- Il s'amusait bien là dessous ? Naal porta un regard sur les tentacules gluantes encore agitées par des spasmes nerveux. Le dévot laissa naître un sourire en coin, joueur, malgré la fatigue, avant de lâcher, plein d'auto-dérision et de son accent natal, un : « Il ne fallait pas vous priver, Purnendu, plus on est de fous et plus on rit. » Même si la fin n'était pas vraiment joyeuse. Il coula un regard sur la créature déformée, mal à l'aise. Il s'adressa au Karapt déjà bien furibond : « N'est-ce pas Michel ? » Et on était reparti pour une série de cliquetis furieux dont Naal ignorait complètement le sens. Il n'avait que des suppositions : « Je crois qu'il m'aime bien. » Une part de lui le pensait sincèrement. Peut-être que Michel ne faisait qu'être bougon après leurs taquineries. S'il le méprisait, il ne dirait rien et garderait la tête haute. Naal en tout cas l'aimait bien. Il finissait par s'attacher à ce guerrier vétéran. Une part de lui espérait pouvoir un jour combattre à nouveau à ses côtés.
Son regard céruléen se posa sur la Reine qu'il approcha, même si Michel n'apprécia pas à cette idée. Le chant du Néant ne pouvait leur faire de mal, parce que Dieu était bon, Naal en était convaincu. Il baissa néanmoins l'objet, interrogeant la Reine sur son état et sur celui de sa ruche. Il fut rassuré d'entendre enfin une bonne nouvelle. « Je ne crois point vous avoir entendu dire que le traître ne représentait aucun menace pour vous, personnellement. » répondit-il avec un calme pragmatique. Elle ne lui avait effectivement pas dit que le traître serait un problème pour elle, mais elle ne lui avait pas non plus dit qu'il ne représentait aucun danger pour elle. Il ne pouvait deviner ce qu'elle ne lui disait pas, il lui appartenait de vérifier ce pour quoi les informations lui manquaient : c'était de la prudence. C'était d'ailleurs très précisément le point pour lequel ils avaient eu du mal à communiquer tous les deux. L'almaréen pouvait être bon en énigme, mais face au danger, il n'était plus le temps des devinettes.
La réalité simple et terre à terre. Voilà ce qui était bon pour eux. Il s'écarta alors, humblement, réalisant qu'il était quand même à poil. Lui, cela ne le dérangeait pas, mais il savait que les Ambarhùniens n'étaient pas très friands de nudité. Ils ne savaient pas ce qu'ils perdaient. Ils s'extasiaient devant les paysages grandioses de la nature, prodiges des déesses : des cascades, des montagnes enneigées, les fonds sous-marins... Mais ils voulaient voiler la création la plus sublime de toutes : l'homme. Un être capable de foi, dans toute sa splendeur. Un être capable de créer, d'imaginer, d'avoir des idées, fruits du Néant pour toutes ces choses qui venaient de Rien. Qui surgissaient depuis le Vide pour devenir muse, poème, tableau. Pour s'incarner dans l'amour et dans les lignes majestueuses d'un temple. Néanmoins, la Reine s'adressa à nouveau à lui.
Les couronnes de cendres étaient leurs ennemis à l'instant où Rog avait été libéré. Ce n'avait rien de nouveau, pas plus qu'il acceptait de faire des sacrifices. Il en avait fait beaucoup, pendant sa vie, sans les voir véritablement comme des pertes. Il avait donné beaucoup de lui et son plus grand sacrifice aura été de renoncer à l'Unique le jour où celui-ci lui avait demandé de le tuer. Il n'y en aurait jamais de plus grand et profond que celui-là. Jamais une plus grande preuve qu'il était capable de faire ce qui était nécessaire, même si cela incluait un sacrifice. Et quand bien même, il aurait tué Purnendu, il n'aurait fait que montrer que lui, individu, était prêt, mais cela ne jouait en rien sur d'autres. Il ne comprenait pas mais il acceptait qu'on puisse avoir la situation avec une autre logique. Il accepta la dague en la remerciant, ses doigts passant sur la dangereuse chitine qui ne pourrait pourtant le blesser, puisqu'il n'était pas Rog et ses frères de cendres. La pièce était unique ; il en était honoré.
