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descriptionMon passé [PV Aldaron - TERMINE] EmptyMon passé [PV Aldaron - TERMINE]

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Septembre, une journée au moins à la suite de S'improviser secouristes


Un silence absolu régnait en maître incontesté sur les lieux, impérial dans sa voracité. Ivanyr se passait de respirer, n’ayant pas cet usage et personne à qui parler. En vérité, même s’il avait eu de la compagnie, sans doute aurait-il été incapable de se montrer avenant à son égard, trop plongé qu’il était dans ses propres pensées. Masque d’immobilisme, sculpture nacrée, le vampire gardait les yeux rivés sur la forme alitée, ne montrant aucun signe de la moindre vie en son corps immortel. Pourtant, son esprit, lui, était en ébullition, sans dessus dessous. Si on lui avait présenté sur l’heure la science infuse, il aurait été incapable de savoir par quelle question il devait commencer tant elles se bousculaient les unes les autres dans une cacophonie et une fébrilité insupportables. Cet elfe l’avait de toute évidence confondu avec quelqu’un d’autre, et il semblait en avoir conçu une tension suffisante pour que son cœur lâche. Ça n’avait rien d’anodin, et c’était d’autant plus impressionnant qu’il avait littéralement entendu ce cœur s’arrêter de battre, il avait vécu ces quelques fugaces instants d’une tension innommable comme s’il s’agissait de ses propres affects, de ses propres sentiments. Le soudain silence l’avait glacé, autant que ce qu’il avait lu dans ces prunelles l’avait hérissé. Il avait encore, à-même la peau, la sensation du temps qui semblait ralentir, de l’univers qui s’estompait et de la poigne d’acier qui lui broyait soudainement le torse. Le vampire n’avait pas de mal à reconnaître la violence contenue, mais il reconnaissait plus encore le désespoir. Et ce visage… ce visage qu’il avait vu soudain devant lui, était l’image même des visions qu’il avait eues. Une créature semblable, trait pour trait, bien qu’il eût la chevelure noire. La même expression, ce désespoir rageur, cette solitude blessée… ce même mouvement en avant, pour le rejoindre, pour l’attraper…

Ce n’était pas simplement une ressemblance certaine, il s’agissait de l’incarnation même de ses visions. Les différences étaient minimes. C’était lui, c’était forcément lui. Mais… qui était-il ? Pourquoi l’avait-il vu ? Etait-il, comme la dragonne, un tortionnaire de plus attendant de pouvoir le blesser ? Si c’était le cas, alors il ferait sans doute mieux de le tuer tout de suite et d’en finir. Se redressant enfin sur sa chaise, il écarta les mains, laissa la magie couler depuis la trame dans son corps, la concentrant dans sa main droite, pensivement. L’autre ne sentirait rien, il mourrait paisiblement, le débarrassant d’un problème qu’il pressentait délicat. C’était peut-être pour le mieux… Il n’aurait pas besoin de se torturer avec son cas, il pourrait poursuivre sa quête avec Purnendu et tout irait bien. Oui, c’était la meilleure des idées ! Tout le monde serait content, même l’elfe ne souffrirait plus, il retournerait dans le flot de Mort et attendrait sa prochaine réincarnation. C’était une décision sensée pour tout le monde, il en était persuadé. Alors… pourquoi est-ce qu’il ne parvenait pas à le faire ? Pourquoi restait-il là, figé, magie crépitante autours des doigts, sans rien faire. Avec un soupire, l’évocation disparue, et il s’adossa de nouveau, dépité de sa propre faiblesse. Allons bon, mais qu’est-ce qui lui arrivait… Il n’aimait pas l’idée de tuer, oui bien sûr, il n’aimait pas l’idée de tuer, tout simplement, c’était cela. Ah, il était définitivement trop bon pour ce monde. « Et j’en fais quoi moi maintenant ?» Il avait accepté de le veiller purement pour permettre à son chaton de compagnie d’aller se reposer et installer sa yourte. Et parce qu’il était curieux. Ce n’était pas tous les jours qu’il était la cause d’un tel émoi. Et au fond… il aimerait bien comprendre ce qui se passait, pourquoi cet elfe réagissait comme ça et pourquoi il le prenait pour quelqu’un d’autre.

Penchant la tête sur le côté, il cala le menton au creux d’une de ses paumes, et retourna à son observation muette. On s’était contenté de lui dire qu’il s’agissait du Bourgmestre et qu’il s’appelait Aldaron Leweïnra. Ça lui faisait une belle jambe. QUI était-il, cela restait un mystère plein et entier. Et pour être parfaitement franc, c’était même un peu frustrant. Il n’avait trouvé absolument personne pour laisser filtrer la moindre petite information au sujet de son comateux. Fronçant les sourcils à ce rappel interne, il se pencha au-dessus de lui pour le mirer de plus près et du bout des doigts vint chasser une mèche de son front, venant jouer un instant avec la boucle avant de la reposer sagement sur l’oreiller. En l’instant son regard fut attiré par deux gemmes vertes qui n’étaient pas là auparavant. Ah, il était réveillé. Loin de se sentir gêné par la proximité ou par son geste, et ne voyant aucune raison de devoir l’expliquer, il se contenta de dégager ses lèvres de la gangue de sa main pour pouvoir prendre la parole. « Comment va ma belle au bois dormant ? » Parfaitement à l’aise, il chassa une autre mèche immaculée. « Vous avez fait une belle peur à vos serviteurs… à mon compagnon aussi d’ailleurs » L’ébauche d’un sourire lui fit pétiller les prunelles « Vous savez, le gros chaton que vous avez voulu boucler… » Dans le silence revenu, les yeux d’Ivanyr perdirent progressivement leur lustre amical pour redevenir froids. Se levant, le vampire écarta la chaise du lit, puis se dirigea vers le meuble le plus proche, pour lui servir un verre… d’eau. L’autre allait mieux, il le sentait, entendait son cœur battre à nouveau. Se détourner l’empêcher d’afficher un soulagement qu’il comprenait à peine.

« Bien… » Déposant le verre près de l’elfe, il acheva « Je vais aller chercher un de vos guérisseurs… » 


Dernière édition par Achroma Seithvelj le Dim 3 Juin 2018 - 19:37, édité 1 fois

descriptionMon passé [PV Aldaron - TERMINE] EmptyRe: Mon passé [PV Aldaron - TERMINE]

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    Le silence. Il ne l'entendait pas, il ne le voyait pas, paupières closes, mais il savait qu'il était là. Il sentait sa présence tant de fois vécue pour qu'il ne puisse la reconnaître parmi des milliers. Et pourtant, il avait changé. Il y avait quelque chose de différent chez lui, sans qu'il ne parvienne à mettre le doigt dessus. Il ouvrait les yeux et ceux céladons du vampire lui faisaient face, à présent dans la réalité comme dans ses rêves douloureux. Était-ce lui ? Même si c'était fou d'y croire, parce qu'il avait mis son corps au bûcher funéraire, il en était intimement persuadé. C'était quelque chose de viscéral qui l'ébranlait en son sein, vibrant et grondant d'émotions paradoxales et de défaite. Il se sentait stupide d'avoir laissé ses lèvres sourire à la première réplique qu'on lui adressait. Il mit ça sur le coup de son réveil embrumé plutôt que son penchant à céder à ses charmes. Oui, ça devait être ça. Et le reste eu tôt fait de le refroidir. 'Vous' ? Depuis quand se vouvoyaient-ils ? Ils avaient été plus proches que cela, pourtant, par le passé et soudain sa proximité le gênait, comme si l'autre était un étranger. Les connexions se firent rapidement dans son esprit. Purnendu lui avait parlé de son patient amnésique et Achroma lui confirmait la donne, noyant son âme d'une déception destructrice. N'avait-il pas assez souffert ? N'avait-il pas assez enduré la mort de ce dragonnier si cher à son cœur, pour le voir ainsi revenir, gonfler ses espoirs et les lui assassiner dans la seconde qui suivait ? Voilà ce qu'il lui restait à présent : cet homme pour tortionnaire. Il lui rappellerait chaque jour ce qu'il avait perdu.

    Il eut envie que son cœur s'arrête à nouveau, ou d'envoyer cette image de souffrance à l'autre bout de l'archipel pour ne plus l'avoir sous ses yeux et pourtant... Lorsque le vampire s'apprêta à le quitter pour quérir les guérisseurs, la main du bourgmestre avait saisi la sienne, une fois le verre relâché, pour le retenir. La douleur était devenue une amie, avec le temps. Pouvait-on lui reprocher de savourer un peu le bonheur de le revoir, même s'il serait là pour lui labourer les entrailles du deuil de leur passé commun ? « Reste. » fit-il à nouveau, tel un écho de leur dernière entrevue, une supplique qui n'avait pas changé. « S'il te plaît. » souffla-t-il en relâchant sa main, parcourut de frissons. « Ivanyr, c'est cela ? » Il allait bien falloir qu'il s'y fasse. Ce n'était pourtant pas ce nom là qu'il lui avait donné un peu plus tôt. Alors pourquoi ce changement accepté si facilement ? Probablement parce que prononcer Ivanyr était moins pénible qu'Achroma. « Je ne voulais pas boucler ton... gros chaton... » S'il pouvait s'exprimer ainsi. Disons que oui. « Je ne suis même pas certain qu'il y ait ici une geôle à sa taille. » murmura-t-il pour lui-même. C'est qu'ils n'étaient pas à Delimar ici, les armoires à glace, ça ne courrait pas les rues. L'ombre d'un sourire était venu naître pour se faner presque aussitôt, assommé par la fatigue.

    Lèvres closes, il resta à l'observer un instant, comme s'il pesait le pour et le contre de sa demande à venir. Il essaya douloureusement de se redresser, visage fermé, et il y parvint un peu, dans le fond de son assise. Les yeux baissés, il reprit : « Il m'a dit que tu étais amnésique. Cela fait combien de temps ? » Ses prunelles émeraude se relevaient vers le vampire cherchant une réponse, une explication, quelque chose qui collait. « Et... Est-ce que tu te souviens de moi, même... » Comme il avait peur de la réponse dont il était pourtant certain. Alors pourquoi nourrissait-il l'espoir du contraire ? Pour mieux sentir le coup de bâton qui viendrait, inévitablement : « Même... De simples fragments ? »

descriptionMon passé [PV Aldaron - TERMINE] EmptyRe: Mon passé [PV Aldaron - TERMINE]

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La demande le figea, et il s’arrêta en plein geste, se tournant de nouveau vers lui, une vague lueur ennuyée dans le fond des iris. Allons bon, il avait hérité d’un patient récalcitrant ? ça n’allait pas ça, pas du tout. Il n’avait pas envie de se battre pour lui faire accepter les façons les plus raisonnables. Et puis… à bien y réfléchir, il n’était pas certain d’apprécier la discussion. Pourtant, il s’installa de nouveau sur sa chaise, un peu raide, un peu gauche, retira sa main de la sienne avec un malaise qu’il ravala. Affichant une tranquillité courtoise, Ivanyr se trouva à le mirer une nouvelle fois, l’écoutant attentivement et ne cherchant en rien à brusquer ses propres réponses. D’ailleurs qu’est-ce qu’il pouvait bien répondre ? Inspirant lentement, il tira des plis de sa cape un petit puzzle composé d’anneaux de métal qu’il se mit à faire tourner entre ses doigts pour focaliser son attention et ne pas rester complètement inactif. Etre ainsi observé en retour le perturbait quelque peu, surtout devant l’attente qui emplissait les prunelles de l’elfe. Se souvenir de lui ? Le devait-il ? A l’entendre et à le voir agir, il avait l’impression viscérale que l’autre le connaissait et qu’il voulait absolument que lui reconnaisse. Il allait être déçu. Mais devait-il vraiment le lui dire ? Il pouvait après tout très bien lui mentir, lui dire qu’il se rappelait, au moins par fragments comme l’autre l’énonçait. Cet être avait une place dominante et il pouvait être un excellent outil pour ses projets futurs s’il parvenait à l’entortiller autours de son petit doigt. Vu l’expression qu’il avait, ça ne devrait pas être très difficile. Le problème, c’était qu’il risquait de s’enferrer dans un tissu de mensonge qu’il lui faudrait surveiller attentivement pour éviter de trébucher dedans sans le faire exprès… et franchement, ça le fatiguait d’avance. L’elfe semblait si vulnérable qu’il pouvait bien s’offrir le luxe d’un fond de vérité, ça lui serait moins inconfortable, et même si ça prendrait peut-être plus de temps… la laisse serait d’autant plus forte.

« Pas vraiment » Il soupira « Je ne me souviens absolument pas de vous, si seulement nous nous connaissions vraiment. Néanmoins… » Il marqua un temps d’hésitation pensive, délayant volontairement le lambeau d’espoir qu’il agitait sous son nez. Ses traits froids et impérieux se crispèrent dans une ébauche de grimace. « J’ai… vu quelqu’un qui vous ressemblait énormément, dans mes visions. Un elfe qui avait les mêmes traits que vous. Il avait les cheveux noirs, mais c’était bien la seule différence. Je ne connais pas son nom, ni son identité… je sais juste que, comme vous, il semblait désespéré et… qu’il cherchait à me rejoindre » Avec un mélange de fascination et d’appréhension, il observa la réaction de l’autre à ses mots, voulant savoir où il allait exactement. Qu’est-ce que cela représentait vraiment pour lui ? A quel point tenait-il à ses réponses ? Au point de voir son cœur s’arrêter de battre de nouveau ? Finalement peut-être que la présence de Purnendu aurait été une bonne idée. Les anneaux entre ses doigts semblaient plus lourds qu’à l’ordinaire. Est-ce qu’il avait vraiment besoin de faire tout cela ? Est-ce que le gain vaudrait de se mettre ainsi à nu ? Il haïssait l’idée de parler de son état. En plaisanter légèrement, sans jamais entrer dans les détails et s’en servir pour excuser une taquinerie, oui, mais là… il avait l’impression d’être littéralement à nu, et l’impression de vulnérabilité l’insupportait. Il y avait toujours la possibilité que son vis-à-vis soit encore meilleur acteur que lui et soit entrain de le manipuler. Il ne voyait pas dans quel but mais… on ne pouvait jamais savoir. Il ne pouvait pas tout savoir. L’omniscience n’existait pas. « J’ai toujours été amnésique. Mes souvenirs remontent à quoi… trois ans ? peut-être quatre ? C’est tout, je n’ai rien avant ça, juste… l’obscurité et la douleur. Les rares fois où j’ai essayé de voir au-delà, même de force, je l’ai payé chèrement. Alors j’ai arrêté. Ça ne servait à rien et il y avait plus urgent »

Maintenant qu’il l’expliquait à voix haute, il avait l’impression qu’on lui avait imposé cette amnésie de force. Par un sortilège ? Il faudrait qu’il cherche. Au moins pour savoir ce qu’il subissait exactement, pas même pour retrouver ce qu’on avait pu lui retirer. Décidément… l’autre avait prit le ciel sur la tête ou quoi ? « Vous êtes persuadé que je devrais vous connaître, n’est-ce pas ? » Une nouvelle exhalation traversa sa haute silhouette « [color=#4084E1]Ecoutez… mes souvenirs remontent à mon éveil, je ne suis pas certain qu’il y ait quoi que ce soit avant ça. Je pense sincèrement que vous me confondez avec quelqu’un d’autre mais… si ce n’est pas le cas, si véritablement je vous connais, je crains que vous ne deviez faire preuve de patience… Ma famille a toujours soutenu que si je devais retrouver mes souvenirs, cela devait être un procédé naturel et instinctif. Bon, j’ai certes essayé volontairement dans leur dos, mais je reconnais n’avoir connu aucun succès probant. Je me demande même si certaines des visions que j’ai ne viennent pas de mes tentatives avortées. Je sais pourtant reconnaître la sagesse de leur point de vue. Si je dois me souvenir hypothétiquement de vous, cela viendra en son temps… » Détournant le regard, il glissa avec une certaine douceur, absente du reste de son discourt direct et sans fioritures. « Alors… si vous pouviez arrêter de me faire vos yeux de condamné à la potence… je vous serais très reconnaissant, c’est excessivement perturbant et gênant. Je n’ai pas envie de vous voir refaire une attaque… » Plus bas encore, mais de façon audible, il acheva « … vous m’avez fait très peur, à moi aussi » Un long instant, il resta complètement silencieux, observant le ciel par-delà la fenêtre. Une bouffée de malaise lui vint. Il avait envie d’être dehors… même la yourte de Purnendu avait une large ouverture et ne donnait pas l’impression de vous emprisonner.

Ravalant cette impression diffuse, le vampire finit par revenir à son elfe alité. Se ressaisissant, il prit une décision arbitraire et directe afin de trancher dans le flottement qui prenait place entre eux. « Ecoutez… j’ai une dette envers vous, je compte la payer. Je vais donc être en ville pour un moment, d’autant que je n’ai pas trouvé les personnes que je cherchais. Je suppose que, si je vous connais, discuter avec vous aidera à raviver mes souvenirs… »

descriptionMon passé [PV Aldaron - TERMINE] EmptyRe: Mon passé [PV Aldaron - TERMINE]

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    L'elfe joignit ses mains, posées sur la couverture au niveau de son ventre. C'était fou, comme cet Ivanyr ressemblait à Achroma, jusque dans les moindres détails et plus encore. Au poste de garde, lorsqu'il avait glissé sa main au creux de la sienne, il avait réellement ressenti des frémissements sur sa peau, les mêmes frissons envoûtants qu'il avait eu, par le passé, avec Achroma. Et s'il l'espérait tellement qu'il avait réussi à s'en convaincre, alors que c'était faux ? Le discours de cet homme, sa posture lui mettait tant le doute et toutefois... Toutefois, l'elfe continuait à lui donner toutes les bonnes excuses du monde : son amnésie, son errance, sa peur... Il était prêt à lui accorder les Esprits sans confession et à chaque fois qu'il était lucide, il y avait cette petite voix en lui, persuadée, qui lui criait qu'il s'agissait d'Achroma. Il cédait. Probablement par faiblesse humaine. Qu'y pouvait-il ?

    En dépit de son bonheur de le revoir, il y avait cette tristesse profonde dans ses yeux lorsqu'il lui avait annoncé ne pas se souvenir de lui. Ça lui faisait mal de l'entendre, même s'il s'en était douté puisqu'il s'agissait de la définition propre de l'amnésie. Il se trouvait stupide d'avoir bêtement espéré, et cette naïveté troublée n'avait pas échappé à l'autre qui... Le manipulait ? Que serait-ce donc d'autre, cette attente en milieu de phrase, que de l'habilité à tirer sur un fil sensible qu'il avait dégoté ? L'elfe fronça les sourcils, un bref instant, mais suffisamment pour faire comprendre que ça n'était pas drôle, qu'il n'avait pas le droit de jouer avec cela. Il ne l’interrompit pas lorsque la suite vint enfin, le plongeant dans des réflexions silencieuses et sibyllines. Il mettait les pièces du casse-tête en ordre, formulait ses hypothèses mentales et s'y donnait des arguments favorables ou défavorables. Il réduisait les possibilités à ce qui pouvait avoir eu lieu, et certaines étaient réellement folles sans qu'il ne puisse accepter de s'en défaire.

    Il posa ses mains à plat sur le lit, de chaque côté de lui, pour se redresser, assis. Le drap glissa sur sa peau jusqu'à sa taille, et il appela la veste légère et ample, qui reposait sur le pied de son lit, par magie. Ses muscles lui semblaient douloureux à bouger, mais il s'y efforça, par pudeur, afin de se vêtir. Quelques secondes plus tôt, il tutoyait cet homme et cela ne l'aurait pas dérangé de rester ainsi dénudé mais là... Là, les choses devenaient différentes et cela lui faisait mal au cœur. Le tissu clair vint couvrir une peau d'un rose cendré, tirée sur des muscles travaillés mais dont le galbe, sans la moindre trace de graisse naturelle, tendait à souligner qu'il était passé par une phase de carence outrageante, au cours de sa vie. S'il avait repris des formes, il n'en demeurait pas moins vrai qu'on pouvait apercevoir, ici et là la forme d'un os saillant. La surface du derme portait encore des cicatrices, presque effacées par le temps, des batailles auxquelles il avait participé sur leur ancien contient. Et puis il y avait ces brûlures, par plaques entières, qui venait rougir et déformer la peau, par endroit. En particulier le dos, les flancs et l'extérieur de ses bras. Comme s'il avait été allongé sans protection sur quelque chose de brûlant... Quelque chose telles les roches volcaniques de Morneflamme. Les marques étaient érodées, presque lointaines à présent et montraient combien les apparences pouvaient être trompeuses. Ses mains et son visage avaient été soignés par Dawan pour que le visible à son entourage n'alerte personne... Le reste guérissait avec le temps. Mais sous ses vêtements de bonne facture, on ne l'imaginait vraiment pas ainsi.

    Les yeux baisées sur ses mains, il cherchait par quel bout prendre tout cela. L'autre le perturbait dans ses phases de ressemblance et de divergence avec Achroma qui se succédaient, lui faisant tantôt sentir le chaud et le froid, l’attirant et le révulsant, sans pitié aucune pour son cœur malmené. Est-ce qu'il se rendait compte de ce qu'il faisait ? Peut-être oui, qu'il entendait les battements de son palpitant devenir plus lourds, rapides, puis calmes et peinés. Sans pour autant le faire exprès. Ou bien jouait-il encore avec lui, comme on s'amuse avec un cobaye pour en découvrir les réactions. Sans relever la tête, il entama, encore perturbé : « J'ai eu... J'ai eu pendant des siècles les cheveux châtains et courts. Quand j'ai... » Il lui fallut une inspiration de plus pour chasser les souvenirs pénibles et se focaliser sur l'instant présent : « Quand j'ai séjourné pendant trois ans dans la prison de Morneflamme, ils ont poussé et ils ont noirci comme le charbon, comme s'ils avaient brûlé dans le volcan. » Rien qu'à l'évocation de cet endroit, il avait l'impression de brûler, la chaleur de son corps augmentait en lente fièvre qui le mettait mal à l'aise. Il ravalait sa peine pour poursuivre : « Ça n'a pas duré longtemps, après mon évasion... » Il était en train de passer pour un fugitif, là, non ? Pourtant il ne se centrait pas là dessus, l'autre pourrait bien penser ce qu'il voulait, il avait sa conscience pour lui-même et puis... Le tremblement dans sa voix à l'évocation de Morneflamme et son malaise sauraient sûrement lui faire comprendre qu'il ne s'agissait pas d'une prison conventionnelle.

