Inigo regarda le cirque du nabot, Arakjorn était son nom s’il ne se trompait pas, mais le guerrier trouva cela très malsain et impoli de sa part. Le Graarh s’était adressé avec un certain respect au nabot, ce qui avait surpris grandement le Loup Solitaire car le félin aurait pu le snober complètement vu la difformité de l’employeur.
Et l’homme nouveau eut du mal à retenir un sourire malicieux lorsque le nain vint lui intimer l’ordre de finir l’exploration et de lui rapporter tout ce qu’il avait découvert. Pour Inigo, une chose était clair, il avait perdu assez d’homme dans cette expédition et elle était à ses yeux terminée depuis qu’ils étaient sortis, pour une raison assez simple : la majorité de la Meute était sur la route du retour. Quoi qu’en dise Arakjorn, s’il était le payeur, il n’était pas le commandant. Le Loup Solitaire demeurait le seul apte à estimer la fin d’une entreprise et elle prenait définitivement fin une fois que la majorité des Loups vivants quittaient l’expédition, ce qui était actuellement le cas.
Mais, Inigo ne voulait pas en discuter avec son employeur, car cela prendrait du temps, de l’énervement et l’homme était trop heureux de sa vie retrouvée et curieux de l’endroit pour perdre du temps en palabres inutiles. Il ne fit aucun geste, se contentant juste de se détourner vers les ruines quand le nain eut fini de parler.
Il se crispa cependant en entendant la réponse que le nabot accorda finalement au Graarh. Le guerrier ne voulait pas être mêlé au plan des autres, car il avait maintenant les siens à faire respecter et à mettre en place. Mais surtout, ce qu’annoncer le nabot n’était bon pour personne. Et surtout, le sens du mot diplomatie avait dû lui échapper.
Pour Inigo, la seule réaction possible du graarh devant tant de mépris était d’égorger sur place son interlocuteur et la seule personne qui aurait pu l’en empêcher était le Loup Solitaire, or ce dernier n’aurait pas esquissé le moindre geste pour sauver le nabot.
Mais le salut vint d’ailleurs. Un autre Graarh vint déranger la conversation. Après un échange dans leur langue, Jangali se tourna de nouveau vers le Loup Solitaire. Ses paroles ne plurent pas à l’humain, plus par leur contenu que par leurs intentions. L’homme ne voulait aucun mal aux Graarh et s’il pouvait devenir alliés plutôt que neutre, il allait devoir s’en contenter pour le moment, c’était toujours mieux que de les avoirs en ennemi comme cela sera le cas pour le nabot.
Le Loup Solitaire regarda les Graarhs commencer à déblayer les gravats. Vijay, déblaye un accès au mausolée. Ça ira plus vite.
Le Loup de métal s’avança et commença à creuser la neige, puis attaqua la roche aux côtés des félins. Avaient-ils seulement remarqué que l’animal magique était une de leur création ? Quelle importance. L’animal lui obéissait maintenant et rien de ce que les descendants de son créateur pourraient dire y changera quelque chose.
Pendant qu’un chemin était en train de se croiser, Demens, l’homme de main survivant du nabot s’approcha du Loup Solitaire. Il interrogea le guerrier sur l’endroit où était tombé le bras de l’ennemi. Le Loup Solitaire posa sur lui un regard à la fois froid, suspicieux et interloqué. Cela faisait beaucoup d’expression pour un regard qui naguère ne transmettait aucune information. Le guerrier indiqua le tas de neige vaguement. Il doit être là-dedans. Je ne sais pas si tu as remarqué, mais à ce moment-là, nous étions en train de nous battre, et le membre d’un ennemi perdu.
C’était un demi mensonge, car le Loup solitaire se souvenait avec un peu plus de précision que ce qu’il disait à l’homme, mais le guerrier n’avait aucune envie d’aider le nabot et ses hommes et ignorant ce que Demens voulait en faire, l’homme préféra rester discret.
Inigo suivit les félins vers les profondeurs. Les souvenirs d’Asmo et d’Erdrak lui servaient de guide mais son cœur se serra tout de même devant le reste du spectacle sanglant. Les bruits des bottes du Loup Solitaire sur le sol faisaient résonner un son de succion sinistre sur les murs de pierre. Le sol était visqueux, collant et une odeur métallique emplissait l’air.
Le regard du Loup Solitaire s’emplit d’une grande tristesse et il s’agenouilla près d’un corps. Il connaissait chacun des hommes et des femmes qui l’avaient accompagné ici, mais à l’instant, il lui était impossible de reconnaitre le corps de la malheureuse victime. Impossible de déterminer son âge ou son sexe. Il ne restait pas grand-chose si ce n’était un bouilli de chair sur un squelette humain. L’armure n’était plus une armure, juste des pièces d’acier et de cuir. Avait-elle seulement servi à protéger ou n’avait-elle fait que prolonger l’agonie terrible.
Inigo savait qu’il devait sa survie à trois choses : son armure, son cœur d’acier et la chance. Et que, avec tout le respect qu’on devait avoir pour les morts et ses camarades, le résultat de ce carnage n’était dû qu’à une seule chose : une incompétence. Le Loup Solitaire devait réfléchir aux retombés d’un pareil échec, mais ce n’était pas le moment.
Il se releva et se dirigea vers Jangali. Je sais bien que nous sommes alliés que pour un temps. J’ai déjà rencontré plusieurs de tes semblables et regrette amèrement qu’on ne puisse tisser des liens plus solides. Sache que je ne suis pas comme le nabot et ne lui obéit en rien. Il m’a payé pour une expédition, mais ne peut me donner d’ordre, ni à moi, ni à mes hommes. Je me méfie de ces hommes autant que toi, si ce n’est plus.
Juste une déclaration, pour que les choses soient claires entre eux. Inigo continua donc sans attendre d’autre réponse. Les ténèbres devenaient oppressantes et l’odeur de la mort les partageaient avec celle de la moisissure. Scrutant l’obscurité, le Loup Solitaire eut un sourire. Il porta sa main devant son visage et se concentra. Comme lorsqu’il prenait un coup ou qu’il se guérissait, la magie se déplaça dans son corps, et surtout au-dessus de chacun de ces doigts. Apparurent alors des flammèches, d’abord tremblotante, mais grossissant et se stabilisant à mesure que l’esprit du Loup Solitaire comprenait et maîtrisait cette magie depuis si longtemps latente.
Un souvenir lointain lui était revenu et avait guidé son geste. Celui d’un rire joyeux, d’une odeur de foin et de cheveux châtains. Et puis la magie, les petits tours et les jeux d’enfants. C’était encore flou dans son esprit, mais Inigo savait qu’i s’agissait de sa vie passée à être lui-même, et qu’elle lui reviendrait à mesure qu’il se remettrait à vivre.
Je ne sais pas ce que tu sais déjà, Jangali, mais si il y a des réponses, elles sont cachés probablement là où il a été enfermé.