Le deuxième tour du rituel était sur le point de débuter. Une fois encore, l’elfe solaire commença le premier, entonnant le chant lié à son élément et ferma les yeux, absorbé au sein d’une bulle de félicité méditative qui lui permettait de se concentrer pleinement sur la puissance des vibrations et de s’imprégner de l’essence mirifique de ce lieu. Les premières notes éthérées venaient à peine de franchir la barrière de ses lèvres qu’elles s’éteignirent dans l’atmosphère, marquant l’interruption du chant en raison de la survenue d’un événement inattendu.
L’écho de cris se répercutait sur les parois de ce sanctuaire de pierre et bientôt tous les regards se rivèrent sur le nouvel arrivant, un Graarh au pelage d’argent et au corps massif dont la respiration était haletante après une course effrénée. Avant même que ce dernier ne prenne la parole pour leur annoncer l’horrifiante nouvelle, Ilyanth sentit sourdre en lui un mauvais pressentiment.
Les chimères avaient découvert la localisation de ce puits de magie incarnant l’ultime espoir des enfants des Dieux et s’apprêtaient à les attaquer afin de mettre fin au rituel. Certes, une telle offensive s’avérait parfaitement prévisible de la part de ces créatures mais le Cawr ne put s’empêcher de songer avec amertume à cette cruelle ironie du destin qui la faisait advenir alors qu’ils étaient si proches du but.
Les battements de son palpitant s’accélèrent et il darda les pierreries de ses mires sur le Gardien, cette figure inébranlable, figé dans une posture hiératique qui le faisait ressembler à une sculpture de marbre opalescent. Son regard, pâle miroir de l’âme dans lequel se lisaient toutes ses émotions, chercha le sien afin d’y puiser le réconfort nécessaire pour faire face à la déferlante qui s’annonçait.
La peur croissait en lui, telle une tempête tumultueuse et il lutta pour la contenir, concentrant son attention sur cet être qui incarnait un élément de stabilité au milieu de cet océan de tourmente et de désespérance. Devaient-ils poursuivre le rituel coûte que coûte ? Intuitivement, le Chantefeu connaissait déjà la réponse. Leurs efforts et les sacrifices endurés jusqu’ici ne devaient pas avoir été faits en vain.
A l’approche du Gardien, sans que ce dernier n’ait besoin de prononcer un seul mot, Ilyanth pouvait ressentir à travers ses vibrations, tel un langage ineffable révélant ses émotions, son inquiétude et l’intense désir de protection qui l’animait vis-à-vis de ceux qu’ils considéraient comme ses enfants et cherchait à unifier dans l’adversité. Le Chante-larmes semblait parfois si lointain, l’âme habitée par une indicible mélancolie et dissimulait derrière la beauté glacée de son masque d’albâtre les stigmates indélébiles de sa destinée tragique. La perte d’êtres chers et de terribles épreuves avaient meurtri à jamais son palpitant, si puissant et si fragile, semblable au cœur de l’océan.
Kehlvehan s’adressa à lui de sa voix lente, empreinte de gravité, et de sa personne irradiait une aura chaleureuse tandis qu’il lui confirmait la nécessité de poursuivre le rituel envers et contre tout. Puis gardant ses prunelles smaragdines rivées sur les siennes, il se pencha et lui murmura à l’oreille des paroles sibyllines concernant son rôle au sein de ce rituel, celui d’une Flamme purificatrice, d’un Feu ardent et d’un phare au milieu des ténèbres guidant ses frères et ses sœurs Baptistrels.
Joignant le geste à la parole, le Gardien posa la main sur l’épaule du Chantefeu qui se sentit rasséréné par ce simple contact physique, mais tressaillit en lisant la profonde souffrance qui transparaissait dans ses mires adamantines.
Kehlvehan sembla sur le point de lui dire autre chose avant de se raviser et de se murer dans un silence énigmatique. Ensuite, celui-ci s’éloigna pour donner des instructions aux autres maitres-bardes, laissant le Chantefeu interloqué. Qu’avait-il voulu lui confier et quelles peurs inavouables habitaient cet être nimbé de mystère ?
