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descriptionLe sanctuaire du silence [PV Sintharia] EmptyLe sanctuaire du silence [PV Sintharia]

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Novembre, après la catastrophe de Cordont


En toute conscience de l'importance capitale des démarches d'Aldaron à Cordont, Ivanyr ne pouvait qui le laisser tranquille et lui servir de soutient. Il venait quand l'elfe le lui demandait, autrement, il ne cherchait pas à le perturber, ne voulant pas lui rendre les choses plus compliquées encore, alors qu'il était évident que le Bourgmestre avait le plus grand mal à se faire entendre. Le vampire avait rapidement comprit la profondeur du souhait informulé de son compagnon, et les efforts fournis pour parvenir à atteindre ce but. Tout aussi promptement, il avait comprit à quel point l'elfe souffrait de la situation, et cela le perturbait par les implications que cela pouvait avoir… autant que la façon dont il pouvait l'aider. Car il voulait l'aider, quant bien même la politique lui déplaisait souverainement et qu'il se soucia fort peu des ambitions de ces bureaucrates, boucs méprisables pour la majorité. Cela lui trottait dans la tête, alors qu'il marchait dans les limites du campement établit par les forces Caladonniennes, lui offrant des heures entières de réflexion, l'incitant à pondérer ses options comme ses opinions. Parfois également, il aidait les unités chargées de nettoyer les ruines de la ville portuaire. Déblayer totalement les décombres prendrait d'autant plus de temps que la ville s'était effondrée sous le niveau du sol et que l'accès aux cavernes était interdit pour le moment et ce jusqu'à ce que la crise première soit réglée. Compréhensible, et frustrant à la fois. Hors il se découvrait une patience très variable selon les sources d'activités disponibles immédiatement, et pour l'instant, sa seule source inépuisable de sollicitation, c'était son oisillon d'elfe… Et on ne pouvait pas prétendre que le sujet était très réjouissant pour le moment. Il avait même abandonné l'idée de lui faire la moindre blague pour éviter de jouer avec ses nerfs déjà mis à rude épreuve. Il existait une limite au-delà de laquelle il se devait bien de mettre son espièglerie en sommeil pour penser un peu aux autres… à l'autre, en l’occurrence, le seul à l'état délicat qui lui importât.

Cette soirée-ci ne dérogeait pas à la règle, et prendre l'air allégeait quelque peu la tension qu'il prenait sur lui pour tenter d'en décharger son compagnon. L'air iodé et saisissant lui faisait du bien, le lavant d'une partie de ses sombres pensées ; les étoiles au-dessus d'eux, piquetant la voûte céleste d'une lueur lointaine et stellaire lui donnaient cette impression d'immensité si nécessaire à son bien-être. Même après tous les efforts consentis pour rester auprès d'Aldaron à Caladon, il avait encore viscéralement besoin de sentir que le monde n'était pas entièrement délimité et fermé. Les murs des bâtiments étaient des prisons, les toits des socles de tombes outrageantes. Son âme aspirait à l'immensité sans qu'il se l'explique totalement, car chaque mot prononcé pour tenter d'éclairer son affect ne semblait jamais totalement en concordance avec ce qui s'agitait en lui. Cet élan insensé, chimérique, bondissait en lui aux pires moments, lui donnant cette impulsion sauvage de se débarrasser de toutes les chaînes qui lui pesait pour s'offrir à un monde en perpétuel changement, vivace et vivant, immense. Il aspirait à l'inconnu, la découverte ; il soupirait après un défi violent et fauve, se retrouver en but à une force qui lui fasse ressentir la vie dans les moindres parcelles de son corps, dans chaque fibre de son âme, comme un tambour battant pour remplacer le cœur que le venin avait arrêté. C'était un besoin primitif mais impérieux, qu'il réprimait difficilement tout en sachant qu'il serait nécessaire pour lui de s'y soumettre, indubitablement, et dormir à la belle étoile ne serait jamais suffisant pour contenter cet aspect élémentaire de son être, comme un orage ne peut être indéfiniment contenu dans un carcan social. Il aurait sans doute plus de chance de retenir l'air à mains nues. S'offrir aux éléments lui parlait, l'appelait, comme la complainte de créatures marines enchanteresses, et il aurait tout donné pour fermer les yeux et s'élever, simplement, parfaitement…

… Alors pourquoi fallait-il qu'un sombre imbécile vienne briser le silence parfait et la musique de la nature en cette superbe nuit ? Soupirant profondément, lentement, pour contenir son irritation, le vampire ouvrit les yeux, cilla pour humecter ses rétines délicates, puis quitta son perchoir pour redescendre chercher la source de ce tapage insupportable. Ah qu'il était loin, le chant entêtant du blizzard de Nyn-Tiamat ! Faciès fermé et port nonchalant, Ivanyr se glissa de flaque d'ombres fluides en flaque d'ombres fluides jusqu'à retourner au sein des limites mêmes du camp. Bien sûr, il n'avait pas eut l'intention de s'en éloigner, l'acte était purement involontaire, prit qu'il était par l'appel de ce qui sourdait en lui. Là, parmi les mortels, il resta à observer fixement la source de ce hourvari d'un œil tiède, partagé entre l'envie de l'assommer promptement pour en finir avec cette torture et la morbide curiosité de voir quels sommets cela pouvait atteindre. Avisant finalement une forme féminine non loin, il vint la flanquer et demanda d'une voix aussi détachée et flegmatique que possible : «  Vous connaissez ce crétin ? » Un léger mouvement de tête en direction de l'intéressé lui fit ondoyer la chevelure avant qu'il ne s'intéresse à la jeune femme d'un peu plus près. Elle dégageait un parfum qu'il ne connaissait pas le moins du monde, et son cœur battait, solide, berçant. «  Rassurez-moi, ce n'est pas un proche au moins ? » Voilà qui serait bien désolant, et sans doute très déplaisant après l'entrée en matière qu'il venait de s’octroyer. Sans doute se sentirait-il contrit, au moins pendant une minute entière…  

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La catastrophe qui avait eu lieu ici ne laissait rien de plus que du vide, un vide terrible dans le cœur et encore plus à l'âme, elle n'avait tiré aucune satisfaction de ce qu'il c'était passé, ni positive, ni même négative. Les morts, elle en avait vu et fait bien trop durant sa courte vie pour en être spécialement touchée. Le cygne noir était seul, au cours d'une de ces nuits silencieuses qui sublimaient la fille Dalis.

Même si le cœur de l'ancienne vampire battait à nouveau, elle ne s'était jamais sentie aussi morte qu'en cette nuit, était-ce le contre-coup de cette catastrophe ? Cette renaissance était délicate à vivre. Où étaient-ce les sentiments envers son mari qui s'étiolaient lentement, poussés par Aldaron ? Il avait suggéré à l'esprit de l'immaculée que quelques vacances lui ferait le plus grand bien, elle en demeurait particulièrement troublée, autant par la présence de l'elfe dans les affaires du couple Dalis que dans ses mots.

Aldaron était un homme particulièrement effrayant, et elle en avait bien conscience, un homme de pouvoir qu'il savait ce qu'il voulait, et ça elle ne l'avait jamais vu en aucun homme et encore moins de femmes. Est-ce qu'elle avait envie de résister ? Un petit peu, pour apporter du piment à ce jeu. Est-ce qu'elle se rangerait à ses côtés ? Certainement, elle pouvait se montrer parfois si influençable, et même sensible face aux gens de pouvoir, il lui avait fait comprendre certaines choses à propos de son époux.

- Je n'ai pas de crétin en ma possession, Ser.

Elle avait dit cela d'emblée, sans vraiment se renseigner sur ce dont il s'agissait, avant de tourner la tête et de rabattre, son tricorne sur son visage, retenait un rire un peu forcé devant le bruit que faisait l'inconnu. Il était vrai que c'était particulièrement désagréable, et une nuit aussi belle ne pouvait être troublée d'une aussi odieuse façon, l’ancienne vampire se plaisait à dire que cette nuit appartenait aux morts. Elle s'approchait ainsi du plaignant, silencieusement, elle découvrit un homme qui lui dit forte impression, il lui rappelait durant quelques secondes son époux, mais il avait un certain nombre de choses en plus, une dignité si naturelle qu'elle semblait tout droit émaner de lui.

- Je serais bien d'humeur à le faire taire, néanmoins.

Sintharia était vêtue à la manière de ces capitaines, néanmoins elle avait cesser de jouer un rôle, elle faisait trop propre, trop soignée pour être un marin, le déguisement aurait pu tromper les simples badauds, mais pas quelqu'un qui avait un œil aguerri. Mais elle n'avait plus besoin de jouer son rôle de chacal furtif, elle perdait son temps à jouer le rôle d'une personne qui n'était pas elle.

Elle dégageait une certaine dignité et une élégance lunaire, à la manière de l'homme sur qui elle avait posé ses yeux argentés, le détaillant avec une attention sauvage, presque animale, elle ne pouvait nier aimer ce que ses yeux voyaient, mais elle n'avait pas le cœur à faire plus qu'un simple sourire qui se voulait amical.

L'immaculée néanmoins demeurait méfiante, elle ressentait le même malaise qu'elle avait eut lors de sa rencontre avec l'elfe, une certaine crainte mêlée d'un profond respect, elle avait toujours été capable de réfléchir rapidement, elle enchaînait les idées à une vitesse folle. Une nouvelle fois, sa voix brisait le silence, les accents de la noblesse, aux notes de sucre et de miel.

- Je ne pensais pas croiser qui que ce soit en cette nuit.

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La réponse fit naître un sourire éphémère et torve à ses lèvres, ses yeux pétillant d’une malice joueuse qui ne se déparait pourtant pas de l’impression d’agacement que tout ce tintamarre provoquait en lui. Se redressant légèrement, le vampire mira franchement la demoiselle qui, malgré ses dires, portait quelques ressemblances avec le crétin mentionné auparavant. Fort heureusement, sans doute, il y avait aussi suffisamment de différence pour l’empêcher de pointer du doigt plus grossièrement ce détail physionomique. Pourtant, s’il se passa de jouer les indiscrets, sa réponse ne manqua pas d’orientation quant à ses pensées.

« Oui, c’est ce que je dirais, moi aussi, si l’on me faisait honte ainsi »

S'il avait eut quoi que ce soit à voir avec cette lamentable boîte à bruits, il l'aurait nié fermement, affirmant ne pas le connaître. Mais fort heureusement, ce n'était pas le cas, et si cela la mettait plus à l'aise, il n'était pas de ceux qui lui jetterait la pierre. D'un regard en coin, il épia la source de ce grotesque charivari, mépris palpable, exsudé tant dans sa posture que dans l'expression désabusée qu'il arborait, prunelles profondes piquantes de dérision. Bras croisés et épaules en arrière, accentuant la carrure de sa ville natale sans vraiment le vouloir, il soupira, se demandant un instant s'il ne devait pas tout simplement intervenir pour calmer l'inconnu. L'hypothèse s'étiola pourtant bien vite quand il l'observa de nouveau, et le vampire décida qu'il n'avait vraiment pas envie de s'encombrer de ça, et qu'il n'avait pas l'âme assez charitable pour secourir les gardes dans leur rôle premier : le maintient de l'ordre.