Alors quoi ? Elle était en train de leur dire que ce n'était pas juste ? Que ce n'était pas normal qu'elle ait encore à perdre un fils ? Beaucoup de bipèdes étaient morts aussi dans le mausolée de Rog. Il l'avait vu, par la corneille. Et il n'était pas le seul à avoir vu les humains et graärh être broyés par la puissance de Rog. Qu'elle souffre de la perte de ses enfants, il le comprenait. Qu'elle ne voit que cela devenait problématique. Ils avaient risqué leur vie, ici, tous quatre, Naal le premier, pour une menace qui, au final, n'en avait pas été une pour la Reine ? Était-ce vraiment elle qui devait s'insurger de mauvais traitements ? Était-ce le nombre de morts qu'il résultait d'un affrontement qui définissait la capacité de chacun à faire des sacrifices ? Par cette logique idiote, devait-on prendre les glacernois comme des personnes moins promptes au sacrifice juste parce qu'ils perdaient moins d'homme que d'autres armées ? Ou devait-on simplement accepter qu'ils soient plus doués au combat ? La Reine Karapt n'avait-elle pas, elle aussi, à se poser des questions sur la capacité de ses enfants à combattre s'ils mourraient à chaque fois ?
Il resta silencieux, néanmoins, coi autant que perplexe. Il commençait à se souvenir des raisons pour lesquelles il était misogyne. Cette femme avait besoin de s'affirmer pour être forte, mais se faisant, elle sortait tout un chapelet d'inepties et de reproches. Elle les regardait de haut, car elle était puissante. Mais il n'y avait de parfait que le divin. Naal commençait néanmoins à avoir l'habitude de l'orgueil des monarques. Parfois, il fallait simplement les laisser parler d'eux et se donner des airs importants, puis aller vers autre chose lorsque leur crise d'omnipotence et d'omniscience était passée. S'il était blasé ? Oui. Définitivement, la royauté en dehors de l'Almara lui semblait si risible. Ces rois et reines se croyaient grands. Mais il n'y avait de grand que l'Unique et sa parole.
Il récupéra sa toge qu'il enfila sans se faire prier (pour un dévot, cela aurait été un comble), par respect pour les mœurs des Ambarhùniens en présence. La scène entre Belethar et la Reine fut assez amusante. Sacré Sucre d'Orge... Il servait de distributeur à friandises pour la Reine et le dévot se demanda un bref instant s'il allait assister à une scène de léchage de sucre intégral qu'il ne pourrait plus dévoir. Oui, vraiment... Sacré Sucre d'Orge... Il faudrait qu'il raconte tout cela aux siens, une fois de retour à Délimar. « Beaucoup de bipèdes sont morts, dans le mausolée, Kamda Aaleeshaan. » répondit-il finalement, lorsque la Reine s'adressa à nouveau à lui, s'attachant inévitablement et uniquement à la mort des siens.
Il saisissait parfaitement sa douleur. Que Thelem en soit témoin, Naal savait ce que c'était de perdre un enfant... Et même de devoir le tuer lui-même. Aldakin avait été comme un fils pour lui. Sa perte était une déchirure qu'il avait du mal à combler, malgré le mal que ce dernier lui avait fait à toute l'Almara et à lui, plus personnellement. Il comprenait bien cette douleur... Mais il ne devait s'aveugler du reste par elle. Silencieux, à nouveau, il écoutait Kehlvehan. Il savait parler, mieux que Naal ne l'avait jamais fait, excepté lorsqu'il parlait de l'Unique. Il l'admirait, comme il avait admiré la prestance d'Aldakin. L'almaréen n'aimait pas les comparer, mais l'elfe avait une emprunte sur ce qui l'entourait, par l'aura de justesse qu'il dégageait. Il disait la vérité en ce monde si corrompu par les complots et le mensonge. Parfois... Cela faisait simplement du bien... Même si à en juger par la crispation de la Reine, celle-ci ne semblait pas saisir qu'il s'agissait d'une main tendue pour l'aider et non d'un couteau placé sous sa gorge.
Leurs cultures étaient différentes et même pour les Ambarhùniens, les baptistrels étaient des êtres très singuliers, par leur philosophie épurée. Ses mires eurent le bon goût de se poser sur Purnendu lorsque celui-ci lui fit signe d'approcher et coupa net à la conversation. Il rangea les dagues, pour ne blesser personne et passa son bras à celui d'Eleni pour le faire s'asseoir. Ses nerfs, après le combat, avaient besoin d'être reposés et Purnendu semblait faire un parfait hôte. Il s'assit en tailleur à côté de son frère spirituel et se couvrit de la couverture que le graärh lui tendait. Il aurait été malheureux de perdre un tel guérisseur. L'Oracle baissa le regard sur ce qui était Croc et eut un sourire en coin à sa remarque. Les dragons se croyaient au dessus de tout, même de la mort. Ils étaient éternels et solides. Mais que Firindal en soit témoin : ils pouvaient tomber du ciel.