A bien des égards, le Chante-larmes ressemblait à un lac de secrets, aux eaux souvent insondables, même pour les autres membres de l’Ordre, hormis quelques élus. Parfois la cuirasse d’acier qui protégeait sa psyché laissait transparaître ses blessures intérieures et la profonde tristesse qui le hantait ; et à certaines reprises, ses prunelles d’émeraude et de grès fixaient le lié du feu avec intensité comme si celui-ci lui rappelait quelque chose ou quelqu’un. Un être cher de son passé dont il taisait le nom.
Ilyanth suivit un bref instant du regard sa silhouette évanescente, tiraillé entre le désir de le rappeler à ses côtés pour le questionner sur ce qu’il avait voulu lui dire et celui de se replonger immédiatement dans une bulle méditative afin de retrouver la concentration nécessaire à la poursuite du rituel.
Puis les iris de l’oiseau du paradis se posèrent sur le visage familier de Valmys, cette hermine pleine de facéties, dont la seule vue suffisait à lui prodiguer un sentiment d’apaisement. Il aimait profondément ce cousin qu’il ne connaissait pourtant que depuis peu de temps et avait rencontré dans des circonstances pour le moins inattendues. Maintenant que tous deux s’étaient retrouvés, le Chantefeu craignait plus que tout que cet être aimé lui soit arraché et la douleur broyait son cœur à cette idée.
Les chimères étaient aux portes du Baoli mais ils devaient achever ce rituel coûte que coûte, trop de destinées en dépendaient. Le Gardien et les autres maitres-bardes comptaient sur lui et pour rien au monde celui-ci ne voulait les décevoir.
L’elfe solaire abaissa ses paupières et laissa la Flamme embraser son être, lui transmettant sa lumière et sa chaleur. Désormais, ce dernier devait faire abstraction du monde qui l’entourait et se concentrer sur sa mission malgré l’immense peine qu’il ressentait à la pensée des futures vies sacrifiées pour empêcher les chimères de pénétrer à l’intérieur du Baoli. Pour rendre justice à leurs âmes martyres, il devait réussir.
« Concentres toi, tu peux y arriver » se répéta-t-il intérieurement pour s’exhorter au courage malgré l’angoisse qui le tenaillait. Une nouvelle fois, sa voix mélodieuse s’éleva, emplissant le temple rocheux de ses sonorités envoûtantes évoquant le grésillement des flammes, la chaleur d’un volcan et la lumière du soleil.
Le rituel se poursuivait inlassablement, l’un après l’autre, les maitres-bardes entonnaient leurs chants élémentaires. Hélas, le temps pressait et les minutes défilaient à un rythme affolant ! Malgré leurs efforts pour demeurer concentrés, la plupart d’entre eux avaient deviné que l’obstruction des galeries du Baoli ne suffirait pas à arrêter ces créatures, juste à les ralentir. D’un instant à l’autre, elles allaient parvenir à leur refuge et l’attente s’avérait presque insoutenable. Toutefois, le rituel semblait progresser dans la bonne voie et la puissance canalisée par les chants Baptistraux imprégnait l’atmosphère, faisant naitre des filins d’énergie au plafond de la salle troglodyte.
Pendant ce temps-là, les Graarh présents s’étaient rangés en position défensive, s’apprêtant à accueillir l’ennemi à son arrivée et à combattre jusqu’à la mort pour protéger ce lieu sacré. Les minutes passaient et l’anxiété augmentait…Soudain, le son d’un martèlement retentit et les parois du mur érigé pour bloquer le tunnel menant au cœur du Baoli commencèrent à se fissurer.
L’ennemi était là ! Les chimères frappaient à leur porte alors que le rituel n’était pas encore achevé !
Et comble de malchance, c’était de nouveau le tour d’Ilyanth d’étonner son chant, ce qui le condamnait à rester concentré sans pouvoir intervenir durant le futur assaut.
Quelques secondes plus tard, le mur s’effondra dans un bruit tonitruant, libérant le passage à des créatures à l’apparence hideuse. Ces monstruosités arboraient des corps voûtés, amas de chair brunâtre et de plumes ébouriffées d’un noir de jais, et des membres difformes dont les extrémités étaient griffues. Quant à leurs faces grotesques, elles évoquaient celles d’oiseaux cauchemardesques, d’une laideur repoussante, au bec protubérant et aux yeux d’un blanc lactescent. Une aura sinistre émanait d’elles et leur seule existence représentait une insulte à la déesse Vie et à l’harmonie universelle.