« Ah vraiment ?  »

Les prunelles étincelèrent d'amusement, une fois de plus, et il la jaugea de haut en bas, tête sensiblement penchée sur le côté, la commissure des lèvres sensiblement courbée, comme en un sourire retenu. Était-ce si inattendu ? N'avait-il pas lui-même effleuré l'idée ? Mais cette frêle jeune femme était une inconnue dont il ne connaissait pas la force de caractère, ni la motivation, et il avait eut tendance à voir davantage de mères de familles et de gentilles filles à papa ces derniers mois que de femmes décidées à tenir leurs positions et à s'émanciper. Mais une fois que l'on germait de la volonté nécessaire, encore fallait-il l'appliquer correctement… comme la parole, en somme. Et s'il ne l'empêcherait pas de leur faire cette grâce, il s'ennuyait déjà d'une rixe.

« Je ne vous en empêcherais pas, néanmoins ça ne serait qu'une digue de fortune contre sa bêtise. Les sots ne savent jamais quand garder le silence… et je doute que vous parveniez à le guérir de cette maladie-là »

Certains cas étaient incurables. Une majorité d'entre eux d'ailleurs. Haussant les épaules, pour enterrer le sujet, il esquissa un geste pour se détourner, les longs pans de sa cape ondoyant autours de sa haute silhouette pâle. Il n'y avait plus rien à dire au sujet de cette navrante affaire à ses yeux, alors pourquoi rester ? Néanmoins, la voix de la femme vint à le retenir quelques instants de plus, plus agréable à l'oreille que les grincements qui l'avait guidé jusqu'à cet endroit. Décidément, il devait y avoir quelque chose de singulier, en cette nuit, pour qu'il soit confronté à autant de volubilité. Qui était-elle d'ailleurs ? Elle avait l'air trop propre sur elle et trop calme pour être une survivante de Cordont, et elle parlait bien, sa diction autant que son vocabulaire prouvait une éducation correcte. Immédiatement, il tenta, comme avec Autone, de deviner d'où elle venait par son accent. C'était, cette fois, plus difficile, et cela attisa sa curiosité monstrueusement disproportionnée.

« Moi non plus » fut la réponse à la fois amusée et pleine de morgue qu'il lui décocha. « C'est d'ailleurs pour ça que j'ai décidé d'arrêter de penser, ça n'a pas l'air particulièrement efficace ce soir, et je déteste perdre mon temps »

Il se détourna une nouvelle fois, avec plus de franchise mais un long regard magnétique, ne quittant les orbes orageuses de la jeune femme qu'au dernier moment, invitation silencieuse. Elle pouvait venir… si elle ne lui faisait pas perdre son temps. Naturellement, il se garda de montrer son intérêt dans l'immédiateté de l'instant, attendant de savoir si elle allait se laisser ferrer par la proposition muette ou si elle passerait son chemin. Mais n'y avait-il pas assez de rébellion en elle pour marcher dans ses pas dans les ombres de cette nuit-ci ? Se glissant plus loin, il attendit que ses oreilles sensibles s'apaisent et ne se remettent du hourvari qu'il avait si justement condamné, s’imprégnant de la musique naturelle de l'océan au loin et du coi alentours, brisé uniquement par le plus adéquat des rythmes. Et par les battements d'un cœur qui jouait dans ses oreilles, plus proche que les distants tambours du camp. Elle avait donc suivit….

« Je suis aussi Ser que vous êtes marin. Nonobstant cette évidence, vos pas rappellent une fille de la nuit »

Et pourtant, elle était bien vivante, il pouvait en jurer. Une humaine qui marcherait comme une vampire ? Non, ils n'avaient pas la finesse et la magie nécessaires à cela. Et ce n'était pas faute d'apprécier les humains, pourtant. Il continuait de l'observer, de la détailler, le regard fixe, cessant de ciller, de respirer, abandonnant la mimique pour ne se concentrer que sur les informations qu'il recueillait, et l'une d'entre elle le troubla plus encore que les autres.

« Vous avez baigné dans une source de magie extrêmement puissante… il en reste des lambeaux, sur vous » Il y eut un silence, avant qu'un croc ne brille fugacement dans la lueur lunaire, carnassier. « C'est un parfum délicieux… pour qui le perçoit. Vous n'avez pas peur de finir comme le trésor d'un dragon n'est-ce pas ? »

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- Nulle honte, seulement un profond mépris pour ceux qui troublent le repos des morts. C'est horrible ce qu'il s'est passé. Elle se cachait derrière un air faussement triste, ça ne lui avait rien fait et elle se trouvait presque monstrueuse de rien avoir ressenti, mais avec la vie était venu une nouvelle chose : la culpabilité.

Elle choisissait de suivre l'homme dans son mouvement, par curiosité, elle était un animal furtif qui cédait facilement à ses pulsions, autant l'homme l'intriguait, il avait ce elle-ne-savait-quoi de mystérieux, qui l'intriguait tout en l'effrayant.

- Il y a plusieurs façons d'obtenir le silence de quelqu'un, certaines sont même légales.

La pointe d'amusement qu'elle voulait laisser paraître était évidente, même si le sous-entendu était bien moins sympathique que le doux sourire qu'elle affichait. Une fois qu'elle s'était suffisamment approchée, elle pouvait que confirmer ses pensées au sujet de l'homme.

Son mensonge, percé à jour, la déstabilisait, mais aucun éclat de rire ne vint troubler le silence qui dura quelques secondes, peut-être même que le cœur de la non-morte ratait un de ses battements, quelque chose de particulièrement désagréable, néanmoins elle ne se démontait pas. Et reprenait la parole avec franchise et une assurance non-dissimulée, ne se démontant pas pour si peu.

- Je suis une fille de la nuit, bien qu'à présent, je n'en sois plus vraiment sûre. Elle suggérait la suite sans vraiment l'affirmer réellement : Et vous à défaut d'être un noble vous avez l'assurance et l'esprit de ceux qui ont vécu des siècles. Vous n'avez pas la prudence elfique, j'en conclu que vous êtes aussi un enfant de la nuit.

Elle ignorait si elle devait craindre de nouveau ces créatures, ou si elle ne risquait rien, tout cela était encore flou dans son esprit et elle n'avait pas eu l'occasion d'en parler à qui que ce soit, elle n'avait pas encore rencontré d'autres personnes non-vivantes accablées du fléau de la vie. Derrière cette apparence, se cachait la vivacité qu'elle avait gardée de son côté nouveau-né, elle jouait un rôle, mais laissait filtrer un grand nombre d'informations sur sa personne.

L'immaculée dévoilait au fil de ses phrases un accent mélangé - celui des vampires et des elfes se mélangeaient pour donner un miel au goût particulièrement sucré - mais il y en avait un plus sombre qui dénotait et évoquait les bas-fond de Gloria, aux heures les plus sombres.

- Pas de mensonge ? Elle voulait s'assurer que l'homme serait au moins aussi franc qu'elle, une nécessité selon elle pour commencer une conversation sous bon augure.

Elle attendait ensuite sa réponse, et retirait son tricorne, dévoilant des chevaux blancs attachés en queue-de-cheval, elle faisait parti de ces beautés lunaires que la nuit sublimait, on devinait des traits nobles cachés derrière un visage fin, elle avait néanmoins le corps maigre et une taille finalement petite de ceux qui ont souffert à un moment de leur vie aussi bien physiquement que de la faim.

Le jeu de la vérité et des mensonges pouvait être passionnant néanmoins mentir face à une nuit comme celle-ci serait la pire des insultes, et avec le temps et sa trahison elle se rendait compte qu'elle n'avait plus à jouer un rôle et qu'elle pouvait finalement n'être rien de plus qu'elle-même. Et finalement elle aurait bien envie d'en connaître d'avantage sur cet exotique étranger.

- Je n'en ai pas le souvenir. Et elle répondait à sa seconde phrase d'emblée. Je me contenterais de le mettre au défi, je lui rappellerais qu'il fut une époque où ils tombaient comme des mouches. Je ne suis pas une noble et je ne vais pas lui chanter des chansons.

En réalité elle n'en savait rien, ça avait été une grande surprise pour elle, ne savant pas exactement ce qu'il s'était passé, elle avait perdu connaissance lors d'une chasse et s'était réveiller de nouveau vivante. Elle dévoilait un tempérament plus guerrier que ce qu'il se cachait derrière son apparence un peu fluette. Faire la leçon à un dragon ? Était-ce de l'ironie ou de la naïveté ?

- Sintharia Dalis, et vous ? Comme l'heure était à la franchise, elle n'hésitait à aucun moment à retourner la question à ce curieux individu.

Elle avait usé d'un ton plus charmeur, celui qu'ont les femmes qui désirent se faire les griffes sur un homme, elle était adroite à ce jeu et l'homme lui avait envoyé une invitation, qu'il ne soit pas le seul à s'amuser.

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De façon fort adéquate, honte et mépris étaient deux amantes marchant main dans la main. Quiconque subissait son mépris était, presque à coup sûr, un individu dont on se passerait de subir la proximité, de peur d’être à son tour jugé et affilié faussement par un autre dont le jugement s’avérerait à la fois plus juste et tout aussi vif. Finalement, oui, honte et mépris étaient deux faces d’une même pièce, un cycle étroitement imbriqué l’un dans l’autre, mais si peu reconnu par ceux qui en subissait la domination. Peu d’individus parvenaient à reconnaître, même dans l’intimité de leur esprit, qu’ils étaient victimes des affects telle que l’esprit bipède les concevaient, et que des millénaires de travail avaient gravé très loin dans leurs sociétés et leurs mœurs. On détachait la vérité du mécanisme primaire, mais pour quelle raison ? Qu’est-ce qu’il y avait de mal à avoir honte de se montrer en présence d’un individu ne correspondant pas aux critères et valeurs que l’on se vouait ? Oh bien sûr, elle souhaitait probablement davantage se conformer aux veillées funèbres mais… la question méritait d’être posée, dans l’absolu, non ?

« Hm ? »

Horrible ? La destruction de la ville ? Il la contempla quelques instants, pensif, puis haussa légèrement les épaules, détaché et indifférent.

