas comme si cela faisait deux mois que j’étais revenu à Caladon et que je le protégeais. Mon hypothèse ? Il était beaucoup trop occupé avec la gestion d’un évènement social et politique d’importance, puis à jongler avec une politique instable et explosive en essayant de ne pas provoquer une guerre. Je pense que vous pouvez le comprendre non ? Dans ces cas-là, on a rarement la tête à expliquer sa vie affective, surtout quand elle est aussi claire qu’un marais des plaines sombres »

Avec un pincement de lèvres, il laissa le silence retomber un bref instant, puis se sentit finalement en veine d’en remettre une couche, simplement pour expulser une partie de sa mauvaise humeur.

« Au moins je ne suis pas le seul à me sentir comme le dindon de la farce ! Et maintenant, à moins que n’entendiez enfin raison, je vais vous laisser et trouver quelqu’un de plus raisonnable pour me renseigner »

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Mon sourire ne pouvait ironiquement cesser de s’agrandir en entendant parler le vampire face à moi. Bien sûr, la situation avait de quoi être déstabilisante. Et pour cause d’ailleurs, elle l’était totalement. Après tout, le vampire devait être normalement mort, s’il disait vrai quant à son identité. Pourtant, il semblait bien vivant et, compte tenu de son ancien rang et de son importance, j’aurais surement dû me sentir impressionné par sa prestance, et par sa carrure. Pourtant, il n’en était absolument rien. Deux possibilités s’offraient alors à moi. Soit il n’était vraiment pas celui qu’il disait être, et, ainsi, mon instinct avait réussit à le déceler, soit il l’était, mais il avait profondément changé. Ou les légendes sur lui étaient fausses. Dans tous les cas, la raison me poussait à continuer de ne pas l’aider à trouver ce qu’il cherchait.

« Vous persévérez donc dans vos menaces ? C’est une attitude curieuse. » Glissais-je, presque amusé. « Surtout dans un campement et surtout dans une ambiance comme celle-ci. A tout hasard, je vous rappelle que la situation entre l’empire et les cités libres est critique, et, même si j’entend votre envie de satisfaire votre égo en montrant que vous êtes parfaitement capable de nous neutraliser et massacrer tous ici, je ne peux que déplorer votre manque de discernement. Par ailleurs, si je raisonne toujours par une pure logique, je ne peux comprendre votre entêtement. Si je ne vous divulgue pas la position de votre ami, c’est sans doute parce qu’il est, comme vous l’avez si bien dit, occupé ailleurs, vous ne pensez pas ? »

Je jetais alors un coup d’œil aux deux gardes terrorisés qui n’osaient bouger devant l’échange, poussant un soupir intérieur. Je ne pourrais surement pas compter sur eux en cas de problème. Je me redressais donc légèrement, croisant les bras un instant et replongeant mon regard dans celui du vampire qui me faisait face.

« Mais… j’en viens donc à mes interrogations suivantes, qui, compte tenue des circonstances, semblent de rigueur. Vous parliez d’un retour récent, et d’Aldaron que vous auriez pris sous votre protection durant ces deux derniers mois. Pourtant… à l’heure où il avait vraiment besoin de vous, lorsque le danger était réel, vous n’étiez pas là, je me trompe ? Et je ne parle pas du séisme. La rencontre elle-même était risquée, et Aldaron le savait. C’est en partie pour cette raison que j’étais d’ailleurs à ses côtés. Comme vous auriez surement dû l’être… » Fis-je, alors qu’une idée germait dans mon esprit, un sourire amusé se dessinant sur mon visage. « A moins qu’il… ne vous ait laissé à l’arrière ? Ce serait un comble pour un protecteur, vous ne trouvez pas ? Le grand Achroma laissé en retrait par celui dont la sécurité lui importe tant. Et ne me jouez pas la carte de la discrétion. Vous êtes un grand mage, c’est indéniable, et les moyens sont nombreux pour dissimuler votre apparence. »

Mes paroles amusées firent alors place à un regard plus dur, plus sérieux, alors que je ne le lâchais plus des yeux. Le provoquer était sans doute le moyen le plus rapide d’obtenir, soit des réponses, soit au moins la fin de notre échange. Dire que je ne l’appréciais pas était un euphémisme, même si je conservais mon calme, surement bien aidé par mon esprit lié.

« Je dois avouer qu’encore une fois, si vous êtes bien Achroma, notre première rencontre me laisse perplexe. Vous êtes très loin d’être comme les histoires ou les récits d’Aldaron vous dépeignent. Si je ne m’attendais pas nécessairement au grand héro que les histoires dépeignent, je suis surpris de trouver en face de moi quelqu’un qui en est si loin. Votre attitude pleurnicharde et arrogante ne fait pour l’instant que vous desservir, et je vois difficilement comment cette dernière peut vous permettre de protéger Aldaron, comme vous le dites si bien. » Finis-je, plus durement.

Mais je n’eus pas le temps d’aller plus loin, lorsque j’aperçu la jeune silhouette rousse d’Ïsil qui revenait paisiblement vers nous, avec un grand sourire. Je fronçais les sourcils, et la jeune apprentie baptistrelle, surprise, s’arrêta l’espace d’un instant. Elle dévisagea alors le vampire qui se trouvait entre elle et moi.

« Maitre Wënmimeril, il y a un problème ? » Demanda-t-elle, plus curieuse qu’inquiète.

« Aucun Ïsil, notre ami ci-présent allait partir. » Lui répondis-je, avec un sourire.

Mais la jeune humaine ne semblait démordre de son envie d’aider, et surtout, semblait parfaitement ressentir la tension de la situation présente. Elle s’avança alors vers le vampire, alors que l’ensemble des muscles de mon corps se tendaient nerveusement. A sa hauteur, elle lui glissa un sourire innocent qui se voulait surement rassurant.

« Vous avez l’air en colère. » Dit-elle, posant une main sur la poitrine morte du vampire. « Laissez moi vous aider quelques instants, tout ira mieux après. » Sans attendre sa réponse, elle glissa ses mains sur les deux tempes du vampire, incantant un sort que je ne connaissais que trop bien.

Sort utilisé :

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Pouvait-on être obtus à ce point ? Il semblerait. Si cet elfe était vraiment chevalier Baptistral, soit les mages chanteurs avaient énormément perdus en sélectivité pour les critères d’acceptation, soit ils se fichaient totalement que leurs soi-disant chevaliers soient incapables de suivre ne serait-ce qu’un dixième de leur capacité de réflexion. Parce que là, clairement, c’était impossible de prendre ses prétentions au sérieux. Ou alors, dernière hypothèse probable, il mentait sur ses affiliations. En un sens, cela semblait plus logique, car autrement, quelque chose clochait avec l’Ordre. Une de plus.