A leur vue, le cœur de la totalité des Baptistrels se souleva et le Chantefeu lutta pour contenir son sentiment de répulsion et l’anxiété qui l’envahissait. Ces horribles créatures lui étaient tristement familières et ce dernier connaissait l’abjecte vérité les concernant.
En effet, l’accord pirate ne s’était pas limité à annoncer à l’ensemble des nations de Tiamaranta le retour des chimères, les forbans avaient amené en même temps une autre révélation de taille au sujet de ces créatures maléfiques.
Au cours du combat naval opposant le Maelstrom au navire chimérique, un spécimen vivant avait été capturé par les pirates et confié par la suite à l’Ordre de la Rhapsodie. C’est ainsi que l’un de leurs secrets avait été révélé aux maîtres bardes, celui de leur véritable nature. Ces monstres difformes, en dépit des apparences, étaient d’anciens elfes, humains et vampires originaires d’Ambarhùna et dont le chant-nom avait été modifié afin d’opérer cette répugnante métamorphose.
Mais dans quel but ? Nul ne connaissait la réponse à cette question, hormis les Dieux. Toutefois, une telle découverte avait causé un profond désarroi chez le lié du feu et attisait le lancinant sentiment de culpabilité qu’il ressentait vis-à-vis d’Ascheriit.
En se remémorant les événements survenus plusieurs années auparavant, Ilyanth comprenait mieux pourquoi les chimères avaient attaqué le domaine sur Ambarhùna et prémédité de s’emparer d’un maitre Baptistrel. Malgré son impuissance magique, Ascheriit possédé par Véhasiel était devenu un Chantevide et usait des puissants pouvoirs de la magie Baptistrale à des fins innommables et contraire au serment prononcé par chacun d’entre eux. Cette nouvelle note apparue peu de temps après l’enlèvement du jeune apprenti était-elle la cause d’une telle aberration ?
Dès après l’arrivée des chimères, un violent combat s’engagea entre ces créatures au faciès de rapaces et les Graarh. Ilyanth, obligé de poursuivre le rituel, assistait impuissant à cette scène de carnage, tentant de conserver sa concentration malgré la souffrance induite par ces vibrations disharmonieuses et la souillure du sang versé au sein de ce sanctuaire sacré. Le chanteur à la voix ardente ferma à nouveau les yeux afin de s’enfermer dans une bulle mentale et s’abstraire, au moins partiellement, de la cacophonie environnante et du chaos qui l’entourait.
A cet instant, l’elfe solaire aurait donné n’importe quoi pour que cessent ces cris de douleurs et le son dissonant des lames de métal qui s’entrechoquaient, lacérant les chairs et fracassant les crânes. Ces bruits de combat ravivaient ses souvenirs traumatiques et ses vieilles blessures de l’âme liées à la terrible bataille de Sandur où il avait été confronté brutalement à l’horreur et aux atrocités de la guerre. Une part de lui-même s’était brisée ce jour-là et il en resterait marqué à jamais. Aujourd’hui encore, il assistait à une telle tragédie sans pouvoir agir pour l’arrêter.
Malgré ce maelstrom de violence et de douleur, Ilyanth percevait les vibrations harmonieuses de Kehlvehan et entendait son chant dédié à l’élément aquatique, aux sonorités aussi mugissantes que les vagues de l’océan. Le Gardien se battait pour laver ce temple inviolé de la souillure des chimères et protéger ses frères et ses sœurs chanteurs ainsi que les hommes-félins venus combattre à leurs côtés.
Pourvu que nul mal ne l’atteigne et que ce cauchemar s’achève, songea le Chantefeu le cœur serré de détresse. Mais il devait se montrer fort et poursuivre son chant envers et contre tout pour le salut de ce monde. Ce dernier n’avait guère d’autre choix que mener à bien ce rituel pour chasser les ombres des chimères à l’aide du Feu purificateur.