« Les catastrophes arrivent. Ce n’est certes pas agréable pour les habitants et c’est une perte humaine coûteuse pour ceux qui la subisse… mais ça aurait tout aussi bien pu être un typhon, des dragons ou je ne sais quel autre péril. Une menace a été mise en lumière par ce qui s’est passé ici, elle sera désormais adressée et ceux qui en ont été victimes profitent d’un repos bien mérité dans le royaume de Mort, en attendant d’être réincarnés. C’est surtout difficile pour ceux qui restent. C’est toujours plus difficile pour ceux qui restent. Objectivement, cependant, c’est utile… cela servira la survie d’un plus grand nombre avec un peu de ‘chance’ »

Car c’était eux qui subissaient l’absence, la charge de se reconstruire, d’avancer et de continuer leurs vies en ayant tout perdu. C’était eux qui se raccrochaient aux morts et les repoussaient tout à la fois, tant ils leur rappelaient leur trépas futur et la fragilité de leurs existences physiques. Les morts eux oubliaient et ne souffraient plus, et il était très hypocrite de les pleurer lorsqu’en vérité, on se lamentait sur son propre sort. Lui-même ne craignait pas de quitter ce monde, il ne craignait que pour Aldaron, tout en sachant qu’il le suivrait si l’elfe lui échappait. Survivre quand on avait perdu son cœur n’avait aucun sens. On ne le prendrait en tout cas pas à gémir pour rien, et il avait fort peu de patience pour cela, en la plus parfaite iniquité. Manquait-il d’empathie ? Sans doute, il ne parvenait toujours pas à se projeter, à vivre la douleur des autres, et il avait conscience du travers que cela produisait. Son espoir résidait dans le rituel qu’il n’avait pas encore effectué avec Aldaron, et que l’acceptation de son esprit-lié l’aiderait à retrouver ce qui lui manquait. En soi, il était aussi candide que ces humains, juste… différemment.

« Je n’en doute pas »

Il eut un sourire fin et matois. Certes, il y avait des moyens parfaitement en accord avec les lois pour faire taire quelqu’un. Néanmoins, l’imbécile ainsi bâillonné comprenait rarement le bien fondé de la mesure, et ne ferait que subir aigrement jusqu’à pouvoir laisser sa sottise s’exprimer de nouveau, parfois plus fort. Cultiver, même malgré lui, l’idiotie n’était pas dans ses choix de vie. Oh bien sûr, ne rien faire n’était pas plus productif, mais à sa décharge, il perdait ainsi moins son temps. Et son temps était précieux.

« Mais forcer le silence représente uniquement le traitement des symptômes, pas celui de la maladie elle-même, et en général lorsqu’elle est ainsi en phase terminale, les moyens communs ont… bien du mal à tenir le cap »

Elle était joueuse, sans aucun doute. Mais elle dégageait aussi autre chose, en dehors de cette sournoise et amusante constatation… et en dehors du délicat fumet qui se dégageait d’elle involontairement, l’écho d’une magie entêtante. Cela grattait les nerfs de sa curiosité, l’aiguillant silencieusement de l’envie d’en savoir davantage, d’étudier cela dans les moindres détails, même si, pour cela, il devait lui ôter la peau et la chair. Silencieux, désormais, face à elle, il se laissait bercer par le ton de sa voix, plongé dans sa contemplation comme un chat se toque d’un bâton à plumes. Sur l’instant, elle était le casse-tête qu’il voulait dénouer, l’énigme qu’il voulait résoudre, contenant à grand peine la malveillante fascination, l’enfantine cruauté qui le remuait et l’implorait de les libérer, de les laisser assouvir à la place de son seul intellect le besoin sapiens qu’il réclamait. Pas de mensonges, demandait-elle, et pourquoi pas après tout ? Elle n’était pas une menace pour lui. Et elle n’apprécierait peut-être pas les réponses qu’il avait à donner. Il consentit donc aisément.

« Je ne sais pas qui je suis vraiment »

Ses lèvres frémirent de l’ébauche d’un sourire, avant qu’il ne poursuivre, d’un ton tranquille et docte.

« Certains veulent m’appeler Achroma Seithvelj, parce qu’à leurs yeux, je suis lui. D’autres acceptent de me laisser construire une identité sur la base du peu de souvenirs que je conserve, et pour eux, je suis Ivanyr Veanya. Vous pouvez user de celui de votre choix, ou m’en donner un nouveau, ce ne sont que des qualificatifs pour simplifier le lien social, ils ne décrivent pas qui je suis… et ça, je ne pense pas être assez objectif pour en extraire une quelconque essence »

Elle ne savait pas ce qui lui était advenu, donc. Voilà bien une désagréable nouvelle, car lui voulait savoir après tout ! Quelle frustration… Ravalant cette vexation innocente, il goûta le silence un instant de plus avant de poursuivre de nouveau. Il n’avait pas envie de se laisser clouer le bec par une banale amnésie… il devait déjà batailler avec une, hors de question qu’une seconde vienne l’ennuyer. Il voulait savoir, alors il saurait, d’une façon ou d’une autre. Mais il y avait bien des mystères à élucider avant d’en arriver au trophée qu’il désirait obtenir. Et des affirmations laissées sans réponses dans leur conversation, quel rustre il faisait…

« Les dragons ne sont pas mélomanes, du moins pas de la même façon que nous. En revanche, ils aiment la magie. Et vous ? Vous en rayonnez encore. Pour une créature sensible, c’est enivrant… Il faut bien qu’ils aient un peu de sensibilité pour tous leurs défauts »

Si les dragons tombaient comme des mouches, autrefois, c’était à cause de leurs races de bipèdes… Mais le sujet serait intéressant à voir relever avec une de ces créatures. Il fallait juste très bien choisir son moment pour ce faire. Cependant, avec une telle saveur magique, peut-être en aurait-elle justement la chance… Lui en tout cas tendait pour l’instant à une certaine miséricorde, ou bien était-ce le contraire ?

« Voulez-vous être une fille de la nuit, Dame Dalis ? Toute la question est là sans doute, peu importe que votre cœur batte ou non »

Après un bref sourire joyeux, il glissa, plein d’un humour aigre :

« Même si je ne me risquerais pas à prétendre, personnellement, que les elfes sont prudents… cela dépend fortement de l’individualité de chacun et de son désir de disconvenir à une éducation bien spécifique… tous ne s’appellent pas Aldaron Leweïnra »

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- Finalement, ce n'était pas si terrible.. J'y étais, mais je n'ai rien ressenti, comme si ça n'avait aucune importance. Ce n'était finalement rien de plus qu'une catastrophe naturelle, et qui comme toutes les catastrophes naturelles entraîne son lot de morts. Elle croisait les bras et observait un peu les alentours.

Elle approuvait d'un lent signe de tête les paroles de l'homme au sujet du bruyant individu, ne troublant pas le silence quand il n'était pas nécessaire de la faire.

- Dans lequel de ces deux noms vous vous reconnaissez le plus ? Elle aurait pu lui demander qui il était réellement, mais ça aurait été d'une grossière impolitesse.

Sintharia réfléchissait ensuite un peu longuement quand il lui posait la question, elle ne se l'était jamais posé, elle avait vécu un peu partout, mais n'était attachée à aucune nation, elle se sentait finalement chez-elle nulle part. Et puis maintenant était-elle encore une fille de la nuit ? Rien était moins sûr.

- - Je n'en suis plus vraiment sûre, je n'ai vécu que cinq années dans ce monde, l'ombre reste mon domaine.. Mais je ne m'apparente plus à ce peuple, plus rien ne m'y lie. Au fond, c'est exactement ça, soyons qui et ce que nous voulons être. Après tout, elle avait été des tas de choses, fille de noble lignée, courtisane, marin, ou même simple catin, elle pouvait prendre n'importe quel masque pour arriver à ses fins, mais était-ce toujours elle, et où était Sintharia dans ce cas ?

Est-ce qu'elle méritait toujours de porter le titre de Dame et le nom de Dalis ? Elle en doutait très fortement, mais ça n'avait aucune importance ce soir.

- Ce serait sans doute, vous décevoir que de vous dire que je n'ai jamais été très magie, cet art nécessite bien trop de sérieux et d'implications, et manque cruellement de discrétion. Elle avait promis en quelque sorte de ne pas mentir. En réalité, je chassais dans les marécages d'Athvamy, puis je me suis sentie très mal, j'ai perdu connaissance un moment, et me voilà. Elle avait bien conscience que cela pouvait paraître quelque peu surprenant. Mais elle avait le regard de ceux qu'on vraiment vécu ce qu'ils racontent.

Le cœur de l'immaculée ratait un battement quand la créature de la nuit prononçait ce nom, elle prenait un air froissé, rougissant et tâchait de regarder ailleurs pour sauver un peu de sa dignité, tout en affichant une franche expression d'enfant pris la main dans la boite à biscuit. Elle ne s'était même pas douter que les deux hommes puissent se connaître, il fallait au moins cela pour connaître ce trait de caractère de l'elfe.

- Une chose est sûre, vous êtes aussi effrayant que lui. Deux hommes redoutables et plutôt charmants. Elle affichait à présent un doux sourire, se remettant finalement bien vite de sa surprise.

Elle était entourée de personnes redoutables et charmantes, et à présent que la reine était loin de son roi, qu'allait-elle devenir ? Elle avait aimé son ancien époux, et peut-être même qu'elle l'aimait encore un peu, quelque part, néanmoins, s'il fallait de nouveau le trahir pour sauver sa famille, elle le referait, indéfiniment. Mais elle ignorait si elle pouvait dire qu'elle était bien entourée, ou non, elle n'avait pas l'impression d'être menacée, mais elle n'était pas vraiment la plus à l'aise. Néanmoins, elle n'irait pas jouer double jeu, elle n'en avait pas la capacité et finalement.. Elle n'en avait pas envie. Servir le bourgmestre en échange de sa protection n'était pas désagréable comme idée.

Ces derniers jours, elle allait de surprise en surprise, néanmoins elle gardait un goût légèrement amer en bouche, d'ordinaire elle aimait mener la danse, et être dans le rôle d'un simple objet à déplacer étrangement l'indignait autant que cela l'amusait. Elle avait fait le choix de se vendre à l'adversaire de son ancien époux, mais quelles en avait été les obscures raisons ?

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La question le fit sourire, alors qu’il se demandait avec une fascination presque candide si elle se rendait compte de la profondeur de la controverse, au travers de l’innocente curiosité. L’amusement lui succéda pourtant rapidement, tandis qu’il notait, avec une bonne humeur prompte à la dérision, qu’il réfléchissait sérieusement à une réponse à lui fournir. L’impression première l’aurait guidé vers Ivanyr, puis il se souvint rapidement qu’avant de se faire appeler ainsi, il y avait un autre temps, un temps d’une paix biaisée mais non moins adorée. Se rembrunissant d’un même ensemble, ses traits régaliens retrouvant leur sérénité, il lui décocha un coup d’œil, de sous ses longs cils, avant de finalement répondre avec une honnêteté qui le surprenait presque.

