12 octobre 1762
« Leur navire arrive, Sir. » vint le prévenir l'un des fonctionnaires de la ville, visiblement essoufflé. Aldaron lui avait demandé de l'avertir aussi vite que possible... Et il ne s'était pas douté que le pauvre bougre obéirait au pied de la lettre. Avec certaines personnes, il fallait être plus ferme, pour palier à leur laxisme et malheureusement, c'étaient les plus prompts au travail bien fait qui en subissaient les pots cassés. Pour toute réponse, le bourgmestre lui tira une chaise et son messager improvisé s'y écroula sous les yeux et le sourire désabusé d'Aldaron. L'elfe rangea plume et encre avant de passer une cape aux couleurs bleues et dorées de Caladon sur ses épaules.
Suivi de sa garde qui lui emboîta le pas lorsqu'il quitta son bureau, l'elfe traversa la quartier intérieur, non sans se faire saluer à tous les coins de rue et comme bien des potiches royales, il se contentait d'un doux sourire de réponse, un signe de la main ou de la tête avant de poursuivre son chemin, sans avoir froissé son peuple. C'est qu'il avait à faire ! Il prit la direction bien connue des embarcadères, alors que la garde se frayait un chemin dans la foule pour qu'on ne vienne pas planter un couteau malheureux dans le ventre de leur dirigeant. Les mats des navires, défaits de leurs voiles de navigation maritime, s’alignaient verticalement dans tout le port, plus ou moins hauts. L'elfe s'arrêta non loin de lieu d'accostage du navire de son ami, sans pour autant aller sur les quais de bois. Non pas qu'il aime particulièrement la terre ferme et la pierre dure du port, mais il n'allait pas s'infiltrer au milieu d'un déchargement. Connaissant sa chance, il pouvait bien de prendre un coup de caisse et finir à l'eau en moins de temps qu'il ne fallait pour le dire.
Bras croisés, droit comme la justice, il patientait, tête haute. Si on ignorait qui il était, sa posture régalienne, autoritaire et noble aurait tôt fait de confirmer son rang, dans la hiérarchie de cette ville. De ses prunelles d'un vert émeraude tranchant, il cherchait cette forte silhouette aux cheveux immaculés et le visage bien connu de son ami. Lorsqu'il le trouva, un fin sourire vint fendre le marbre froid de son visage lisse dévoilant jusqu'à l'ivoire sa satisfaction de le retrouver. Il retint ses pas d'aller vers lui, laissant plutôt Seö approcher, l'accueillant plutôt de son regard devenu pétillant en sa présence. Lorsqu'il ne fut plus qu'à deux mètres de lui, il s'approcha et ouvrit les bras pour l'étreindre amicalement dans une accolade sincère : « Bon retour à Caladon, c'est un plaisir de te revoir. »
Curieux, l'elfe cherchait la promise dont son ami lui avait parlé. Une main vint se poser sur l'avant-bras du chevalier, une main délicate et... Flétrie. Une vielle femme se détacha de derrière le Sainûr, avec un sourire tendre et patient. L'elfe resta coi de la découverte et regarda alternativement Seö et la vielle dame. Il était sérieux ? C'était elle Aurore ? Il ne savait pas Seö gérontophile et... Bon sang, les humains avaient une vie suffisamment courte par rapport à la leur, pourquoi fallait-il qu'il se soit épris d'une dame en fin de vie ? « Vous avez oublié votre livre, Monsieur. » fit la dame âge en tendant l'ouvrage et Aldaron manqua de pouffer de rire. Ses lèvres pincées et son sourire retenu tendaient à juguler l'envie de rire de la méprise. Il s'assagit lorsque qu'une demoiselle aux cheveux blonds s'accrocha à l'autre bras de son ami, après avoir, visiblement, discuté avec quelqu'un en arrière qui l'avait retenue.
Il prit délicatement sa main de la baptistrelle pour y déposer un baiser plus de réserve, venant à peine effleurer sa peau. Il n'était pas le genre de dandy à exagérer l'acte et à baver plus qu'il n'en faut sur la moindre dextre. La maîtrise soulignait sa parfaite éducation. Il referma sa seconde main par dessus, pour la serrer doucement, mais chaleureusement : « Bienvenue à Caladon, Aurore. Il me tardait de vous rencontrer. » Il coula un regard sur son ami et ne put s'empêcher de railler : « L'espace d'un instant, j'ai cru qu'au lieu de me présenter une Aurore, tu me faisais rencontrer un Crépuscule. » C'était plutôt Aldaron le gérontophile quand on savait qu'Achroma avait plus du double de l'âge déjà conséquent du bourgmestre. Il était son Crépuscule.