« Etant donné que le fondement de mes paroles n’a toujours pas changé en trois minutes, oui je maintiens mes affirmations, n’en déplaise à votre ego »

Parce qu’il fallait vraiment avoir un problème d’ego pour se croire capable d’effectuer une garde tout seul. Cela ressemblait bien aux Baptistrels d’ailleurs. Zut, c’est que ça devenait compliqué de savoir s’il mentait ou non.

«Et ce que moi, je trouve curieux, c’est votre incapacité à voir plus loin que votre torse bombé. Je vous signale vous avoir simplement signifié que je pouvais vous tuer, et que vous n’êtes donc pas vraiment une protection efficace. Si ça ne vous plaît pas et que votre seul moyen de défense est de me taxer de vos propres excès… grand bien vous fasse. Il me semble que c’est un sacré manque de discernement que de fanfaronner sur vos capacités lorsqu’il est évident pour n’importe quel être objectif de constater le manque de solidité de vos arguments »

Pure logique, lui ? Savait-il seulement ce que cela voulait dire ? Mais non, la vérité, si on pouvait l’expliquer ainsi, était ailleurs. La logique, s’était justement comme la vérité, ça avait tendance à se modifier en fonction de la personne, tout simplement parce que voir ouvertement ses penchants n’était pas donné à tous le monde. En l’occurrence, pas à lui.

« Pas vraiment. En premier lieu parce que ce n’est pas ce que vous affirmiez jusque-là, en second lieu parce vous essayez de vous servir de mes arguments, sommes toutes destinés à aplanir les choses, pour m’agacer, enfin, en troisième lieu parce que s’il ne s’agissait que de cela, vous m’auriez simplement dit qu’il était occupé et vous ne joueriez pas au coq avec moi »

Mais décidément, devait aussi lui changer les langes ? En tout état de cause en tout cas, il ne changeait pas d’avis sur la question. Il n’avait donc aucune raison de rester et de continuer à lui parler. L’autre essaya bien d’accrocher son regard, mais déjà Ivanyr se tournait vers d’autres préoccupations, et il fallut les commentaires puérils de l’elfe pour le retenir. Se tournant de nouveau vers lui, il haussa un sourcil, perplexe, et pour le coup, ne ressentant plus aucune irritation. Bien, là, ils avaient atteint le fond…

« Eh bien on dirait qu’Aldaron a du mal à choisir ses amis dernièrement… »

Voilà tout ce que ça lui inspirait. L’autre était ouvertement entrain de le chercher, comme un enfant capricieux qui n’obtiendrait pas ce qu’il voulait et ne parvenait pas à faire dire aux autres qu’il a raison. C’était tellement évident que s’en était non seulement pathétique, mais même un peu gênant pour lui. Ça ne lui passait pas à l’esprit que voir un mort subitement apparaître devant une assemblée aussi illustre risquait de provoquer au minimum la panique ? Non bien sûr, il ne cherchait même plus à avoir raison mais juste à soigner son orgueil blessé. Mais lui, Ivanyr, n’avait pas l’intention de se faire tirer la manche ou geindre aux oreilles éternellement. Se détournant de nouveau, il entreprit de continuer son chemin, tout simplement, ayant déjà plus qu’amorcer le mouvement.

Et l’autre continuait encore ! Avec un soupire, il s’arrêta de nouveau. Seigneur déesse… Il se retourna avec un sourire suave et charmeur.

« Oh… m’en voilà si désolé… »

Le sarcasme pliait sa voix d’une nuance doucereuse et narquoise.

« Désolé de n’avoir rien à faire de votre vision de ma personne. Bonne soirée messire le chevalier Baptistral »

Et là-dessus, il se détourna, cette fois définitivement… pour piler et éviter de percuter la jeune femme qui s’approchait de la sortie du camp. Tous deux se connaissaient donc ? Eh bien parfait sans doute, il irait probablement se soulager la tension autrement qu’en continuant à s’accrocher inutilement à ses basques. Pour peu que la gamine soit un peu docile, il trouverait là son opportunité de se rengorger et de lisser son plumage ébouriffé. Ce n’était pas forcément typique des elfes d’agir ainsi, mais un peu plus ou un peu moins. Pourtant, non, la petite le regardait lui. Fronçant légèrement les sourcils, il s’adressa donc à elle.

« Oui ? Je peux vous aider ? »

En colère ? Oui, parler à un simple d’esprit pouvait mettre en colère. Mais la fin de ce si charmant entretient le lui avait ôté. Plus qu’être en colère, il était désormais assez perplexe. Aldaron avait décrit cet elfe comme quelqu’un d’intègre et d’intelligent, et il en semblait à des années lumières. Alors soit l’homme de sa vie avait prit un sacré coup sur la tête, soit il avait dû rater un épisode dans les explications où on lui expliquait que le Seo en question avait un sérieux problème d’ego. Le contact soudain le ramena à l’instant présent, et le vampire ouvrait la bouche pour expliquer qu’il n’avait pas besoin d’aide quand il sentit la magie. Un éclat outré et prédateur traversa son regard à ce qui n’était rien moins qu’une agression, et il manqua la broyer violemment avant de se rendre compte du sortilège qu’elle voulait utiliser.

Immédiatement, ses prunelles se firent amusées, et il arrêta de lui résister, la laissant faire sans un mot. Il doutait en vérité que le sort prenne corps en lui, il n’avait pas de quoi le nourrir, mais… l’espoir fait vivre comme on dit ! Il y eut un instant de flottement, avant que quelque chose de glacer ne lui coule le long de l’échine, lui faisant agrandir les yeux. Devant lui, ce n’était plus Cordont et le camp faiblement éclairé, mais un champ de bataille à la fois familier et étrange. Sous un ciel presque éclipsé par la silhouette gigantesque d’un dragon gris et violet, des soldats de toutes races s’étripaient avec une violence terrible. Il entendait les grondements de la cavalerie et des machines de siège, les explosions magie, il sentait le sang sur sa langue. Soudain, il était entouré d’adversaires, des soldats théocrates qui souhaitaient le tuer…

Il recula d’un pas, ayant l’impression de flotter dans un univers distordu, ralentit et déformé. Un rêve éveillé ? Un rêve… bon sang, c’était un rêve. Cordont, Aldaron, sa famille, c’étaient des rêves, une manipulation de ses ennemis pour l’empêcher d’aider lors de la bataille, comment avait-il bien pu se faire prendre aussi stupidement !! Haletant légèrement, il se força à essayer de reprendre le contrôle de son esprit, mais celui-ci semblait totalement embourbé, engourdit… non, non ! Il devait absolument faire quelque chose ! Il devait absolument… agir, combattre ! S’il réussissait à tuer celui qui lui avait lancé ce sort, il se libérerait aisément. Qui ? Là devant lui, elle, ça devait être elle, cette vampire traitresse ! Balayant la scène du regard, rapidement, il cligna finalement de yeux, disparaissant en un battement de cœur pour réapparaître vingt mètres plus loin. L’instant suivant, la couronne d’été prenait naissance.