« Aucun. Je préfèrerais que l’on ne m’appelle pas. C’est un peu difficile d’évoluer en société sans un nom néanmoins. Ils sont utilitaires. Si vous voulez user d’un autre, faites, je n’y attache guère d’importance. Evitez juste de m’appeler Gertrude  »

Mais avec une telle mine, et apprêtée avec autant de subtilité que de goût, elle n’oserait pas lui faire ça, n’est-ce pas ? Il l’espérait en tout cas. Ce serait vain et puéril que de s’en vexer, mais il le ferait néanmoins, dans un sursaut d’orgueil. Quitte à devoir répondre à un nom, autant qu’il soit agréable et pour l’instant, objectivement, il était bien servi. S’il devait en ajouter un de plus à son escarcelle, autant qu’il soit au moins aussi agréable que les autres. L’inverse nuirait autant à son humeur qu’à son charisme. La question d’une identité n’était certes jamais simple, mais elle tendait à se complexifier encore davantage en ces temps troublés.

« Vous n’êtes pas obligée d’être liée aux vampires pour jouir d’une vie nocturne  »

Et il tendait lui-même à ne pas apprécier les vampires, en particulier depuis qu’il avait apprit leur commerce de poilus. La nuit appartenait à qui savait danser avec elle, tout simplement, et si une créature vivante y parvenait mieux qu’un immortel, alors tant pis. Ce serait sans doute pathétique pour l'un et flatteur pour l'autre, comme quoi une race n'était jamais uniforme en terme de qualité. Pour autant, si elle se disait fille de la nuit, lui se questionnait toujours sur ce qu'elle pouvait bien être physiologiquement. Son cœur battait, mais le parfum de sa chair restait sans commune mesure.

« Je ne vais pas rétorquer pour la discrétion ! Quoi que...  »

Cette fois, ce fut un sourire enfantin qui lui fleurit aux lèvres, adoucissant ses traits et lui ôtant quelques années passagères. La magie ? Sérieux ? Mais enfin, d'où tenait-elle une telle calembredaine ? La magie n'avait rien de sérieux, à part peut-être pour quelques humains censeurs qui n'avaient pas d'autres faits de gloire et voulaient restreindre l'usage d'un tel présent des déesses. En un sens, il se demandait si cela ne valait pas la peine de lui faire voir autre chose de la magie, la face de la pièce que lui aimait tant : le naturel, le fluide, l'instinctif, la communion parfaite qui venait sans qu'on la force et la joie de puiser dans le flot infini. Mais il était pour l'instant plus occupé à monter sa stratégie pour obliger Aldaron à venir avec lui jusqu'à ces fameux marécages. Le Bourgmestre aurait bien besoin de vacances après tout cela non ?

« Effrayant ?  »

Le vampire ne s'y était pas attendu et la contempla un moment avec une expression de franche incrédulité.Comment cela il était effrayant ? Depuis quand exactement ? Il n'avait rien fait pour lui faire peur pourtant ! On ne la lui avait jamais faite, celle-là… enfin si on omettait que la moitié de Caladon craignait de le voir mettre le feu à la ville marchande. Il n'imaginait d'ailleurs que difficilement comment elle avait pu en arriver à une telle description pour sa personne, mais c'était sans doute toujours plus agréable que d'être prit pour un imbécile.

« Je conçois aisément pourquoi Aldaron pourrait paraître effrayant, et cela lui plairait sans aucun doute. Mais… moi ? En quoi suis-je intimidant?  »

Le ton était candide, mais non moins scrutateur, tout comme la lueur que portait son regard pâle et spectral. Alors que le vent se levait autours d'eux, venant caresser les frêles constructions du campement et les silhouettes plus délicates encore des occupants encore debout en cette heure avancée, le son pourtant déjà distant de leur conversation se trouvait couper et cloisonné par la brise et le chant marin. Jusqu'ici il n'avait rien fait pour se montrer réellement mauvais, antagoniste dans l'âme, parce qu'il n'y était pas poussé, parce qu'on ne lui faisait pas miroiter un quelconque intérêt à se toquer d'une telle conduite. Il découvrait, comme un enfant, ce monde plein de mystères, sans porter de jugement préalable à la moindre action. Naïvement, il lui décocha un large sourire et avoua avec connivence…

« Je n'ai pas encore été motivé à dévoiler mes penchants  »

Ah, ce n'était pas forcément rassurant ça, à bien y réfléchir, si ?

« Pour le moment, je suis surtout extrêmement curieux à votre égard… pas seulement à cause de votre magie, mais aussi de cette petite chose qui retient votre voix… vous retenez… quoi ? Je me le demande. Vous peut-être, vous vous retenez ? Vous vous isolez ? Vos mots… ce tampon sur eux, est-ce que vous essayiez de m'empêcher de vous lire, ou vous de vous livrer trop aisément ?  »

Ses lèvres frémirent sur un sourire taquin.

« Si je vous jette de la falaise, vous hurlez, ou vous profitez du plongeons ?  »

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Elle penchait légèrement la tête sur le côté, perturbée par le côté finalement trop ambigu de ses paroles, dévoilant quelques secondes à la lune l'éclat argenté de ses yeux si particulier, non pas qu’elle ne les comprenait pas, mais plutôt qu’elles éveillent en elle des sentiments contraires.

- Alors je ne vous appellerais pas, je n’ai jamais été très douée pour les choix de nom. Un nom ça n’a aucune valeur seuls les actes comptent, et peut-être même les paroles.. Quant à Gertrude si vous étiez une paysanne au fin fond d'une taverne passe encore mais ça serait vous insulter.

Elle-même avait usé de multiples noms et titres, pour ses propres intérêts ou ceux des autres, un bon nom n’était finalement que celui auquel on s’attache le plus, finalement une identité n'était rien de plus que ce que l'on cherche à montrer ou non aux autres. Elle se demandait ce qui avait pu conduire l'homme à perdre jusque son identité, mais ça ne la regardait pas une nouvelle fois.

- Je ne m’y sens plus vraiment à l’aise, je suis obligée d’agir différemment, ce monde ne me manquera sans doute pas, je n’ai plus personne pour me le faire à nouveau aimer.

L’ancienne fille de la nuit adoptait un sourire mutin, elle n’allait jamais au fond de sa pensée pour ne pas trop en dire, elle semblait en tirer un certain plaisir, elle commençait à apprécier cette nuit, prenant un plaisir ignoble en dépit de la catastrophe qu'il y avait eu quelques jours plus tôt.

- J'ai une tendance naturelle à reconnaître ce qui est susceptible de me nuire voir de me tuer, voyez-vous, j'aime l'idée de rester en vie.. Et je ne crois pas qu'Aldaron puisse aimer cette idée, mais je n'ai pas la prétention de le connaître aussi bien que vous, il m’a juste fait quelques recommandations.. Vous avez cette chose en vous qu'ont tous les enfants de la nuit, une note de danger, un quelque chose qui vous rend particulièrement attirant.

L’immaculée jouait la carte de la vérité une nouvelle fois, une vérité plutôt agréable à entendre cela dit, laissant une nouvelle fois le tout en suspens.

- Curieux ? Je dois vous avouer que je n'ai pas grand chose pour satisfaire cette curiosité, je n'ai pas d'histoires romantiques avec des preux chevaliers, pas de combats glorieux à vous conter. Beaucoup de choses s'entendent dans l'ombre, aucune ne mérite d'être racontées. Je pourrais à la rigueur dire quelque chose au sujet du maître terrassier qui a été dépêché pour libérer les décombres, pauvre malheureux, sa femme se fait culbuter par l'approvisionneur.

Elle prenait un air faussement théâtral, elle n’espérait pas détourner l’attention du vampire de cette manière, et encore moins en faisant de la petite conversation. Néanmoins, il était dans ses habitudes de parler très peu d’elle, mais d’écouter beaucoup, une méthode astucieuse pour que les autres se livrent. Et finalement elle ne faisait que jouer, un jeu tout à fait innocent.

- Alors dévoilez-les.

Un murmure et un souffle se mêlaient aux notes de sucre et de miel de sa voix, une invitation à en dévoiler plus, qui ne faisait que monter la tension pleine de mystère qui englobait leurs rencontres. À la suite de la conversation, par simple prudence elle fit un arc de cercle, autours du vampire, ne se plaçant pas dans la direction du cratère, sait-on jamais !

- Hé bien.. Ni l’un ni l’autre.. Je vous entraînerai dans ma chute, et peut-être même que je m’en sortirais.. Je l’ai déjà fait une fois, pourquoi pas deux ? Et vous que feriez-vous ?

Elle dévoilait un air légèrement prédateur et sauvage, témoin de son ancienne appartenance au peuple de la nuit, ainsi qu’une volonté de survivre. Elle avait joui ces derniers jours d’une chance particulièrement insolente, et elle semblait déterminée à continuer de jouer là-dessus. Elle n'en demeurait pas moins une adversaire farouche qui serait prête à tricher pour s'assurer la victoire, et comme tous les jeunes elle n'aimait pas perdre, ça froissait bien trop son ego.

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Ses lèvres frémirent, s’ourlèrent sur ses crocs, dans une expression amusée mais rogue, à la dérision aussi corrosive que directe. Sa voix, lorsqu’il répondit, était légère et badine, faussement détachée, suave des accents du nord. Cela l’amusait beaucoup, d’essayer de contempler ce qu’elle pouvait bien penser. Pourquoi pensait-elle l’insulter ? Sa vie avait-elle plus de valeur que celle d’une paysanne ? Non, pas tout à fait, ce n’était pas tout à fait cela. Parce qu’il était un homme ? Qui avait décidé, à un moment de l’histoire de l’éducation, que tel prénom conviendrait à une femme et pas un homme ? Certainement ces insupportables Baptistrels. Cela étant dit, il n s’affublerait pas d’un tel nom simplement par défiance envers eux, il avait tout de même meilleur goût et n’avait rien d’un adolescent.

« Pourquoi serait-ce m’insulter ? Parce que je ne suis pas une femme ? Voyons, que de considérations rébarbatives »

Néanmoins, plus encore que cela, c’était elle qui l’amusait. Sa façon d’être. De parler. Elle disait ne plus se sentir à l’aise dans la nuit, et c’était bien malheureux. Et pourtant elle le mettait au défi une fois encore, sans le vouloir… ou bien le voulait-elle ? En vérité peu importait. Il y avait plus à voir dans la nuit que les vampires, et l’uniformité de ses pairs le lassait profondément. La nature avait doté le monde nocturne d’autant de beautés et d’attraits que son frère diurne, il suffisait de défaire le voile que la civilisation lançait sur vos yeux pour le voir. Cette jeune femme était-elle trop prise dans de vaines affaires pour s’y ouvrir ? Bonne question. Elle n’avait pas l’air d’une idiote, alors sans doute était-elle encombrée. Il allait finir par avoir une capricieuse envie de retirer cet encombrement de façon radicale.

« Quel malheur… » ronrona-t-il le pensant sans le penser. « J’espère au moins que ce n’est pas le même imbécile qui trouble votre accès à ce sens là également, la liste de ses fautes commence à s’allonger drastiquement »

Il était amusé, définitivement, de la façon dont elle le percevait. Pouvoir la tuer ? Peut-être, il n’y avait pas pensé. Il n’aimait pas tuer. L’idée le révulsait profondément, surtout après le retour des souvenirs de son propre trépas. Quant à l’attirance... Il n’avait qu’à peine effleuré l’idée, de loin, comme si elle avait bien moins de valeur à ses yeux, de potentiel, que tout le reste. Il n’avait aucun manquement en lui qui nécessitait de telles flatteries.