Le maitre barde se concentra de toute son âme sur la quintessence de son élément et sa voix séraphique continua à s’élever sans vaciller. Autour de lui, le combat faisait rage et le fracas des vagues résonna à l’intérieur du Baoli comme si la fureur des marées venait de se déchainer sur leurs adversaires.
Un instant plus tard, après le bruit d’une brisure d’épée, le son discordant d’une note disharmonieuse déchira l’atmosphère, provoquant une onde de choc et vrillant les tympans de toutes les personnes présentes. On pouvait y lire la vindicte et le désir d’anéantissement et le chanteur ferma son esprit à ces sons impurs pour préserver sa sérénité.
Tout d’un coup, une angoisse sourde jaillit en lui en sentant l’approche de deux créatures dont les vibrations monstrueuses entachaient la pureté de ce temple sacré. Des frissons glacés parcoururent sa peau et son palpitant se mit à battre plus fort.
Au fur et à mesure qu’elles se rapprochaient, Ilyanth sentait son malaise s’intensifier et devait lutter pour conserver sa concentration. Par ailleurs, certaines de ces vibrations en dépit de leur avilissement lui étaient étrangement familières. N’y tenant plus, il souleva doucement ses paupières et ses prunelles de jade azuré se posèrent sur la créature dont elles émanaient.
En la voyant le lié du feu crut que son cœur allait s’arrêter de battre. Face à lui, se trouvait un être à l’apparence terrifiante et à l’aura emplie de noirceur, comme s’il avait été façonné avec des débris de cauchemars.
Son corps difforme et famélique affichait des muscles noueux et une peau grisâtre recouverte de striures blanches. La chair de son ventre en décomposition, absente par endroit, laissait apparaître ses entrailles béantes. Le bas de son corps était enveloppé dans une longue étoffe verdâtre, retenue par une ceinture formée d’une chaîne métallique.
La monstruosité possédait des bras aux veines saillantes qui s’achevaient par des mains aux longs doigts griffus et bougeaient en effectuant des mouvements saccadés. Sur ses épaules, on discernait de longues plumes effilochées dont la couleur rappelait celle de l’ivoire. Quant à son crâne déformé et recouvert d’excroissances osseuses, celui-ci arborait des orbites brûlant d’un feu haineux et une bouche caverneuse, semblable à une fournaise, entourée d’étranges mandibules. L’arrière de sa tête était hérissé de plumes, faisant ressembler cet être à une immonde hybridation entre un oiseau et un humanoïde.
Cette « chose » inspirait l’horreur et nul ne pouvait la contempler sans frémir et éprouver un sentiment de dégoût ; pourtant, Ilyanth ne parvenait pas à en détacher son regard, comme si elle exerçait sur lui une indescriptible fascination.
En écoutant son Chant- Nom, il eut l’impression que son âme se déchirait. Ce Chant-Nom, même abimé, distordu, souillé, le Chantefeu l’aurait reconnu entre mille. C’était celui d’Ascheriit.
Plus que la haine, la colère ou la répulsion, le palpitant de l’elfe était inondé d’une infinie tristesse. Derrière son aspect cauchemardesque et corrompu, cette créature était toujours son frère bien-aimé. Une part de lui-même devait subsister dans les tréfonds de cet abîme de noirceur.
Pourtant, il ne semblait plus rien persister du beau Glacernois d’autrefois, à la silhouette longiligne drapée de noir et aux longs cheveux brun-doré, tant l’essence de son être avait été outrageusement déformée. Ilyanth se remémora les temps bénis où le jeune apprenti vivait au domaine, empli de joie et d’insouciance. Tous ces moments qu’ils avaient partagés ensembles, comme les soirées de lecture dans les bibliothèques du domaine ou les journées passées à chanter. Pourraient-ils jamais les revivre ou étaient-ils condamnés à appartenir au passé ?
Il se rappela également celui qu’était le jeune apprenti, un garçon sensible et doux, qui dissimulait souvent ses sentiments derrière un masque de pudeur typiquement Glacernoise.
Entièrement dévoué à la Rhapsodie, Ascheriit Svenn rêvait de devenir Cawr mais son impuissance magique causée par la malédiction de Skade anéantissait tous ses espoirs ; jusqu’au jour où il fut décidé de réunir les douze maîtres pour tenter de briser cette malédiction à l’aide d’un puissant rituel.