Un autre mouvement attira son regard, un autre soldat, non deux ! Son esprit était déjà plus clair, il grimaça et cette fois, se contenta d’un choc. Il devait d’abord essayer de reprendre pied. Ses tempes tambourinaient, des vertiges manquaient l’expédier dans une inconscience dont la perspective l’étreignait jusqu’à l’âme de pure terreur. Un instant, le monde trembla, d’autres soldats approchaient, semblant reculer et avancer en même temps. Au loin, l’immense dragon s’envolait…

« Je dois… »

Il fallait qu’il l’aide… il le sentait, le vivait, viscéralement. Ses tripes se tordirent, alors qu’une agonie immense lui tombait dessus, tordant le monde alentours de la pression de sa magie alors qu’il en perdait le contrôle. Son corps ne lui obéissait plus, réagissant tout seul, violemment, dès qu’une silhouette entrait dans son champ de vision. La panique et l’horreur déchiraient et fracassaient ses pensées alors qu’une douleur sourde prenait racine dans sa poitrine, sinueuse, profonde, Un sanglot l’étrangla, il devait se secouer, il devait combattre, il devait les libérer, il devait… il devait… Un autre choc, de toute sa force cette fois, et une couronne d’hivers, pour s’isoler partiellement. Il avait mal, il avait tellement mal !

« Ivanyr ! »

La voix claire, volontaire, de sa sœur, soudainement, lui tirant un instant la tête de l’eau mais… non, non ce n’était pas elle, c’était… Cyrène, sa mère… elle combattait à ses côtés… et derrière elle, Aldaron. Se figea, sauvage, animal blessé et dérouté qui tentait de se protéger, il le regarda approcher avec une crainte indicible. Non ! Il connaissait cette scène ! Il allait mourir, il allait mourir ! Il ne voulait pas mourir, il ne voulait plus mourir, il voulait rester avec lui, il… il… Son image devint un instant flou, lui propulsant un nouveau pal de douleur et d’épouvante au travers du corps. Etait-il encore un rêve ? La perte, immense, le submergea, son esprit, fragilisé par la plongée dans les souvenirs qui continuaient de tourbillonner avec violence dans son crâne le terrassa finalement. Lorsque l’elfe arriva près de lui, il revenait à peine à lui, et sa conscience ne dura que quelques secondes avant que la magie concentrée en lui n’explose.

Lorsqu’il se réveilla, entre-ouvrir les yeux lui perça les tempes d’une douleur abominable, ses rétines agressées même par la chiche luminosité. Visage figé en une grimace de souffrance contenue, il se sentit rapidement reprendre pied, malgré son corps fourbu et engourdi, et la peur le reprit. Une forme, une silhouette, se dessina, floue, dans son champ de vision, qu’il reconnut rapidement, son cœur se serrant avant de s’envoler de soulagement alors qu’un nouveau spasme de douleur le traversait. Il tremblait sourdement, par phase, et lorsqu’il essaya de parler, il en fut incapable. Ses yeux se fermèrent de nouveau, alors qu’un vague bruit distant l’avertissait que quelqu’un s’approchait de lui. Un rideau de cheveux argentés lui encombra le visage, alors qu’il laissait Cymoril le manipuler pour l’aider, lentement à se relever, avant d’appeler Aldaron d’une voix inquiète. Ouvrant une nouvelle fois les yeux, il porta un regard terne et lisse sur l’elfe, l’air passant dans sa gorge l’asséchant et produisant un râle léger, avant qu’il ne tousse et ne parvienne, difficilement, à parler.

« J’ai… vu ma mort… »

Il s’arrêta, chaque mot semblant lui coûter. Une minute complète fut nécessaire, avant qu’il ne puisse s’exprimer de nouveau, d’une voix morne.

« J’ai vu notre dernière bataille… je l’ai vécu… comme si j’y étais de nouveau... »

Baissant la tête, il essaya, douloureusement, de se remémorer ce qui s’était passé exactement. Puis après un instant, sourcils légèrement froncés sous l’effort, il questionna avec une pointe d’angoisse dissimulée.

« La gosse ? Elle est en vie ? Je ne l’ai pas tuée ? »

Son regard croisa de nouveau celui d’Aldaron, débordant de terreur à cette idée, se raccrochant à lui comme à son dernier lambeau de vie sur cette terre.

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Le vampire face à moi devait surement confondre mon égo avec son impossibilité latente de seulement m’atteindre. Il était vrai que j’étais sans doute allé un peu loin dans la provocation, mais il fallait avouer que la situation l’exigeait. Bien sûr, je n’avais pas caché la déception qui avait étreint mon âme en constatant non pas qui était le héro de légende que de nombreux contes mystiques vénéraient, mais surtout en voyant à qui le cœur de mon meilleur ami s’était attaché. Bien sûr, l’amour avait cela de beau qu’il était irraisonné, mais de là à s’éprendre d’un homme capable par simple contrariété de menacer de mort ceux qui l’entouraient était tout de même curieux. Sans doute, qu’en d’autres circonstances… Non. Il y avait décidément peu de chance. Nous n’avions pas passé une dizaine de minutes en la présence de l’autre que la haine était déjà perceptible dans nos deux camps. Et je ne me voilais pas la face sur le sujet.

Toutefois, sans nullement répondre au reste de ses provocations, j’avais accepté de le laisser aller bon train, tout simplement pour mettre fin à notre échange improductif. Mais c’était sans compter l’intervention de la jeune Ïsil, qui, souhaitant sans nul doute bien faire, s’était approchée de l’homme en colère. Instinctivement, j’étais déjà sur mes appuis, prêt à intervenir. Ma main s’était lentement glissée dans mon dos, caressant le cuir du pommeau double au centre de la lance, et décrochant comme un habitude la lanière qui retenait l’arme prisonnière de son fourreau. Pourtant, sans lâcher des yeux la scène, j’interrompis rapidement mon mouvement.