« Cela ne me pose aucun problème, la curiosité peut venir autrement. Quant aux chevaliers…. Je serais davantage le dragon qui croque les jeunes vierges et transforme les imbéciles en armure en cendre »

L’affirmation fut suivie d’un nouveau sourire carnassier et enfantin. Les chevaliers en armure, il n’aimait pas ça, et si, rhétoriquement, cela faisait longtemps que ces boîtes clinquantes ne le faisaient plus rêver, iniquement, cela faisait à peine quelques nuits qu’il n’aimait décidément plus ces perches grandiloquentes manquant de clairvoyance et de sens pragmatique. Sans doute ressemblaient-ils trop aux Baptistrels, tout simplement, sauf qu’en plus d’être hypocrites, ils l’étaient souvent sincèrement. Insupportable.

« Vous êtes une curiosité vivante, quoi que vous en disiez… »

Et cela commençait à le titiller sérieusement. Surtout en la voyant tenter de s’éloigner. Elle avait peur ? Vraiment ? Aurait-il mal imaginé ce qu’elle dissimulait ? Haussant un sourcil, tête sensiblement penchée sur le côté, il la mira avec une malicieuse pensivité. La réponse venant, il étouffa un rire. Elle n’avait aucune idée de combien elle lui changeait les idées, chassant la morosité et lui donnant de quoi se focaliser et éviter de s’ennuyer. Elle était une nouveauté, aussi brillante que sa magie…

« Survivance donc ? Je prendrais le plaisir »

Son sourire s’élargit, la lueur de ses yeux se faisant joueuse, taquine. Voyait-elle seulement cela comme une affaire de vie et de mort ? Il s’approchait d’elle, sans la pousser en avant, ne voulant pas l’alarmer en la replaçant dans l’axe de la falaise. De toute façon, il n’avait pas besoin qu’elle se trouvât au meilleur endroit possible, tant qu’elle ne fuyait pas. Le reste, il s’en occuperait sans guère de problèmes et c’était même plus amusant si tout ne lui était pas servi sur un plateau.

« Oh voyons… imaginez, l’air infini autours de vous, l’adrénaline pulsant dans votre corps, le vide qui vous happe, omniprésent, et pourtant la lutte qui se poursuit en vous… le ciel et la terre qui se confondent et s’unissent pour ne former qu’un univers de sensations exaltantes… sentir votre vie, impérieuse, presque palpable tant elle est sur le point de vous échapper, vous sentir exister plus vivant, plus consciente que jamais auparavant… avant l’étreinte de l’eau glaciale sur votre corps brûlant, votre cœur qui bat si vite, qui vous hurle que vous êtes en vie… et jamais ce terme n’aura plus de signification… »

L’idée même de transcender les sens physiques et bassement terrestres, de laisser l’impulsion de l’instant, l’effervescence du moment prendre le contrôle était comme le meilleur des vins. Un grand cru qu’il savourait avec l’idée fixe de l’y faire goûter absolument. Dans une inspiration haletante, il retint son sourire, pinçant un instant les lèvres, la joie illuminant ses traits froids, avant qu’il n’avoue, confesse, avec une allégresse distordue.

« En fait vous avez raison, Dame Dalis, les mots sont de bien piètres interprètes… »

Un battement de cœur plus tard il était sur elle, un battement de cœur encore et le vide les emportait tous deux, largement au-delà des roches de la falaise.

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- Parce que vous méritez un nom bien meilleur que celui-ci, un nom comme ceux que vous m’avez dit, des noms qui ont une signification.

Elle devait bien avouer qu’elle trouvait ce nom inadapté à qui que ce soit qui avait un minimum le profil noble, Gertrude lui paraissait bien inadapté, que ça soit à son physique ou a sa nature, mais elle aurait tout le temps de penser à ce sujet plus tard.

- De sombres pensées agitent mes jours et me volent mes nuits, des choses de la vie quotidienne qui n’ont rien de très intéressant. Mais ce n’est pas de la faute de ce bruyant imbécile, mais d’un autre bien plus cher à mon cœur, sinon j’aurais déjà réglé le problème. Elle jetait un regard furtif et mutin dans la direction de l’être aux cheveux blancs.

L’homme plus loin était une gêne, c’était difficile à nier, et il l’irritait au moins autant que ce que l’être de la nuit semblait lui faire croire, et finalement l’homme venait troubler bien trop ce moment pour qu’elle parvienne à ignorer sa simple présence, elle aurait pu le tuer si sa compagnie n'était pas aussi charmante.

- Une chance dans ce cas qu’il n’y a ni vierge, ni chevalier, ici-même. Ainsi, je n’aurais rien à craindre si vous étiez un dragon. Ainsi, elle pouvait se rassurer.

Elle ne reculait pas particulièrement par crainte, plus par méfiance, l’homme était bien plus grand et plus imposant qu’elle, elle ressemblait à un oiseau qui faisait tout pour échapper à la main de l’Homme plongée dans sa cage, s’agitant d’une manière plutôt folle pour conserver son semblant liberté, elle était un esprit libre, si on l’entravait aussi bien psychologiquement que physiquement elle en mourait et son attitude fuyarde face à la pression le montrait bien.

Mais était-elle toujours le cygne noir des Dalis ? Si elle devait lâcher son dernier chant, elle aimerait que ça soit par une nuit semblable, mais pas maintenant et elle n’avait pas prévu de mourir de la main de cet homme.

- Vous me flattez. Elle redressait la tête quand le vampire parlait de plaisir. Le plaisir ? Elle-même était dans une quête éternelle du plaisir en bonne Dalis, elle avait pris du plaisir dans beaucoup de choses, traque, tuer, séduction, jeux de pouvoir, mais certainement pas en tombeau dans ce gouffre. Je peux le concevoir.

Elle l’écoutait semblant absorbée par ses paroles, tâchant d’en comprendre le sens, mais elle ressentait tout de même l'étau se resserrer, cruellement, elle reculait instinctivement, guidée par son instinct de survie, ce ne fut qu’au bord du gouffre qu’elle cessait de reculer, une légère appréhension tirait son corps de la rêverie causée par les mots.

- Fafnir ! Elle disait ce nom en voyant l’éclat roux derrière eux juste avant leur chute, la créature hybride lui répondait dans un cri.

Un animal recouvert de plume fendait les cieux, une épaisse fourrure rousse le recouvrait, il possédait aussi une tête d’aigle surmontée de deux oreilles, plaquées en arrière, devant l’urgence de la situation ses yeux dorés dardait un regard noir dans la direction de l’homme qui avait provoqué la chute, il avait plongé serres en avant pour récupérer celle qui était parvenu à le dompter, mais échouait à cause de la pression de l’air qui s’engouffrait dans les plumes de ses ailes, les déployant pour descendre lentement en altitude. Sans doute, était-il en train de chasser dans les parages, un juste coup du sort, mais qui aurait bien pu mal se terminer.

Le griffon lançait un cri d’orfraie sonore à l’égard du vampire, qui se répétait en écho dans le gouffre à la manière du cri d’un aigle, presque à l’infini, si sa maîtresse ne survivait pas l’animal se chargerait de lui, le message était on ne peut plus clair.

Sintharia, elle, n’eut que le temps d'apercevoir cet être qui était presque son ami plonger en dépit de son caractère sauvage pour l’empêcher de chuter. Instinctivement, juste avant de tomber son esprit-lé s’activait ralentissant le temps juste assez de secondes pour qu’elle puisse voir la créature tenter de l’attraper, il aurait presque pu labourer le dos de l’homme de ses imposantes serres. Il n’y eut pas de cri, un cri l’aurait empêché de survivre, elle réagissait vite et partait du principe que si le curieux homme avait plongé avec eux, c’est qu’il espérait s’en sortir. Alors elle n’eut d’autres choix que de compter sur ça.

Et enfin elle comprenait les mots du vampire, vivre, c’était ça, se sentir en permanence sur le fil, se gorger du plus que l'on peut de ses sensations, de ses sentiments. Et finalement, ce n’était pas une si mauvaise expérience, bien au contraire.

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Que méritait-il ? A quoi pouvait-il réellement aspirer ? Il aurait pu ruminer la question indéfiniment s’il n’avait eu d’autres sujets d’occupation immédiats. Sans doute y reviendrait-il à l’avenir, lorsque dans le reflux de ses préoccupations il se trouverait temporairement désœuvré, que l’oisiveté poindrait, feignant de l’étriller pour mieux sabrer le peu de pensées positives qu’il entretenait. Très certainement, cela comme de très nombreux sujets tiers, en un ballet inexorable et vaguement ironique. Mais là où il observait l’occurrence avec une distance impérieuse et critique de ses propres défauts, d’autres s’en trouvaient les proies. C’était là l’indiscutable destin de peuples ayant reçu une conscience incomplète et dont chaque individu se devait de trouver ses propres outils pour exister, et donner un sens plein à cette existence. C’était là également les malheurs d’une société où l’on avait trop peur du regard des autres sans être capable de s’observer soi-même. Il en était victime en certains instants également, ou bien le faisait-il exprès ? Il souriait, se refusant à la réponse, aussi silencieuse soit-elle.

Est-ce qu’il la flattait ? Ce n’était pas dans ses habitudes, il n’avait rien d’un courtisan, encore moins d’un marchand. Si l’on admettait qu’il fut Achroma, il avait un jour été très doué pour tout cela, mais en cette nuit, il était simplement un vampire mirant un objectif que les mots servaient bien pauvrement. Seuls ses sens seraient capables de transmettre ce qu’il prêchait, et il n’y avait qu’une seule façon de le lui faire expérimenter. Le nom qu’elle criait soudain, saisie par les griffes viscérales de la peur, était étranger, la consonnance exotique, mais il ne s’en apercevrait certainement que bien plus tard, lorsque sa vision se serait élargie. Il sentit pourtant la bourrasque du vent dans son dos, la pulsation des ailes puissantes qu’il ne voyait ni n’imaginait, ses oreilles s’imprégnèrent un bref moment du cri perçant de la créature, avant que le vent et le vide n’avalent tout. La pression gourmande happa les corps et soudainement, ils tombaient, rapidement, ballotés par les bourrasques et le déséquilibres de leurs formes bipèdes.