Puis, les chimères étaient arrivées, surgissant de leurs vortex, et l’avait enlevé, brisant son rêve…ou plutôt le réalisant d’une odieuse façon. Une telle tragédie n’aurait jamais dû se produire ! Ascheriit était innocent ! Si celui-ci ne s’était pas sacrifié pour le sauver, c’est Ilyanth qui se trouverait aujourd’hui à sa place.
Jadis, pour le retrouver et le sauver, l’elfe solaire n’avait pas hésité à quitter le domaine seul, au mépris de tous les dangers, en suivant la note du Néant et à se rendre au cœur des Terres Désolées puis aux confins du plan astral. Mais ses efforts s’étaient révélés vains.
Cependant, durant toutes ces années, ce dernier avait conservé l’infrangible espoir de revoir Ascheriit et de trouver un moyen de le délivrer de l’emprise des chimères. Et aujourd’hui, cet être qu’il recherchait si ardemment se trouvait à la fois si proche de lui et pourtant si inaccessible. Un sentiment d’intense frustration l’envahit.
Le lié du feu brûlait d’envie de l’appeler, de crier « Ascheriit ! Mon frère ! Que t’ont-ils fait ? » Mais ce dernier était condamné à poursuivre son chant sans s’arrêter, incapable de s’adresser à lui ou d’intervenir qu’une quelconque façon. Par ailleurs, le jeune Enwr pourrait-il seulement le reconnaître à présent qu’il était possédé par Véhasiel ?
Hélas c’était peu probable. Lors de leur précédente rencontre, la chimère, utilisant Ascheriit comme réceptacle, avait tenté de le tuer. Pourtant, Ilyanth ne parvenait pas à se résigner. Il devait exister un moyen d’aider son frère ! Peut-être que ce rituel magique était la clé qui chasserait les ténèbres chimériques et ramènerait Ascheriit. Quoiqu’il arrive, le Cawr devait résister.
Le Chantefeu continua à chanter avec ferveur sans quitter Véhasiel du regard, déterminé à poursuivre jusqu’au bout. Tout d’un coup, ses prunelles s’écarquillèrent d’angoisse et son cœur se mit à battre à tout rompre. Quelque chose clochait, sa concentration était en train de se briser et poursuivre son chant s’avérait extrêmement difficile. Ses pensées devenaient de plus en plus nébuleuses et la puissance de sa voix faiblissait.
Il devait absolument se reprendre ! Une seule fausse note et le rituel serait irrémédiablement compromis !
Des gouttes de sueur commencèrent à perler le long de son front.
Que lui arrivait-il ?
C’est alors que l’elfe solaire remarqua l’étrange bâton que tenait le Chantevide entre ses mains. D’une blancheur rappelant la teinte de l’ivoire, ses deux extrémités recourbées, chacune en sens inverse, formaient de mystérieux entrelacements aux contours irréguliers. Une aura impure émanait de ce bâton, à l’opposé du blanc immaculé de la matière qui le composait. Comme hypnotisé par ce singulier objet, Ilyanth peinait à en détacher les yeux. Était-ce lui la cause de l’état dans lequel celui-ci se trouvait ?
Au fur et à mesure que Véhasiel se rapprochait, le chanteur sentait la puissance de la note du vide s’exercer sur lui, affaiblissant la force de son propre élément.
« Ascheriit ! Arrête ! » avait-il envie de hurler à son frère mais le rituel monopolisait toujours sa voix, le condamnant à l’impuissance.
Le lié du feu luttait de toute son âme pour continuer à chanter et sentait naitre en lui une profonde affliction en voyant ce qu’il était advenu du jeune Enwr. Depuis le drame qui s’était déroulé lors de l’attaque du domaine Baptistral, les griffes de la culpabilité ne cessaient de lacérer son cœur.