Contre tout attente, et, sous les yeux ébahis des gardes qui nous entouraient ainsi que des miens, la magie de l’Enwr semblait faire effet. Le vampire était comme apaisé, plongé lentement dans une douce léthargie, bercé par le murmure de l’apprentie baptistrelle. La douceur qui se dégageait de sa magie venait, en quelques instants, d’apaiser le monde autour de nous. Ïsil était surement promise au même grand avenir qu’Aurore, faites toutes les deux pour incarner, au crépuscule de leur initiation, les baptistrelles qui agiraient sur le monde et l’embelliraient plus que tout autre. Mais ces pensées fugaces s’évacuèrent bien vite, car la sensation de bien être s’estompa aussi vite qu’elle était venue.

Une aura étrange semblait désormais entourer ledit Achroma, alors qu’Isil, les yeux fermés, ne semblait capable de discerner ce changement radical. J’ignorais ce qui était en train de se passer, mais l’aura magique qui émanait du vampire n’avait rien de douce ou d’apaisée. Un flux magique à la densité grandissante, et à l’instabilité chaotique. Le sort qu’avait lancé Ïsil n’était en rien destiné à avoir ces étranges effets, et il était évident qu’elle avait réveillé autre chose. Si je me rappelais correctement les légendes sur ce personnage, une seule idée me venait en tête. Achroma était jadis un mage de guerre, à la puissance quasi-inégalée sur Ambarhùna. Quel qu’ait pu être les rêves et les souvenirs relevés par Ïsil, ils n’avaient pas du être rassurants, et le corps du vampire paraissait réagir instinctivement à cette soudaine intrusion magique, formant, semblait-il, une aura défensive prête à repousser violemment son envahisseur.

Mes leviers d’actions n’étaient pas nombreux, mais je devais rompre le contact entre la jeune Baptistrelle et Achroma. Je ne connaissais que trop peu la nature magique de ce qui se déroulait sous mes yeux, et il allait surement falloir que j’improvise en m’attendant au pire. Je pris donc mes deux premiers appuis tout en activant la glyphe contenue dans mes bottes, et je m’élançais, arme à la main, vers l’ancien de la caste, ignorant totalement les cris de surprise des gardes et leurs tentatives, trop tardives, de m’en empêcher. Plus je m’approchais, plus la sensation de danger était forte. Quoique ça pouvait être, c’était sur le point d’imploser. Faisant tournoyer ma double lame, je choisissais alors de frapper d’un coup sec la tempe du vampire avec le plat de l’acier. Si j’avais espéré que la magie s’estompe suite à l’inconscience du vampire, je m’étais tout de même préparé à ce que cet assaut ne soit qu’un déclencheur. En une fraction de seconde, je propulsais Isil loin de moi, restant sciemment entre elle et la vague d’énergie qui déferla alors. Les ailes d’aciers, créées par la glyphe apposée sur ma cape, n’eurent que tout juste le temps de se refermer sur moi avant que l’assaut magique ne me percute.

Même ainsi protégé, la puissance magique était bien trop forte pour me permettre de tout encaisser sans en souffrir. Le métal enchanté absorbait certes l’énergie, mais cette dernière était directement propulsée dans ma colonne vertébrale, me faisant serrer les dents de douleurs. Si je devais être honnête, je n’avais jamais ressenti une attaque magique aussi dévastatrice que j’en sois la cible ou non. Je parvins à supporter cette douleur durant cette fraction de seconde qui me sembla une éternité, et je tombais à genou, les mains posée à plat sur le sol et les bras tendus, alors que les deux grandes ailes métalliques se désagrégeaient dans mon dos. J’haletais, tant il m’avait fallut de résistance pour supporter un pareil assaut, le visage trempé de sueur. Il me fallut quelques instants pour reprendre complètement mes esprits, et, lorsque je levais les yeux, je pus constater la catastrophe que venaient de causer conjointement Ïsil et Achroma. La vague d’énergie avait brûlé le sol qui entourait Achroma sur plusieurs mètre, détruisant au passage tentes et palissades qui se trouvaient sur sa route. Seul un cône qui se trouvait devant moi, et dans lequel se trouvait justement Isil, avait été épargné. La jeune femme était en état de choc, observant, terrorisée, le vampire inconscient.

Je me relevais alors péniblement, le dos encore parcouru de nombreux picotements et de douleurs lancinantes. Alors que j’approchais de l’Enwr, je pus constater que, non contente d’avoir inquiétée nos voisins, la scène avait surtout attiré l’œil de bon nombre de curieux qui se pressaient autour de nous. L’une d’entre elle, ou du moins, c’est ce que je croyais, fut la seule à pénétrer directement dans ce cercle quasi-sacré pour se précipiter au chevet du vampire. Je poussais un soupir en voyant la foule grandissante, puis je glissais à Ïsil.

« Tout va bien. Tu n’as rien fait de mal. » Dis-je, doucement, sachant pertinemment qu’elle avait ressenti surement bien plus que moi la souffrance d’Achroma. « Tu devrais te reposer, je viendrais vérifier si tout va bien après. » Je me tournais alors vers les deux gardes qui avaient assister à toute la scène. « Vous ! Amenez-là à la tente de Clotilde, la guérisseuse, et montez la garde là-bas. » Soulagés de pouvoir quitter l’endroit et les yeux de la foules, les deux gardes s’exécutèrent. Je me tournais alors vers la nouvelle venue, l’aidant à soulever le corps inanimé de l’ancien.

« Amenons-le dans la tente d’Aldaron. Au moins, nous y serons tranquilles. »

_____________

L’attente était longue, et l’ambiance plutôt tendue. A vrai dire, je me passais de tout commentaires tout comme le faisait la vampire que j’avais rencontrée plus tôt. Je n’avais fait à Aldaron qu’un bref résumé des faits, sans parler de l’altercation qui précédait la scène qui nous intéressait. A vrai dire, nous étions tous les trois-là, attendant simplement que le vampire qui était notre seul vecteur de liens communs ne se réveille.

Heureusement, l’attente ne fut pas longue, et, alors qu’Aldaron et la vampire se ruaient à son chevet pour l’aider à se relever. Je restais pour ma part en retrait. D’abord parce que nous n’étions pas des proches, et surtout parce que voir mon visage au réveil devait être la dernière chose dont il pouvait avoir envie. A l’intention d’Aldaron et de sa probable amie, il expliqua alors ce qui s’était passé. L’effet du sort d’Ïsil avait donc été modifié, je ne savais comment, et avait ravivé en lui des souvenirs traumatisants des instants qui précédaient sa mort. Je ne me décidais à intervenir que lorsqu’il posa sa question concernant Ïsil, détachant mon dos du pan de tente tendu sur lequel je m’étais appuyé.

« Elle va bien, j’ai eu le temps d’encaisser à sa place. Mais ça n’est pas grâce à vous. » Fis-je, d’une voix sensiblement inamicale, avant de m’approcher d’Aldaron.

