L'étroitesse de la pièce l'étouffait, ce plafond bas aux planches noircies par la suie des bougies l'angoissait d'une peur instinctive, presque viscérale alors que lui venait le sentiment d'être enfermé, privé de son droit le plus fondamental. Une sensation absurde, puisque le Bourgmestre avait sciemment évité les cellules ! Pourtant, avec les meubles pauvrement disposés qui rongeaient le peu d'espace au sol disponible, la porte close et les barreaux aux fenêtres, Purnendu éprouvait de plus en plus d'angoisse. Si ce n'était pour l'odeur épicée du bois frais qui constituait les murs ou la présence magnétique de l'elfe à la peau sombre ; l'immense graärh aurait depuis bien longtemps abandonné toute maîtrise et fuis loin, très très loin ! D'une gorge sèche, il tenta d'avaler sa salive et termina par tousser très légèrement, s'attirant un regard courroucé de la part de Boromir donc l'éclat avait interrompu la diatribe. Le fauve cendré haussa un peu des épaules comme seule excuse à son intervention involontaire et l'invita à poursuivre d'un geste tout aussi désinvolte de la main. Dès que l'autre cessa de s'occuper de lui et pour l'énième fois durant l'heure passée, il s'agita discrètement sur son siège avec un inconfort presque douloureux tant la chaise ne lui était clairement pas destinée. Trop petite, il avait eu le plus grand mal à glisser sa queue entre les barreaux du dossier et plus encore à y asseoir son postérieur. Avec ses grandes pattes arrières repliées comme une grenouille, ses genoux tapaient le bord de la table et le pauvre mâle ne savait pas quoi faire de ses mains. Le plus simple serait de croiser les bras, mais il ne souhaitait pas donner l'impression de se fermer au débat qui s'éternisait, alors il vint maladroitement les poser sur ses cuisses et prit un air dépité à fendre le cœur de n'importe qui. Les oreilles abaissées vers le bas, truffe humide penchée sur la table, mais les yeux relevés sur les personnes présentes à la façon d'un chat poté, sa grande carcasse se secoua d'un lourd soupir avant qu'il ne se concentre sur la conversation.
Le Bourgmestre et lui étaient arrivés deux heures plus tôt, remontant l'avenue principale depuis le Port jusqu'au cœur de la magnifique Caladon. Si les quartiers populaires étaient encore en construction, de même qu'une grande partie des échoppes et bâtisses bourgeoises, les quartiers intérieurs réservés à la noblesses étaient, sans surprise, tous terminés. Le Centre de Garde ne faisait pas exception même s'il était sur la liste d'attente pour de lourdes rénovations ; seules les cellules de dégrisement ou les geôles du sous-sol étaient murées de lourdes pierres, parfois même renforcées de glyphes afin de contenir les utilisateurs de magie ou des êtres aux forces physiques incroyables. Le reste de l'imposante bâtisse était de bois brute avec quelques renforcements de métal cloutés pour les portes extérieures ou de barreaux pour les fenêtres. L'ambiance à l'intérieur avait déstabilisé le graärh qui découvrit une effervescence étourdissante avec dans la grande pièce une zone de réception qui précédait plusieurs bureaux et bancs disposés en géométrie aussi stricte que le rangement de paperasse était chaotique. Des civiles attendaient pour des plaintes, des agents bureaucrates rédigeaient les rapports, les témoignages ou s'interpellaient d'un service à l'autre pour quelques informations manquantes. Des gardes prenaient leur pause en riant, détendus voire même négligeant, tandis que d'autres veillaient sur des suspects avec sévérité. De part et d'autre de cet immense hall, des escaliers donnaient sur un premier étage ouvert sur la salle où les bureaux et salles d’interrogatoire se voulaient un peu plus isolées, mais toujours aisément accessibles en cas d'urgence ou d'évacuation. Ce fut directement par là que se dirigèrent le Bourgmestre et sa petite escorte, les épaules de Purnendu brûlées sous le regard de dizaines d'yeux interloqués et vaguement inquiets. S'il n'était pas rare de voir Aldaron fourrer son nez par ici, il l'était bien plus quand l'elfe semblait mener lui-même l'affaire !