Mentalement, ce dernier revécut une fois encore cette scène tragique où la chimère qui les poursuivait dans la bibliothèque de l’observatoire céleste, où ils s’étaient retranchés, l’avait empoigné afin de l’entrainer à l’intérieur d’un vortex. Et Ascheriit s’était interposé entre lui et l'infâme créature, se sacrifiant pour lui permettre de demeurer sauf. Les choses s’étaient déroulées si vite qu’Ilyanth n’avait pas eu temps d’intervenir avant que le vortex ne se referme sur son frère bien-aimé.
Pourrait-il jamais se le pardonner ?
Son regard chercha celui d’Ascheriit, implorant son pardon, et en pensée il lui adressa les mots que ses lèvres étaient incapables de prononcer.
« Ascheriit, j’implore ton pardon ». « Je m’en veux tellement d’avoir été incapable de te protéger des chimères. »
« Si je pouvais prendre ta place pour réparer ma faute, je n’hésiterais pas l’ombre d’un instant ».
Mais à l’intérieur des orbes incandescents de l’ancien Enwr, l’elfe flamboyant ne rencontra que la plus intense des haines et cela transperça son palpitant plus profondément que ne l’aurait fait une lame de poignard. Leur lien était si fort, est-il possible que les chimères soient parvenues à le briser ? Cette amitié fraternelle s’était-elle transformée en cendres de rêves dispersées par le vent ?
Des larmes se mirent à ruisseler le long de ses joues. Ses pensées s’envolèrent vers le Gardien et les autres Maitres Baptistrels ainsi que vers tous les individus de Tiamaranta que l’interruption du rituel risquait de condamner. Les forces commençaient à lui manquer et une fois encore, il s’adressa mentalement à celui qui ne pouvait l’entendre.
« Je voudrais tant te sauver mais je me sens trop faible pour continuer à lutter… ».
L’intensité de son chant diminuait encore et chaque nouvelle note devenait plus difficile à chanter que la précédente. A tout moment, telle la flamme soufflée par le vent, il risquait de vaciller. Le désespoir commença à le gagner. Cette fois, c’était terminé. Il allait échouer et tout serait perdu.
Soudain un profond silence se fit autour de lui, éloignant la musique discordante de la violence et un voile noir masqua son regard aux horreurs de la guerre. Le temps semblait suspendu comme si quelqu’un venait de le figer et une sensation de légèreté s’empara de lui comme s’il se trouvait transporter à l’intérieur d’une bulle de sérénité.
Que se passait-il ?
Des mains emplies d’une chaleur bienfaisantes caressaient ses oreilles et ses yeux et l’elfe ressentait dans le même temps une pression brûlante contre sa gorge. Celle-ci s’étendait sur sa peau en décrivant des arabesques incandescentes. Ilyanth reconnut immédiatement cette sensation indicible qui embrasait sa chair. Il l’avait déjà rencontré par le passé.
« Feu ! »
La déesse Feu ne l’avait pas abandonné. Au milieu de cet abîme de souffrance et de désespérance, la divinité s’était portée au secours de son protégé comme elle déjà fait une fois auparavant. L’elfe solaire se rappela ce jour où il avait combattu l’abomination du Néant qui se trouvait dans les ruines des Dieux, situées sur le plan astral, en compagnie de Kalyna, d’Alford, Arya et Verith. Surgissant d’un objet en forme de miroir, la main enflammée de la déesse avait apposé sa marque flamboyante sur sa gorge et levé provisoirement son serment afin de lui permettre de combattre aux côtés de ses alliés sans perdre ses pouvoirs de Baptistrel.
La divinité n’était plus mais un fragment d’elle subsistait, incrusté à même la chair du Chantefeu, dans ses arabesques incandescentes. Sa marque de Feu venait de s’activer à nouveau mais sa puissance demeurait faible.
Néanmoins, le lié du feu sentit l’espoir et une ardeur nouvelle renaître en lui, comme si la flamme mourante venait de se raviver. La présence de Feu à ses côtés lui insufflait l’énergie et le courage de combattre encore et il se concentra de toutes ses forces sur son chant afin de poursuivre le rituel.
« Chante Voix Ardente, chante comme tu n’as jamais chanté. Deviens ce Feu purificateur et salvateur capable de guider tes frères et tes sœurs vers la Lumière ».