    « Après, ils ont très vite blanchi, comme on rince quelque chose de sa suie. » C'était vraiment l'impression que cela lui avait donné tant cela avait été radical. « Et ce qui est curieux... C'est que la dernière fois que j'ai vu Achroma.... » Il faisait vraiment un effort considérable pour ne pas se remémorer tous les détails de la scène horrible, mais elle revenait, ralentissant le débit de sa voix. « La dernière fois que nos regards se sont croisés, c'était lors de cette bataille où je l'ai senti partir, mourir, où j'ai voulu le retenir, lui dire de rester. » 'Reste.' n'était-ce pas ce qu'il avait enfin réussi à lui dire, après tout ce temps, lorsqu'il l'avait retrouvé un peu plus tôt ? Des mots qu'il n'avait jadis pas eu le temps de prononcer, que le vampire n'avait pas eu le temps d'attendre lorsqu'il s'est effondré sans vie. Maintenant, oui. Inspirant l'air, longuement pour s'oxygéner, il leva ses prunelles à la surface légèrement surchargée de larmes retenues, sur lui. « Ça s'est passé dans ce très court laps de temps où j'avais les cheveux noirs. Ça ne serait pas si étonnant que ce soit la dernière image que vous ayez emporté avec vous. Je sais que... » Il baissa les yeux, secouant la tête de gauche à droite, comme pour chasser ses propres protestations : « Je sais que cela doit vous sembler fou... Irréaliste. Impossible, et je ne saurai pas l'expliquer, je ne saurai pas vous dire comment ou pourquoi mais... J'en suis intimement persuadé. Vous lui ressemblez tellement... Jusque dans le contact de votre... » Il hésita un instant, sans terminer sa phase. Ses deux mains se frottaient lentement l'une contre l'autre, comme pour donner de la matière factuelle à ses propos informulés. « Main. » acheva-t-il avant de relever, à nouveau ses yeux sur lui, s'échappant et revenant alternativement à son contact visuel. « C'est d'autant plus dur pour moi de le croire que j'ai... Brûlé ta dépouille et je... Je l'ai regardée se consumer jusqu'à ce qu'il n'en reste plus rien. » Il était repassé sur du tutoiement, sans s'en rendre compte, à cheval entre l'idée de le dissocier d'Achroma et de l'y associer. Il était perdu.

    « L'obscurité, la douleur. C'est ce que tu vois avant ton réveil. Et tes visions, si cela fonctionne comme l'amnésie vampirique, peuvent être des fragments de ton passé, des reconstitutions de tes peurs et des assemblages maladroits dont tu pourras peut-être retrouver le sens avec le temps, ou peut-être que non. Au fond, est-ce vraiment important ? » souffla-t-il, le regard dans le vide. Oui, au fond, était-ce vraiment utile qu'il retrouve toute les souvenirs d'Achroma ? Sa souffrance, son désespoir ? Sa brisure ? Pour toute l'affection qu'il lui portait, ne pouvait-il pas souffrir qu'il ne se souvienne plus de lui, de leur histoire, si cela pouvait permettre à cet Achroma tout neuf de bénéficier d'une table rase pour se reconstruire ? Il aurait aimé pouvoir avoir cette chance, pour lui-même, mais si l'occasion lui était donné de lui offrir à lui... Par tous les Esprits, il le ferait. « J'aurai aimé vous présenter Cyrène Veanya, elle vous aurait sûrement guidé avec plus d'impartialité que moi. Mais elle aussi a quitté ce monde entre mes bras. » Il eut un sourire triste, le regard toujours dans le vide. Il fallait croire que c'était un endroit confortable pour passer l'arme à gauche. « Les Anciens n'ont pas tous disparu. Si vous le souhaitez, je pourrai vous conduire à Cybele Paulus et à Elric Dorne le temps que vous retrouviez votre famille. Ils vous aideront. » Bien sûr, il ignorait le caractère incongru de ce qu'il était en train de lui dire. On ne lui avait pas donné le nom de famille d'Ivanyr. « Je ne sais pas si discuter avec moi et retrouver vos souvenirs seraient de bonnes choses pour vous. Je ne veux pas que mon égoïsme vous fasse plonger dans un océan d'horreurs. Achroma avait plus de 1200 ans. Il a vécu des instants de joie, merveilleux et heures extrêmement sombres. C'est probablement ce qui nous a le plus rapproché autrefois, cette douleur commune. Je ne veux pas que ma proximité vous fasse revivre cela. Je préfère mille fois vous savoir heureux loin de moi. »

descriptionMon passé [PV Aldaron - TERMINE] EmptyRe: Mon passé [PV Aldaron - TERMINE]

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Le voir à demi nu ne le dérangeait pas vraiment, le vampire ne ressentant pas de gêne particulière, sans doute parce qu'il faisait mine de ne pas se souvenir des règles de la bienséance. C'était donc les yeux rivés sur lui qu'il le laissait se débrouiller pour s'habiller, tête penchée sur le côté, yeux luisants de sa curiosité naturelle et maladive. Il ne dégageait aucune concupiscence, uniquement de l’interrogation à constater l’état du corps qui se couvrait devant lui. L’autre portait des marques inquiétantes, de sévices ou d’autres expériences fort peu positives pour la santé d’un être vivant. De marques qui témoignaient d’un passé houleux, qui ne collait pas avec son air propret et son titre de Bourgmestre mais qui lui semblait plus intéressant, intellectuellement, que ce qu’il avait pu en voir jusqu’à présent. Les hommes politiques ne l’inspiraient pas véritablement, quels qu’ils soient… ils perdaient beaucoup de souffle pour pas grand-chose, se préoccupaient de peccadilles les trois quarts du temps et étaient, pour une grande majorité, des égocentriques incapables. Leur pouvoir était intéressant à exploiter, il ne le niait pas le moins du monde, bien au contraire, mais qu’il veuille pouvoir en attraper un dans ses filets ne signifiait pas qu’il appréciât la personne derrière le titre. Là, il était intrigué par cette même personne. Intrigué et rebuté en même temps. Une combinaison aussi contradictoire qu’explosive, mais qui l’incitait à ne pas prendre une décision trop précipitée dans un sens ou un autre. C’était amusant, de constater que l’autre était à l’image de la situation, il ne savait pas quoi en faire, comment le prendre, l’analyser… Il voyait sa douleur, elle était flagrante et plus encore ? Elle semblait se transmettre, physiquement. En le voyant les yeux plein de larmes, il avait l’impression d’être lui-même glacé. Il pouvait presque sentir le frisson d’un sanglot réprimé, l’étau sur sa gorge et le poids sur sa poitrine, l’impression viscérale de vouloir fuir plutôt que de supporter la confrontation…

Et puis il y avait son cœur, qu’il entendait, qui tambourinait contre son derme sensible, et qu’il lui semblait presque tenir au creux de la main. Il lui faisait peur, ce cœur, par sa vulnérabilité, sa faiblesse, son émoi, si différent de tout ce que lui était. Et soudainement, c’était son être tout entier qui semblait brûler, qui dégageait une chaleur plus importante, l’exsudant comme le vent d’un volcan… Qu’avait-il ? Il n’allait pas de nouveau partir si ? L’inquiétude le traversa brièvement sans qu’il la montre. Mais non l’autre continuait à parler et son cœur continuait de battre. Mais il n’était pas le seul à se sentir mal. Lui aussi n’était pas à son aise, l’oppression continuant de le tarauder, la sensation d’enfermement, de piège, de plus en plus étouffante et invraisemblable tandis que l’autre parlait. Lui aussi avait envie de pouvoir s’échapper, de simplement pouvoir rejeter tout ça comme il rejetterait un poids ou une défroque sale de ses épaules. Il commençait même à regretter de ne pas l’avoir tué pendant qu’il était encore inconscient. Cela lui aurait épargné tout cela au moins ! Et puis subitement, la pression retomba brutalement, exactement comme elle était montée et il expira sèchement, ne cachant absolument pas l’exaspération qui le traversait, teintant son regard et ses traits avant de disparaître, pour être sur le champ remplacé par la lassitude. Le vampire éleva une main, venant se masser l’arête du nez dans un effort pour chasser l’impression migraineuse que tout cela lui laissait. Son sens du pathos en avait définitivement pris un coup lorsqu’il avait perdu ses souvenirs ! Et le pire ? L’elfe en payait les pots cassés alors qu’il ne le méritait sans doute pas. Il fallait être obtus ou aveugle pour ne pas voir combien cet individu avait souffert. Il ne méritait sans doute pas son attitude, mais il était réellement dépassé et prenait énormément sur lui.

« D’accord… je dois définitivement arrêter de laisser les autres parler… c’est plus simple et ça m’éviterait d’entendre certaines choses » Là, ils étaient arrivés au fond du gouffre, main dans la main, comme deux buses parfaitement ineptes. Se passant la main sur le visage pour essayer de chasser l’irritation et l’impression d’impuissance éberluée qu’il supportait, Ivanyr étudia un instant sa réponse avant de la donner de la façon la plus neutre possible. « Ecoutez… Aldaron, c’est ça ? Je vous remercie de votre altruisme et de votre, euh… » Aller Ivanyr, un terme positif, ne lui appui pas sur la tête quand il essaye de ne pas se noyer « abnégation… » Oui, voilà, très bien, il ne restait qu’à continuer comme ça « L’égoïsme je connais assez bien. Croyez-moi, si je parle de vouloir retrouver mes souvenirs, c’est que je le veux moi. Pour moi. Ça n’a rien à voir avec vous… enfin si, d’une certaine façon, cela a à voir avec vous, puisque vous êtes potentiellement concerné… » Bon sang mais pourquoi est-ce que cela devait être aussi dur ?! Est-ce qu’il avait profané un autel des déesses dans une vie antérieure pour devoir subir ça ? Il avait été le prince noir en personne pour devoir jongler avec des circonstances aussi inextricables ? Oh voilà qui serait cocasse, image juste leur… « Oh alors toi, ce n’est vraiment pas le moment ! J’ai déjà un problème sur les bras, pas besoin d’en rajouter ! Si tu veux que l’on se penche sur une séance de questionnement interne, on le fera plus tard ! » Frémissant, il resta un instant figé, puis ferma les yeux en se rendant compte qu’il avait probablement expédié son compagnon spirituel ouvertement, au vu et au su de l’elfe. Bien, magnifique, maintenant il allait passer pour un fou en plus du reste. Inspirant profondément pour se calmer, il décocha un regard volcanique au vampire avant de revenir à son véritable interlocuteur.

« Vous êtes concerné, disais-je… néanmoins, cela reste ma mémoire, ma décision, mon esprit » De sec, il s’était radoucit et tenta de sourire « Si je décide de retrouver mes souvenirs, j’assumerais jusqu’au bout. Et si c’est la mauvaise décision ? Eh bien tant pis, ça aura été la mienne quoi qu’il arrive. Je ne pense pas que vivre avec des ‘et si’ soit sain. Vous l’avez dit, vous ne savez pas, moi non plus. De là, puisque je considère que le jeu en vaut la chandelle, je ne me plaindrais pas des conséquences » Son regard chassa, mais étrangement, la forme sombre de Saeros restait silencieuse et grave, l’observant comme s’il attendait quelque signe spécifique. La découverte lui arracha un discret frisson, et il reprit pour le cacher. « Nous ne savons pas si je suis lui d’ailleurs, peut être mes souvenirs sont-ils tout à fait différents… Ce nom ne m’évoque rien. Ce n’est pas un vide, Aldaron… ça ne m’évoque juste… rien... » Il se doutait bien de la réaction que ses mots provoqueraient mais qu’y pouvait-il s’il s’agissait là de la plus simple vérité ? Qui que soit Achroma, il ne se sentait pas le moins du monde connecté à lui. C’était un parfait inconnu, une figure sans visage, sans substance en dehors de la douleur qu’il semblait causer à cet elfe. Sa propre famille ne le lui avait jamais mentionné. Or elle l’aurait fait si cela avait été important, non ? Il leur faisait confiance après tout… du moins autant qu’il pouvait se porter à le faire sans se sentir menacé. Ce n’était pas grand-chose, mais c’était déjà plus qu’il n’offrait au reste du monde, excepté Purnendu, qui était en lui-même l’exception confirmant la règle. « Quant à ma famille… et bien, disons que je serais ravi que vous me conduisiez auprès d’eux. Cybele et Elric sont ma famille. Et il y a également Cymoril. Si vous les connaissez eux, alors vous la connaissez certainement aussi. Cymoril est ma sœur. Cyrène Veanya était ma mère... »

Son sourire se fit plus aisé « Veanya est mon nom de famille également. Cyrène a chargé Cymoril de me veiller et de s’occuper de moi jusqu’à ce que j’aille mieux… nous nous sommes perdus lors de l’accostage à Nyn-Tiamat, je n’ai jamais réussi à le retrouver dans le blizzard. Et récemment, Purnendu m’a accompagné ici pour que nous nous retrouvions. J’étais certain qu’ils viendraient à Caladon… je ne sais pas pourquoi, mais ça me semblait le plus logique » L’affection teinta ses prunelles vitreuses d’une douceur incommensurable. Ils étaient là, tout près de lui, presque à portée de main. Il allait enfin les retrouver. Et retrouver sa chère petite sœur. Il était plus que temps.  Puis cette lueur se fit plus matoise. « Peut-être pourront-ils nous départager au sujet e mes souvenirs. J’ai confiance en leur jugement...  » Voilà qui semblait une porte de sortie acceptable, une façon de refiler le problème à quelqu’un d’autre sans avoir à trancher dans le vif sans plus de mesure. Oui, Cybele et Elric pourraient être d’une grande aide. Et il y avait Cymoril… elle lui avait manqué, elle plus encore que les deux autres. Pendant quelques instants, il resta perdu dans ses pensées, goûtant ses souvenirs au sujet de la jeune vampiresse. Est-ce qu’elle avait toujours cette énergie inépuisable ? Sans doute. Il l’imaginait aisément marchande ou mercenaire…. Secouant la tête, il se força à revenir à l’instant présent. Avec une expression indéchiffrable mais paisible, Ivanyr se rapprocha et vint s’asseoir sur le lit, se guignant parfaitement des bonnes manières. D’un doigt, il écarta le tissu de la chemise du Bourgmestre sans paraître le moins du monde gêné et caressa l’une des brûlures du bout d’un doigt froid mais délicat.

« Morneflamme… ça, c’est un nom qui me dit quelque chose...  » Il observait fixement la peau brûlée, le regard lointain, et jouait, traçant les contours, les formes, en prenant bien gare de ne surtout pas lui faire de mal. « Ça vient de là, n’est-ce pas ?  » Ses doigts remontèrent, venant lui caresser la gorge, et lui talochant le creux du menton un bref instant par jeu. « Est-ce que vous en avez honte ?  » Le ton enfantin était de retour, la curiosité l’emplissant, mais lacée de quelque chose de plus profond.

descriptionMon passé [PV Aldaron - TERMINE] EmptyRe: Mon passé [PV Aldaron - TERMINE]

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    Lui mettre une gifle. Ce fut le premier désir d'Aldaron à son encontre, sans qu'il ne trouve le courage de la faire partir. Il avait tellement l'habitude des jeux politiques et des manipulations qu'il exécrait cette empathie factice que l'autre lui servait, s'y efforçant considérablement et pour quoi ? Pour ne pas le briser ? Oh s'il savait ! S'il savait combien il l'était déjà ! Et par sa faute ! Par la faute d'Achroma ! Il pouvait bien être ennuyé par ses sentiments, il en était l'auteur, celui qui l'avait abandonné à son sort sans possibilité aucune de trouver cet écho pour aller mieux, se soigner mutuellement, sortir la tête hors de l'eau.... Ensemble. Sa traversée du désert, il l'avait faite seul. Il l'avait déjà laissé couler. Alors il serrait les dents pour ne pas lui cracher son venin et le regard qu'il lui décocha, malgré sa profonde tristesse, était rude de jugement. Il avait le don pour lui faire sentir le chaud et le froid et pour l'heure, le froid lui saisissait la gorge pour l'étouffer. Ses yeux se couvraient d'amertume... Avant de s'arrondir tout rond. Que faisait-il là ? Il était en train de se disputer avec le vide, non ? Il avait complètement perdu la boule, en vérité, et Aldaron s'en retrouvait partagé entre la pitié, l'affection... Et une très vive envie de partir en courant. Ou de se cacher sous les draps pour ne pas se faire gronder lui aussi. La scène fut étrange. Elle fut d'autant plus étrange quand l'autre poursuivit ses palabres comme si son altercation avec le vide était tout à fait triviale.

    Il resta tout aussi pantois à l'annonce qui suivit au sujet de la famille d'Ivanyr. Soit les deux neurones qui auraient dû se toucher dans son cerveau étaient en froid... Soit il avait décidément manqué quelque chose dans cette histoire. A quel moment, exactement, Cyrène s'était dit qu'Aldaron ne devait pas être mis au courant de la présence de cet être qui ressemblait tant à Achroma ? Avant le sentiment de trahison, venait celui de l'incompréhension. Il fronça les sourcils, entrouvrit les lèvres, visiblement pour dire quelque chose, mais cela ne vint pas et il referma la bouche avant d'avoir l'air d'un saumon hors de l'eau. Il y avait une donnée inconnue dans l'équation qui l'empêchait de comprendre ou de juger, le laissant avec ses doutes et son avis mitigé. Non, décidément, ça ne collait pas. Il sentait qu'avant d'emmener Ivanyr, il allait devoir avoir une sérieuse discussion avec les Anciens et il n'était pas tout à ait certain que cette entrevue se passe sans éclat de voix. Ou bien devait-il justement se planter devant eux, avec Ivanyr, pour les mettre face à l'imbroglio catastrophique. Aldaron était frustré : il ne pouvait pas hurler contre l'homme face à lui, ce serait tellement vain de lui reprocher des choses dont l'amnésique n'avait plus conscience... Mais les Anciens. Eux, ils savaient.

    Il baissa les yeux, creusant dans sa mémoire. Il cherchait le moment où il n'avait pas du bien écouter Cyrène. Elle avait dû forcément lui dire à un moment ou un autre. Sa mère ! Oh que oui, elle était sa mère, celle d'Achroma ! Plus il y songeait, et plus cela grondait en lui, crescendo. Il inspira doucement, tâchant de chasser cela de son esprit : il se sentait bouillir de l'intérieur et il avait déjà bien chaud. Il réglerait cela plus tard... oui voilà plus tard. La sueur avait perlé légèrement sur son front, sur sa peau brûlante. Il passa ses deux mains sur son visage. De l'arrête de son nez, il tira jusqu'à ses tempes avant de saisir ses cheveux et de les ramener par-dessus l'une de ses épaules pour découvrir sa nuque à l'air libre. Tâchant de calmer la fièvre qui montait progressivement au simple souvenir de Morneflamme, il avait relevé les yeux à la soudaine proximité du vampire. Il avait été blasé tout à l'heure de devoir rester... Et voilà que maintenant, il se montrait d'une proximité et d'une curiosité malsaine... Pour autant, il le laissa faire. Il y avait quelque chose, chez lui, qui empêchait Aldaron de le repousser. Quelque chose de personnel, d'intime. Il détourna le regard, et la tête, sur le côté, partagé entre la gêne et le désir. Ces doigts qui dansaient sur sa peau, jouaient, exploraient, ils lui donnaient la chair de poule. Tant pour le contraste du froid sur le chaud que pour les souvenirs qu'ils réveillaient, millimètre après millimètre. Quand allait-il finir de le tourmenter, de le torturer ? S'il voulait qu'il s'arrête, Aldaron éprouvait également le désir qu'il continue, le figeant sur place, ses battements de cœur pour aveu du supplice qu'on lui faisait vivre.

    Des questions malsaines s'en suivaient : pourquoi était-il si étrange ? Il attrapait sa main, l'écartant de sa gorge. « Je croyais que vous deviez arrêter de laisser les autres parler. » répliqua-t-il et claqua de la langue de manière régalienne pour couper l'envie à l'autre de répliquer quoi que ce soit. « Êtes-vous certain de savoir ce que vous voulez, Ivanyr ? » Et dans quoi il s'engageait. L'autre avait beau être maître de ses choix, le Bourgmestre ne pouvait pas le laisser sciemment boire du poison et même lui tenir la bouteille pour l'aider. Ses prunelles émeraude se perdirent dans la contemplation de cette main qu'il avait dérobée... ou du moins repoussée sans pour autant la relâcher. Distraitement, il effleurait le derme glacé de ces longs doigts, le creux de sa paume. L'acte focalisait son attention, comme un hypnotisme, pendant qu'il lui concédait une réponse. Lui laisserait-il sa main s'il lui répondait ? N'était-ce pas ce qu'il voulait ? Le décortiquer ? « J'ai eu honte, au début. Je me disais que si j'avais survécu, c'était parce que j'avais volé cette chance à d'autres. Mon frère et ma sœur me disaient que je n'avais pas à m'en vouloir, que j'avais été contraint à agir de la sorte. Mais c'était faux, j'avais le choix. A chaque seconde de mon existence, durant ces trois ans, le choix m'était donné et à chaque seconde, je faisais le même, persuadé que c'était le bon. Cercëe et Corine ne pouvaient pas comprendre, ils me prenaient pour une victime mais... Les véritables victimes, c'étaient ceux qui n'avaient par survécu à Morneflamme. Moi, j'étais... J'étais leur prédateur. » Sa voix était morne, comme si son âme avait été absorbée par ses pensées. Il se souvenait encore et plus il luttait, et plus les souvenirs lui semblaient vivaces.