« Leur orgueil veut fermer les yeux sur ces reliques de leurs défunts pairs car cela serait accepter d'être comme tout ce qui n'est pas divin : mortel et capable d'échouer. Ce qu'on ne voit pas tend à ne pas exister, à nos yeux seulement. Cela ne vaut pas que pour les dragons, bien sûr, mais cela vaut surtout pour eux... » souffla-t-il, en mots fugaces à l'accent rude et exotique. Il ne les blâmait pas vraiment, il était souvent plus simple de fermer les yeux sur certaines choses parce que les regarder en face pouvait faire mal. « Je vous remercie pour ce présent. » Il avait beaucoup d'armes... Mais il avait des ennemis puissants et ses armes pouvaient se briser sur leurs écailles. Purnendu se doutait-il qu'il avait face à lui un tueur de dragons ? L'oracle ne l'avait jamais caché : il protégeait l'Almara de ces créatures infectes.
Avec un ligne imbibé d'eau pure, il nettoya le visage abîmé par l'épuisement de Kehlvehan. Il ne manqua pas de le taquiner amicalement sur son état pour lui faire oublier l'idée de maugréer. Il lava aussi ses mains et ses pieds meurtris avant de passer à son propre corps. « Laissez-lui du temps, Eleni. » avisa-t-il finalement, au sujet de la Reine. « Quand on est habitué à être seul... A se débrouiller seul... On oublie parfois qu'on peut aussi se reposer sur les autres. Ceux-ci auront beau clamer leur volonté désintéressée d'aider... L'on est sourd, juste parce qu'on est incapable de regarder l'autre sans le jauger. Est-il honnête ? Est-il capable ? Ne puis-je le faire moi-même ? » S'il parlait d'expérience ? Au moins un peu. Il avait gouverné au nom de Dieu, seul. Sans conseil, sans soutien, parce que Dieu le voulait ainsi. Et maintenant qu'il devait faire des choix, sans l'Unique à ses côtés, il réalisait combien il avait été habitué à agir seul et combien chercher du soutien auprès des autres était un travail de tous les jours. Un travail qu'il parvenait à pousser avec Eleni, avec Ilhan, Tryghild, sa fille, son peuple...
Naal vint rabattre le suaire de transe de sa capuche sur sa tête. Il fermait les yeux, les mains posées sur ses jambes. Ses lèvres murmuraient des prières en almaréen, à peine audibles mais dans son cœur, elles étaient criées à pleins poumons. Après le combat, il trouvait le réconfort de la foi, la croyance exaltée par la ferveur de ses émotions qui retombaient lentement. Naal n'était pas un orateur, pas quand il ne s'agissait de Dieu. Il était bien incapable d'argumenter pour la Reine, mais il savait qu'elle pouvait voir ce qu'il voyait par le don de la corneille. Ses prières récitées étaient régulières, alors qu'il revoyait les temples d'Almara. Un peuple tout entier mu par la foi, par ce lien qui les unissait comme un seul homme. Ils agissaient de concert, car il n'y avait rien de plus important que l'Unique. L'orgueil passait au second rang. La voix de Dieu était transmise par l'Oracle qu'il fut. Il avait été Roi, mais pas un roi comme les Ambarhùniens avaient tant connu.
Il n'y avait pas d'héritage. Aucun de ses enfants n'avaient aspiré à régner. Naal avait été le seul Serviteur construit par Néant pour guider le peuple des croyants. En cela, il comprenait la Reine Karapt. Tous ses enfants la suivaient, comme tous les Almaréens l'avaient suivi. Jusqu'au jour où le Tyran avait poussé Néant à hurler sa colère. Une colère que Naal ne lui avait jamais connu, des siècles durant. Une colère que seule la douleur pouvait faire naître. Il revit l'instant où il entendit le message de Néant. Par propagation empathique, il avait été en colère, lui aussi. Il avait brisé tant d'objets tombant sous sa main. Il avait hurlé. Il avait voulu la vengeance. Tout comme Aldakin, Lyra et Dradrok. Mais il avait refusé de se laisser aveugler par elle, refusé de croire qu'il devait agir. Il avait entendu la colère et il la respectait. Il sentait Sa souffrance et il en souffrait. Mais de vengeance, jamais.