Les quelques premiers instants furent les plus magiques, alors qu’il sentait avec une extrême précision l’immensité autours d’eux. Chaque fibre de son corps s’éveillait, pulsant comme jamais, hurlant son besoin d’exister, comme il ne l’avait pas ressenti depuis la vision traumatique qu’il avait eu… Que son cœur soit aussi froid qu’un tombeau, aussi silencieux qu’un cloître n’avait pas n’importance, l’indicible sensation chassait l’obscurité et l’amertume, résorbait le venin glacial de l’agonie dans ses veines. Le voile se levait, sa vue redevenait, pour un instant, vive et parfaite, et il en aurait hurlé de bonheur. De désespoir, à l’idée que ça ne durerait qu’un tour de sablier. Il inspirait, difficilement, l’air soudain glacial qui cautérisait sa peau, le relâchait comme une exhalation d’un soulagement inouï et écartait les bras, venant attraper la jeune femme fermement. S’il avait pu, il lui aurait souri, mais il ne voyait que la nature qui se confondait en une explosion de couleurs et de formes surréalistes, fantasques. Il vivait ! Les seules pensées conscientes étaient primaires, simples… ça faisait tant de bien !

La chute semblait interminable, et pourtant elle s’arrêterait bientôt. Il se gorgeait des sensations, laissant ce qui restait de son âme blessée aller… et il ne se rendait pas compte qu’il pleurait, les sillons carmin chassés par la force du vent. Pourtant cela coulait hors de son âme comme la meilleure des jouissances. Un tour involontaire sur lui-même lui fit prendre conscience que l’atterrissage ne tarderait plus. La pression magique vint entourer leurs deux formes juste avant l’impact, et ils s’enfoncèrent de plusieurs mètres sous la surface de l’eau, engloutis comme de simples pierres dans le giron tempétueux de l’océan. Se laissant quelques instants pour profiter de la caresse de l’eau sur sa peau malmenée, il ouvrit les yeux, jeta un œil à sa compagne de soirée et remonta avec elle jusqu’à la surface, perçant celle-ci avec un soupire de plaisir contenté. Quelques instants, il se contenta de nager, pour trouver son rythme et ses réflexes, puis avisa une enclave contre un pilier de roche, où la marée se ferait sensiblement moins sentir, et les brasseraient moins.

Nageant jusqu’à ce semblant de havre, il prit pied sur une pierre immergée pour continuer de profiter de ce bain. Cependant, l’observant attentivement, il se rendit vite compte qu’elle allait souffrir de la fraîcheur de l’eau de ce mois de Novembre. La magie, cependant, pouvait y pallier, et un moment plus tard, l’eau s’éclairait fugacement, le sortilège mourant rapidement mais ayant remplit son office. Il s’approcha alors de son semblant de Néréide, fasciné par le son de son cœur qui battait, un éclat enfantin d’émerveillement dans les yeux. Il aurait voulu l’enlacer pour coller son oreille contre sa poitrine, comme si cela pouvait lui permettre de l’entendre mieux, de sentir sa respiration hachée par l’adrénaline…

« Vous êtes belle ainsi »

Il n’y avait rien de charmeur, dans le ton de sa voix, juste cette admiration transie, candide. Il eut l’ombre d’un sourire, transfiguré par la chute, ayant laissé le lourd poids de ses tourments en haut de la falaise. Taquin, il plongea, et attrapa une étoile de mer, avant de remonter derrière elle, déposant l’ornement marin sur ses cheveux avec un rire réprimé. Ravi, rayonnant d’un engouement dépourvu de toute forme de concupiscence, il fut contraint de se faire violence pour ne pas lui trouver d’autres parures de circonstances. A la place, il goûta un instant le silence, avant de reprendre la parole.

« J’ai l’impression de voler, en de pareils instants… j’ai l’impression que je pourrais étendre mes ailes et voler, pour ne jamais toucher terre de nouveau. J’aimerais tant voler… Dans l’eau, l’impression s’en rapproche, et les courants sont doux, soyeux au toucher »

Il inspira profondément, fermant les yeux en se laissant légèrement dériver. Un instant le monde s’estompa, en dehors de l’eau et de la présence rayonnante à ses côtés. Lorsqu’il rouvrit les yeux, l’angle de son échine le portait à observer le lieu d’où ils étaient tombés ensemble. C’était haut, plus haut que la falaise de Caladon. La chute avait été d’autant plus délicieuse. Le silence doux était baigné de la symphonie marine, le lent soupire des vagues, le roulis paisible et le léger grondement des cavernes immergées ou semi-immergées. Et sa chaleur… proche, comme un petit astre tombé dans l’eau. A cause de lui. Non, grâce à lui. Il était plus proche de la vie, maintenant, ce petit astre. Plus proche d’eux ? Il aimerait y croire.

« J’entend votre cœur… il bat si fort en l’instant… êtes-vous vivante ? »

L’espoir se le disputait à une fragile inquiétude, dans sa voix.

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L'immaculée détournait le regard à ce compliment inattendu, rougissant allègrement. Elle ne s'attendait pas à ce qu'on puisse la trouver belle, loin de tous ses fards habituels et en tenue de voyage et par-dessus tout trempée, dans une position des plus délicates. Le contact de l'eau glacée la ramenait cruellement à la réalité, elle se sentait démunie et lavée de cette fausse apparence qu'elle tentait de se donner. Et pour un cygne elle ne semblait pas réellement être à son aise dans l'eau, ou peut-être était-ce le simple contre coup de cette expérience aussi enrichissante que rude.

- Merci.

Elle l'observait, de ses grands yeux argentés analysant ses mots, poétiques, elle semblait perturbée par ces derniers, mais les comprenait. Il était de ces nuits promptes à la découverte, de ces nuits magiques qui n'ont lieu qu'une fois dans une vie. L'eau avait toujours exercé une certaine fascination sur la noble, une sensation de légèreté et de pureté.

- J'ai bien failli croire que vous alliez nous faire tuer tout les deux. Mais vous avez raison, vos pensées sont très poétiques.

Les propos de l'être de la nuit déstabilisaient profondément la fille de nuit, elle cherchait ses mots, se sentant confite sous le regard inquiet de celui qui lui avait offert ce rêve et cette nouvelle vie. C'était la première fois de sa vie qu'un homme faisait attention à elle, elle se sentait flattée du geste de cette personne dont elle ne connaissait rien.

- Mon cœur ? Oui, je suis vivante, bien plus que je l'étais hier. Sans doute plus que ce que je ne le serais jamais. Et vous, vous sentez vous vivant ?

Elle peinait à reprendre son souffle, encore sous le choc de l'adrénaline, mais elle se rendit compte de quelque chose, à quel point le vampire avait-il été déchiré pour chercher la vie à ce point-là ? Et une flamme d'empathie s'embrasait dans l'esprit de celle qui était née des cendres, elle restait durant quelques secondes à l'observer du regard de ceux qui comprennent sans l'aide des mots. S'exprimant dans un murmure avec sa voix qui trahissait qu'elle était encore dans l'enfance avant d'être transformée, une voix qui clamait l'innocence puisqu'elle n'avait rien vécu d'horrible. Une pensée triste, mais surtout pour elle-même ?

- Qui a pu vous faire souffrir à ce point ?

Et son nom à présent lui paraissait plus clair, bien plus clair, il n'était pas de ceux qu'il lui avait déjà dit, elle s'approchait, bien plus inquiète pour l'homme que pour elle-même, s'installant à côté de lui, touchée par la candeur qui était sienne et cette douceur qui se dégageait pour qui savait la voir. Plusieurs larmes se mêlaient aux gouttes qui s'écoulaient de ses cheveux, de la tristesse fendait son cœur comme jamais il n'avait été fendu.

- Vous portez plusieurs noms, laissez moi vous en donner un de plus. Je vous nomme Hatórë. Elle se hissait sur un rocher pour se mettre à sa hauteur, déposant un baiser chaste sur son front, une bénédiction et un baptême, un geste d'une lourde signification, mais chaleureux. Je vous offre ce nom pour vous honorer, quand vos autres noms vous pèseront trop. Je vous nomme Hatórë, l'esprit que l'on a pu briser.

En dépit de ce que l'on aurait pu croire, il n'y avait pas vraiment de signification mauvaise dans ce nom et curieusement, il s'agissait d'elfique, une vieille forme, oubliée. L'immaculée connaissait cette langue, ça ne faisait aucun doute. Néanmoins, c'était un nom qui n'était pas facile à porter, le nom de ceux qui ont été détruits pour mieux se relever, un présage. Bon ou mauvais, cela serait à lui d'en décider.

Et quand elle levait les yeux vers le ciel, ses yeux brillaient d'une lueur mélancolique, et les étoiles donnaient l'impression de l'observer en retour. La voûte céleste elle-même semblait apprécier ce choix. Et elle s'autorisait même à sécher ses larmes, une expérience pareille ne pouvait laisser personne intacte pas même le cœur le plus sombre, même le sien.

- Vous me rappelez la manière dont le monde devrait être. Ce qu'il pourrait être, ce que je voudrais qu'il soit. Sa voix tremblait à ses propres paroles Aux étoiles qui entendent les vœux, qu'elles les accomplissent.

La tristesse fut chassée de son cœur, se transformant en un doux sourire et l'instant d'après elle ne semblait être rien de plus qu'une jeune femme comblée qui regardait les étoiles et que les étoiles regardaient.

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Poétique ? Ah… Ses pensées étaient poétiques ? Il n'y avait pas pensé, il n'y avait pas réfléchi, cela venait tout seul, comme le sang d'une plaie ouverte, pour laver la blessure, une forme de soulagement temporaire, à exprimer ce qui restait souvent lové dans le creux de sa gorge. La vérité ? Il avait cru, en arrivant à Caladon, en retrouvant sa famille et en découvrant son âme sœur, qu'il irait mieux, que la cendre se dissiperait, que la noirceur au coin de chaque pensée s'estomperait… ce n'était pas le cas. Il avait peur, et il souffrait. Tout se mélangeait, l'enlisant dans un amalgame sinistre et dangereux qu'il parvenait difficilement à contenir, et qui se répandait toujours plus loin dans ses veines, dans son esprit même. Jamais il n'avait eut conscience que l'expression de cette agonie pouvait être poétique, mais sans doute était-ce tout aussi subtile que la beauté qu'il percevait chez elle, et son amour de cette musique d'un cœur battant vivement, puissamment. Il ne voulait pas que cette musique s'arrête, elle était si vibrante, si vitale, si impérieusement salvatrice… En l'instant, il aurait été prêt à tout pour continuer à entendre son cœur battre aussi fort, pour qu'il continue de diffuser sa chaleur et sa présence. Le bout de ses doigts fourmillait de son envie de les presser contre son torse, pour essayer de sentir davantage le battement, la légère palpitation subtile à la surface du derme doux… mais il n'oserait pas cette intrusion, pas tant qu'il n'y serait pas invité en tout cas.