    « Oui, j'ai eu honte, au début, puis il y a eu... Cet écho. » Son semblable, son miroir de douleur. « La première véritable raison de ma survie. Pour une fois, elle m'avait semblé moins égoïste. » Il n'y eut qu'en retrouvant Achroma qu'il s'était figuré sa survie comme un cadeau du ciel. N'était-il pas des rares proches à ne pas l'avoir trahi ? Il n'avait pourtant jamais manqué d'occasion. Il aurait été plus simple de courber l'échine devant le Tyran Blanc ou même de mourir. Mais s'il vivait, c'était au moins pour lui montrer qu'il avait tenu bon pour eux. Ça s'était avéré inutile, cela n'avait pas empêché Achroma de le quitter et pourtant, cela avait laissé en lui comme une marque de rédemption, la première pierre à l'édifice pour qu'il se reconstruise, même sans lui. « A Caladon, on paie ses dettes et si on a pas l'or pour cela, on entre au service de son créancier jusqu'à ce qu'il considère qu'on ait suffisamment donné de soi pour compenser la perte subie. Cette loi ne vient pas de nulle part. » Elle venait de son propre parcours. « En fait, je pense qu'elle était assez instinctive. » Puisqu'Ivanyr lui en avait soumis la volonté, celle de payer sa dette à ses côtés. « Qu'est ce que je vais faire de vous ? Je suis un politicien, si vous ne me laissez pas parler, vous risquez vite d'être encombrant. » Un sourire venait enfin de naître sur ses lèvres à la plaisanterie qui n'en était qu'à moitié une. Un sarcasme, voilà tout ce que c'était. Et puis, il y avait cette réelle inquiétude au fond : celle de ne pas savoir à quel genre de tâche l'assigner. L'empathie n'était pas son fort, cela effaçait plus d'un corps de métier. Il refusait pour autant de s'accrocher à ce qu'Achroma avait pu être par le passé. Achroma était mort, ou du moins était-il en sommeil. C'était d'Ivanyr qu'il devait faire connaissance. Car l'homme qu'il avait face à lui deviendrait, avec le temps, un intermédiaire composé de ces deux personnages. Il devait faire le deuil, une nouvelle fois... mais c'était plus facile aujourd'hui, maintenant qu'il avait Ivanyr. Il savait que s'il espérait Achroma, cela deviendrait une véritable torture faite de déceptions accumulées. Probablement finirait-il même par le perdre.

    Il écarta ses doigts des siens en réalisant l'objet de son attention, depuis tout à l'heure. L'idée de se servir de la main d'Achroma comme d'un glaçon contre son front ardent lui traversa l'esprit... Mais ce n'était pas parce que l'autre était fou, qu'il devait en faire autant. De quoi aurait-il eu l'air ? « Avec qui parliez-vous ? » Il désigna d'un coup de menton le vide qu'Ivanyr avait copieusement engueulé un peu plus tôt : « Enfin, si on peut appeler cela 'parler', puisque vous avez du mal avec ce concept... Que vous a-t-il fait pour que vous lui infligiez pareil traitement ? » Il arqua un sourcil, dubitatif sur l'idée d'entrer dans ce genre de considération. C'était à double tranchant comme demande : découvrir tout un pan de folie pouvait se révéler à la fois riche et effrayant. Il n'était pas certain de vouloir entendre ce qu'il avait demandé.

descriptionMon passé [PV Aldaron - TERMINE] EmptyRe: Mon passé [PV Aldaron - TERMINE]

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Le voir rétorquer lui arracha un sourire joueur et ravi, Ivanyr appréciant grandement d’avoir un peu de retour de la part de l’elfe qu’il titillait sans gêne. Et malgré l’avertissement informulé, il glissa d’un ton velouté : « Ah mais cela n’a rien à voir, vous répondez à mes questions plutôt que de vous exprimer librement… Il est vrai que ‘parler’ est un mot fourre-tout qui ne permet pas de distinguer suffisamment les nuances… » Son sourire dévoila un instant ses crocs ivoirins « Mais ne vous faites aucun souci pour moi Aldaron, je sais très…très bien ce que je veux… » Et le tranchant doucereux de sa voix laissait assez à penser que tout le monde n’y trouvait pas forcément son compte. Ce n’était de toute façon pas l’objectif. Son objectif, c’était d’y trouver son compte personnel. En cela, il n’avait pas du tout menti à Aldaron : il savait exactement ce que le mot égoïste voulait dire. C’était une assomption consommée du bien unitaire avant le bien commun, et ce malgré les contradictions, une fois encore, que certaines de ses prises de partie pouvaient entraîner. Il le vivait bien, avec cela. Bien mieux que de voir l’autre chauffer comme une pierre à flamme. Il allait réellement devoir appeler les guérisseurs à ce rythme, ça serait bien sa veine que l’autre lui claque entre les doigts. Comment expliquer que ce n’était pas sa faute ? Même si c’était presque totalement vrai, il n’aurait jamais l’air crédible. Son amusement tourna aigre, et il se renferma de nouveau en l’écoutant, tendant une oreille aux battements de son cœur pour être certain de savoir exactement quand ils cesseraient si ça devait être le cas. Malgré tous ses airs bravaches et détachés, l’idée, tout au fond, le hantait déjà tant le ressentit avait été violent la fois précédente, effrayant. Cette fois, il écouta sagement, sans rien lui infliger, l’observant fixement de ces yeux d’acier en fusion, prenant ce qu’il lui disait avec simplicité. Ça lui ôtait l’envie de jouer.

« Hm ? » Il s’était tellement plongé dans ce qu’on lui contait qu’il n’avait tout simplement pas suivi, sur la fin, que l’on s’adressait directement à lui, et plus seulement comme spectateur. Malgré tout, il resta un moment silencieux, à observer le vide, puis soupira doucement, toute taquinerie l’ayant déserté. Sa main vint lui couvrir la bouche, avec autorité, se faisant à peine sentir et pourtant bien présente, le confinant au silence avec un zeste de domination, un petit quelque chose de naturellement impérieux. « Saeros » finit-il par daigner répondre d’une voix tranquille et neutre, inconscient de ce que pouvait réellement signifier ce nom. Pour lui, il s’agissait simplement de ce détestable ancestral qui l’étrillait depuis déjà plusieurs années. Un fantôme avec lequel il vivait, qui n’était d’ailleurs pas le pire du lot. Mais parfois, il devenait extrêmement irritant, comme en l’instant. « Je vous l’ai dit, j’ai des visions. L’elfe dont j’ai parlé, qu’il s’agisse ou non de vous, n’est certes pas le seul à m’apparaître. Certains sont pires, bien pire. Certains sont tout simplement irritants par la constance de leur présence. Saeros est de ceux-là. Il m’apparaît souvent, parfois pour un rien… C’est lui qui m’a dit son nom. Il est l’un des seuls à parler » Il n’y avait pas d’inimité dans sa voix, juste une certaine lassitude résignée, qui illustrait bien ce qu’il pensait des interventions intempestives du fantôme. Son regard vint rencontrer celui, grave également, du premier intéressé… et celui-ci s’esquiva bientôt, semblant se planter derrière lui, sur l’elfe alité. Délicatement, les sourcils blonds se froncèrent et Ivanyr suivit le même chemin que le regard de l’ancestral. « Vous êtes certain de ne pas le voir ? » Cela le perturbait. L’acuité soudaine de Saeros à l’égard de l’autre, alors même qu’il ignorait parfaitement le reste du monde en règle générale, était déstabilisante. Personne n’avait jamais vu les fantômes avec lesquels il vivait en permanence, alors est-ce que cela pouvait changer ?

Et surtout… voulait-il que cela change ?

« Aldaron ? » Il entre-ouvrit les lèvres mais hésita. Puis il changea d’idée, sur un coup de tête. « Vous n’étiez pas plus un prédateur que vous n’étiez une victime. Et aujourd’hui vous vivez pour ceux qui sont morts. Vous avez raison en affirmant avoir fait un choix. Et eux aussi, pour la majorité, ont fait sans doute le même choix. La seule différence, c’est que vous avez réussi à survivre, et pas eux. Il n’y a pas de bon ou de mauvais choix, juste un même objectif et une capacité différente à l’atteindre… » Libérant ses lèvres, il passa la main sur sa joue, avec douceur, avant de l’apposer sur son front brûlant. « Vous n’êtes pas égoïste, mais ce n’est que mon avis. Et je ne pense pas que vous devriez avoir honte non plus. Vous êtes beau comme vous êtes... » Il soupira doucement, déchargeant le trop plein d’air avant d’esquisser une nouvelle ébauche de sourire sensiblement amusé. « Ici, vous n’êtes pas un politicien. Un politicien ne se serait pas ouvert comme vous le faites devant un homme dont il n’est pas certain de l’identité et n’a aucun moyen de connaître l’allégeance. Ici… vous êtes juste vous. Au dehors, vous parlerez, mais tant que vous êtes dans cette pièce et que je m’adresse à un homme et pas un titre le silence n’a pas à être un ennemi » Il avait l’impression de rassurer un enfant, et sans doute une part de ce paternalisme affectueux se ressentait-il dans sa façon d’être. Lui caressant la peau du revers des doigts, il poursuivit « Et au fond, vous savez que j’ai raison même si c’est douloureux pour vous de l’admettre. Vous ne pouvez décider à ma place de ce que je ferais, de si je retrouverais mes souvenirs ou non. Tout ce que vous pouvez faire c’est accepter et respecter ma décision aussi douloureuse pourra-t-elle être pour moi… ou pour vous. Et, si vous voulez vraiment y faire quelque chose, alors vous n’avez qu’à m’accompagner sur la voie que j’aurais choisi en m’offrant votre soutient sincère » Penchant légèrement la tête sur le côté, il eut une expression de triste dérision, alors que son visage s’auréolait de sa chevelure pâle « Retirer à quelqu’un sa capacité à choisir, c’est une forme d’esclavage… je vis avec suffisamment de chaînes Aldaron, ne m’en rajoutez pas une de plus… s’il vous plaît… »

Il y eut un blanc, alors qu’il se détournait pensivement, une fois de plus, vers Saeros… pour avoir la surprise de le voir sourire, puis hocher profondément la tête. Oui… fit la voix désincarnée. Une fois de plus, l’ancestral sembla se tourner vers l’elfe, le harponnant de son regard puissant avant de se détourner et de disparaître. Déglutissant, il rompit le lourd silence qui venait de s’installer. « Vous l’avez vu…n’est-ce pas ? » Il en était certain, persuadé désormais. « Moi aussi j’avais honte, au début. Honte de ne pas comprendre pourquoi j’étais poursuivis par un dragon et protégé par un autre, honte de ne pas savoir quoi répondre quand Saeros me disait que j’étais pathétique à rester ainsi, honte quand je voyais cette femme à l’épée d’eau mourir en me regardant comme si je venais de lui briser le cœur, quand je voyais cette jaune femme se détourner de moi pour enterrer seule les morts de tout un village réduit en cendre, honte de ne pas comprendre pourquoi j’avais envie de tuer cette vampiresse aux cheveux rouges quand elle tombait à genoux devant moi, quand je voyais… » Sa gorge se serra tant qu’il se trouva un moment incapable de parler, après s’être essoufflé progressivement sur cette liste morbide, la voix de plus en plus tremblante. Se donnant un instant, il manqua sursauter en voyant l’ancestral presque nez à nez avec lui, entre Aldaron et lui, bras croisés. Tu as toujours eu le don d’avoir honte pour un rien, c’est ce que je détestais. La dignité ? C’était ce que tu répétais tout le temps… tu y tenais presque plus qu’à ta vie… tu ne te souviens pas hein ? Déglutissant, il détourna le regard, refusant de répondre, cuisant intérieurement d’humiliation à l’idée que l’autre lui fasse une scène devant l’elfe. « Je vais… appeler les guérisseurs. Vous n’avez vraiment pas l’air bien et je… » Depuis quand lui tenait-il la main exactement ? Il n’avait pas eu conscience du geste… « Je reviendrais après si vous voulez… » Par dépit, il tenta d’en plaisanter « Si je ne suis pas trop encombrant » Pourtant cela sonnait aigre, même à ses propres oreilles. « Pensez à ce que je vous ai dit, voulez-vous ? » Avec douceur il détacha ses doigts des siens, se leva en l’observant un instant puis sortit.

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    Dans le silence revenu de la pièce, il avait observé le mur. Le vide créé par le départ d'Ivanyr pesa lourdement sur les épaules fragiles du bourgmestre en convalescence. Que c'était-il passé, au juste ? Il n'était plus certain de se souvenir de cette manière qu'avait l'autre d'être proche, sa main sur ses lèvres, sur sa joue, sur son front pour apaiser sa fièvre. Et ces mots, à la fois égoïstes et sincères, qu'il ne savait pas comment interpréter. Les visions qu'il avait énumérées frappaient dans sa tête comme un marteau sur l'enclume, enfonçant en lui la certitude de ce qu'il croyait. Il y avait une part d'Achroma en lui. Il y avait ce reliquat d'existence qui le poursuivait et qui faisait trembler la voix d'Ivanyr. Il avait besoin d'aide. De son aide. Car ce lien indescriptible avait traversé la mort. Il l'avait senti, dans cette manière inconsciente et cruelle qu'il avait de le chercher, qu'il avait de se confier, qu'il avait de lui tenir la main... Et ce silence qu'il réclamait... N'était-ce pas celui qui les avait uni la dernière fois ? Lorsqu'Achroma avait été libéré de ses chaînes ? C'était dans ce silence qu'ils avaient su se comprendre, sans avoir besoin de mots pour exprimer ce qu'ils avaient traversé et qui les rassemblait dans une douleur muette. Tout, en lui, lui semblait si différent... Mais à leur manière sibylline, il reconnaissait Achroma avec exactitude. Ce n'était simplement pas exprimé de la même façon qu'autrefois mais, il était là. Il le sentait. Il en était persuadé.

    Il entendait encore la voix de Saeros, qui lui glaçait le sang. On avait annoncé la mort salvatrice du Prince Noir et voilà qu'il hantait encore l'esprit d'Achroma, dans sa manière si cruelle de mettre le doigt où cela faisait mal. S'il l'avait entendu, s'il l'avait vu, il savait aussi que c'était une manière de plus, pour Ivanyr, de réclamer son aide. N'était-ce pas par sa magie qu'il pouvait voir cela ? L'autre s'était-il rendu compte qu'il avait partagé avec lui les images de sa douleur ? L'avait-il seulement fait consciemment ? Aldaron déglutit difficilement en baissant les yeux. Il y avait ce lien, entre eux, il en était certain. Alors qu'il perdait connaissance sous le joug d'une fièvre qui s'était brusquement accentuée au départ d'Achroma, il se souvenait de ce rêve étrange où Dawan lui avait promis qu'il le retrouverait sans expliquer qui ou quoi. Et si le lien qu'ils avaient eu autrefois avaient été capté par les esprits-lié pour le rendre à Ivanyr, intact et pur, défait des craintes et des horreurs qui mutilaient l'amnésique ?

    ***

    Au crépuscule, ils étaient là, les Anciens. Il avait réclamé leur présence, une fois éveillé. La discussion fut rude. L'elfe, empreint de compréhension et de colère, n'aurait jamais pu rester de marbre à une pareille révélation. Il y eut des éclats de voix, porteurs d'une tristesse qui le rongeait... Mais il comprenait. C'était bien plus limpide à présent. Skade. C'était elle la donnée manquante qui faisait gronder son cœur comme l'orage. Lorsqu'il les congédia pour se reposer, il avait entendu les retrouvailles entre les Anciens et Ivanyr, de l'autre côté de la porte, avant qu'il ne sombre dans un sommeil réparateur. Il avait fait revenir Achroma à lui pour lui rendre sa famille et même s'il ne participait pas à ces retrouvailles, il s'était endormi avec un sourire aux lèvres, paisible. Il était heureux pour lui.

    ***

    Le lendemain il fut remis sur pieds et il eut la désagréable impression que Caladon ne pouvait pas s'en sortir sans lui. Il avait été affairé par son Conseil, dans une journée chargée qu'il put enfin achever dans son bureau. La nuit faisait tomber son lourd manteau étoilé sur un soleil, orange, à l'horizon. La pièce n'était pas très grande, ou du moins n'en imposait-elle pas autant que la salle du trône d'un empereur mais elle semblait porter le sceau de la richesse humble du Marché Noir. Meubles et ouvrages étaient de bonne facture, mais aucune dorure ou fioriture venait en ajouter aux matériaux bruts. Les bois nobles, étaient vernis et entretenus, les étagères portaient des livres épais et bien rangés, et les rideaux, qui volaient au vent avec les fenêtres ouvertes, étaient en voile de soie d'un vert émeraude. Les chandeliers d'argent diffusaient une lumière ambrée et tremblante sur le travail du scribe qui suivait la dictée du bourgmestre, debout, le regard vague porté sur l'extérieur. Il l'attendait. Il avait demandé à Ivanyr de le rejoindre... mais soit l'autre se plaisait à se faire désirer, soit sa garde n'avait pas pu lui mettre la main dessus. C'était ennuyeux. Il n'était pas un vampire et avait besoin de dormir. Si l'autre ne se montrait pas, ils ne se verraient pas aujourd'hui. Ça le chagrinait, plus encore lorsqu'il constatait qu'il vivait son absence comme un manque, physique. Qu'est-ce qui lui arrivait ? Il aurait aimé garder de sa lucidité, dans cette histoire, plutôt que de faiblir de la sorte.

    Bien, de toutes évidences, Achroma ne viendrait pas. Il s'assit à son bureau pour prendre la lettre qu'avait rédigé le serviteur. De sa plume, il signa 'Aldaron Triade'... ce qui eut le don de faire froncer les sourcils à son scribe. Sans s'en émouvoir, l'elfe enroula la lettre sur un tube, fit fondre de la cire rouge qu'il coula à la jointure du parchemin pour le sceller et il apposa l'emblème.... Non pas de Caladon, mais du Marché Noir. Un Marché Noir que tout un chacun pensait mort mais que certains Seleniens spéculaient d'agir dans l'ombre. Ce fut le moment qu'Ivanyr choisit pour entrer en scène. Levant son regard sur lui, il ne parvint pas même à lui reprocher son retard tant il se sentait bien de le savoir avec lui. C'était toutefois un moment fâcheux, il ne l'attendait plus. Voilà que le vampire allait être témoin d'une scène assez courante dans l'ombre du pouvoir, à Caladon. Comment le prendrait-il ? Il n'en avait pas la moindre idée... Il garda son regard sur lui, en silence. « Sir... »] fit le scribe, une fois la lettre en main, les yeux rivés sur le sceau. « Je croyais le Marché Noir évanoui. » Le regard d'émeraude du bourgmestre se porta sur le jeune homme avec un sourire paisible alors qu'il s'appuyait dans le fond de son siège. Pas de réponse de sa part. Le scribe commença quelques pas vers la sortie, les derniers eurent le don d'être trop rapides, précipités. D'un sort, la porte se fermait, se claquant devant le jeune homme. « C'est ça que tu voulais, n'est-ce pas ? Une preuve. Dona Mihi. » fit l'elfe, la main tendue et les pas du jeune homme le menèrent à nouveau jusqu'à lui pour lui remettre la missive compromettante.

    « Qui te paie ? » l'interrogea Aldaron, avant de pousser un soupir face à son silence. « Je n'ai pas envie de te tuer, gamin. Je veux savoir qui t'a envoyé. » Le regard meurtrier que lui envoyait son scribe eut tôt fait de lui donner l'issue désolante de cette entrevue. Qu'y pouvait-il ? A Morneflamme, ça avait été soit l'autre soit lui. Et aujourd'hui ? « Sois intelligent et parle. » On entendit le bruit d'une dague qu'on sort de son fourreau, l'éclat d'une lame à la lumière, le sifflement d'un projectile depuis l'extérieur, passant la fenêtre ouverte, l'instant de suspens à l'effet de l'efficace poison et la chute du corps inerte sur le sol. Les yeux du Bourgmestre restaient rivés sur le sceau précieux qui ornait la missive, les mâchoires serrées l'une contre l'autre. Une vampiresse passa par la fenêtre, sous son manteau d'ombre, pour entrer dans le bureau. Sa protectrice, celle qui avait tiré lorsque l'autre avait dégainé son poignard pour l'abattre sur l'elfe. Elle ramassa le corps tué sans verser de sang pour le porter avec l'aisance vampirique sur son dos. « Y'a pas de quoi. » fit-elle, ironiquement, face à l'absence de remerciements du bourgmestre. Mais elle n'en eut pas plus, même en réclamant. Elle avait l'habitude, elle savait que ça ne lui plaisait pas et que l'or qu'il lui verserait serait un remerciement plus rentable. Elle posa son regard sur Ivanyr, puis sur le bourgmestre, qui lui fit un léger signe négatif de la tête. Oh non, elle ne toucherait pas à cet homme-là. Elle passa par une porte dérobée avec son fardeau.