Seul, Ilyanth était impuissant à délivrer son frère de la malédiction chimérique mais peut-être que l’union des douze maître le pourrait. Si le rituel réussissait alors peut-être que le miracle se produirait. Le Flamboyant chantait de toute son âme pour le salut de tous les êtres et pour que les ténèbres se dissipent.
Spoiler :
Les chimères sont là, elles ont atteint l’île et prennent d’assaut le volcan. Rapidement, le groupe décide de gagner du temps en ralentissant l’ennemi. Le tunnel menant au Bâoli est condamné par la conjugaison des pouvoirs des spirits et des chanteterres. Malheureusement, cette stratégie coûte la vie de nombreux graärh qui se voient confier la tâcher d’occuper l’ennemi le temps que le chemin soit bloqué.
La stratégie semble cependant être la bonne. Malgré l’anxiété de se savoir enfermer avec un ennemi pouvant arriver à tout instant, le rituel progresse bien. La puissance canalisée est presque palpable et des filins d’énergies se sont formés au plafond.
Pendant ce temps, les graärh se mettent en position pour accueillir l’ennemi, qui finira par arriver tôt ou tard.
Bientôt, un grand bruit se fait entendre contre le mur qui désormais bloque la sortie du Bâoli. Ce dernier se mit à s’effriter. L’ennemi est là, il frappe à la porte et celle-ci est sur le point de céder. Des fissures se forment et le mur finit par éclater.
Malheureusement vient le temps pour Ilyanth de chanter à nouveau. Il va devoir rester concentré sur le chant malgré l'assaut et ce qui va suivre.
Des créatures à l’apparence monstrueuse surgissent du tunnel. Le cœur de la totalité des baptistrel se soulève à cet instant. Ilyanth sait ce que sont ces créatures. Lors de l’accord des pirates, le secret du retour des chimères s'est accompagné de la révélation de celles-ci. Un spécimen vivant a été capturé par les pirates et remis par eux à l’ordre de la rhapsodie. L’odieuse vérité à leur sujet, les chanteurs la connaissent. Il s’agit d’anciens elfes, humains et vampires d’Ambarhùna dont le chant-nom a été ignoblement trafiqué de sorte à changer leur être. Les dieux seuls savent pourquoi. L’existence même de ces choses est une preuve que les pouvoirs des Baptistrel ont été utilisés à des fins qui n’auraient normalement pas pu être permises par la magie et le serment Baptistral.
Le combat s’engage entre les chimères et les Graärh. Au milieu de cette cacophonie et de ces vibrations monstrueuses, deux choses s’avancent.
La première chose n’est nul autre qu’Ascheriit. Ilyanth perçoit le chant-nom de l'apprenti et son coeur se déchire. Ce dernier est tout aussi horriblement trafiqué que les innommables. Il peut se risquer à le constater de ses propres yeux. Un être difforme s’approche parmi la mêlée, repoussant les félins qui s’en prennent à lui comme de vulgaires grains de poussière.
La deuxième chose ne peut être décrite que comme un blasphème à la pureté, à la vérité, à l’harmonie et à toutes les valeurs baptistrel. Dans la main de Vehasiel/Ascheriit se trouve un bâton aussi impur que le blanc immaculé de l’ivoire qui le compose.
Chanter pour le rituel devient extrêmement difficile, sa concentration d'Ilyanth se brise à mesure que le chantevide approche et que son coeur se déchire de voir l'ancien apprenti qu'il n'a su sauver dans cet état.
C'est alors que le silence se fait autour d'Ilyanth et qu'un voile noir s'abat sur ses yeux. De chaudes mains viennent couvrir ses yeux et ses oreilles. Il sent également une pression brulante contre sa gorge, celle-ci s'étend et semble décrire des arabesques sur sa peau. Cette sensation lui est familière, il s'agit de la même qu'il a ressentie lorsqu'il se trouvait dans le plan astral et a dû combattre une abomination du néant en compagnie de Kälyna, Alford, Verith et Arya (CF intrigue la ruine des dieux). La marque apposée par Feu en ce temps s'active à nouveau, elle est néanmoins faible. La déesse vient en aide du chanteur dans un dernier souffle pour surmonter cette épreuve et ne pas faire échouer les rituels.
Que fait ton personnage, comment réagit-il ?