Et puis, alors qu'il l'observait, la flamme douce qui brûlait dans les prunelles orageuses de la jeune femme vint s'insinuer en lui, trouvant le noyau fermé de son âme. Il perdit quelque peu son sourire, le transformant en un fantôme de joie, doux et résigné par une tristesse et une douleur portées comme autant de cangues sur ses épaules. Un bref instant, ses yeux d'oasis se firent vitreux, alors qu'il entrouvrait les lèvres sur une lourde exhalaison, n'ayant aucune réponse à offrir à cette question, incapable de même comprendre à quel point la fracture de son âme était profonde et violente. Une part de lui, visible dans ses prunelles claires et douces, posait cette question alentours, muette demande, toute pétrie de naïveté enfantine, espérant que quelqu'un, n'importe qui, puisse lui expliquer, lui dire… pourquoi il devait tant souffrir en ce monde. Pourquoi il devait porter cette charge, lui qui n'avait jamais rien demandé à personne, qui n'avait jamais rien fait, ayant vécu isolé avec sa famille. Portait-il les pêchés d'un autre ? La roue de la réincarnation avait-elle décidée de lui faire expier un millier d'années d'exactions ? Se trouvait-il quelqu'un dans l'archipel qui pourrait enfin lui offrir une véritable réponse ? Il la laissa approcher, réellement heureux de sa présence, illuminant la nuit de sa solitude forcée comme un soyeux candélabre.

Il pencha la tête, admirant les ornements éphémères qui s'accrochaient à ses joues, souhaitant fébrilement trouver la force de lui dire combien elle était jolie avec ces perles iridescentes ainsi décorées, pas pour la flatter, mais simplement pour lui dire… combien cela faisait plaisir, un plaisir simple, naïf, de regarder et trouver de la beauté à quelque chose, simplement parce que cela existait, simplement parce que le jeu de lumière lunaire était agréable sur l'eau et que cela lui allait bien avec ses cheveux clairs et ses yeux de perles. Parce qu'il n'y avait aucun sous-entendu à tout cela, que ce qu'il voyait n'était pas, sur l'instant, perverti par ce qu'il avait dans la tête. Mais rien ne venait, sa voix restait bloquée, morte née dans sa gorge comme tant de chandelles d'espoirs soufflées les unes après les autres. Il la regardait simplement, alors que dans sa tête se déversait, gauchement, tous les mots qui ne parvenaient pas à quitter ses lèvres. Lui aussi aurait voulu que ses larmes ne soient pas du sang souillé, ne suppurent pas la souffrance. Mais cet étau du silence était aisément brisé, au moins par elle, et il l'écoutait, l'attention affûtée, retrouvant lentement pieds dans la réalité après l'égarement… ou bien le croyait-il seulement ?

Un frémissement des cils, au baiser ainsi accueilli, sans violence aucune, qu’il goûtait avec simplicité. Hatorë ? Il connaissait la signification de ce nom en elfique, intuitivement, de la même façon qu’il savait lire l’elfique. Un héritage d’une autre vie ? Il acceptait le nom, le cœur serré du poids symbolique de ce nouveau baptême. De ce qu’on lui offrait, de l’étincelle de chance qui s’y nichait… Le silence reprit ses droits, un moment, passager, alors qu’il se laissait bercer, le creux de l’esprit s’emplissant du bruit des vagues, des soupirs ambiants, du clapotis et des cris des mouettes. Et la voix de la jeune femme ne détonnait qu’à peine, alors qu’il relevait son regard vers elle. La curiosité le reprit.

«  Que voudriez-vous qu’il soit ? »

Et surtout, en quoi pouvait-il l’avoir inspiré ? Mais déjà, son esprit dérivait vers une autre question, une autre idée, soufflée par leur environnement mouvant.

«  Connaissez-vous des chansons de la mer ? »

Il donna une poussée sur le rocher derrière lui pour s’en écarter et nagea sur quelques mètres pour sentir davantage la caresse de l’eau, et le jeu diminué des courants.

«  Si vous tendez l’oreille, sous l’eau, vous entendrez peut-être les chansons de l’océan, qui content la vie au travers du monde, parfois des contes lointains, parfois proches… parfois clairs, parfois troubles, exotiques ou familiers, l’eau les conserve en son sein, quand ils cessent de danser dans le vent. Ils retombent pour se mêler à l’écume, brassés éternellement »

Peut-être qu’il demanderait que ses cendres soient placées dans l’eau, lors de son trépas, un jour. Oui, il aimerait cela, très certainement. Il serait à jamais reconnaissant à Aldaron de lui avoir montré les merveilles qui se trouvaient en dessous de la surface… Dommage qu’ici, la profondeur soit trop importante, ou il aurait certainement proposé de le lui montrer également. Mais il avait déjà eu si peur que l’elfe se noie, à Caladon, il ne désirait pas retenter l’expérience de nouveau.

«  Vous n’avez pas froid ? Je peux vous réchauffer si vous voulez »

Ils pouvaient également remonter, retrouver le campement. Il y avait des niches dans la roche pour s’installer loin des bruits intrusifs… mais elle était également vivante, et la fatigue pouvait soudainement la tourmenter.

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Les mots de l’étranger, elle les trouvait si justes et si poétiques en effet. Mais était-il encore un parfait étranger ? Certainement pas. Elle l’avait rebaptisé, rebaptisé d’un nom que certains traiteraient comme une véritable malédiction. L’avait-elle fait pour avoir un point commun avec l’homme ? Elle l’avait fait parce que son cœur lui dictait de le faire, certainement pas pour avoir quelqu’un qui partagerait sa malédiction.

Elle avait eu un regard qui allait loin en murmurant sa prière, bien au-delà des étoiles, et même encore au-delà de tout ça, figée dans une expression qui rappelait le chant du cygne, chant qui n’existait pas puisque les cygnes étaient tous muets et sans exceptions. Un cri du cœur, muet. Une plainte muette qui déchirait la nuit de ses espoirs.

- Un sanctuaire de paix et de silence, avec rien de plus pour le troubler que les bruits de la nature, peut-être le vent dans un feuillage ou le bruit des vagues. Un petit monde à moi, couvert d’étoiles et avec un océan, avec l’odeur de la mer. Un monde de vérité nue, franche. Un monde que je trouverais égoïste de ne garder que pour moi, un monde, il suffirait de lever les yeux pour en voir le positif. Un monde qui fonctionne comme une boite à musique, et pourtant, je n’en ai jamais entendu la mélodie. Un monde qui serait parfait pour les choses brisées, un monde qui serait pour ceux qui portent ce nom si lourd à porter. Je dois vous paraître bien naïve à présent. Elle rougissait une nouvelle fois de ses propres pensées, bien enfantines en fin de compte.

Elle y imaginait sans mal des oiseaux blancs, des cygnes, qui laissent des sillages argentées sur leurs passages, ils feulaient sans cesse après le cygne noir qu’elle était, elle qu’y n’avait que du charbon sur son sillage. Elle n’avait pas leur élégance et son plumage était de deuil. Ils la haïssaient sans même s’en cacher. Même en allant au bout du monde et en demandant pardon de ne pas être comme les autres ça ne suffisait pas. Lasse de leurs inimitiés et de la colère à son égard, elle fuirait dans son rêve de solitude, vers la mer, l’odeur des brises et la fougue des tempêtes, les ondes de l’eau berceront son sommeil et elle se reposerait sereinement dans l’orage. La foudre sera cette sœur mystérieuse et le tonnerre son frère bien-aimé. Elle serait à présent là où les siens l’avaient laissée, dans ce néant naturel, pourtant si vivant, là où la lune jaunit avec le temps. Elle attendrait son cygne blanc, à l’intérieur de sa vision du paradis, prise en otage par ce rêve. Oh, comme elle l’espérait.

- J’ai vécu de multiples vies et pourtant, je n’ai jamais entendu de chants venant de la mer. Elle se posait de multiples sur le caractère symbolique de la chose, ou peut-être était-ce le bruit de l’eau qu’elle recherchait tant et qui l’apaisait. Il y a pas de choses qui chantent des chansons pour les filles de nuit.

Puis elle tendait l’oreille ses sens étaient aussi aiguisés que lorsqu’elle était encore ce monstre de la nuit, et elle écoutait, laissait cette symphonie s’accrocher à elle. Elle en comprenait les sens, elle en comprenait les mots.

- L’eau n’est pas si fraîche, j’aimerais rester encore un peu. Je me sens bien ici. Elle remerciait bien entendu l’empathie du vampire bien que timidement.

La présence lunaire fixait l’alliance qui était encore à son doigt, est-ce qu’elle devait la garder ? Ce symbole d’un amour qui était disparu, elle s’était liée à un autre, ses sentiments n’allaient plus vraiment dans la direction de celui qui lui avait offert. Que faire de ce fardeau ? Elle contenait un soupir douloureux en fixant le métal argenté d’un regard pensif. Elle songeait à l’abandonner là, dans ce lieu qui signait cette renaissance. Mais elle se ravisait. Son cœur se contractait douloureusement à cette pensée difficile - elle ne mentionna pas cette douleur - et elle chancelait en retournant à l’eau. Elle qui ignorait les dangers de l’océan et n’en voyait que la beauté, elle ne pouvait se douter des risques.

Cruel destin qui s’acharnait sur l’oiseau noir, il ne pouvait lutter contre le torrent d’eau qui s’abattait sur son corps, lui brisant les ailes et toute tentative de fuite. Ballottant impitoyablement le corps du cygne impudent vers les profondeurs. Elle qui s’était échappée de son destin mourant, pour périr d’une manière impitoyable. Elle suffoquait rapidement, elle était bien plus à l’aise sur l’eau qu’en dessous. Elle perdait pied et presque conscience, elle n’était plus vraiment là mais elle avait conscience de tout, peut-être était-ce la fin qu’elle désirait ?

Et dans cette perte de conscience, ses cheveux blancs reprirent leur teinte naturelle, la couleur qui seyait si bien au cygne noir qu’elle était, sublimant cet aspect d’elle-même peut-être pour la dernière fois. Elle n’avait plus à faire semblant.

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Il aimait beaucoup sa description d'un monde idéal, , et pourtant cela lui serrait le cœur de constater qu'il ne pouvait pas simplement lui donner ses yeux pour qu'elle puisse voir le monde comme lui le voyait. Car malgré toute la désillusion qu'il entretenait, il était capable de voir également ce qu'il y avait de beau, s'émerveillant quand il sortait chaque fois d'un bâtiment, sur une chose ou une autre. Cela venait naturellement à son esprit de constater la beauté du ciel, de vouloir s'en approcher pour compter les nuages, ou de noter la fraîcheur agréable d'une matinée… Il y avait tant d'exemples. Et tant à voir. Il n'était pas de ceux ressentant le besoin de valoriser un ego demandeur, pour autant il pouvait offrir u compliment sans réflexion calculée. Voilà encore une fois pourquoi il ne comprenait pas certaines façons de penser chez Aldaron, parce qu'il s'agissait de réactions poussées par des réflexions, là où il pouvait vivre l'inverse. Mais en cet instant, il aimait simplement ce qu'elle dépeignait sous ses yeux, et sa gêne incita un sourire à ses lèvres pâles. Il répondit avec simplicité, douceur et sans chercher réellement ses mots, ou à se montrer docte. Il y avait tant d'autres occasions pour cela.