    L'elfe tendit le bras pour capter la flamme de l'une des bougies avec l'extrémité de la fausse missive. Celle-ci s'enflamma, détruite et il étouffa le feu par magie avant que celui-ci n'atteigne ses doigts. Les cendres retombaient sur le bureau, noires. Il quitta son siège, fit le tour des chandeliers pour les souffler, un par un, excepté cet unique cierge qui resta là, à diffuser une lumière faible et fuyante. Il s'en saisit et vint la poser sur le rebord de la fenêtre, dehors, avant de refermer la vitre. Bientôt on lui répondrait, une autre bougie s'allumerait en bas, à la fenêtre, promesse que la vampiresse serait couverte dans sa fuite avec le corps à faire disparaître. Dans la pénombre de la nuit naissante, il se tournait vers Ivanyr, dont les contours étaient sublimés par la lumière diffuse du crépuscule mourant. Il entrouvrit les lèvres, ne sachant s'il voulait lui demander si ses retrouvailles avec les Anciens s'étaient bien passées ou tout autre chose. Elles se refermaient, dans un silence, sans que le vampire n'ait eu à le réclamer cette fois. Il se souvenait des règles : ne pas parler. S'il jouait son jeu, il finirait par l'apprivoiser. Il détourna un instant son regard sur la fenêtre en bas. Toujours pas de bougie. Il attendrait qu'elle s'allume, ensuite il partirait prendre l'air, ou rentrerait chez lui. Ou il n'en savait rien.

descriptionMon passé [PV Aldaron - TERMINE] EmptyRe: Mon passé [PV Aldaron - TERMINE]

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La colère de l’elfe avait coulée sur eux comme de l’eau, compréhensible, mais ne nécessitant en rien qu’ils s’affolent. D’abord hésitants à le mettre dans la confidence, ils avaient néanmoins fini par changer d’avis et lui avait confié la clef manquant dans la présente situation. Ils avaient conté comment la dragonne de l’orage avait ramené le rassembleur, sans doute au prix de ce qui lui restait de volonté de vivre, et comment elle l’avait protégé du rempart de son corps jusqu’à ce qu’il s’éveille enfin, pleinement physique. D’une voix tranquille, Elric expliqua combien l’état de leur protégé était précaire et surtout ? Pourquoi l’elfe n’avait rien su jusqu’à présent. Ce fut pourtant Cymoril qui se chargea des révélations les plus difficiles, prenant sur elle, comme Cyrène l’aurait voulu, le poids et la responsabilité de leurs choix. Avec des mots simples, elle essaya de faire comprendre au Bourgmestre qu’il ne s’agissait en rien d’une torture à son égard, mais bien d’une décision visant le meilleur pour tous, comme Achroma lui-même l’aurait voulu. La seule chose qu’il était possible de faire était d’attendre, les souvenirs reviendraient petit à petit, de façon naturelle et leur permettant de contrôler ce que cela produirait inévitablement…Skade avait laissé des consignes excessivement claires sur la façon dont son élue devait être traité, et eux ne pouvaient qu’être d’accord avec la souveraine des nuées. C’était une deuxième chance à ne surtout pas faire capoter.
Après la fin de leur discussion, ils retrouvèrent Ivanyr avec plaisir, célébrant enfin le retour de ce dernier parent perdu depuis plus d’un an. Profondément heureux, ils étaient tous repartis ensemble pour fêter cela dignement. Et pour la première fois depuis longtemps, le vampire fit, littéralement, la fête. Ils s’installèrent tous dans une petite pièce, échangeant d’une voix empressée leurs expériences, leurs récits. A un point, tard dans la nuit, l’ancien dragonnier prit de quoi noter pour commencer à rassembler, instinctivement, tout ce qui se disait, sous la lueur ambrée d’une petite chandelle tremblotante, répétant ainsi un rituel mille fois apprécié dans son ancienne vie, lorsqu’il voyageait avec les caravanes humaines.

***

Malgré l’insistance de sa sœur, Ivanyr avait passé la journée avec Purnendu, ne voulant pas lui donner l’impression de l’abandonner maintenant qu’il avait retrouvé les siens, surtout après tout ce que son ami avait pu faire pour lui. Le Graarh avait monté sa yourte au-delà des limites de la ville, ce qu’il comprenait mais redoutait en même temps… surtout après avoir vu de ses propres yeux l’esclavage dont la race féline était victime. C’était donc par un pur coup de chance que les gardes chargés de le mander tombèrent sur lui alors qu’il venait visiter, en fin d’après-midi, la boutique de Cybele, juste avant de repartir pour la yourte. La demande le surpris un brin, mais surtout, elle n’appâtât pas immédiatement son bon côté, sans doute parce que les hommes face à lui ne savaient pas comment présenter cela de façon positive. D’un regard ennuyé, le vampire jaugea les deux hommes et considéra sérieusement l’idée de leur tourner le dos en faisant mine de n’avoir rien entendu. Il n’était pas forcément d’excellente humeur malgré sa nuit, et n’avait vraiment pas de temps à accorder à ces humains-là. Cependant, l’idée de revoir l’elfe aux yeux de chien battu ne lui déplaisait pas. Il allait juste se venger très injustement de la façon dont ça avait été proposé. Une brume des morts plus tard, il leur faussait compagnie, car même si pour un vampire, il n’avait rien de discret, pour un humain ? Il était encore une anguille. Très amusé de son petit tour, le vampire passa plusieurs heures à découvrir davantage la ville, commençant à trouver des repères. Ce qui n’était pas plus mal puisqu’il allait rester un moment.

Puis quand la lueur du soleil commença à décliner et que le ciel prit une teinte pastelle avant de s’enflammer, il jaugea qu’il avait assez fait attendre le « bourre de maître » comme Purnendu le nommait de façon si comique. Cette fois, il prit la direction du bâtiment central du conseil, le pas allègre, étonnamment léger. Stupidement, il avait l’impression que son humeur était remontée à la perspective, sans être capable de savoir pourquoi. Vu la teneur grave de leur dernière discussion, il devrait soit appréhender, soit en être lassé d’avance non ? Au lieu de cela, il cherchait comment le taquiner encore une fois. La panne d’inspiration devait sans doute aller de paire avec son entrain manquant tout le long de la journée, il ne trouvait hélas pas et en était encore à se rabattre sur des seconds choix en arrivant en vue des lieux. Avec un petit sourire en coin, il usa à nouveau de magie pour passer sous le nez des gardes sans être vu et ne s’arrêta qu’à l’ombre d’une colonne intérieure. Il ne savait pas du tout où l’autre pouvait bien se trouver. Dans le bâtiment, oui, mais dans quelle pièce, ça c’était une toute autre question. Fort heureusement, il avait assez entendu son cœur pour trouver une solution… La magie avait vraiment du bon décidément. L’avoir retrouvé, c’était comme avoir retrouvé une part de lui, un membre qu’on lui aurait coupé précédemment. De plus, elle au moins ne risquait pas de le trahir. Sort lancé, il monta rapidement les escaliers jusqu’à parvenir devant la porte. Sa main se posa sur la poignée, et le battant s’ouvrit, révélant la scène qui se déroulait à l’intérieur.

Silencieux, il referma derrière lui, et s’adossa à la porte sans faire mine d’aller plus loin, croisant à peine le regard de l’elfe, l’évitant volontairement. Ce fut d’abord le scribe, qui eut droit à son attention, puis la vampiresse. Lorsque celle-ci l’observa, un instant, avant de se détourner vers Aldaron, Ivanyr réprima un renâclement amusé. Nul doute que le Bourgmestre n’apprécierait pas de voir son bâtiment être la proie des flammes, s’il devait se défendre contre cette nouvelle venue. Mais non, il n’en aurait apparemment pas l’occasion. Seul avec l’autre, cette fois, il ne fit aucun effort immédiat pour rompre le silence, souriant tout au contraire à l’elfe, comme une marque de sa satisfaction à le voir aisément comprendre ce qu’il attendait. Elevant les mains, il vint défaire l’accroche de sa cape de brume, et la déposa sur la chaise. Il se dressait là, devant lui, rendu à la grandeur d’albâtre et de marbre qui avait été la sienne, drapé dans une superbe tunique nacrée aux broderies délicates, le tissu précieux gainant sa haute silhouette d’une enveloppe moirée se mariant parfaitement avec sa peau pâle. Ses longs cheveux s’auréolaient de la lueur extérieure, piquetant d’or les mèches platinées, mettant en valeur la couleur vive et subtile de son regard. Le col de cygne s’épinglait parfaitement, et comme les manches, taillées sur mesure pour son physique entre deux eaux. Ce n’était pas l’unique qu’il possédait, désormais, tous des cadeaux de sa famille qui n’avait pas apprécié de le voir si dépenaillé. Mains dans le dos, prunelles pétillantes, il s’avança à pas comptés, et se décida enfin à briser le calme des lieux : « Oui  »

Ce fut tout, dans un premier temps, en réponse à l’interrogation muette mais attendue. Un sucre qu’il lui offrait pour le suivre dans sa lubie. Puis d’un amusement plus prononcé, il poursuivit, la voix calme et veloutée. « Tu aurais dû me laisser faire, si tu voulais vraiment des réponses  » Lentement, il vint se tenir derrière lui, dissimulant de cette façon la lueur rusée et joueuse qui se mettait à habiter ses iris. « Cela t’aurait donné l’occasion de me trouver quelque chose à faire, puisque tu ne savais pas… ou bien est-ce justement le sujet de cette entrevue ?  » Le ton était innocent, mais teinté de taquinerie alors qu’il se penchait pour venir faire s’échouer son souffle sur le creux découvert de sa gorge et sur la pointe de son oreille effilée. Ses lèvres frôlaient à peine la gorge, accentuant sourdement le sous-entendu. Epaules voûtées, il l’englobait dans son ombre. « Je n’aurais pas penser à cela moi-même évidemment… Après tout, tu es un honorable Bourgmestre, n’est-ce pas ? Très attaché à la liberté, au consentement, à la sincérité, hmmm ?  » Son sourire fleurit, incontrôlable, et il se redressa en pouffant sous cape, s’écartant pour cacher ses lèvres derrière l’une de ses manches pendant un bref instant, histoire de se contrôler. Lorsqu’il revint à lui, se fut pour lui ceindre le front de sa main, avec un léger soupire appréciateur. « Tu as l’air d’aller mieux…  » Il lui avait vraiment fait peur. Sa main dériva, la pulpe de ses doigts venant lui caresser les lèvres avant qu’il ne le relâche complètement. « Tu savais que Cymoril avait un faible pour toi ? Parce que j’en ai entendu parler toute la soirée… Aldaron par-ci, Aldaron par-là…  »

Avec un nouveau soupire, il s’éloignant de nouveau et prit place sur la chaise du scribe, les pans de sa longue tunique venant l’entourer comme les ailes diaphanes d’une phalène de nuit. « Qui t’en veux ?  »

descriptionMon passé [PV Aldaron - TERMINE] EmptyRe: Mon passé [PV Aldaron - TERMINE]

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    La satisfaction le contentait de savoir que ses retrouvailles avec les Anciens avait été une réussite, autant que réaliser qu’Ivanyr avait deviné sa question muette l’amusait. Le sourire revenait sur ses lèvres fines, d’un gris à peine plus rose que le reste de sa peau, à peine éclairé. Un vautour. Il aurait presque pu prendre Achroma comme un vautour à se pencher sur lui de la sorte, à lui susurrer des mots comme une caresse langoureuse et envoutante. Croyait-il être le premier à essayer de faire ses griffes sur lui ? Aldaron riait sous cape, sans que son visage n’en témoigne, de le voir, l’entendre, le sentir. Il se demandait jusqu’où le vampire irait… Car à n’en pas douter, maintenant qu’il était sur pieds, son cœur ne s’emballait pas pour si peu de séduction, aussi Achroma puisse-t-il être. Les battements étaient calmes et réguliers, juste assez éveillés pour avouer l’amusement qu’il éprouvait de se retrouver en pareille situation. L’autre essayait-il vraiment de prendre l’ascendant fascinant ? C’était cocasse comme les scènes se ressemblaient, d’une vie à l’autre. Il contempla son allure quasi majestueuse s’asseoir dans la chaise du scribe. Cela lui avait manqué, de ne pas voir cette haute stature dans son champ de vision. Il n’avait pas besoin d’au-delà de ce qu’on offrait à sa vue comme un régal rassurant. « Quel terrible bourreau n’aurais-tu pas fait. » Il raillait, mais tout au fond de lui, cela lui glaçait le sang. Et si la marque du Tyran Blanc avait laissé une cruauté infâme en lui ? Jusqu’alors, il n’avait pas vu les choses sous cet angle et maintenant qu’il y pensait… Ça l’horrifiait. Lui, il avait passé trois ans à Morneflamme, trois ans à survivre. Achoma, il avait passé trois ans à torturer et à condamner. Alors, instinctivement, il se refusait à le positionner dans ce genre de travail. Un jour ferait-il peut-être un bon juge, mais pour l’heure, ses opinions étaient aussi biaisées qu’originales. La justice de Caladon avait besoin de constance. Pas de surprises.

    « Je sais me défendre, Ivanyr. Je suis un grand garçon. » répliqua-t-il à sa demande, railleur. Qui lui en voulait ? Il ne savait pas vraiment, tout en ayant déjà mis un terme à quelques réseaux montés dans la cour de Selenia. Il avait d’ailleurs trouvé cela hilarant que des nobles vénèrent tant un empereur qu’ils prenaient également pour un aveugle et un enfant à materner. Et puis, que se passerait-il s’il disait à Ivanyr de qui il s’agissait ? L’autre irait les éliminer en douce ? Ou travailler avec eux ? « Je sais aussi me payer une catin lorsque j’en ai envie. 1250 pièces d’or, c’est excessif pour ce genre de plaisir futile. » Il eut un sourire en coin, penchant la tête sur le côté alors qu’il le détaillait de haut en bas, joueur. Une lumière sur l’extrémité de son champ de vision attira son attention. La bougie, en bas, s’était allumée. Bien. C’était une bonne chose, il était rassuré. Après avoir laissé son regard quelques secondes sur la flamme tremblante de sa naissance, il revenait sur le vampire, que disait-il déjà ? Ah oui, il était en train d’estimer mentalement le prix qu’il accepterait de mettre pour avoir sa dernière lubie dans ses draps. Pourquoi nier l’évidence ? L’autre n’était pas stupide pour un sou et avait parfaitement compris ce qui l’avait uni jadis à Achroma. Il en jouait merveilleusement bien. « Peut-être serait-il bon de rappeler à ta sœur que j’ai une fiancée qui me pleure depuis 450 ans, au royaume elfique. Tout ce que j’ai construit en termes d’affection a fini dans les larmes, le sang et les flammes d’un bûcher. Pour toute l’amitié que j’ai à son égard, il vaudrait mieux qu’elle choisisse une autre figure, plus stable, pour fantasmer son avenir. »

    Il ouvrit la fenêtre pour récupérer le chandelier mis dehors un peu plus tôt, veillant à ne pas mettre le feu aux voiles de soie. Il vint le remettre à sa place, sur le bureau. « Mais cela, elle le sait déjà… Elle. » Lui non, jusqu’alors. « Elle ne t’a probablement pas rebattu les oreilles pour elle-même. » conclut-il en arquant un sourcil. Un sourire en coin, il ajouta, hors de sujet : « Je crois que mon dernier scribe m’a fait faux bond. » fit-il avec une mine à la fois sincèrement ennuyée, et feintée. « Il y a une place à prendre et tu as l’air de bien aimer cette chaise. » plaisanta-t-il en notant la place que le vampire avait naturellement prise. Peut-être y avait-il lui-même pensé et lui avait suggéré. Un franc sourire taquin marquait ses lèvres et brillait jusque dans ses yeux. « Tu es intelligent, tu comprendras vite comment cette Cité tourne et… Qui m’en veut. » Si c’était vraiment ce qu’il souhaitait découvrir. Mieux valait qu’il découvre par lui-même les rouages à la fois passionnants et ennuyeux de la politique plutôt qu’Aldaron lui explique en détail les subtilités de ceci. Cela risquait d’être extrêmement long, et il n’avait pas toute la nuit. Il retira la fibule d’argent, épinglé à son torse, qui représentait l’emblème de Caladon et le rôle qu’il avait dans cette Cité Libre. Il le déposa sur son bureau, délicatement et refermait sa main sur le sceau du Marché Noir.

    « Je ne suis pas un honorable Bourgmestre. » fit-il d’une voix sombre lassée d’un charisme qui lui était inné. Ses yeux, brillants du reflet ambré de la bougie, harponnaient ceux céladons avec une férocité prédatrice. Il prenait son attention, alors qu’il venait s’asseoir sur lui, à califourchon, sans pour autant se coller contre lui, le dos droit en posture régalienne. Il prit l’une des mains d’Ivanyr pour aller replier délicatement la riche étoffe de sa manche, jusqu’au coude. Le silence était retombé, reposant son esprit alors qu’il se focalisait sur son acte, découvrant sa peau blanche, cadavérique, à nu. Seul le bruit du tissu frotté et son souffle paisible, venait perturber le mutisme de la scène chastement voluptueuse. Il saisit le bâtonnet de cire rouge pour l’approcher de la flamme de la bougie et lorsque l’extrémité fut assez ramollie, il vint en faire une tache sur la peau d’Ivanyr. Il ne sentirait pas la brûlure, tout vampire qu’il était. Aldaron plaqua immédiatement le sceau dessus, pour l’imprimer dans la cire, avant de reposer son matériel sur le bureau, avec soin. Il lui laissa le temps de contempler l’emblème, l’observant avec patience, la tête sensiblement penchée sur le côté et un sourire sur les lèvres, presque enfantin dans son innocence. « J’ai été l’une des trois têtes qui dirigeaient le Marché Noir. L’une des dernières en vie. » commença-t-il à expliquer : « Le Marché Noir ne vendait pas des marchandises illégales. C’était son existence-même qui était illégale, dans le sens où il n’était pas autorisé par l’Empereur… Puis par le Tyran Blanc. Mais nous avions l’habitude de nous cacher et nous le faisions exceptionnellement bien. Tellement bien que le Tyran Blanc a dû envoyer son meilleur élément dans l’ancienne Caladon pour nous trouver. Un terrible bourreau. » Il faisait écho au début de sa conversation. N’était-ce pas à Ivanyr qu’il avait donné ce titre : « Et tu sais quoi ? » Il eut un sourire carnassier : « C’est le Marché Noir qui est reparti avec son meilleur élément. » Il souffla un rire, par le nez. Ça n’avait pas été si simple qu’il le contait, peut-être qu’un jour Ivanyr entendrait parler de cette légende qui avait réduit une partie de Caladon en cendres.

    « C’est de cela qu’ils ont peur, comme Gloria et le Tyran en avaient craint le pouvoir avant eux. » De son ongle, il vint gratter la cire avant de la défaire de la peau albâtre. Il fit refondre celle-ci sur la bougie et les coulures rouges vinrent maculer la cire blanche. « Mais le Marché Noir est mort. Comme tant d’autres souvenirs. » Son regard quitta la contemplation de ces coulures carmines pour venir rejoindre celui d’Achroma : « Et ce qui est mort ne revient pas à la vie. » affirma-t-il, en parfaite contradiction avec la présence même d’Achroma devant lui. Le vampire était-il prêt à accepter d’avoir été sorti d’entre les morts ? Son avis avait-il changé depuis ses retrouvailles avec les Anciens ? Ou le problème n’avait-il pas été tranché jusqu’alors ?

descriptionMon passé [PV Aldaron - TERMINE] EmptyRe: Mon passé [PV Aldaron - TERMINE]

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La lueur d’une perplexité méfiante s’alluma immédiatement dans son regard et il se rembrunit immédiatement. « Bourreau ? Je n’irais pas jusque-là… » Il n’avait pas eu l’intention de le torturer et que l’autre puisse même envisager l’idée l’insultait profondément. Qu’est-ce que ça voulait dire, ça exactement ? C’était l’image qu’il lui avait donné ça ? Celle d’un homme prêt à torturer pour avoir des informations ? Il le prenait pour qui exactement ? Voilà qui constituait une douche froide efficace… pour tout le trouble qu’il avait montré et sa détermination à le voir comme quelqu’un d’autre, il le jugeait extrêmement vite et de bien mauvaise façon. Il y avait quand même un juste milieu entre deux extrêmes, Aldaron ne le savait-il pas ? Lui qui se disait homme politique, il tirait un peu trop vite des conclusions d’une simple affirmation aux mots choisis. S’il avait voulu e faire bourreau, il l’aurait dit bon sang ! Aigreur dans la gorge, la suite ne fut que plus dommageable encore. « Il ne me semble pas avoir affirmé le contraire » Le ton était neutre et retenu, mais la vexation s’ancrait encore davantage. Une bouffée de rancune l’étrangla un bref instant. De quel droit se permettait-il de déformer ses propos ainsi ? « Et je ne vous juge pas » Le moi était sous-entendu, mais assez criant, et il ne chercha absolument pas à s’en cacher. Inexpressif, il se contenta de le regarder avec des prunelles de pierre, peu décidé à se montrer de nouveau expansif ou ouvert à présent. La touche d’humour arrivée trop tard ne fut pas suffisante pour le dérider, et il se contenta de répondre simplement, mais avec une touche légère qui sonnait faux. « Ne soyez donc pas pingre, personnellement si je devais en arriver là je demanderais bien plus que cette somme… »

Et il semblait écrit qu’il n’allait pas du tout apprécier cette soirée. Cette fois, ce fut une étincelle de haine qui couva dans son regard, avant de disparaître. Il n’aimait pas que l’on parle ainsi de sa sœur ou que l’on puisse la dénigrer. « Vraiment ? » Sa voix avait un velours dangereux « Voilà qui est étonnant. Si vous pouviez réellement vous targuer d’une amitié avec elle, vous sauriez qu’elle n’a rien d’une écervelée… ni d’une ingérente, d’ailleurs » Il reposa la tempe sur un poing « Elle sait parfaitement que je n’écoute pas ce genre de racontars. Et elle est immortelle, contrairement à vous, je doute qu’elle veuille d’une relation de couple… et si elle veut fantasmer sur vous, ni vous ni moi n’y pouvons grand-chose. Je ne pense pas que votre passé lui fasse peur » Il resta un instant silencieux avant d’ajouter, comme une pierre à la conversation, ou un point final. « Si vous voulez me faire jouer les scribes, faites » Le désintérêt manifeste pour la proposition n’était pas feint. Il s’était assit purement parce qu’il n’avait pas envie de rester debout les bras ballants et qu’il ne savait pas si l’autre allait vouloir rester sur place. L’idée même de rester en permanence entre quatre murs pour écrire des textes pour quelqu’un qui aurait pu le faire lui-même n’éveillait aucun enthousiasme chez lui. Il n’y avait sans doute pas grand-chose de plus ennuyant que ça, mais bon, il ne pouvait pas lui dire non après tout… il avait une dette à payer. La perspective le vidait déjà de toute substance, et il envisageait de dire à Purr qu’il s’installerait à la belle étoile jusqu’à nouvel ordre pour arriver à se sentir un peu mieux après avoir eut à subir des journées entières ainsi.