« Aldaron. Je sais que tu t’inquiètes pour lui, mais je ne pense pas que ça soit une bonne idée de le garder ici. Le sort qu’Isil a lancé n’avait pour but que de l’apaiser, et regarde le résultat. Vu la situation, s’il l’avait tuée, ta position aurait été grandement compromise, autant que la mienne. Je n’ai qu’une simple question : au vu des évènements. Etant donné que je ne le connais pas, je m’en remet à ton jugement, mais est-ce que tu peux vraiment garantir que ça ne pourra pas se reproduire ? »

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    La détonation lui avait fait écarquiller les yeux de surprise, mettant un terme à la conversation qu'il entretenait avec le Général de la Garde, tout juste arrivé. Si les premiers bateaux de Caladon étaient à port, il y avait fort à parier qu'Ivanyr était proche. Ce fut donc avec une double satisfaction qu'il avait vu entrer dans sa tente ce Général : la sécurité pour les caladoniens serait renforcée de jour en jour et il allait enfin avoir droit à un réconfort après ces heures de tensions palpables, dans les bras d'Ivanyr. L'explosion avait mis un terme à son doux rêve, à peine effleuré. Si Aldaron avait saisi son arc immédiatement, le Général, lui, avait ordonné à la garde de couvrir le Bourgmestre, dans le cas où il s'agirait d'une première attaque sélénienne. L'elfe rongea son frein, refusant de céder à l'envie de lui rappeler qu'il n'était pas une poupée de porcelaine, qu'il avait fait la guerre et que si celle-ci débutait maintenant, il serait des premiers à être au front. Il se massa l'arrête du nez et entama une série de longues inspirations. Si les séléniens le connaissaient bien, ils savaient que justement, il était le genre d'homme à courir au front et seul, il serait plus vulnérable. Patience était mère de sûreté... Alors il patientait, pendant ces secondes qui lui semblaient être des minutes voire des heures. Les informations revenaient au compte-goutte. Il apprit d'abord qu'il s'agissait d'une explosion magique, puisqu'il n'y avait pas de victime, excepté le lanceur qui était à terre. On vint enfin lui donner le nom d'Ivanyr et Aldaron répondit immédiatement, ne laissant pas le temps au Général de le faire avant lui : « Amenez-le ici. » On lui répliqua qu'il était déjà en route. Qui que soit, celui qui avait donné un ordre similaire serait dans son estime pour une pareille réaction.

    Il fallut quelques minutes pour que le visage de son aimé, inconscient, ne lui apparaisse. Le vampire fut déposé dans son lit... Et en d'autres circonstances, il aurait probablement songé qu'il s'agissait de sa place légitime, mais pour l'heure actuelle, il était plus inquiété par son état. Se forçant à une rigueur régalienne, il laissa Ivanyr aux bons soin de Cymoril alors qu'il prenait Seö et son Général à part, le temps qu'on lui expose les circonstances de l'incident. Ce fut la voix de la vampiresse, l'appelant qui lui fit mettre un terme aux explications. Il tenait à Cymoril. Elle lui était chère et sentir l'inquiétude dans sa voix lui aurait fait perdre la raison plus d'une fois. Il vint s'asseoir aux côtés d'Ivanyr, et passa une main dans ses longs cheveux argentés pour lui dégager le visage. Il dut s'y reprendre à plusieurs fois avant de passer une dernière mèche derrière l'oreille du vampire. Voyant la difficulté qu'il avait à s'exprimer, l'elfe finit par lever les yeux sur son Général : « Vous pouvez nous laisser, Général. » D'un geste de la tête, il congédia également la garde afin qu'ils ne soient que tous les quatre, ici. Très vite, il avait reporté son attention sur Ivanyr, ses prunelles d'émeraude scrutant la moindre émotion qui pourrait jaillir cet océan céladon qu'il connaissait par cœur. Les premiers mots qui vinrent, enfin, après la quinte de toux, lui glacèrent le sang. Pour lui-même, c'était un souvenir extrêmement douloureux... Alors, il n'osait imaginer ce que cela devait être pour le principal intéressé. L'une de ses mains caressa sa joue glaciale, orientant son visage vers lui : « Cesse d'y repenser. » ordonna-t-il, dans un souffle pourtant. Il ne voulait pas qu'il explose à nouveau et il ne voulait pas qu'il ressasse l'événement trop tôt. Il enfonçait sa main jusqu'à la nuque d'Ivanyr pour la masser doucement.

    Il entrouvrit les lèvres, désirant le rassurer, après les questions angoissées qu'on lui posait mais la réplique de Seö, son ton inamical, lui glacèrent le sang tout autant. C'était à croire qu'ils s'étaient passé le mot, tout les deux, pour lui donner des sueurs froides. Dans son état, eu égard de ce qui se passait à Cordont, ça n'était franchement pas une riche idée. Tiquant qu'il y avait encore une donnée inconnue dans l'équation pour résoudre le problème, ses lèvres vinrent cueillir celles du vampire. Sans précipitation, le geste tombait en revanche à pic et lorsqu'il recula, il prolongea le baiser d'un regard profond et intense. Le genre de regard qui sublimait leur lien et se voulait d'ancrer une mise en abîme dans la confiance : il s'occupait de Sëo et il ne voulait pas qu'Ivanyr renchérisse, quelle qu’en soit la raison. C'était ce que ses yeux lui confiaient comme demande. Se levant du lit, il se tourna vers son ami avant de se prendre un nouveau seau d'eau froide sur la tête. C'était pas bientôt fini ! Ils voulaient tous sa mort ou quoi ?! Le regard que l'elfe lui adressa soulignait combien il ne comprenait clairement pas sa réaction et son comportement : « Il s'est passé quelque chose, entre vous deux ? Je t'ai connu plus indulgent et moins tranché, Seö. » Il posa une main sur l'avant bras du chevalier, cherchant à comprendre autant qu'à l'apaiser. « Je sais que tu dois la protéger et je suis navré de ce qui est arrivé à Isil, cela doit te perturber. J'aimerais néanmoins que tu entendes que ce qui s'est produit était un accident. Qu'il s'agisse d'Isil ou d'Ivanyr, aucun des deux ne désirait ce qui s'est produit. Ivanyr n'est pas plus un danger ici que ne l'a été la baptistrelle. »