« Non, je ne vous trouve pas naïve »

Son embarras était attendrissant toutefois. Comme lorsque l'on se lave de toute la crasse d'une longue journée pour constater la blancheur de ses propres dextres défaites de leur souillure et que l'on peine à être en phase avec ce changement, que l'on craint se salir à nouveau. La blancheur était un état passager, mais la couleur que l'on arborait n'avait pas forcément les consonances de la dépravation. Et elle avait l'air si triste, à ne pas savoir quoi faire de ce plumage qui ne demandait qu'à être peint avec enthousiasme. Voilà encore quelque chose qui, chez cet autre qu'on disait être lui, l'avait tant perturbé. Achroma l'immaculé, aussi blanc, marmoréen que les écailles de sa dragonne nocturne. En un millénaire de vie, il ne semblait avoir fait que chasser la couleur, mais à quel profit ? S'il avait accepté d'être éclaboussé, peut-être ne se serait-il pas brisé une fois ses pages noircies et froissées. Lui ? Peut-être qu'il n'avait simplement pas encore trouvé la couleur qui lui irait, ou bien aimait-il toutes les essayer pour s'intituler oiseau chamarré.

« Je pourrais chanter, moi »

L'avait-il vraiment proposé ou était-ce une illusion, un effet de son imagination ? Il n'était pas très bon chanteur, mais il pourrait réellement essayer et après tout dans ces cas-là, n'était-ce pas le plaisir plus que la justesse que l'on recherchait ? Lui-même ne parvenait pas à vraiment comprendre les mots de ces chansons marines, mais il plongeait la tête sous l'eau et laissait la symphonie le pénétrer. Pas besoin de comprendre en fin de compte, s'il saisissait enfin, un jour, les sentiments que l'eau charriait. S'il parvenait à les comprendre, peut-être qu'il pourrait enfin retrouver ce qui lui manquait ? Il ferma les yeux un moment, tentant de s'ouvrir à l'écho de l'océan, de s'en imprégner, de se l'approprier. Le clapotis d'un corps brisant la surface blanchie lui fit rouvrir les mires, les attirant vers la forme féminine que le large enlaçait avec l'étroitesse d'une amante, et il eut un faible sourire avant de percevoir le danger. Quelques instants trop tard. Ouvrants de grands yeux, il mit quelques instants à réagir, puis s'immergea sous les flots, se poussant hors de la crevasse vers l'emplacement où elle avait été happée.

Ses bras se fermèrent sur son corps frêle, la saisissant sans douceur mais avec la certitude qu'elle ne coulerait pas davantage dans les remous provoqués par la lame de fond. Soutenant son corps souple, le mage batailla pour garder pied lui-même, mais dans une secousse, manqua la perdre de nouveau, alors qu'il luttait pour nager vers la surface. Sa main se referma sur la sienne, glissant sur ses ornements, les perdant dans le flot, mais l'attrapant finalement, à efforts renouvelés, son souffle inutile venant alimenter le sien, si sublimement vital. Leur remontée fut malaisée, mais il parvint à lui faire percer la surface et l'y maintint, battant fermement des pieds sous la surface. Dès lors que son don personnel n'était plus nécessaire, il l'avait relâchée, et eut un léger sourire tremblant, les yeux brillants d'une peur encore vivace.

« Bon cette fois liten havfrue* … nous allons  éviter de réitérer cet exploit là »

La retenant par la taille, il prit son regard dans le sien, imposant la décision, ne souhaitant pas la perdre pour de bon. Tous deux furent bientôt près du rivage de pierres lourdes, dans un écrin de roches sombres qui brisaient plus efficacement l'élan maritime. Là, il prit soin de vérifier qu'elle ne fut pas blessée physiquement, les gestes non intrusifs mais doté d'une forme de fermeté et d'autorité naturelle lacées de cette inquiétude qu'il avait si vivement ressentit. Lorsqu'il fut satisfait, il lui dédia un sourire complice et amusé.

« Tout comme se jeter d'une falaise, embrasser l'océan requiert de le connaître intimement. Savoir quel danger existe, cohabiter avec lui sans lui ôter sa beauté… cette vague était imposante, son élan magnifique. Si j'avais eu des planches de bois, j'aurais sans doute pu nous la faire goûter à sa juste valeur... »

Mais cela ne voulait pas dire qu'il ne pourrait jamais le faire bien entendu. Ce n'était que partie remise. Devait-il confronter tout de suite le large une nouvelle fois, ou bien était-elle trop secouée ? Non certainement, n'avait-elle pas fait une chute de plusieurs centaines de mètres ? Il soupira légèrement, s'écarta d'elle, alors que son regard tombait sur la main autrefois ornée et il cilla légèrement. Était-ce ça faute ? Est-ce que cette bague avait une symbolique particulière ? Il fallait espérer que non… Il fit mine de n'avoir pas comprit et sur le silence passager, émit une proposition.

« Voulez-vous voir les coraux ? Malgré l'affaissement de Cordont je ne pense pas que la faune et la flore aient été trop dérangées... »
*Petite sirène

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Elle aurait aimer voir le monde comme il le voyait, avec cette naïveté, cet air candide, oh, elle aimerait. Mais elle en savait trop, elle en avait trop vu pour voir autrement le monde que comme il était, chaque peuple avait fondé ses bases sur des montagnes de cadavres, elle-même avait largement apporté sa pierre à l’édifice, et même, et il faudrait un peu plus qu’un joli décors pour effacer cette réalité. Il faudrait un peu plus qu’un murmure et un souffle - les vagues et le vent sur la grève - pour lui faire oublier, mais elle avait envie d’y croire, c’était un joli rêve, et elle n’avait pas grand chose de plus, il fallait bien au moins l’espoir pour continuer à vivre dans un monde pareil.

En pleine crise d’empathie, elle se retrouvait prisonnière de ses propres émotions, tous ses sens étaient aux aguets, et il n’y avait que le son des vagues pour la retenir hors de sa contemplation, se sentant prisonnière dans ce lieu où la nature avait tous les droits. L’endroit était parfaitement calme, un véritable sanctuaire dédié au silence, que même le domaine baptistral ne pouvait égaler. Une paix pourtant fragile qu’une tempête pouvait balayée en un claquement de doigt.

Vous pourriez chanter, oui. Si vous le désirez. Aucune trace de moquerie ou de méchanceté dans la voix de l’immaculée, une curiosité presque enfantine se dégageait de ses yeux qui avaient l’éclat de la lune.

Et elle allait connaître la puissance de l’océan, au moment de retourner à l’eau pour rejoindre la créature de la nuit, mais elle ressentit un puissant malaise, l’empêchant de se préparer à la vague qui arrivait dans son dos, privée du précieux air, elle perdit rapidement conscience, par chance l’homme lui venait rapidement en aide. Elle eut tout juste le temps d’entendre durant quelques secondes le fracas des vagues, la mélodie de l’océan en quelque sorte, qui lui parurent être une éternité. Avant que l’abîme ne l’emporte.

Elle eut quelques micro-souvenirs de ce qu’il se passait pendant que son corps luttait pour sa survie, elle n’ouvrit les yeux qu’une fois à la surface, semblant encore très sonnée, ses cheveux ayant repris leur couleur d’origine s'étalait sur la surface de l’eau. Elle ne pu que recracher le don salé de la mer une fois sur la berge, sans réellement prêter d’attention à l’inspection du vampire. Elle oubliait parfois qu’une folie pareille saurait la tuer, elle n’y était pas habituée. Une fois ses poumons débarrassés du liquide, elle pu parler d’une voix peu assurée.

Je ne crois pas être prête à affronter la mer, pas avec ce corps faible et dénué de son ancienne force. Elle passait une main fébrile sur son visage et remarquait l’absence de cet anneau qui représentait son presque esclavage. Vous me faite connaître une foule d’émotion et de sentiment que j’ignorais jusque là. Je suppose que j’ai encore à apprendre avant d’affronter de nouveau une force de la nature pareille. Puis elle réalisait, la perte cruelle qu’elle venait de subir. Oh, mon alliance, j’ai du l’égarer dans les vagues. Elle eut l’air blessée en disant ses propres mots, un animal enchainé apprenait parfois à aimer ses chaînes.

Puis elle se souvenait de la peine et de la peur qui avait traversé le regarde de l’esprit brisé quand il avait vu qu’elle se perdait dans les courants, elle en fut troublée, encore plus face à cette nouvelle proposition.

Oh je n’aimerais pas vous refaire une pareille frayeur, je ne me sens pas encore prête. Elle essorait distraitement ses cheveux et tentait d’en faire de même avec ses vêtements sans le quitter des yeux, par chance l’émotion l’empêchait de souffrir du froid de novembre.

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Une faible lueur d’intérêt s’alluma dans son regard à la mention de son état actuel. Elle avait été vampire, mais elle vivait à nouveau. Maintenant qu’il y repensait, Valmys aussi avait eut quelques ressemblances avec cette enfant nocturne. Décidément, il voulait vraiment en apprendre davantage sur ce dont il s’agissait ! Qu’est-ce qui causait cela, qu’est-ce que cela impliquait vraiment, profondément, outre le retour à la vie des vampires. Il hocha simplement la tête, pour lui assurer qu’il comprenait, puis à la vision de son air attristé, il s’inquiéta de nouveau. Son alliance ? Cela la chagrinait à ce point ? Un instant coi, il lui proposa finalement d’essayer de la récupérer. Avec un léger sourire, assuré, Ivanyr glissa :

« Je vous raccompagne là-haut, que vous puissiez vous réchauffer et vous sécher, puis j’irais en bas, si je peux la retrouver je la ramènerai  »

Il lui tendit une main, l’invitant à le suivre pour retourner au camp, n’ayant pas les moyens de lui éviter d’attraper mal ici et par lui-même à moins de la cuire. Le chemin fut fait en silence, lentement, mais lorsqu’ils revinrent au sein du campement le mage demanda aux gardes Caladoniens qu’elle soit guidée vers les cuisines communes et qu’on lui donne un repas chaud et de quoi se sécher. Il ne l’accompagna pas, bien qu’il eût hésité à le faire, ne voulant pas lui causer plus d’émotions qu’elle n’en avait déjà reçu. Ce fut en silence également qu’il s’éclipsa, bien qu’avec ses capacités, la jeune femme l’eût certainement vu faire. Il la salua d’un sourire avant de s’éloigner et bifurquer entre deux tentes.

Seul, il contempla un moment la lune pâle avant de se décider à rejoindre la plage. Il lui fallut chercher jusqu’aux lueurs de l’aube avant de trouver ce qu’il escomptait et le fit porter à la demoiselle du silence, avec une petite note d’excuses renouvelées. Puis, il alla rejoindre son amant. Aldaron allait très certainement s’inquiéter de son état physique, et pourtant, moralement, il allait réellement mieux, même si ce serait certainement éphémère. Il ne fit nul commentaire : il n’était nul conte pouvant défaire le sanctuaire du silence.

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