L’envolée de son interlocuteur ne trouva aucun écho chez lui, et il retourna un regard plat et distant à sa férocité, peu impressionné. L’approche ne fut pas répondue davantage. Si physiquement il était proche, mentalement, il était très éloigné… et n’était plus du tout enclin à ce genre de jeu. Et ça allait de mal en pis. S’il l’avait laissé faire, voir le sceau sur son bras fit fourmiller ses doigts d’une magie à peine contenue, d’une violence qu’il retenait à peine et uniquement sous l’innocence de la voix de l’autre. Autrement ? Il l’aurait probablement tué sur le champ. Quand il eut terminé cependant ? Il le repoussa fermement, et se redressa pour s’éloigner de lui, cachant à peine son dégoût profond, viscéral, qui le prenait à la gorge et lui donnait envie de tout envoyer valser. Tout du long de son discourt, il s’était de plus en plus raidi, glacial et fermé. Un instant, il se sentit partir, l’impulsion de sa rage comme un chant impossible à combattre, comme un plaisir qu’il se serait mille fois accordé. Puis, en déglutissant le venin qui lui brûlait la gorge, il parvint à répondre d’une voix tranquille, mortellement paisible et douce, le tranchant dangereux à peine dissimulé sous la soie du souffle. « Ne me marquez plus jamais…. » Pour autant qu’il semblât calme, la pression magique soudaine de la pièce n’avait rien d’amicale. « Je déteste l’idée de tuer vous savez… mais je vous jure, sur tout ce que je possède, que si vous faites ça encore une fois je vous réduirais en cendre… exactement comme votre missive… » Avec l’impression d’être raide comme une statue, il expira profondément, faisant tressaillir ses épaules, alors qu’il essayait de dissiper ce qui l’entourait comme un bloc solide. Son regard rivé dans celui de l’elfe n’avait rien de tendre, vitreux et figé.

Lorsqu’il parla de nouveau, ce fut sans la moindre forme de joie, bien au contraire. Son visage était à la fois figé, et parcourut de toutes petites formes expressives qui détonnait à la fois la désillusion, la colère, la tristesse, le cynisme et le regret « Est-ce que c’était ça votre relation avec cet Achroma ? Sexe et politique ? L’un puis l’autre ? Avez-vous-même partagé quoi que ce fut qui ne soit pas de ces domaines ? Arriveriez-vous à me citer une occasion qui diffère ? Quelle pitié vraiment… » Il pinça les lèvres, comme pour réprimer un début de nausée, alors que sa voix se tordait, bloquée sur un cri de rage et un sanglot, l’étouffant à moitié « Est-ce que c’était à ça que vous passiez votre temps ? A essayer de vous dominer l’un l’autre ? » Il était venu en ayant l’intention, unique et sincère, d’essayer d’apprendre à le connaître et à nouer une relation de confiance, et le premier lambeau qu’il lui offrait par simple bonne volonté, pour prouver qu’il n’avait rien d’autre en tête, était bien mal reçu. « Je me demande… pensez-vous réellement que vous vous seriez entendus ? Après Morneflamme, après tout ce que vous avez pu vivre… qui vous dit que vous auriez pu continuer ensemble, hein ? Auriez-vous réussi à trouver quoi que ce soit pour construire réellement votre union ? » Etrangement, lui en doutait profondément sur le moment. Peut-être sa rage l’aveuglait-elle, tout simplement, peut-être accentuait-il ses doutes simplement pour le plaisir de lui envoyer tout cela à la figure. Après tout, si la manière douce ne fonctionnait pas, la manière forte le ferait peut-être ? « Franchement, si votre perche était physique je vous aurais bien frappé avec ! » Comme s’il n’avait pas vu l’ouverture béante qu’on lui tendait et qui le vexait encore davantage.

« Mais peut-être est-ce ma faute… » Peut-être, oui après tout. Pourquoi est-ce qu’il était assez idiot pour accepter de venir le voir, de vouloir absolument, stupidement, nouer quelque chose avec lui ? Il ne le connaissait absolument pas après tout, quant bien même l’autre affirmait que si. C’était un parfait inconnu, et qui en plus de ça le prenait pour quelqu’un d’autre. Espérait-il donc tant qu’il soit Achroma ? Est-ce qu’il voulait absolument le forcer dans ce moule, le voir réagir comme l’autre l’aurait fait ? Tout son être se révulsait à l’idée… réellement. Portant une main à ses lèvres il essaya de réprimer sa nausée alors que soudainement, la pièce semblait se refermer sur lui, une cage, une prison, des fers pour le retenir. Non, ce n’est pas ta faute…La voix de l’ancestral résonna tout près de lui, mais il ne chercha pas à le repousser. « Je ne sais même pas pourquoi je m’escrime… » Cette question restait, gravée au fer rouge en lui : pourquoi est-ce qu’il essayait de connaître Aldaron… pourquoi est-ce qu’il se sentait aussi blessé par ce qui se disait… pourquoi… pourquoi est-ce que ça lui importait, d’arriver à l’atteindre, pourquoi est-ce qu’il ne partait pas immédiatement. Ça serait pourtant tellement plus simple, moins douloureux pour lui, de partir là, tout de suite… Inspirant profondément, il finit par se reprendre en main. « Si vous ne vouliez pas me répondre, vous pouviez juste me le dire, j’aurai accepté…. Vous savez quoi ? Je ne vois pas en quoi vous ne seriez pas un honorable bourgmestre… en fait, ce qui me frappe, c’est que je ne vois surtout pas qui est la personne derrière le titre… ou surtout… si vraiment il y a quelqu’un derrière… »

Il n’eut qu’un instant d’hésitation avant d’assener, pour mettre un terme à tout cela, avec une révérence gracieuse mais cynique « Aviez-vous quelque chose dont vous vouliez me parler tout particulièrement Sir pour m’avoir ordonné de venir ? Sinon, je pense qu’il est tard et que vous devez être épuisé… je ne devrais pas abuser de votre précieux temps »

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    Une boule se formait dans sa gorge, celle de la désillusion, amère et étouffante lorsqu'il l'observa, tel un point final, exécuter une cynique révérence. S'il restait droit, dans une solidité impériale, il n'en demeurait pas moins vrai qu'il avait mal de ces coups reçus gratuitement. Aldaron n'arrivait toujours pas à lui en vouloir, cependant, gardant à l'esprit qu'ils n'avaient définitivement pas le même cadre de référence, qu'ils se jaugeaient l'un et l'autre, s'estimaient, se cherchaient en se touchant des histoires douloureuses et en mettant les deux pieds dans le plat à chaque tentative. Pourquoi fallait-il que ce soit si compliqué ? Voilà qui semblait incarner un point de discorde houleux. S'il avait voulu le faire réagir, c'était gagné... mais ça n'était pas ce qu'il avait recherché, pas vraiment. Probablement avait-il tiré trop de cordes sensibles à fois, lui qui était tant persuadé qu'Ivanyr ne se souvenait plus de rien, il avait la preuve du contraire. Il y avait des marques, des sentiments, des peurs qui restaient gravés en lui, tellement de signes qui tendaient à prouver, s'il était nécessaire encore, qu'Achroma dormait sous cette peau.

    Ses lèvres, scellées dans le silence, eurent du mal à s'entrouvrir, comme séchées par la peine. « J'ai peur de toi, Ivanyr. » avoua-t-il, dans un souffle à peine audible, mais il ne doutait pas que le vampire l'ait entendu. Il n'aimait pas l'avoir mis dans cet état, c'était probablement ce qui lui faisait le plus mal au cœur, bien plus que les coups qu'il avait reçus. Appuyé sur le bord de son bureau de bois, il baissait lentement les yeux sur ses mains réunies, comme s'il cherchait par où entamer son propos. « Je cherches... Je cherche jusqu'à quel point il y a Achroma en toi. A quel moment son emprunte s'arrête, à quel moment celle d'Ivanyr commence. Comment tu t'es formé autour de lui, comment tu penses, comment tu agis, toi, Ivanyr. Tu te crois amnésique. Moi, je crois que tu n'écris pas les pages de ton histoire sur des feuilles vierges. » Il releva les yeux vers lui, la voix lasse et tremblante, légèrement, d'une émotion enlacée autour d'une blessure profonde. « Je me trompe ? » demanda-t-il, dans un murmure, comme un secret, entamant de faire quelques pas, doucement vers lui.

    « Tu me dis que tu ne te sens pas relié à Achroma et je vois les choses autrement. Je le vois en toi, même si ça ne te plaît pas ou que ça te dérange. Je ne peux pas fermer les yeux sur ce que tes actes m'évoquent... Parfois de façon surprenante. Est-ce que tu sais pourquoi tu serais prêt à me tuer si je te réduisais en esclavage ? Pourquoi tu rejettes cela aussi viscéralement ? » Il frissonnait encore de la pression magique de son aura, un peu plus tôt. D'un geste lent, il leva ses deux mains jusqu'au coude d'Ivanyr pour défaire le tissu de sa manche et le remettre soigneusement en place tandis qu'il expliquait, d'une voix toute aussi tremblante que ses doigts : « Parce que le Tyran Blanc t'a marqué d'une sombre allégeance, autrefois. Il t'a obligé à le servir, à torturer, à tuer ses ennemis. Tes amis. Pendant trois ans. Si j'ai été marqué par Morneflamme, tu as été marqué, dans ce même temps, par des actes ignobles auxquels tu ne souhaitais en rien participer. Mais tu le faisais, parce que tu n'avais pas le choix. Tu as même failli me tuer, moi. Tu m'as fait revivre mes pires terreurs, mes pires craintes. Tu m'as éviscéré, tu as châtié les crimes que j'avais commis contre le Tyran et encore aujourd'hui, je sens ta magie me labourer les entrailles. » Il déglutit, difficilement, ravalant la douleur et la peine que lui évoquait le souvenir.

    Voilà qui devrait l'éclairer sur son discours un peu plus tôt, au sujet des bourreaux. « Et quand je t'ai supplié de me rendre Achroma, tu t'es battu pour le faire ressortir, même si cela te coûtait, et tu m'as rendu la vie. » Sa voix s'étouffait alors qu'il réalisait que c'était sûrement ce qu'il recherchait, inconsciemment. Il cherchait cet Achroma pour qu'il lui rende sa vie. Il posa une main sur ses propres lèvres, le temps d’étouffer un sanglot, de le taire, l'empêcher d'éclater au grand jour. Il inspirait, alors qu'il relevait des yeux vitreux sur lui, qui avaient perdu toute leur lumière, dévorés par les ténèbres. Incapable de parler, il murmurait à présent : « Du sexe et de la politique, hein ? » C'était amer et ça raidissait sa mâchoire avant qu'il n'anéantisse la crispation au profit du pénible aveu. « Oui, probablement au début. Tu voulais un exemple de situation où il n'y a eu ni sexe ni politique : tu en as eu un. Tu poses des questions, je te donne des réponses. C'est ça que tu attends de moi, n'est-ce pas ? Parce que je suis le seul à t'en avoir donné jusqu'alors. Les Anciens ne sont pas très bavards. Rassure-toi, ils ne l'ont pas été plus avec moi. » Il comprenait, la décision, des ordres de Skade. Son ton n'était pas rancunier, il exposait l'état de vérité. Il n'avait pas été mis dans la confidence pendant toutes ces années. Tout comme Ivanyr.

    Il dévia le regard sur le côté et ses prunelles venaient se reposer sur le siège vide de son scribe : « Je ne sais pas qui m'en veux. Je sais juste pourquoi on m'en veut. Je croyais qu'en te donnant ce dont je disposais et une place pour accéder aux données du problème, cela te suffirait pour incarner une réponse. » Il secoua la tête de gauche à droite : « Tu veux ma confiance et tu as vu de toi-même comme je ne peux être aveugle, au risque d'y perdre la vie ou pire. J'ai peur de toi, Ivanyr. J'ai peur de toi parce que tu pourrais certainement me faire faire n'importe quoi, avec de mauvaises intentions. Alors je cherche mes distances, tout en étant attiré inexorablement vers toi. Je te fuis et je me rapproche. Et je cherche des réponses moi, aussi. Des réponses que tu ne peux pas m'apporter. Pas directement. Je suis passé par un moyen détourné. » Le revers de ses doigts venait doucement caresser son avant-bras, les lèvres tremblantes : « Et je suis désolé. Je savais... Je savais qu'il y avait quelque chose à creuser par-là, mais je ne m'attendais pas à déclencher une réaction aussi vive. Je ne voulais pas te faire du mal, je te le jure. » Ses doigts se glissaient dans sa main, doucement : « Accepte mes excuses, je t'en prie. »

    Il y tenait sincèrement, tout son être le réclamait. Sa main se resserrait sur la sienne, sans qu'il s'en rende compte, alors que ses yeux se baissaient timidement : « Je ne sais pas si nous aurions réussi à construire quelque chose, Achroma et moi. Tes propos ne sont pas sans me rappeler que ce que j'avais à lui offrir n'a pas suffi à le faire... Rester. » Il déglutit et serra les mâchoires avant de relever ses prunelles d'émeraude sur lui. « Je ne cherches pas vraiment à quel point tu es Achroma... En vérité... Je cherche à quel point tu es Ivanyr. J'aimerais voir aussi simplement que toi et fermer les yeux sur ce que je sais de lui. Pour te découvrir sans être... Biaisé. » Son sourire était triste : « J'étais attaché à lui, sincèrement et malgré cette tendresse, ce qui me pousse intimement vers toi, n'existait pas en sa présence. Pas de manière aussi... Poignante. » Il serrait les poings... « C'est effrayant. » acheva-t-il dans un souffle étouffé, lacé d'inquiétude.

descriptionMon passé [PV Aldaron - TERMINE] EmptyRe: Mon passé [PV Aldaron - TERMINE]

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Il écouta jusqu’au bout sans rien faire, figé et encore frémissant de colère, et longtemps après que Aldaron eut terminé, il restait encore silencieux et immobile, cherchant intérieurement à digérer ce qui se disait, et qui jouait sur la corde délicate de ses peurs, irritations et déraisons comme un archet cruel. Il sentait, instinctivement bien qu’ils soient invisibles, la présence de ses fantômes autours de lui, tous semblant s’accrocher à cette scène comme si elle revêtait une importance primordiale. Mais cette fois il n’avait pas besoin d’eux pour comprendre combien elle était, effectivement, importante… « Donc si je veux pouvoir espérer me rapprocher de toi, il faudrait que j’accepte d’être lui ? » Il ferma un instant les yeux puis souffla précipitamment, avant qu’il n’ait le temps de répondre. « Non ne répond pas… je m’excuse, j’ai du mal à ne pas être rancunier » Il expira profondément et se passa la main libre sur le visage, pour chasser la tension nerveuse. C’était mesquin de sa part, même s’il avait aussi ses raisons d’être vexé et blessé par la situation dans laquelle on le mettait de force. Ce n’était pas juste pour lui également, et dans son état présent, il s’offrait le droit de se montrer revanchard comme il le désirait. Mais finalement, ça n’allait pas dans le sens final de ce qu’il attendait, au contraire, cela travaillait à l’inverse. « Je vais te dire quelque chose… Essaye de comprendre que, pour moi, c’est faire un gros effort, et consentir à une prise de risques dont je ne vois pas forcément les conséquences ou le bénéfice »

Lui prenant la main fermement, en essayant de se montrer plus calme, il retourna s’installer sur la chaise, puisant dans l’ancrage une forme de courage et de détermination qui lui faisait défaut en l’instant. L’observant quelques instants, semblant encore peser le pour et le contre, il finit néanmoins par se lancer et lorsqu’il le fit, sa voix était lourde de fatigue et de résignation. « Depuis l’instant où je me suis éveillé, j’ai vu, dans le regard des individus proches de moi… j’ai vu une attente, une recherche… Je ne comprenais pas bien ce qu’ils pouvaient réellement attendre, mais c’était évident. Et je voyais leur déception, chaque fois. Leur incompréhension. Je faisais semblant d’être aveugle, de ne rien discerner, mais ce n’était pas vrai, je le voyais très bien… Et rapidement, je me suis rendu compte que je haïssais ça » Il s’interrompit en pinçant les lèvres, déglutissant difficilement avant d’aller de l’avant. « C’est en te rencontrant que j’ai commencé à saisir ce que les autres attendaient en me regardant. Et même si je suis ravi d’avoir retrouvé ma famille, je leur en voudrais sans doute toujours de ça… à part à Cymoril. Ils attendent tous sans doute la même chose que toi, de voir Achroma en moi, et comme toi, ils sont déçus. Ma sœur… elle est jeune, je ne pense pas qu’elle ait jamais vu Achroma, alors elle ne le cherche pas. C’est pour ça que je me sens plus à l’aise avec elle… j’ai le droit d’être juste moi… »

Cymoril n’avait jamais rien montré qui puisse indiquer qu’elle soit attachée à cet autre vampire, et elle ne cherchait pas à l’assimiler à lui. C’était même elle qui lui avait donné un nom, et ce nom-là n’était pas Achroma. Maintenant qu’il s’en faisait la réflexion, ça tombait sous le sens, entrant dans la bonne case comme une pièce de puzzle judicieusement placée. « Personne ne m’attend simplement pour moi… Personne ne me voit pour qui je suis… » Personne à part un Graarh guérisseur. « Je ne veux… pas être Achroma. Je ne veux pas être sa réincarnation, ou son fantôme, ou quoi que ce soit d’autre. Mais personne ne me laisse ma chance. Ils ne me voient pas moi, et ça… c’est injuste » Il avait du mal à garder la rancœur hors de sa voix, mais n’avait-il pas raison ? Pourquoi fallait-il qu’on lui demande d’être quelqu’un d’autre ? Pourquoi est-ce que chaque chose qu’il faisait devait être prise comme une erreur car elle n’était pas ce que les autres attendaient ? On lui interdisait sa propre individualité et on voulait lui retirer sa liberté à se construire comme lui le voulait. Ce regard, que l’on portait sur lui, c’était une forme d’esclavage également. Et il aurait tant aimé lui faire comprendre à quel point cela le blessait ! Il ne le montrait pas, bien sûr, et faisait tout pour ne jamais y penser, et en un sens, cela corroborait son attitude enfantine et capricieuse… « Je sens cette chaîne, tout le temps, et c’est de plus en plus douloureux chaque fois que je rencontre un nouveau regard plein de cette attente. Je ne vois pas si simplement, Aldaron, parce que je sais très bien ce qui se passe face à moi. Mais… c’est… c’est ma vie, mon identité… si moi-même, je ne me donne pas le droit de décevoir ces attentes, d’être ce que je veux être alors que me reste-il ? Personne ne le fera à ma place »

Et ça, c’était ce que Saeros avait tenté de lui dire. Cela faisait lumière, soudainement, d’affirmer cela à voix haute. A sa façon cruelle, l’ancestral éthéré tentait de le soutenir dans son unicité… L’individualité, féroce, et sans concession, avec ses qualités et ses défauts mais qui s’imposait au monde et ne lui laissait pas le choix que d’accepter ce qu’il était tel que lui le voulait et pas comme eux l’attendait. Et pour cela, il lui était reconnaissant… car malgré la douleur, c’était la vérité, il avait le droit d’être qui il voulait. « Ce n’est pas simple… c’est loin de l’être mais… C’est à moi de garder mes positions. Et c’est aussi pour ça que je refuse si radicalement qu’on m’associe à Achroma. Peut-être que nous ne sommes qu’une seule personne, peut-être que j’étais lui avant c’est vrai, mais je ne me sens pas attaché à lui, d’aucune manière, je ne me sens pas connecté, je ne me sens pas lui, d’aucune façon, quand bien même mes réactions pourraient avoir une signification dans son passé. Je ne le connais pas du tout. C’est pour cela que ça me vexe et me blesse. Parce que… moi je suis moi, pour moi et par moi… et c’est la même chose quand j’essaye d’interagir avec toi, je n’ai pas envie de le faire ‘parce que tu avais un lien avec Achroma’ je veux le faire parce que…moi… ça m’intéresse » Il soupira légèrement, s’autorisa quelques instants de silence avant de devoir poursuivre « Originellement… je veux dire par là, avant de rejoindre la flotte pour le départ, je n’avais pas de nom du tout, et je n’ai pas ressentis le besoin d’en avoir un. J’existais sans, pourquoi j’aurais dû m’en tenir à un nom ? C’est Cymoril qui m’a donné celui que j’utilise, et qui m’a expliqué pourquoi je devais en avoir un. Je l’ai accepté pour elle, parce que, comme je te l’ai dit, elle était la seule pour qui j’existais uniformément »

Il porta son regard à l’extérieur pendant un moment, se languissant de pouvoir respirer à l’extérieur, sans la cage de ces murs. « Je te pose des questions parce que je veux te connaître, tout simplement. La réponse m’importait certes, mais tes intentions en répondant et tes choix presque tout autant. Quant à avoir ta confiance… » Une grimace ironique lui ceignit les lèvres « Je sais combien c’est dur à donner. Non, je ne voulais pas forcément ta confiance, pas immédiatement… je voulais juste savoir si moi j’avais une chance de pouvoir te donner la mienne. On en revient toujours au même problème, c’est en apprenant à connaître quelqu’un que l’on sait si on peut lui faire confiance. Pour toi comme pour moi, la réponse à cette question est la même. Mais je suis sincère quand je dis que je ne veux pas être ton adversaire et que j’aimerais être traité en connaissance de cause… » Il avait tellement l’impression, à chaque instant, que l’elfe tentait de se protéger de lui qu’il avait finit par en être physiquement touché. C’était comme de le voir s’esquiver réellement lorsqu’il essayait de le toucher. « Et si tu ne voulais pas me faire de mal, moi, je ne veux pas que tu ais peur de moi… je veux dire, tu ne me connais même pas ! Même… même si vraiment j’ai été Achroma un jour, je suis juste moi aujourd’hui, et tu l’as dit tu ne me connais pas… ne peux-tu pas me laisser ma chance, avant de décider si tu as des raisons d’avoir peur ? » Il s’avança légèrement sur la chaise et vint lui caresser la joue du bout des doigts « Moi je ne suis pas un politique… ni un bourreau, du moins, j’espère »

Il retira sa main en soupirant « Moi aussi, je me sens poussé vers toi… je peux comprendre que ce soit effrayant de ne pas le comprendre, moi je n’arrive pas à mettre des mots dessus »

descriptionMon passé [PV Aldaron - TERMINE] EmptyRe: Mon passé [PV Aldaron - TERMINE]

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    Le corps du Bourgmestre sembla se déraidir, progressivement, à mesure que la tension retombait. Et qu'il comprenait. Aldaron avait un sens de l'empathie qui s'était développé avec ces siècles passés auprès des humains. Se mettre à la place de cet homme, comprendre ce qu'il pouvait ressentir était simple, d'autant plus qu'il s'agissait d'une pensée sensée. Même dans son propre vécu, il retrouvait ces mêmes attentes que ceux autour de lui avaient espéré de lui, sans qu'il ne parvienne à entrer dans le moule qu'on lui assignait. Ça n'était pas lui. Alors, c'était son tour d'apprendre à ne pas voir Achroma en lui. Ou du moins... Accepter qu'il ait été lavé de toute sa cangue et qu'il ait droit de se reconstruire une vie. Parfois similaire, parfois discordante. Qu'importait ? Il serait unique. « Je comprends. » fit-il tout bas en venant délicatement s'asseoir sur ses genoux pour être à sa hauteur. Il n'avait pas lâché sa main et il n'en ressentait pas la moindre envie. Il aurait voulu rester là, avec lui, que le temps s'arrête et qu'ils aient l'occasion de faire connaissance, recommencer depuis le début. Le silence retombé, il resta un instant à le contempler et leva une main pour venir effleurer le contour de son visage. C'était dur de faire son deuil une seconde fois, après que les espoirs soient revenus à lui, et dans un même temps, il savait que ce n'était pas vraiment un deuil... Il aurait à se réjouir qu'une telle chance soit accordée à Achroma d'être maintenant Ivanyr. « D'accord. » souffla-t-il en réponse, son regard happé par le sien, s'enfonçant dans l'océan céladon. « Je te laisse ta chance. » Ce qui l'avait décidé ? Probablement ces derniers mots. Il se sentait poussé vers lui, également. Son rêve d'inséparable n'avait eu de cesse de le torturer d'une affection, d'un lien sans retour. Achroma l'avait abandonné... Mais s'il donnait sa chance à Ivanyr, peut-être ne lui briserait-il pas également son cœur déjà en miettes. Il pouvait se tromper. Il ne donnait pas cher de sa propre vie si l'autre abusait de lui. Ça ne serait toutefois pas le premier risque mortel qu'il prenait dans son existence... Si celui-ci pouvait lui apporter, enfin, quelque chose de positif... Alors il le voulait.