Les prières cessèrent pour faire silence et Naal inspira sèchement, le corps tendu et l'esprit encore en train de voyager par la corneille. La lance d'Aldakin avait traversé son corps. A cet instant, il avait perdu tout contrôle sur son peuple car le Tyran s'était infiltré en eux, comme Rog pourrait prendre possession de Danalieth. Il voyait les navires quitter l'Almara, le Prêcheur scander sa haine. Cela lui faisait si mal, mais elle devait voir, si elle regardait. Elle devait voir que quoiqu'on fasse l'ennemi trouvait toujours comment s'infiltrer. Naal avait lutté et il avait perdu. Et elle ? S'il lui avait été donné les moyens d'immuniser son peuple à l'emprise du Tyran... Il l'aurait fait. Ne protégerait-elle ses enfants, elle qui avait ce moyen ?
Naal ouvrit les yeux et reprit ses prières presque muettes. Il n'avait jamais regardé ce qui s'était passé après sa mort, avant les massacres sur Ambarhùna, jusqu'à aujourd'hui. Il n'avait jamais vu le visage d'Aldakin guidant les siens, l'esprit toujours aussi convaincu d'agir avec justesse, selon la volonté de Dieu... Même après avoir du faire couler le sang du Roi. Une part de lui était horrifiée du monstre que son Frère était devenu, lui qui avait déformé les Textes Sacrés pour donner matière à sa vengeance. Aldakin avait été un terroriste et dans le cœur de beaucoup d'Ambaruniens, les Almaréens et leur foi resteraient à jamais cantonnés à cette image de terroristes. Des fanatiques irraisonnés capables des pires massacres pour leur Dieu. Une autre part de lui était apaisée, malgré la douleur. L'enfant qu'il avait accueilli et éduqué dans la foi, son Aldakin... Il était déjà mort quand Naal lui avait ôté la vie. Son âme avait été rongée par le Tyran, brûlée dans les flammes d'un brasier de colère et d'hérésie. Il ne restait véritablement plus rien de lui. Il était en paix avec cette idée, bien qu'elle soit horrible.
Il coula son regard d'un bleu céleste sur Belethar. Il savait que cet homme était de ceux qui condamnait l'Almara. Il respectait sa douleur. L'ignorance aidait à garder un équilibre. S'il prenait le temps de lui expliquer, est-ce qu'il comprendrait ? Ou est-ce qu'il le nierait ? Et puis... Devait-il vraiment argumenter ? Naal était d'avantage le genre d'homme à demander pardon plutôt qu'à plaidoyer pour sa cause. Il n'était pas un homme charismatique, capable de convaincre. Mais il était un homme pieux qui savait demander pardon lorsque l'occasion se présenterait. Son regard se porta sur Purnendu lorsque celui-ci vint lui tendre une boisson que Naal savoura, gorgée par gorgée. Il avait prit la main d'Eleni et l'avait lentement attiré vers lui, conduisant la tête de son frère pour qu'elle trouve le support des jambes du dévot. Qu'il s'allonge et se repose, il valait mieux. Il lui caressait les cheveux, songeur, ressassant sa dernière vision.
La Reine revint, plus tard. Avait-elle vu ce que Naal lui avait monté ? Il n'en savait rien mais Purnendu tâcha de la convaincre. Il y avait du cœur et beaucoup de mots. Il y avait beaucoup de conviction, en ce graärh, et cela lui faisait chaud au cœur. Danalieth accepta finalement leur requête. Ils s'occuperaient de ses enfants puis d'elle. « Cela risque de prendre du temps, n'est-il pas ? » Il posait son regard sur le Gardien. Il savait peut de choses sur les vibrations, mais il avait entendu plus d'une fois l'elfe chanter le Néant et savait que cela ne se faisait pas dans un claquement de doigts. « Voulez-vous que j'aille chercher d'autres Cawrs, Eleni, pour vous aider dans cette tâche ? » Car elle serait longue et épuisante et avec un seul chanteur ? Ils allaient en avoir pour des semaines ! Il releva le regard vers la reine : « Si vous le permettez, bien sûr. » Il ne voulait pas introduire des visiteurs supplémentaires dans une maison qui n'était pas la sienne. « Ou... Dites moi comment je peux vous aider. » demanda-t-il à Eleni.
Spoiler :
Pas de directives particulières, c’est le tour de conclusion, il te faut simplement prendre en compte les éléments suivants : Après avoir écouté les propos de Kehlvehan et les arguments de Purnendu, la reine accepte la pause proposée par ce dernier et se retire en emportant les corps de son décédé, en vous laissant bien sur sous bonne garde. Danalieth revient une heure plus tard et accepte la proposition du Baptistrel. Kehlvehan libèrera ses enfants puis elle.