Mal à l'aise, le fauve dû se pencher pour passer le cadre de la porte et regarda la petite pièce aux vagues allures de salon : un table, trois chaises dont deux du même côté et une petite commode qui devait contenir le nécessaire pour la prise de note. Le temps de retirer sa cape et de se contorsionner pour réussir à s'asseoir, l'on avait déjà envoyé les deux gardes d'escorte chercher Boromir à l'infirmerie. Une poignée de minutes supplémentaire et le jeune vampire rappliquait, drapé dans une dignité tout juste défroissée. Ce fut avec réluctance qu'il s'installa au côté du fauve herboriste et les deux hommes s'échangèrent un regard tiède avant de tourner d'un seul ensemble l'attention sur le Bourgmestre, assis en face d'eux. Chacun son tour, ils furent invités à faire leur déposition et eurent l'interdiction formelle de couper l'autre, même si l'intervention semblait pertinente ou urgente. C'est ainsi que Purnendu laissa le vampire commencer, n'étant pas très motivé à recommencer son récit si vite après l'avoir déjà couché aux oreilles de l'elfe. Mais voilà, l'autre parlait et... parlait encore ! Un véritable moulin à eau qui ne faisait plus des huit pour arriver au point final, mais bien des seize et des trente-deux. Plusieurs fois Purnendu fut tenté de l'assommer sur un angle de la table, mais les regards équivoques d'Aldaron suffirent à lui calmer les humeurs et il se contentait alors de s'agiter sur sa petite chaise avec un désespoir muré dans le silence. Quand il fut son tour de parler et d'expliquer les raisons qui l'avaient poussé à malmener le damoiseau qui froufroutait à quelques centimètres de lui ; la porte de la salle d'interrogatoire s'ouvrit après que l'on eut pris la peine d'y toquer sèchement. Un humain passa la tête par l’entrebâillement, observa un instant les personnes présentes puis concentra son attention sur le Bourgmestre. Il arborait une expression de chouette avec les yeux ronds et l'air totalement déboussolé. Lorsqu'il ouvrit la première fois la bouche, ce fut pour seulement gargouiller un amas de mots incompréhensibles, vint à rougir furieusement de sa bévue, se racla la gorge avant de reprendre d'une voix bien plus affirmée :
- Monsieur... Dame Falkire est ici et vous mande expressément... Il s'agirait d'une histoire grave concernant un vampire étranger accusé de trouble à l'ordre public, agression d'agents de paix, tentative de kidnapping d'un membre du Conseil -en la personne de Dame Falkire-, saccage d'un commerce tiers en la libération de graärh sur les quais... et... et je crois bien que c'est tout.
Acheva-t-il après avoir compté le nombre de chefs d'accusations sur ses doigts. Au même instant, l'on entendit un « bonk » sourd quand Purnendu abattit son front directement sur le bord de la table, puisque la paume de sa main ne suffisait même pas à signifier combien il était dépité par ce qu'il venait d'entendre. Par tous les Esprits-Liés ! Il n'y avait que son intenable vampire amnésique pour cumuler autant de fautes en si peu de temps. Expirant un lourd soupir mêlé à un feulement rauque, il leva la truffe vers le garde interloqué et lui demanda la description physique du-dît coupable. Sait-on jamais... sur un malentendu ! Malheureusement, mais sans plus de surprise, on lui détailla un vampire de grande taille, ayant des cheveux platines et des yeux bleus céladon. Le graärh soupira encore et se releva péniblement pour attraper avec tant de force le frêle dossier de sa chaise, qu'ils purent tous entendre un craquement sinistre retentir sous la paluche griffue. Maronnant une vague excuse, l'herboriste reposa le mobilier malmené pour se diriger vers la porte qu'il ouvrit en grand dans une humeur visiblement fort mécontente. Bien sûr, il laissa Aldaron passer le premier, mais lui emboîta le pas malgré les piaillements outrés d'un Boromir qui se faisait proprement abandonné. Il n'y avait aucun doute pour lui quant à l'identité du coupable et il hésitait encore entre le serrer dans ses bras ou l'étrangler. Probablement les deux en même temps, histoire d'économiser du temps et de l'énergie.
Ce fut donc la mine sombre qu'il entra dans le couloir qui s'ouvrait en mezzanine sur le reste du vaste hall d'entré. Ses yeux d'absinthe percèrent immédiatement la foule et n'eurent aucun mal à trouver la haute silhouette de son ami, lourdement escorté et tenu à l'écart du reste de la population puisqu'il représentait un danger pour le public. Les oreilles du graärh se couchèrent et il plaqua une paume sur le devant de son museau, secouant le chef tandis qu'il s'engageait dans les escaliers et... manquait de trébucher sur le Bourgmestre figé comme une statue de marbre.