    « J'arrête de le chercher. » Il eut enfin un sourire, en prononçant ces mots, comme s'il s'ôtait un poids, par cette promesse. Il ne savait pas s'il saurait la tenir pleinement, au moins au début. Mais il s'y efforcerait. Il ferait ce geste pour lui, parce qu'il avait envie de le faire, il avait envie que cela colle. Aucun ne pourrait imposer à l'autre son refus ferme, il savait qu'Ivanyr devrait se montrer tolérant devant les erreurs de l'elfe. Il ne chercha toutefois pas à lui demander de l'être. Si ce pardon venait naturellement, il s’accrochait à l'espoir qu'ils pourraient avancer ensemble. Il se leva et l’entraîna avec lui : « Viens, on va prendre l'air. » Il en avait besoin, et si cela semblait être un ordre, il avait l'intime conviction qu'il proposait cela plus pour le vampire que pour lui-même. Le libérant de l'emprise de sa main, il chercha trois livres dans la bibliothèque qu'il rangea dans une besace avant de se couvrir d'une cape sombre. Il risquait de ne pas trouver le sommeil avec cette histoire, autant qu'il ait de la lecture cette nuit. « Non, par là. » fit-il en voyant Ivanyr s'empresser de repartir par là où il était venu, une fois sa cape remise. Aldaron souffla la dernière bougie et une lumière claire, légère se mit à flotter magiquement près de lui alors il poussait le pan de la sortie dérobée. « Je n'ai pas envie de croiser ma garde et mon peuple. » Il aurait pu les congédier... Mais il préférait ne pas avoir à le faire. Le passage sombre et les escaliers descendaient dans un colimaçon jusqu'à ce qu'ils atteignent des sous-terrains. Une fois en bas, il prit la main d'Ivanyr pour le conduire dans le labyrinthe du Marché Noir, jetant quelques regard derrière lui, comme pour veiller qu'il était toujours là. Des couloirs taillés dans la pierre descendaient jusqu'en bas des falaises de Caladon, dans une petit crique à ciel couvert, comme une grotte. En longeant le roc qui se jetait dans la mer, ils accédaient à une plage, en dehors des murailles de Caladon. Le pas du Triade était assuré, comme s'il connaissait ces chemins par cœur. Ils n'avaient toutefois croisé personne. Les chargements des barques ne se faisaient pas à cette heure-là. Les actions étaient ponctuelles et rapides pour plus de discrétion. En général, maintenant qu'il était Bourgmestre, cela se faisait même en plein jour, dans le port, incognito. Le Marché Noir n'était pas sensé ne plus exister ?

    Un ciel à présent obscur se dressait au dessus d'eux, impérial dans son drapé nocturne et étoilé. Il inspira les embruns de la mer, pas mécontent de changer d'air. En portant son regard sur Ivanyr, celui-ci lui sembla revivre. Un sourire éclaira son visage, un brin moqueur et railleur : « On va peut-être oublier le travail de scribe, hein ? » Il défit ses bottes, adossé contre la falaise. « Tu n'aimes pas être enfermé, n'est-ce pas ? Je m'en passerais bien aussi. » Mais il n'en avait pas trop le choix. Ou du moins avait-il fait un choix qui l'y contraignait. « Je me dis qu'à la fin de mon mandat, quand Caladon sera sur les rails... Je prendrai un peu de repos, loin de tout ça. » Il haussa les épaules alors qu'il pliait sa cape pour la poser sur ses bottes et sa besace. Son vêtement, clair, prenait lentement une teinte nocturne pour être moins visible. « Ma place me rend paranoïaque... Ça fait longtemps que je n'étais pas sorti sans ma garde ou mes assassins. » Il eut un sourire en coin, en se disant qu'il s'était forgé sa propre prison, le temps de s’acquitter de la dette qu'il avait envers ce monde. Ou qu'il pensait avoir. Sa vie d'aventure et de gérant du Marché Noir lui manquait. Être ainsi propulsé en plein jour alors qu'il était un bien plus efficace homme de l'ombre le déstabilisait grandement. Mais il était un elfe : cinq ans passeraient vite et il s'en trouverait libre au terme. Il avait besoin de faire cette traversée du désert pour se sentir mieux. Du moins, il l'espérait. C'était ce qu'il s'était toujours dit mais la présence d'Ivanyr perturbait grandement ses plans. « Tu aimes la mer ? » demanda-t-il : ne devaient-ils pas faire connaissance ? Et pour une fois, c'était une question qu'il n'avait jamais posée à Achroma. Au moins, il n'aurait pas la fâcheuse tendance de comparer. L'eau n'était pas bien loin de la falaise. Il alla rapidement y faire tremper ses pieds nus, savourant le rafraîchissement. Le vent s'infiltrait ses ses vêtements et ses cheveux pour le faire frissonner, sans pour autant le mener à l'inconfort. Il se sentait bien. Fatiguée mais enfin plus calme. Il observa la haute silhouette du vampire, happé par son hypnotisme. Si les elfes avaient une élégance sublime, les vampires avaient cette façon d'être bien à eux qui l'ensorcelait. « Tu viens ? » demanda-t-il en tendant une main vers lui pour qu'il le rejoigne. « Tu me prends pour un fou si je te dis que j'ai envie d'aller me baigner ? » l'interrogea-t-il, lui-même interloqué par ses propres envies. La noblesse n'allait guère piquer une tête dans la mer mais lui, il avait juste envie de... Courir, faire battre son cœur tellement fort, pour le sentir à nouveau. Se défouler, vider son sac, s'épuiser pour relâcher la tension d'aujourd'hui, de ce soir.

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Cette fois, l'approche de l'autre ne le rebuta pas, elle l'intrigua même, car il ne s'était certes pas attendu, après son explosion verbale, à ce que l'elfe veuille se retrouver si proche de lui. Il aurait comprit s'il avait eut besoin d'un peu de temps, au moins pour digérer, pour réfléchir. Mais si ce n'était pas le cas, ça lui allait aussi très bien ! Et au fond, ça lui plaisait assez. Son contact ne le rebutait pas comme celui des autres personnes qui l'avait touché à un moment ou un autre. Il n'y avait pas cette impression de saleté et de poids persistant sur lui, quand l'elfe apposait sa peau sur la sienne… juste cette chaleur vivante qui se répandait tout doucement et qui émanait de lui. Bien entendu, il ne l'aurait jamais avoué, encore moins au premier concerné, c'était bien trop romanesque et sirupeux pour qu'il ose. Il aurait l'air d'un imbécile. A la place, il se concentra sur ce qu'il tentait de lui faire comprendre et sur la réponse qu'il attendait de son interlocuteur. Celle-ci ne manqua pas de lui être convoyée avec une sobriété de circonstances et Ivanyr l'accueillit d'un clignement des yeux et d'un soupire. Son corps se détendait lentement sous le soulagement apporté par les mots de l'elfe et il plongea son regard dans le sien avec plaisir cette fois, ainsi que l'ombre d'un sourire. Sur les lèvres. « Merci... » Il était sincère, purement et simplement heureux que l'autre aille dans son sens, et il y avait quelque chose de véritablement rayonnant dans sa satisfaction à avoir eut gain de cause. Ce n'était pas seulement une affaire de sentiments, il semblait réellement luire légèrement, mais peut-être était-ce simplement sa pâleur ivoirine qui reflétait la lumière blanche de la nuit tombée ? Son cœur se serrait légèrement, et il se demanda un bref moment avec perplexité si Aldaron comprenait à quel point cela avait de la valeur pour lui, s'il prenait conscience de ce que cela voulait dire, pour lui qui avait toujours vécu avec cette attente déçue en guise de suaire. C'était comme de naître enfin concrètement. « Tu... » Mais l'autre avançait déjà. La proposition fut validée à l'unanimité et il manqua bondir à sa suite, le rattrapant rapidement et lui passant devant pour quitter les lieux. Enfin !

« Hm ? » L'appel le fit se tourner, curieux, sourcil arqué et en comprenant le problème fit demi-tour sans cacher son amusement. Un passage dérobé hein ? En même temps, ça ne l'étonnait pas tant que cela maintenant, c'était plutôt une nouvelle source de curiosité. Le suivant donc sans un mot, le vampire se contenta d'observer le passage puis la sortie, piqué de savoir exactement où ils se trouvaient et ce que contenaient les lieux. Ses yeux d'immortel n'avaient d'ailleurs aucun mal à crever l'obscurité, n'ayant pas besoin de lumière pour voir parfaitement. Il reporta néanmoins son attention sur l'elfe en sentant sa main sur la sienne, et le suivit le long des allées, sans rompre le contact. Le débouché à ciel ouvert sur la vaste étendue marine s'avérait à couper le souffle, la tenture céleste piquetée de lueurs lointaines et froides, et le vent marin, iodé, venant agiter leurs capes et leurs cheveux. L'océan s'étendait à perte de vue au-delà des bras rocailleux, l'eau couleur d'encre peu agitée, malgré la brume marine au large. La surface aqueuse se couvrait bien davantage de sa dentelle immaculée sur la plage et aux parois de la crique. « Superbe... » souffla-t-il tranquillement en faisant attention de ne pas glisser et tomber. Il en aurait été capable et n'avait pas du tout envie de devoir rentrer trempé des pieds à la tête, même s'il ne ressentait pas le froid. Connaissant son Graarh de guérisseur, il piquerait une colère et serait bien capable de le suivre pendant plusieurs jours pour s'assurer qu'il ne refasse pas de bêtises. Ils avaient laissé les quais derrière eux depuis un moment, lorsqu'ils descendirent sur la petite plage de la crique. L'impression d'angoisse latente, d'enfermement, se dissipait enfin, comme un mauvais rêve, alors qu'il se laissait baigner par le vent et que ses oreilles s'emplissaient du grondement des vagues. Un poids supplémentaire le quittait et il inspira à plein poumons l'air marin, se gavant de la sensation d'immensité comme du meilleur des vins… « Comment ? » Sa voix brisa la magie de l'instant, et il eut bien du mal à revenir les deux pieds sur terre. « Oh ça... » Un brin gêné au final que cette frustration ait participé de son explosion un peu plus tôt, le vampire se passa une main sur la nuque, la dégageant de sa lourde chevelure, esquivant le regard de l'elfe.

« Vraiment ? » Ainsi, lui non plus n'aimait pas sa cage ? Il pouvait tout à fait comprendre en même temps, il serait simplement incapable de garder le sourire s'il devait passer son temps dans un de ces tristes bâtiments. Silencieux un instant, il l'observa à la dérobée, jaugeant de ce qu'il lui confiait. « Tu as dis être capable de te défendre seul pourtant. N'est-ce pas le cas ? Et je suis là également, si quelqu'un cherche à te faire du mal, il n'irait pas très loin... » Il le fumerait comme un jambon. Ce n'était pas parce qu'il n'avait pas une arme bien visible qu'il était sans défenses, tout le contraire. Et il n'avait pas l'intention de laisser qui que ce soit s'en prendre à l'autre. « Mais c'est vrai je n'aime pas être enfermé… je ne sais pas, je me sens diminué, pris à la gorge, contraint… comme dans une cage horrible. Je peux essayer d'oublier si quelque chose occupe mon esprit, mais autrement ? Je manque d'air, bien que je n'ai aucune obligation de respirer. Cela me prend à la gorge. C'est vrai que je ne me sentirais pas bien, si je devais être ton scribe, et je m’ennuierais sans doute vite. Mais si tu le veux vraiment… je peux essayer de faire un petit effort. Sinon, pourquoi ne pas me laisser être ton garde du corps ? A moins que je ne me trompe, je n'ai sentis aucun mage de mon niveau près de toi… » Il soupira « Sinon, je ne sais pas. Demande à ta conseillère, non ? Elle aura peut-être une idée à te soumettre… » Travailler avec la petite humaine lui plairait assez, même si cela voulait dire ne pas voir Aldaron aussi souvent. Peut-être serait-ce aussi une bonne chose, pour tempérer leur découverte mutuelle ? Il n'était pas bien certain. Pensif, il s'était approché de l'eau, observant l'écume avec fascination. S'il aimait la mer ? Oui… C'était une belle chose, pleine de surprises, avec sa part de douceur et sa part de dangers. Elle avait son caractère et ses histoires. « Oui » fit-il simplement, incapable de répondre plus sur l'instant. Il aimait la mer, elle éveillait quelque chose de singulier en lui. « Je ne la connais pas bien cependant » Il n'en était pas vraiment familier, même si elle avait quelque chose d'envoûtant. De la même façon que cette attraction étrange entre eux.

« Je…. » Il se tourna cette fois vers lui, haute silhouette spectrale dans la lueur nocturne, longue et élancée, cheveux au vent. Son regard semblait plus clair, plus bleu sous cette luminosité ambiante et froide. « Non, je ne te prend pas pour un fou » Il s'essaya à un sourire «  Mais je serais bien en mal de t'accompagner… je ne sais pas nager » S'il avait été vivant, il aurait probablement rosit de le lui avouer. C'était idiot tout de même, mais jamais il n'avait eut l'occasion d'apprendre et il n'estimait pas être très doué. S'avançant pourtant quelques peu, il retira sa cape, et hésita un bref instant. Devait-il le rejoindre ? Il allait certainement ruiner sa tunique. Avec cela en tête et sans plus de gêne, il délaça les attaches sur le tissu souple et le fit glisser de ses épaules, révélant un torse sculpté sans la moindre cicatrice. Il quitta ses bottes à son tour, puis s'avança jusqu'à avoir les chevilles immergées. « Tu veux m'apprendre ? »

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    L'elfe tâcha de ne pas accentuer sa gêne au sujet du poste de scribe. Il savait repérer les signaux du corps, en pareille situation, aussi détourna-t-il le regard pour l'épargner, pendant qu'il ôtait ses bottes. Il l'écoutait attentivement, néanmoins et le regard qu'il posait sur lui, par moment, était empreint d'une certaine tendresse qu'il ne pouvait pas contrôler et qui tendait son être vers lui. Il y avait une énigme, quelque chose qui le faisait immanquablement se poser des questions, non pas au sujet d'Achroma puisqu'il ferrait solidement ces sentiments-là tout au fond de lui, par promesse... Mais il y avait tout de même une sorte d'espoir intrigué au sujet de cette personne qui se dévoilait sous ses yeux, petit à petit. Il lui faudrait l’apprivoiser, progressivement, l'adopter et se laisser adopter, porté par cette attirance inexplicable et faire confiance de plus en plus, s'ils y parvenaient. Main tendue vers lui, alors qu'il attendait qu'il le rejoigne, dans l'eau, il fut surpris de le voir se dévêtir. Probablement aurait-il du faire la même chose s'il n'était pas certain de la qualité du tissu elfique. Les vêtements de ce peuple avaient le don d'être très léger et résistant. Ça lui faisait étrange de revoir ce corps à la teinte albâtre ressurgir de ses souvenirs. Il s'accrocha à ses yeux, céladons, comme on étreint une ancre, ne le voyant même pas avancer jusque lui, pieds dans l'eau. La lumière de l'astre lunaire révélait tout leur hypnotisme vampirique, ou du moins était-ce l'impression que cela lui donnait. Il était aussi probable que ce soit lui qui y soit particulièrement sensible. Aussi se sentit-il bête et se secoua mentalement en réalisant que ça faisait quelques secondes qu'il ne lui avait pas répondu : « T'apprendre ? » De quoi parlait-il déjà ? Ah oui : de natation. « Oui, bien sûr. » souffla-t-il, gêné. Il s'orienta vers la mer pour s'avancer plus en amont dans l'eau, les yeux baissés sur les écumes des vagues qu'il affrontait de ses enjambées. Elles n'étaient pas bien violentes, l'eau était calme, ce soir. Il n'y avait que son grondement régulier en son de fond. « Un garde du corps, oui. Je ne veux pas t'enfermer dans un endroit où tu ne te sens pas bien. Je veux que tu restes à Caladon, tu comprends ? » C'était tout ce qu'il cherchait au fond. Qu'il reste. « Il va falloir que je trouve comment te contacter efficacement. Ça n'était pas facile pour ce soir, j'ai cru que tu ne viendrais pas. » C'était peu dire.

    « Ce n'est pas facile de nager... Et vous, les vampires, vous avez un handicap, puisque vous coulez. » Il eut un sourire en coin en songeant à la première fois où son frère lui avait expliqué. Ça l'avait beaucoup amusé d'imaginer Cercëe, au fond d'un lac, les bras croisés, dépité. L'image lui revenait : si les morts avaient brisé son cœur par leur départ, il avait le sentiment de redécouvrir, à présent, tout le bonheur qu'ils avaient pu lui apporter, de leur vivant, sans que cela ne vienne rouvrir une plaie béante. « Cercëe me disait qu'il remplissait ses poumons d'air et bloquait cela à l'intérieur. Ça l'aidait un peu à flotter. » Le prénom du Triade sortait de nulle part. Pour l'elfe, c'était particulièrement logique, en suivant son fil de pensée. Ses doigts frôlaient ceux d'Ivanyr, lorsqu'ils avançaient côte à côte. Lorsque l'eau vint en chatouiller l’extrémité, il saisit, dans un geste naturel et instinctif, la main du vampire, comme s'il avait peur que l'océan l'emporte. L'eau inondait ses vêtements noirs et légers qui venaient coller sa peau par effet d'humidité. « Nager, c'est un peu comme repousser l'eau avec tes jambes et tes bras dans la direction inverse où tu souhaites te rendre. Pour aller vers la surface ou y rester, on bat des pieds et bras pour envoyer l'eau vers les profondeurs. Pour aller à droite, on brasse l'eau vers la gauche et vice versa. En fait, c'est comme si... Tu essayais d’attraper quelque chose d'invisible devant toi, pour t'y accrocher et te tirer vers l'avant. Comme grimper à une corde sauf que... l'eau, ce n'est pas... Solide comme une corde. Ça s'échappe mais quand tu fais ça assez rapidement et amplement, tu peux t'appuyer sur sa résistance à ton mouvement. » Ils s'arrêtèrent d'avancer lorsqu'Achroma eut de l'eau jusqu'au cou. Aldaron ne touchant presque plus le fond, il avait lâché sa main pour la poser sur l'épaule nue de son compagnon et se faire entraîner.