    Sa poigne se serra sur le cuir d'armure que portait le chevalier. « Les vampires ne rêvent pas. Ou très peu. Tenter pareille expérience sur eux, même avec de bonnes intentions, c'est comme essayer de faire voler une poule : ça va peut-être marcher mais l'atterrissage aura des notes chaotiques. Tout le monde ne se soigne pas de la même manière, surtout lorsqu'il s'agit de peines psychologiques. On peut faire pire que mieux en voulant bien faire. Il lui appartenait de s'assurer que la personne qu'elle comptait soigner pouvait recevoir le traitement qu'elle voulait lui octroyer. Il s'agit des bases de la guérison. » Il chercha à capter son regard de ses prunelles à la franchise régalienne : « Je ne jette pas le blâme sur ton Enwr, son geste était naïf et son erreur humaine. Ce que j'essaie de te dire... C'est que cet accident, il s'est produit à deux. Ivanyr n'a été que le catalyseur démesuré et involontaire de la magie d'Ïsil et Ïsil une âme bienveillante qui était probablement trop fatiguée des soins qu'elle prodigue depuis la catastrophe, pour faire attention à là où elle mettait les pieds. » Il poussa un soupir et ferma les yeux, laissant retomber la tension de l'incident. Son visage se paraît de fatigue, tombant le masque vierge du politicien. « Je te remercie d'avoir été là pour préserver la vie de l'Ewnr. Qu'il s'agisse de ton Serment ne t'ôte pas le mérite de ton acte et ne fait que prouver combien je peux compter sur toi. Quant à savoir si ce genre d'accident peut être amené à se reproduire, je n'en ai aucune idée et je ne serai jamais purement objectif, lorsqu'il s'agit d'Ivanyr, tu comprends ? Ce n'est pas sur ta confiance en moi que tu pourras baser ton jugement, j'en appelle à ton bon sens et à ton recul. Tu devrais prendre un peu l'air et te reposer. Cordont a été marquée du sceau de la discorde, la moindre erreur peut finir en homicide, surtout les miennes. Devrais-je quitter aussi les lieux, Seö ? » N'avait-il pas la vie de milliers d'êtres entre les mains ? Y compris celle d'Ïsil. Tout un chacun avait un potentiel destructeur en ce lieu singulier et le premier pied qui trébuchait risquait de faire tomber une torche sur un baril de poudre.

    Las, il vint s'asseoir, sur le lit près d'Ivanyr et embrassa la tempe du vampire. Ça pour être biaisé par son affection... Il l'était. Pour autant l'argumentation qu'il avait tenue auprès de Seö n'était pas dépourvue de logique. « Ivanyr... Je suis désolé. » S'il avait fait ce qu'il fallait pour que son vampire ne finisse pas en colère, rien de ceci ne se serait produit. Et Aldaron était le genre d'homme à ressentir la culpabilité plus que d'autres personnes. Morneflamme avait gravé cela en lui.

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La jeune vampiresse, dont le visage juvénile ressemblait à s’y méprendre à celui de sa mère nocturne, releva les yeux de son frère pour poser sur le chevalier un regard perclus d’inimité à l’entendre ainsi insulter sa famille. Quel toupet il avait ! Grinçant des dents, elle se préparait déjà à intervenir et à le renvoyer dans ses pénates lorsque la voix du Bourgmestre vint couper court à ses velléités. Pinçant des lèvres, elle observa l’elfe cendré avec un fond d’inquiétude avant de revenir à Ivanyr, dont le regard fixe et lisse ne reflétait plus la moindre vie. Franchement… comment pouvait-on si mal connaître sa propre place ? Cet individu n’avait aucun droit de commander Aldaron, il n’avait ni légitimité, ni autorité pour le faire, aucun poids politique, le Bourgmestre ne lui devait strictement rien, encore moins d’intervenir dans une affaire qui concernait Caladon. Mais elle, justement, savait quelle était sa place, et elle ne pouvait pas répondre à la place de l’elfe. En revanche, elle aurait éventuellement pu l’invectiver pour ce qu’il avait fait à son frère. A la place, elle attendait, confiante en Aldaron.

Ivanyr lui-même n’accordait aucune considération à tout ce qui n’était pas son aimé, voguant encore aux portes de l’inconscience et du cauchemar, plus vulnérable que jamais. Le contact tiède de la peau de l’elfe sur la sienne lui fit frémir les cils et il ferma finalement les yeux à la caresse de sa main contre sa nuque. Cesser d’y penser ? C’était si tentant, comme le chant d’un oiseau rare, et pourtant impossible tant cela venait tout bouleverser. La formulation était correcte, c’est bien sa mort qu’il avait vu et cette fois, il s’identifiait clairement dans cette scène, là où jamais auparavant il ne l’avait fait. Pourtant, la scène était embrouillée, chaotique, déformée… S’il avait compris de quoi il s’agissait, c’était uniquement par les sentiments qui le noyait, par l’apparition d’Aldaron également, alors que rien ne l’indiquait. Mais il n’y avait pas que cela qui l’avait angoissé, aussi savoir que la jeune humaine était encore en vie manqua le renvoyer dans les limbes sous le contre-coup du soulagement. Vivante… miraculeusement vivante…

Il accueillit le baiser avec simplicité, venant un instant effacer la laideur des souvenirs avec sa saveur sur la langue, et l’observa en silence, regard plongé dans le sien, bercé par ces prunelles de gemmes. Cillant finalement, il le laissa faire, venant s’appuyer contre Cymoril, détournant son attention de ce qui se déroulait sous la tente pour échanger avec elle à voix basse. Les rondeurs de la langue vernaculaire nordique s'échangeaient sans troubler les lieux, dans des souffles courts, un chant à deux voix, deux tons très différents, porteurs de sentiments singuliers. La conversation mourut néanmoins rapidement, lorsque le titre fatidique fut prononcé. Ivanyr releva la tête, observant Aldaron avec une acuité lasse, mais où brillait un éclat douloureux. Baptistrelle ? La gosse était baptistrelle ? La révélation le révulsait, lui donnant même vaguement la nausée alors que ses tempes battaient de nouveau sous l'angoisse. Il se sentait souillé par cette connaissance, s’écœurant d'avoir été en contact avec la magie d'un de ces mages faux et dangereux…

« C'est… ! »

Cymoril, sentant ce qui secouait son frère, s'était naturellement portée à intervenir, mais fut coupée par la main tranquille et légèrement tremblante qu'il posa sur son bras pour lui enjoindre le silence. Il avait confiance en Aldaron pour expliquer les choses, même si, sur le moment, il bataillait dans les affres de cette avilissante découverte. Et lorsque l'elfe revint s'installer près de lui, il tourna lentement la tête pour l'observer, esquissant difficilement l'ombre d'un sourire avant de lui effleurer la joue des doigts. Dans son état présent, il se sentait incapable de chercher à discuter ou lui en vouloir pour l'angoisse qu'il avait eu. Pour l'instant, plus rien d'autre ne comptait en dehors de leurs retrouvailles, et de l'assurance qu'il n'allait plus le quitter de sitôt. Soupirant doucement, il se força à parler de nouveau, pour ne pas le laisser dans l'expectative.