    Il savourait l'eau tiède de la fin de l'été, nageant simplement pour rester à la surface. Il sentait le pouls de son cœur accroître par l'effort fourni. Cela lui faisait du bien de le sentir fonctionner comme il faut. Au fond, il s'était fait très peur, lui aussi. « Remplis tes poumons d'air et garde le à l'intérieur. Et puis on va juste te faire flotter pour le moment. Tu vas pouvoir défaire tes pieds du sol en pliant un peu tes jambes. Et tu pousses l'eau vers le fond pour rester à la surface. » Sur ces bases, combien de temps, ils passèrent ? Une bonne quinzaine de minutes : il lui montrait, le corrigeait, lui expliquait. Il s'amusait de le voir s'enfoncer dans l'eau, autant qu'il s'enthousiasmait lorsque ses efforts payaient et qu'il restait à la surface sans couler. Il l'encourageait avec une pédagogie longuement usée auprès des hommes. S'il n'avait pas éduqué son propre enfant, nul doute qu'il avait pris plus d'un petit humain sous son aile protectrice. Par moment, l'elfe semblait perdu dans la contemplation de son grand enfant de 1200 ans à qui il apprenait à rester à la surface de l'océan. C'est que c'était cocasse tout de même ! Il restait à proximité de lui, lorsqu'il essayait, faisant des ronds autour de lui, plongeant parfois sous l'eau pour mettre à l'épreuve son apnée, avant de jauger de la progression de son apprenti. Il le couvait de son regard d'émeraude, dévorant de plus en plus les traits de son visage. Il avait envie de caresser l'arrête de son nez, embrasser l'os de sa mâchoire, mordiller la peau de son cou, enfouir son nez dans sa chevelure immaculée, sentir le contact de sa peau froide sur les lèvres et le goût iodé de la mer, l'odeur des embruns, sa présence. Il reprit la parole, pour juguler tout ça : « En vérité... On n'apprend à nager que parce que c'est vital pour nous mais... » Un peu moins pour les vampires. « Si tu ne connais pas bien la mer, c'est peut-être parce que tu ne côtoies que sa surface. Sa vraie richesse est en dessous. Viens. » lui proposa-t-il en reprenant sa main pour la poser sur son épaule qui, bien que musclée, n'avait pas le gabarit de celles d'Ivanyr. « Accroche-toi, bats des pieds pour avancer et laisse-toi porter. Je t’emmène. »

    Et effectivement, dans ce jeu de confiance, il l’entraînait, nageant là où l'eau se faisait plus profonde, ne craignant pas vraiment de se noyer. Il savait nager et le vampire... Et bien, il pouvait couler et marcher jusqu'au rivage dans le pire des cas. Sa respiration s'accentuait, son rythme cardiaque accélérait, mettant à l'épreuve son corps convalescent pour se sentir vivre, comme il l'avait voulu. La plage était assez loin maintenant et il s'arrêta progressivement. « Allez nage, reste à la surface ! » fit-il, certain qu'Ivanyr y arriverait. L'elfe fit naître une boule de lumière, par magie, pour qu'elle reste près d'eux alors qu'il s'approchait près de lui. « Tu permets ? » fit-il en s'accolant et en encerclant sa taille de ses bras. « Ok, cesse maintenant et vide tes poumons, on va visiter. » Il s'accrochait à lui et prit, pour sa part, une bouffée d'air alors qu'ils se mirent à couler avec le poids mort du vampire. Il avait toujours rêvé de tester ça depuis que Cercëe lui en avait parlé ! La lumière s'enfonçait, dans l'océan, avec eux, éclairant les eaux sous-marines, reflétant son éclat sur les écailles argentées de tout un ban de poissons alentours, qui nageaient en groupe, comme une famille. Le corail formait des sculptures grandioses sous leurs pieds, quelques algues ondulaient tels des tapis alvéolés et le ciel, au-dessus d'eau n'était plus qu'une obscurité lointaine. Le silence, soudain, le saisissait, l'apaisait et contribuait à rendre l'instant magnifique, comme porté hors du temps. Il resta un moment à contempler le paysage aquatique qu'il avait sous les yeux : il n'avait pas l'occasion de faire cela tous les jours. Un sourire se dessinait sur ses lèvres fines, appréciateur du spectacle. Il y avait quelques caisses de bois, au fond de l'eau, probablement perdues dans le port et drainées par le flot jusqu'ici. Le manque d'air le fit sortir de sa bulle et, à regret, il relâcha l'étreinte du vampire pour remonter à la surface.

    Loin de lui, sous les ténèbres de la nuit, il reprenait son souffle, peinant à accepter le manque qui faisait son apparition, sournoisement. Il reprit de l'air, plongea le rejoindre. Il dut faire l'aller-retour les quelques fois nécessaires à sa survie alors qu'Ivanyr pouvait profiter pleinement de la découverte. A chaque fois, il revenait vers lui, les poumons chargés d'air et s'accrochait au vampire pour rester, au fond, avec lui. Retrouver sa peau était un soulagement, plus fort à chaque fois, autant que le manque s'accentuait lorsqu'il devait remonter à la surface, l’irritant sincèrement. Il s'accrochait à sa main, l’observant lui, plutôt que le paysage, ses cheveux voyageant au gré de l'eau. Il se stabilisait, à nouveau, au fond de l'eau, son regard s'accrochait à celui du vampire, comme une maladie compulsive qu'il ne parvenait à repousser. Il aurait voulu arriver à trouver des mots à mettre sur son bien-être près de lui. Ou peut-être lui souffler le contenu de ce rêve dont la signification le traumatisait d'une crainte latente. Les sentiments, qui chauffaient son cœur, le perturbaient. Il se sentait intimement relié à lui, plus qu'il ne le devrait. Plus qu'il ne l'avait jamais été. Ça n'avait rien à voir avec l'amitié, ou encore à la fraternité qu'il avait bien connue. Ça n'avait rien à voir avec le besoin physique et charnel de ses désirs. Ça n'avait rien à voir avec la douleur et le désespoir unificateur qu'il avait ressenti, sur la fin, avec Achroma. C'était autre chose qui le faisait rester... Il repoussait les limites de son apnée, pour demeurer avec lui, juste une ou deux secondes de plus. Il cherchait à lire, dans son regard, si le fond de l'eau lui plaisait, si la découverte le satisfaisait. S'il se sentait bien, lui aussi. Son nez frôlait le sien, à peine, ses yeux se fermaient d'une fatigue ou d'une ivresse envoûtante, ses lèvres s’entrouvraient, comme à la recherche d'un baiser ou d'air lorsque son corps lui envoya une décharge d'adrénaline pour lui rappeler un besoin vital ! Combien de temps était-il resté ?! Il posa ses deux mains sur les épaules d'Ivanyr, cherchant un appui pour se propulser à la surface, alerte. Ses muscles se contractaient pour prendre de l'élan, sa tête se relevait vers la surface, sa destination.

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Le voir ainsi gêné lui arracha un bref sourire amusé et affectueux, et il ne poussa pas la faiblesse, se contentant de s’enfoncer un peu plus loin avec lui dans l’eau salée. Lentement, la surface aqueuse commença à engloutir leurs corps, et pour sa part, le vampire apprécia l’expérience. La sensation apportée était délicieuse, souple et presque soyeuse, puis tout simplement unique avec cette lourdeur qui se transformait en légèreté. «  Je n’ai pas l’intention de partir maintenant…  » Il lui glissa un regard en coin, avec une certaine douceur un peu lasse avant de revenir aux vagues qui lui léchaient les jambes. Cependant, la remarque à la fois pragmatique et unilatéralement drôle lui arracha un souffle sec, ébauche de rire. «  J’étais vexé… tes gardes m’ont fait appeler comme si j’étais ton serviteur. Alors j’ai décidé que tu patienterais jusqu’à ce que moi je daigne venir. Désolé pour ça, c’est un de mes défauts, la mesquinerie. Mais ça n’enlève pas l’intérêt de ta remarque. Peut-être pourrait-on établir un lien magique d’une quelconque façon ? Il y a des enchantements qui permettent de communiquer, non ? Je dirais bien que je peux entendre ton cœur et c’est vrai, je sais te repérer maintenant, cependant, cela n’a rien d’une science exacte que de savoir interpréter les battements de ton cœur  » Il pouvait se mettre à palpiter simplement à cause de la joie, ou d’une activité physique intense. Et quelle tête ferait-il s’il advenait ainsi devant lui, persuadé qu’un malheur lui était tombé dessus ? Il aurait l’air bien bête. Et en même temps, ça serait probablement très drôle. Sourire en coin évident, il tourna la tête vers lui. «  On s’occupera de ça sous peu, pas besoin d’y penser ce soir. On est là pour profiter, non ?  » Ils avaient le temps, ce n’était pas comme si le besoin s’en faisait sentir sur l’instant. Si un imbécile tentait de l’attaquer maintenant, il y passerait de toute façon. Se redressant et s’arrêtant une première fois, il lui dédia un regard pétillant «  Pour le moment… montres moi un peu comment nager. Et ne te moque pas !  »

L’écoutant attentivement, curieux, non seulement de ses explications, mais également de tout le reste. Ses expressions, sa gestuelle… il dévorait tout cela comme il l’avait fait avec Autone, et bien plus encore. Ils avaient de nouveau avancé, jusqu’à ce que l’eau lui lèche la gorge. La ligne droite ne le gênait pas, la théorie un peu plus, même s’il visualisait assez bien ce qu’il lui expliquait. Restait à voir s’il arriverait à le mettre en pratique. «  D’accord… Laisses-moi essayer  » Il testa le sable meuble sous ses pieds, puis poussa légèrement pour se mettre à flotter, avec un soupçon de gaucherie. De bonne composition, le vampire s’avérait un élève facile à vivre, qui comprenait vite et ne s’énervait guère, et au bout d’une quinzaine de minutes, il fut déjà capable de flotter à peu près correctement, même s’il avait un peu bu la tasse, sa langue le piquant à cause de l’iode. Et il en était très fier ! De bonne humeur, il pencha la tête sous la demande. «  Oh ? Je te suis…  » En vérité, il connaissait peu la mer parce qu’avant de rejoindre les navires, il ne l’avait jamais vu. Ou en tout cas, il ne s’en souvenait pas du tout. Mais voir les profondeurs l’intéressait, et s’il avait un guide en plus, ça n’en était que mieux. S’accrochant à lui tout en essayant de ne pas le faire couler à cause de son poids, il continua quelques instants à se garder à la surface en attendant de voir ce que l’elfe ferait. Ensemble, ils s’éloignèrent encore davantage de la plage vers les eaux un peu plus profondes, et surtout plus froides. Se maintenir la tête hors de l’eau était finalement un peu plus facile, avec davantage de profondeur, et il dégagea ses longues mèches de ses épaules pour éviter de les voir s’enrouler au petit bonheur sur ses bras. Par instant, il observait l’autre à la dérobée, sensiblement alarmé d’entendre son cœur s’emballer même s’il savait que c’était une réaction normale. Après le coup d’éclat de la prison, il préférait s’angoisser un peu plus plutôt que pas assez.

Se détachant enfin, il resta à la surface alors que l’elfe jouait les saumons près de lui. «  Hm ? Oui » Que voulait-il faire ? En voyant l’autre se rapprocher, il le laissa faire et écarta les bras pour lui donner de la place. Il nageait un peu plus difficilement avec l’elfe attaché à lui, mais n’allait pas l’écarter sans savoir exactement où il se dirigeait. «  Bien… » Expirant tout l’air de ses poumons, il arrêta de bouger et se laissa finalement couler complètement. Plongé dans l’univers nocturne de l’océan, Ivanyr observait de droite et de gauche, malgré l’effet de l’iode sur ses rétines, immensément intéressé. Muet, il détaillait les coraux riches, et les irisations des écailles des poissons. Sa fascination soudaine parvint même à ignorer l’effet d’acoustique de l’eau qui assourdissait et accentuait les battements du cœur d’Aldaron. Il y avait tellement de choses à voir, en ce lieu, tant de choses absolument magnifiques… Perdu dans le temps et l’espace infini, Ivanyr avait bien du mal à savoir où donner de la tête, et en même temps ? Il ne parvenait pas à détacher son regard chaque fois que détail attirait son attention, dévorant et absorbant les images comme une éponge. Seul le mouvement de l’elfe parvint à lui faire quitter sa transe, et il lui jeta uniquement un coup d’œil rapide avant de retourner à sa contemplation béate. Pourtant, plus il passait de temps en bas, et plus il y avait quelque chose, sans nom, qui se glissait en lui, un malaise difficilement identifiable, dès que l’autre le quittait… Au bout de la cinquième fois, Ivanyr se sentit étreint si violemment qu’il détourna le regard de la faune alentours pour l’observer remonter vers la surface puis redescendre, plongeant alors ses yeux dans les siens. Stupidement, il lui sourit, ne sachant pas quoi faire d’autres en l’instant pour essayer de le faire aller mieux, et se traitant d’imbécile immédiatement après.

Mais il se fana rapidement en entendant les battements de coeur ralentir, en le voyant dans cet état étrange, qui l'alarma violemment lui envoyant une impulsion d'urgence dans tout le corps au moment même où le battement se faisait de nouveau sentir avec force. Il écarquilla les yeux, essaya de l'attraper avec des gestes gourds, et en le voyant remonter vers la surface, quelque chose céda en lui. Une panique intense emporta toute idée logique et rationnelle, des sillons carmins se formèrent dans son regard alors que ses tempes battaient soudain comme des tambours. D'un clignement d’œil il fut sur lui, d'un second ils étaient à la surface, sur un petit morceau de glace à la dérive alors qu'il serrait l'elfe dans ses bras de toutes ses forces, tremblant, frissonnant, recroquevillé sur sa silhouette, lèvres enfouies dans ses cheveux alors qu'il répétait sa litanie d'une voix brisée. «  Ne me laisse pas, ne me laisse pas, ne me laisse pas... » Il haletait, retenant ses sanglots, alors qu'il le serrait à s'en défaire les jointures. Un instant, il se sentit basculer et lui prit le visage entre les mains pour l'observer, avant de plaquer sa paume contre son coeur pour le sentir battre, hoquetant. La sensation du cœur qui battait convenablement le calma petit à petit, et il finit par cesser de trembler, se détendant d'un seul coup, longuement, dans un soupire profond, sans qu'il recule. Il avait finit par l'allonger et se poser oreille contre son torse pour suivre le battement, doigts emmêlés dans l'étoffe de ses habits. Fermant les yeux alors que l'urgence disparaissait, ce besoin viscéral d'agir, là tout de suite, et le vampire finit par reprendre la parole, avec une fatigue palpable. «  Ne refait pas une chose pareille… j'ai cru que ton coeur allait encore s'arrêter… j'ai cru que… » Que quoi ? Maintenant il n'était plus certain de quoi que ce soit. Quand il l'avait vu partir, il avait eut terriblement peur. Peur qu'il ne revienne pas, peur de le voir mourir, peur qu'il le laisse là après lui avoir donné l'illusion d'exister enfin comme une personne à part. Ce qu'il avait, sur le bout de la langue, le perturbait. Trahison. C'était le mot qui venait. Il avait peur d'être trahit. Mais un instinct soudain l'empêcha de le lui dire. A la place, il se redressa enfin, pour le regarder, ses longs cheveux platines lui collant à la peau.

«  Excuse-moi… j'espère que je ne t'ai pas trop… perturbé... » Le céladon de ses yeux se ternis, à la pensée amère qu'il avait peut-être sabordé leurs débuts. Déglutissant, il l'aida à se redresser, et le regarda de nouveau, perdu face à la virulence de sa propre réaction. «  Aldaron ? » L'appel était bas mais assez distinct pour être entendu, légèrement penaud, mais surtout plein de perdition. «  Merci… tu… tu m'as offert un beau cadeau, plus que tu ne l'imagines... »

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    Cela se passait si vite, d'un seul coup. Le manque d'air fut rassasié, lorsqu'il put inspirer vivement, à la surface de l'eau, enfin. Quel idiot il faisait mais il n'eut guère le temps de se fustiger mentalement et de se remettre de ses émotions qu'autre chose, de plus alarmant pour son cœur, se produisait. Son corps se raidit à l'étreinte rude, virulente et viscérale le plongeant dans un état de surprise et de peur. Instinctivement, il eut envie de le repousser, mais aux premiers mots du vampire, il décela que cette étreinte n'avait rien d'une agression, qu'Ivanyr n'allait pas le tuer. Il avait même l'air dans un état catastrophique de désespoir. Il inversa son geste et entoura lentement le corps de son sauveur de ses bras. Il caressait son dos, d'un geste tendre, ses doigts s'enlaçaient dans ses cheveux. « Je suis là. Je suis avec toi. » répondait-il dans un murmure, près de son oreille, cherchant d'une part à se remettre de sa presque noyade et d'autre part, à démêler cet imbroglio incroyable. La respiration haletante, il venait embrasser sa tempe, tâchant de le réconforter, de l'apaiser, à défaut de comprendre immédiatement. La seule chose qui lui importait, c'était qu'il aille mieux et fort heureusement, son état s'essouffla progressivement jusqu'au calme.

    Allongé, il réalisa, par le froid, qu'il avait de la glace sous lui. Il se demanda comment cet iceberg avait pu dériver jusqu'ici en plein mois de septembre... Avant de se dire que la magie du vampire devait en être la créatrice, dans l'urgence. Le vent léger le frigorifiait, bien qu'il ne fût pas froid, mais sa seule présence rafraîchissait l'eau qui inondait ses habits. Ses pieds nus, en contact avec la surface gelée, se raidissaient dans l'inconfort. Il haïssait, après Morneflamme, la chaleur, supportant de bonne grâce le froid... Mais dans le cas actuel, c'était trop : il n'était pas un vampire pour avoir un cadavre à conserver. Son corps d'elfe commençait à frémir. Ce ne fut que lorsqu'il croisa le bleu de ses yeux qu'il comprit toute la profondeur que cela pouvait avoir. Par promesse, il s'était attaché à ne voir qu'Ivanyr, mais dans ces orbes perturbés, il saisissait l'emprise que les expériences terribles d'Achroma avaient laissé en lui. Il n'en dit pas mot toutefois et s'accrocha à lui pour se retrouver en position assise. Perturbé ? Oui, il l'avait perturbé. Parce que, lui, ne l'avait jamais trahi. Pas un instant. Qu'il l'ait cru capable d'une pareille chose l'effrayait et dans un même temps, son attachement le troublait. Le lien s'était-il déjà noué à ce point ? Pour lui-même, il en avait été certain... Mais, il ne s'était pas attendu à un retour aussi vif... L'abandon d'Achroma lui restait trop violemment en tête pour qu'il accepte de se perdre dans de faux espoirs. Mais étaient-ils si faux que cela, ces espoirs ?

    Pourquoi cherchait à étouffer ce que l'évidente situation mettait en exergue ? Ce lien solide qui se formait au point qu'Ivanyr craigne et souffre de son abandon ? Lui aussi, il avait peur. Ils avaient peur de la même chose, de cette séparation douloureuse qu'ils ne désiraient aucunement. Ils craignaient que l'autre vienne poignarder ce lien. Aldaron se désespérait d'eux-mêmes : qu'ils pouvaient être stupides. Il lui avait fallu qu'Ivanyr en vienne à pareille réaction pour qu'il voie, qu'il comprenne, qu'il accepte cette volonté unique qui était la leur : celle de rester ensemble. L'un et l'autre avaient peur de souffrir à cause de l'autre et probablement finiraient-ils par gâcher leur lien s'ils continuaient à se comporter de la sorte. La méfiance devait mourir. Et il devait faire le pas vers lui. Il leva une main pour caresser sa joue et se rendit compte qu'il tremblait de froid et qu'il commençait à claquer des dents. Son index passa dans le creux entre ses lèvres et son menton, songeur : « Je sais... » souffla-t-il pour réponse : « C'est ce que je voyais dans tes yeux. Je voulais que tu sois heureux et je n'arrivais pas à détacher mon regard... C'était important... Et stupide à la fois. C'est ma faute, j'ai fait n'importe quoi. » Il baissa les yeux en secoua la tête de gauche à droite. Il esquissa un sourire tremblant : « Et je crois qu'on ferait mieux de rejoindre le bord de la plage avant que je devienne un glaçon en voulant juste... Rester près de toi. » Les yeux clos, il posa son front contre le sien, la respiration hachée par le froid.

    Avec grand renfort de conviction, il se persuada de quitter sa banquise pour retourner dans l'eau et attendit qu'Achroma le rejoigne pour l’entraîner avec lui jusqu'à la plage. Plus lentement cette fois. Il se ménageait. Il valait mieux, sans quoi il allait encore dépasser ses limites et le payer chèrement. Une fois sur le sable, il usa de magie pour sécher ses vêtements. Seuls ses longs cheveux blancs étaient à mi-chemin entre sec et humide et dès qu'il le put, il remit sa cape sur ses épaules, se laissant envahir par sa chaleur. Pieds protégés à l'intérieur de ses bottes, il se sentait déjà beaucoup mieux, même si sa peau le picotait par l'effet du sel de mer. Un bon bain chaud chasserait tout cela. Son regard d’émeraude, fatigué, se portait sur l'océan. Il avait toujours l'air de réfléchir, de ressasser ce qui s'était produit un peu plus tôt, cette façon si viscérale avec laquelle Ivanyr s'était prostré sur lui. Il s'assit sur le sable, se disant qu'il allait tomber endormi avant de franchir le pas de sa porte s'il essayait de rentrer maintenant. Et puis la vue, autant que la compagnie, était magnifique. Au pire, il s'endormirait sur la plage, qu'importait ? Il n'avait pas toujours dormi dans des draps confortables. Il avait connu la rue... Et l'aventure. Le regard épuisé qu'il adressa à Ivanyr suffit, à lui seul, à lui faire comprendre qu'il ne lèverait pas ses fesses de là avant un instant et qu'il aurait des douleurs cervicales s'il l'obligeait à lever la tête de la sorte vers lui.

    « Viens. » ajouta-t-il, si le regard ne suffisait pas et il vint laisser appuyer son poids contre lui, assis à ses côtés, la tête posée sur son épaule. Les battements de son cœur s'apaisaient, ralentissaient et il pouvait enfin récupérer un peu de forces. « C'était tellement étrange... » Tout à l'heure, cette scène hors du commun, faites de sentiments ou de peurs exacerbées. « Il y a quelque chose de singulier entre nous. Hors normes. Qui dépasse la raison. » En fermant les yeux, il sentait le vent sur son visage et ses oreilles percevaient le grondement régulier des vagues qui le berçait. Il y avait sa présence à ses côtés, ça le comblait bien assez. Il avait envie de pleurer, de laisser ses nerfs se relâcher de toute la tension accumulée depuis qu'il l'avait retrouvé, au poste de garde. Au fond, il cherchait tant une explication, qu'il en était complètement perdu. Il ne savait plus par quel bout prendre cette affaire et il y avait ce rêve, toujours, qui lui comprimait la cage thoracique de terreur. Mais il tenait bon. Il tenait toujours. Morneflamme lui avait appris à rester un homme debout malgré les couteaux qui transperçaient son corps. Il se sentait à la fois étrangement bien et complètement étouffé. « Prends-moi encore dans tes bras. » demanda-t-il, l'esprit visiblement ailleurs et torturé. Il voulait son étreinte, mais il ne voulait pas n'importe quelle étreinte. Ce 'encore' lui réclamait cette façon singulière qu'il avait eue, quelques minutes plus tôt, de le prendre contre lui. De lui faire sentir combien il lui importait. Combien il comptait pour lui. Il trahissait sa peur, celle de ne pas être assez pour lui, de ne pas lui suffire. « J'ai fait un rêve... » Ou un cauchemar, il ne savait plus. Il y avait du bon et du mauvais dedans. Son souffle était tremblant : « Tu n'étais pas là... » Sa gorge se serrait.

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Il savait… Avec une hébétude distante, il se rendit compte qu’en temps normal, il aurait sans doute douté et discuté cette affirmation. En temps normal, elle aurait éveillé plus de cynisme que de confiance. Mais de la bouche de l’elfe, ça ne lui semblait pas si impossible à admettre. Peut-être savait-il vraiment ? Quoi qu’il puisse en être, il ne chercha pas à le contredire, ayant de toute façon d’autres préoccupations en tête sur l’instant, comme de le sentir trembler contre lui. « Tu as raison… Vient, allons-y » Il ne voulait pas que l’autre soit malade en plus du reste, il avait déjà le cœur assez fragile comme ça, pas besoin d’en rajouter davantage. Ayant constaté que l’eau n’était pas encore trop froide, il décida de ne pas simplement chasser la glace et de laisser l’elfe se remettre à nager par lui-même pour lui éviter une hydrocution. Avec prudence, il le rejoignit ensuite, et bu encore la tasse en glissant un peu vite dans les bras de la mer. Lentement, il suivit l’elfe jusqu’à la plage et retrouva le sol ferme presque à regret… la baignade lui avait énormément plût, de même que l’impression persistante de flottement et de légèreté si étrangère à son corps vampirique. Cela éveillait une douce nostalgie qu’il ne parvenait pas bien à appréhender, ni à expliquer, comme tellement de sentiments qu’il pouvait vivre. Un instant, cela le rendit amer, car sans une explication, même irrationnelle, de la raison qui lui faisait ressentir tout cela, il ne pouvait prouver qu’il s’agissait de ‘lui’ comme il l’avait clamé auprès d’Aldaron un peu plus tôt. Et s’il ne pouvait prouver qu’il s’agissait bien de ‘lui’ dans le sens le plus pur du terme, alors cela voulait également dire que la porte était ouverte à une explication alternative : que ces sentiments, peur, nostalgie, colère, soient le fruit de quelqu’un d’autre, et que, par déduction filée, il soit réellement quelqu’un d’autre que celui qu’il pensait être. Et ça, ce serait terriblement injuste.

Soupirant, il se sécha également, puis entreprit de tresser ses longs cheveux pâles avant de se rhabiller. Ses doigts le frustraient par leur gaucherie, certainement en raison de l’exercice aqueux, mais il parvint finalement à nouer les attaches d’argent de sa tunique, en chassant sa tresse avant de lisser les pans souples et chausser ses bottes. Attrapant sa cape, il la passa sur ses épaules et fixa l’attache à son tour avant de tourner de nouveau son attention sur l’elfe. Celui-ci semblait épuisé, ce qui n’avait rien d’étonnant, même s’il commençait tout doucement à prendre conscience que l’autre avait une vitalité bien plus réduite que ce qu’il aurait dû montrer, étant d’un peuple de magie. Silencieux, il vint s’installer près de lui en chassant les pans de sa tunique du parage de ses jambes pour ne pas être ennuyé, et il le laissa s’appuyer contre lui sans s’esquiver. Et silencieux, il le resta un moment, ne sachant tout simplement pas quoi répondre à tout cela. S’il y avait quelque chose d’étrange entre eux ? Très certainement, mais il n’avait pas autant de mots pour le qualifier qu’Aldaron semblait en trouver. Il ne savait pas, tout simplement. Outre cela, il s’en voulait de l’avoir effrayé et glacé. Il ne voulait pas le blesser… il ne voulait pas blesser, de façon générale, l’idée de provoquer une souffrance complètement inutile l’insupportait. Du moins, c’était ce qu’il pensait. Est-ce que cela aussi était biaisé ? La demande soudaine lui fit tourner la tête et il l’observa quelques instants avec une surprise à peine dissimulée. « Aldaron… » commença-t-il doucement avant de se rendre compte que toute forme de logique serait proprement inutile. Il ne s’agissait pas de logique, en l’instant, juste d’une blessure du cœur encore béante et qui réclamait qu’on la referme.   Avec un doux soupire, il se tourna de moitié et l’attira dans ses bras, les refermant étroitement autours de la forme frêle de l’elfe, pressant d’abord légèrement, puis plus fort. Enfouissant son nez dans ses cheveux, il l’attira tout contre lui, l’englobant plus intimement encore.

« Je suis là » fit-il simplement, après quelques longs instants. Il était tout chaud maintenant avec ses habits, comme une boule pelucheuse. Mais malgré cela, il sentait encore confusément son mal être, et il s’en trouvait mal à l’aise également. Serrant plus fort, il répéta son affirmation d’une voix basse et vibrante. Puis subitement, il lui pinça le cou de ses crocs, goûtant à peine son sang mais provoquant une douleur fugace et légère bien réelle. « Tu as sentit ça ? » La demande était douce mais il sentait confusément ce qui s’agitait en lui, sans pouvoir totalement l’expliquer ou le comprendre et il avait l’impression de ne rien pouvoir faire pour l’aider ou dissiper cette ombre dans ses yeux. Frustré, il pinça de nouveau, plus fort, la saveur aigre du sang elfique lui explosant sur la langue et le faisant un instant grimacer. Cette fois, il l’attrapa et plongea son regard dans le sien. « Est-ce que tu l’as senti ça ? » Il le sentait qu’il était là ? Que c’était bien lui qui lui faisait ça ? Qu’il n’était pas tout seul ? Avec un léger sourire taquin, il vint lui chatouiller le flanc, pour le faire se trémousser « Et ça, tu le sens ? » Il vint lui donner un petit coup de tête, puis, avec un naturel confondant, lui tourna le visage pour déposer ses lèvres sur les siennes, un bref instant. « … Et ça ? Est-ce que… est-ce que ça te va, comme preuve ?  » Il se sentait lui-même presque gêné, d’un seul coup, alors qu’il n’avait par ailleurs jamais ressentit le moindre frémissement sur de tels sujets jusque-là. Perdant un instant son sourire, il réitéra son approche, lentement, avec un fond de peur d’être rejeté, et l’embrassa de nouveau, plus longuement. Lorsqu’il s’écarta à nouveau, il l’enserra étroitement une fois encore et contre sa tempe lui glissa : « De quoi as-tu rêvé ? » Ses doigts vinrent s’enrouler aux siens. « Parle m’en… je sens ton cœur qui vacille quand tu y penses, mais je ne sais pas ce que tu as pu voir… »

Il inspira profondément, l’odorat envahi par le parfum du sel, et plus discrètement par celui du corps contre le sien. « Je ne rêve pas moi… peut-être que ma vision remplace cette incapacité… » Est-ce qu’il aurait aimé rêver ? Non, pas vraiment en un sens, il avait peur que ses chimères ne le poursuivent avec encore plus d’assiduité que lors de son éveil.

descriptionMon passé [PV Aldaron - TERMINE] EmptyRe: Mon passé [PV Aldaron - TERMINE]

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    Son prénom parvint à ses oreilles et aussitôt, il secoua la tête de gauche à droite, les yeux baissés, obstinément, comme pour lui faire comprendre que sa demande n'avait rien de logique. Elle était impulsive, elle était viscérale, elle était formée autour d'une blessure béante, le manque causé par l'abandon d'Achroma. C'était une plaie qu'il pensait avoir refermée, mais que la présence d'Ivanyr, seconde après seconde, ne faisait qu'ouvrir un peu plus, de façon involontaire. C'était injuste, le vampire ne méritait pas qu'avoir à panser les douleurs que son autre lui avait jadis causées et Aldaron lui avait promis de ne plus chercher l'Aîné. Mais c'était l'Aîné qui le poursuivait, comme un fantôme derrière les yeux céladon d'Ivanyr. La frontière entre les deux n'était pas si simple. Il n'y avait pas seulement Achroma d'un côté et Ivanyr de l'autre, aussi cruel que cela puisse être pour lui, pour eux. Il y avait deux êtres en lui. Le passé d'Achroma et l'individualité qu'Ivanyr cherchait à forger. Peut-être finiraient-ils par avoir une autre discussion sur le sujet, tôt ou tard... Pour qu'il lui fasse comprendre qu'il avait droit d'être Ivanyr sans avoir à rejeter catégoriquement Achroma. Qu'il pouvait prendre de lui ce qui l'inspirait, ce qui lui correspondait et que le reste serait soit à abandonner progressivement, soit à accepter. Tout un chacun avait son fardeau, pour certains plus lourd que d'autres, fait des attentes de sa famille, de ses amis, de soi-même. Peut-être finirait-il par faire ce chemin de lui-même, mais Aldaron espérait qu'il n'ait pas à être mis au pied du mur pour accepter enfin cette décision qui lui apparaissait inévitable. Achroma n'était pas son exact opposé au fond et il y avait, de toutes évidences, quelque chose que ces deux êtres partageaient en commun : leur affection pour l'elfe. Au nom de cette inclination, pourraient-ils avancer ensemble ?

    Il se laissa emporter dans ses bras, retenant férocement ses sanglots en laisse, comme des chiens mal dressés. Pour toute la tendresse qu'il éprouvait pour Ivanyr, il ne pouvait pas lui laisser voir toutes les chimères odieuses qui le dévoraient intérieurement. Celles que la solitude avait créé, de toutes pièces, pour l’enfermer à l'intérieur de sa carcasse vide, comme les murs d'une prison. Étrange, comme il était persuadé de sa propre monstruosité, depuis Morneflamme, et que même en dehors des murs du volcan, il s'était forgé les barreaux de tant de cages pour s'isoler plus encore. Là, au creux de ses bras, pour la première fois, il parvenait à être lucide sur sa propre condition. Il pensait avoir grandi, il pensait avoir survécu, il pensait aussi qu'il était plus fort... Mais son traumatisme l'avait isolé et il s'était enchaîné de lui-même comme pour protéger le monde entier de son inhumanité. Il s'était forcé à l'esclavage, pour payer ses crimes comme une dette inépuisable. Ce rôle de bourgmestre, c’était une chaîne de plus pour le forcer à rendre ce qu'il devait à ce monde pour le simple fait d'exister. Il déglutit difficilement face à ce qu'il avait dans ses pensées, comme s'il était parvenu, enfin, à prendre de la hauteur et ce qu'il avait sous les yeux l'horrifiait. Pourquoi se faisait-il tout ce mal ? Son rêve... Son rêve le faisait d'autant plus souffrir qu'il était persuadé, à présent, qu'il faisait exprès de ne pas trouver son inséparable. Car ce serait ne plus être seul. Car ce serait briser ses chaînes, démolir les murs de sa prison. Et pour libérer quoi ? Qu'était-il au juste ? Ce monstre ? Il avait peur de libérer cette bête qui le répugnait et qui était née dans le volcan de Morneflamme.

    Il se recroquevilla à l’intérieur de son étreinte, après s'être glissé entre ses jambes pour se blottir étroitement contre lui. Il resta de nombreuses minutes, le nez enfoui dans le cou du vampire, à se calmer, à se sentir rassuré par son étreinte et sa présence. Il était là. Aldaron craignait l'obscurité de la solitude, elle le rebutait après la catastrophe qu'il venait d'apercevoir. Qu'avait-il fait de lui-même ? Comment avait-il pu s'égarer à ce point tout en étant, jusqu'alors, intimement persuadé d'avoir réussi à traverser le désert ? Avait-il fantasmé l'oasis alors que sa carcasse desséchait en plein cagnard ? Sa voix le sortit de ses pensées houleuses. Il était là. Oui, sûrement qu'il l'était. Mais ce qu'ils auraient à traverser avant qu'Ivanyr ne puisse lui venir en aide, lui donnait encore plus envie de se recroqueviller et de s'enterrer six pieds sous terre. Le pincement de ses dents le fit sursauter, son corps se raidit : « Ne me mo... » Mords pas ? S'il s'était arrêté au milieu, c'était que l'éventualité le tentait, en définitive, maintenant qu'il y pensait. Et s'il le laissait le mordre, le tuer ? Faire de lui un vampire ? Il oublierait. C'était lâche, la solution de facilité, mais ne pouvait-il pas céder à un peu de facilité pour une fois ? Il pencha sa tête sur le côté, lui laissant son cou comme une poupée sans vie. Ses cheveux d'un blanc immaculé tombaient mollement dans le vide. Être son fils vampire l'empêcherait définitivement de le regarder comme s'il était Achroma. Ivanyr aurait ce qu'il voulait et lui aussi. Il ne resterait entre eux que ce lien et si l'inséparable était leur esprit-lié, il leur survivrait, non ? Peut-être pas. Et s'il perdait sa chance ? Et s'il détruisait l'unique chance d'Ivanyr de parvenir à se réconcilier avec Achroma ? S'il voyait son père vampirique se faire ronger par ces visions sans les comprendre, sans pouvoir le guider, sans pouvoir l'aider ? Il sursauta alors plus vivement à la seconde morsure, car cette fois-ci, il avait peur.

    Il attrapa la mâchoire d'Ivanyr, comme pour le repousser délicatement et se retrouva face à lui. La crainte s'envolait lorsqu'il plongeait ses yeux dans les siens. Un sourire fatigué naissait et mourrait sur ses lèvres aux chatouilles alors qu'il grognait tout bas à l'inconfort que cela produisait. Un grognement étouffé par ce contact soudain. Il se figea, surpris. Il avait tellement l'habitude de séduire, des femmes, que d'ordinaire c'était lui qui faisait ce premier pas. Mais Ivanyr, comme Achroma, avait ce don pour venir le chercher, le sortir de sa distance. Il chercha son regard, en vain, et retrouva bientôt ses lèvres, les laissant prendre possession de son âme mutilée. Il leur rendait leur étreinte. Leur froideur le saisissait en plein cœur, réveillant des souvenirs lointains qu'il cherchait à étouffer. Il ne voulait pas se souvenir d'Achroma. Il ne voulait pas, n'avait-il pas promis ? La lutte était rude et l'instant d'après, il avait de nouveau le nez dans son cou et cette fois, les joues empourprées. Il eut du mal à sortir de son mutisme tant il tombait des nues, incapable de lui répondre immédiatement. Il savait quels sentiments remuaient en lui-même, mais il y avait toujours eu cette terreur d’absence de retour et d'abandon, qu'il avait du mal à réaliser ce qui venait de se produire. « Les... Les vampires ne rêvent pas tant. Les rêves viennent dans le sommeil que vous n'avez pas. Vous pouvez... Vous en approcher à travers la transe mais c'est... Plus bref et d'avantage... Disons, contrôlé. C'est plus lucide qu'un rêve. Enfin, il me semble. C'est pour ça que tes visions se manifestent quand tu es éveillé. Elles ont besoin de ressortir et choisissent des moments où ton esprit est plus... Relâché ou... Affaibli ou tourmenté. Je dois... Pouvoir t'emmener dans un rêve, avec moi. La magie elfique le permet, si tu le veux. Quand je serai moins fatigué, je t’emmènerai, je te monterai ce qu'est un rêve. »

    Il eut un sourire, en coin. Même si Ivanyr ne pouvait le voir, il avait du sentir ses muscles se mouvoir contre son vêtement et la peau de son cou. « Et comme c'est moi qui le contrôlerai, tu ne devrais pas être... Assailli par tes visions. » Sauf si la magie du vampire l'y contraignait,il ne pourrait pas tant y résister. Peut-être faudrait-il tenter l'expérience, un jour. Cela aiderait peut-être Ivanyr à clarifier ses pensées et trouver des solutions. « Quant à mon rêve... » Il réalisa qu'il avait quitté le sujet, comme s'il craignait de répondre. N'était-ce pas un peu trop tôt ? Ou bien était-ce justement le moment ? Il sentait encore le toucher glacial de ses lèvres sur les siennes : avait-il des sentiments à son égard ? Quelque chose de sincère ? Ou avait-il fait cela pour le sortir de sa léthargie ? Pourquoi fallait-il qu'il doute encore ? Il se désespérait... « J'étais un oiseau. Un petit oiseau d'une quinzaine de centimètre, au plumage vert et au visage rouge. Un inséparable. Connais-tu ? » Il releva la tête pour croiser son regard. La gêne rougit ses joues : « C'est un oiseau qui vit avec un pair, jusqu'au crépuscule de sa vie... De leur vie. Je cherchais mon lié. Je cherchais sans trouver. Et plus que la détresse, je sentais la mort m'envelopper de ses ailes plus grandes encore. Je cherchais... » Le débit de sa voix avait largement ralenti, jusqu'à une langueur profonde et songeuse. Ses yeux s'étaient baissés. « Je cherchais Achroma et je savais que je cherchais un fantôme, que je ne l'atteindrai jamais. Je craignais d'être... Tronqué. Je le crains toujours, en fait. Je ne sais pas si... Je serai définitivement incomplet ou si... Je cherchais la mauvaise personne. C'était troublant comme rêve parce qu'il m'avait l'air réel. » Il tendit une main vers sa besace pour la faire venir à lui, par magie : « On ne se souvient pas vraiment de ses rêves au réveil, mais celui-là... Je m'en souviens et... Je m'interroge depuis... Hier sur... » Il sortait du sac l'un des trois livres qu'il avait pris. La couverture était d'un cuir sombre. Le titre gravé se référait aux esprits-liés. Il pinça ses doigts sur le marque page de tissu qui dépassait des pages si importantes, s'apprêtant à l'ouvrir, mais il arrêta son geste.

    Il releva les yeux sur lui, ses prunelles tremblaient d’appréhension. Il allait sûrement vite en besogne. Trop vite. Tout ça prenait des proportions qu'il n'aurait pas imaginé il y avait quelques heures encore. « Ça va trop vite... » souffla-t-il, perturbé, déboussolé.

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Est-ce qu’il voulait rêver ? En voilà une bonne question ! En vérité, il n’avait aucune réponse à offrir à cette interrogation… Il ne savait pas du tout s’il souhaitait rêver, s’abandonner, vulnérable, aux fantasmes distordus de son esprit. En constatant d’expérience ce que son sapiente pouvait bien créer lors de son éveil, le vampire n’avait que peu d’enthousiasme à lui laisser la bride lâche. Peut-être était-ce une erreur, peut-être Aldaron avait-il raison en affirmant que son contrôle l’empêcherait d’être la proie de ces visions, mais il ne se sentait en tout cas pas capable d’accepter la proposition pour le moment. Sans doute serait-elle toujours disponible plus tard, aussi était-ce simplement une porte laissée ouverte sur sa route. En fin de compte, ce n’était pas sa capacité à rêver qui était le sujet réellement important mais bien celle de l’elfe. Ivanyr était curieux de savoir ce qui pouvait le mettre dans un tel état. « Oui, je connais » Il lui rendit un regard tranquille. La suite le fit doucement soupirer. Comment devait-il prendre cela ? Est-ce qu’il pouvait croire être son autre moitié, au travers de cette métaphore emplumée, ou bien au contraire lui expliquait-il qu’il ferait bien de ne plus l’approcher ? Est-ce qu’il devait même répondre à cela ? Perturbé, il tenta de ne pas anticiper, le laissant poursuivre afin de ne pas tirer trop vite de conclusions de tout cela. Pourtant la suite lui fit aussi mal qu’un poignard en plein cœur. Cessant un instant de bouger, son regard s’assombrit progressivement, bien qu’il restât figé et silencieux. Comment ça ‘ça va trop vite’ ? La colère monta, ainsi que l’humiliation mais il ravala tout ça, les bloquant à l’intérieur et parvint, après quelques instants de plus, il parvint à ébaucher un sourire. « Ah ? Et bien dans ce cas tu peux aller plus lentement, c’est ton choix après tout »

Il le relâcha pour reprendre une assise plus droite et lui prit fermement le livre des mains. L’impulsion première qu’il ressentait était de le raccompagner, puisqu’il était son garde du corps désormais, et de ne plus jamais en arriver à pareille situation. Son incompréhension n’était pas seulement blessée, elle était impuissante. Lui se laissait porter, et jusqu’à présent l’autre avait semblé faire la même chose, alors pourquoi d’un seul coup en arrivait-il à ce genre de peur et de constatation ? Il trouvait que ça allait trop vite ? Et lui alors, que devait-il dire après tout ce que l’autre lui avait expédié ? « Tu es épuisé… on devrait en rester là pour ce soir, je pense. Laisse-moi donc ton livre, je regarderais de quoi il est question… nous auront tout loisir d’en rediscuter… si c’est ce que tu veux » C’était le mieux qu’il puisse faire pour le moment, en termes de raisonnable. Malgré son envie de cracher le venin de ses sentiments blessés, quelque chose, une certaine logique, le forçait à ravaler. Ils venaient tous deux de s’affronter pendant des heures, de différentes manières, il était nécessaire pour chacun de pouvoir prendre du temps en solitaire pour décanter. Ça ne l’enchantait pas vraiment, comme dénouement, mais c’était raisonnable. Après un instant, il se sentit plus en phase avec sa propre décision. « Tu te sens de marcher ? Je te raccompagne… »

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