« Tu m'as manqué…  »

C’était plus que la vérité, pour tout ce qui laçait sa voix en l’instant. Il avait eu l’impression qu’on lui avait volé une part de son propre cœur, de sa propre âme. Et lorsqu’il avait envisagé sa perte, toute envie de vivre l’avait déserté. La souffrance qu’il avait ressentie à chaque instant de son éloignement avait finalement débordée pour se répandre en lui et le noyer sous elle. Encore en cet instant, il ne voyait que l’être qu’il aimait au point de tout accepter ou presque, et le reste du monde semblait si fade à ses côtés. Il en oubliait même la colère qu’il avait ressentit jusqu’ici. Forçant sa langueur, il inspira profondément, bien décidé à ne pas complètement sombrer dans la fatigue.

« J’aurai dû être là… je sais que j’ai accepté ta demande de ne pas t’accompagner, mais… j’aurai dû  »

Il grimaça légèrement en se redressant davantage.

« Peux-tu m’expliquer quelque chose ?  »

Son regard croisa le sien, franc et perplexe autant que douloureux.

« Ton simplet affirmait n’avoir été prévenu de rien, ne m’avais-tu pas dit qu’il s’agissait de ton ami le plus proche ?  »

Avait-il raté une donnée dans tout cela ? Quelque chose ? Avait-il mal compris ? Non, non il ne fallait pas penser comme cela… Aldaron ne pouvait pas avoir honte de lui, si ?

« Tu étais trop occupé avec les préparatifs, n’est-ce pas ?  »

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Je restais calme, malgré mon incompréhension devant les propos d’Aldaron. Certes, le Bourgmestre était occupé et certes, il n’avait pas vu la scène dont j’avais été témoin. Et le contact qu’il venait d’établir était bien loin d’apaiser mes craintes. S’il croyait que j’avais pu ressentir de la colère ou que j’avais fait preuve d’un quelconque manque de discernement, il se trompait très lourdement. Rien, dans le comportement du vampire, n’était excusable par ce qu’avait fait l’apprentie baptistrelle. J’avais déjà pu voir ce type de magie à l’œuvre sur l’un des pairs de l’ancien maitre de la Caste, et en aucune circonstance il n’y avait eu de réactions aussi violentes.

Au moins, Aldaron reconnaissait son propre manque de discernement. Je n’avais pas la volonté d’accabler davantage mon ami, surtout en ces circonstances, mais la présence de ce fameux Ivanyr ne faisait que fragiliser davantage sa position, qui était déjà, pour le coup, suffisamment complexe. Mais il semblait toutefois que ses propos étaient dénués de sens, confirmant ce changement radical de comportement lorsqu’il s’agissait de la personne qu’il aimait. Je fronçais les sourcils, avant de répondre à mon ami.

« Ecoute-moi, Aldaron. Si tu penses que j’ai pu perdre patience ou un instant le contrôle de moi-même durant cet échange avec ton âme sœur, tu te trompes lourdement. Si je le juge aussi durement, ce n’est en rien par volonté d’être partial. Tout en lui clame le danger. Il m’a menacé, ainsi que tes gardes, de mort et de destruction par simple vengeance d’être ainsi mis à la porte de la maison de celui qu’il aime. Ainsi, je ne crois pas vraiment que ma réaction ait été exagérée le moins du monde, quand bien même il était ce qu’il disait être. Si ses mots avaient fini par dépasser leurs seuls états de pensées, tu aurais été tenu pour responsable de ses agissements, surtout si tu t’entêtes à le couvrir comme tu sembles vouloir le faire. » Je marquais une légère pause, attrapant de ma main gantée l’avant-bras de mon ami pour renforcer mes paroles.

« Et j’ai déjà vu la magie elfique à l’œuvre, et elle n’a pas ce genre d’effet là sur les vampires. Aldaron, si tu veux vraiment un conseil, le voilà. Tu n’es pas dans une position favorable, et nous le savons tous les deux. Le moindre écart pourrait coûter cher, non seulement à toi, mais aussi à l’ensemble du peuple que tu t’es voué à protéger. L’incident d’aujourd’hui aurait pu en être un. Le meurtre, même accidentel, d’une jeune apprentie baptistrelle qui revenait à peine d’être venue en aide à tes propres soldats et concitoyens. Tu ne peux t’engourdir d’un fardeau aussi incontrôlable qu’il ne semble l’être. Pas en ces circonstances. Je ne mets pas en question tes sentiments, ni l’affection que vous vous portez, mais je te demande simplement de faire preuve de discernement. »

Je soupirais profondément. Je n’aimais pas faire la morale de la sorte à un ami, et encore moins quand ce dernier était sans nul doute bien plus intelligent et responsable que moi à l’ordinaire. Je lâchais alors son bras, car il espérait sans doute un peu plus d’intimité désormais. Avant de m’en aller, je plongeais une dernière fois mon regard dans le sien.

« Dire que je ne l’apprécie pas serait un euphémisme, mais je respecte suffisamment ce que vous ressentez l’un pour l’autre pour me fier à ton jugement si tu décides de ne pas l’exclure de tes affaires. Toutefois… » Commençais-je, mon regard se durcissant légèrement. « Je lui interdis de s’approcher d’Ïsil au vu du danger qu’il représente pour elle. Je l’escorterais au domaine d’ici quelques jours, lorsque la situation se sera calmée. »

Sans attendre plus de réponse, je tournais les talons pour me diriger vers la sortie de la tente du Bourgmestre. Il ne me restait plus qu’à m’enquérir de l’état de santé d’Isil, et à attendre le jour du départ.

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    S'asseoir, près de lui, à nouveau, c'était comme retrouver une part de lui-même, un soutien, une épaule, infaillible sur laquelle se reposer. S'il aurait pu roucouler, il l'aurait très certainement fait, car malgré les circonstances, rien ne le faisait plus de bien que de l'avoir à ses côtés. Il posa sa main sur la sienne et la prit au creux de ses deux dextres chaudes. « Tu m'as manqué aussi, Ivanyr. » Il cala la main prisonnière contre son cœur et resta interdit face à sa question : « Oui, entre autres. Je voulais aussi te protéger de... Et bien... De ma célébrité. Te laisser le temps de te forger avant de... Enfin, si tu veux que j'officialise... Si tu es prêt, je le ferai avec plaisir... Et ce... N'est pas un simplet. N'avez-vous pas fini tous les deux ? » Il soupira, dépité par la situation et resta plus coi encore face à ce que Seö lui sortait. Il dut lever la main pour empêcher Cymoril de répliquer alors que lui-même se relevait pour partir à la suite de Seo et le rattraper : « Oh oui, tu vas l'escorter au domaine et lorsque tes Maîtres te diront qu'elle n'est plus apte à poursuivre son apprentissage parce que son chant-nom est entaché de violence, reviens me voir : peut-être que je te pardonnerai l'affront que tu fais à mon discernement. Je t'ai dis qu'Ivanyr rendait mon point de vue subjectif, pas que celui-ci était hors de propos, hors de raison. Cet homme revient de l'au-delà. Il a été ramené par la dragonne Skade d'entre les morts et Ïsil a fait joujou avec son esprit. Elle lui a fait extrêmement mal. Extrêmement, tu entends ? J'ai arrondi les angles jusque maintenant, mais puisque tu ne sembles pas disposé à en faire autant, entends la vérité. »

    Il n'en croyait pas ses oreilles pointues. Il n'avait jamais vu Seö faire preuve d'une telle mauvaise foi et se braquer de la sorte dans un avis si tranché sur quelqu'un. Ils s'étaient retrouvés à l'extérieur de la tente très rapidement. Il reprit en langue elfique, l'accent chantant rendait plus lisse et calme sa colère : « Ce fardeau, comme tu l'appelles, a libéré la Dragonne de l'Orage de l'emprise du Tyran Blanc. Ce fardeau, comme tu l'appelles, a sacrifié sa vie et celle de Silarae pour l'avenir des trois races d'Anbarhùna. Tu as moins craché sur sa puissance quand il nous a tous sauvé la peau, quand tu as travaillé dans la Caste qu'il avait formée, façonnée de ses vœux. Lorsque tu as rependu sa volonté aux quatre coins du continent pour qu'il se relève de ses cendres et se reconstruise. Où est passé mon ami ? Celui qui était prêt à donner une seconde chance aux gens ? A admettre que vous ayez pu partir du mauvais pied et découvrir le moins bon visage de l'autre ? A ne pas juger si promptement ? Je ne te reconnais pas. » La dernière en date à laquelle il pensait, c'était Sintharia Dalis. Leur histoire n'avait pas été de tout repos et pourtant, le cygne noir lui avait fait comprendre qu'elle estimait le chevalier pour ce qu'il avait pu lui apprendre de bon.

    Il reprit, toujours en langue elfique, mais impérieux et charismatique : « J'interdis, moi, à l'Ordre d'approcher Ivanyr encore une fois, pour le plonger dans une telle douleur. Dans ton aveuglement, tu oublies que c'est un homme qui souffre, un homme qu'on a obligé à revoir sa propre mort. Un homme qu'Ïsil a torturé. » Il avait insisté sur ce mot qu'il avait étouffé plus tôt. Qu'on appelle un chat un chat. « Ce meurtre, s'il avait eu lieu, aurait été déclaré par les Cawrs que tu sers, comme une légitime défense rien qu'en écoutant les chants-nom des témoins. Ivanyr n'aurait pas été inquiété par le Domaine, rassure-toi, et moi non plus. Je ne sais même pas comment je vais réparer les lésions psychologiques qu'Ïsil a causé à Ivanyr... Nous y allions pas à pas, jusqu'alors, pour que ses... Pour que ses souvenirs ne le bouffe pas de l'intérieur... Comment... Comment peux-tu en faire un coupable ? As-tu perdu la tête ? » Il était décontenancé, sa voix ferme s'était étiolée par son trouble et son inquiétude.

    « Il m'aime... Si... Si on te séparait d'Aurore, ne remuerais-tu pas ciel et terre pour mettre un terme à cela ? Il est juste... Pas diplomate quand il est... Inquiet pour moi... C'est... Juste ça... Si tu prenais le temps de le comprendre et de te mettre à sa place tu verrais que tout ça n'est qu'une effroyable méprise... Pourquoi ne veux-tu pas l'entendre ? Pourquoi ne veux-tu pas lui laisser cette chance, ne serait-ce que par amitié pour moi... ? » Il le regardait, plein d'incompréhension, désespéré et désemparé par la situation. Il écarta les bras pour les laisser retomber le long de son corps, puis il se détourna lentement : « Je vais m'occuper de lui... Médite, mon ami. » Une fois dans la tante, il demandait à Cymoril d'aller quérir Purnendu, le médecin d'Ivanyr, pendant qu'il resterait auprès de son inséparable.

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Il voulait se l’entendre confirmer, stupidement sans doute, mais il n’était pas en état de batailler seul contre ses cauchemars, avec pour toute arme une chandelle tremblotante. Pour toutes les fois où il rassurait Aldaron, cette-fois c’était l’inverse. L’observant sans mot dire, il attendit, l’âme tremblante si ce n’était le cœur et finalement, en obtenant enfin les explications de l’elfe, il soupira doucement et esquissa un sourire, ainsi qu’un hochement de tête. Son dépit le fit sourire encore davantage et il s’apprêtait à s’excuser de son amertume lorsque la voix du chevalier le coupa dans son élan. Le regard lassé, il le mira sans intervenir, ne se fendant d’aucun geste pour empêcher Cymoril de s’exprimer, cette fois. Lui ne se sentait nullement débiteur de devoir faire quoi que ce soit à cette situation, et Aldaron était un grand garçon. Son départ lui fit l’effet d’un voile froid posé sur son corps, un linceul, et il se crispa sensiblement, soufflant dans sa langue natale à celle qui était sa sœur d’éternité :

« J’ai l’impression que… qu’il va disparaître, m’échapper, que.. je vais mourir… encore… et l’abandonner… »

La jeune vampiresse posa une main sur ses yeux, le forçant à s’allonger, et lui intimant d’une voix inquiète et ronchonne de se reposer. L’écoutait-il ? Ivanyr se mit rapidement à voguer sur les rives de l’inconscience, bercé par la voix de l’être qu’il aimait. La voix se fit de plus en plus ténue, alors qu’il replongeait, manquant par cela une révélation terriblement délicate. Lorsqu’Aldaron revint, l’héritière de Cyrène se releva et, hésitant un bref moment, vint lui poser une main sur l’épaule sans mots dire. La demande fut répondue d’un simple hochement de tête, et elle disparut à l’extérieur, laissant les deux êtres entre eux. Elle irait réclamer le Graarh, mais pas tout de suite. Elle avait besoin de se calmer avant ça et Ivanyr ? Il avait besoin de se reposer…

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