Tissant précautionneusement le flot de la magie, le nouant adroitement autours de la poupée de sinistre intention, le parangon acheva enfin l’arme qui devait briser leur adversaire. Sous leurs assauts répétés et la malveillance de la poupée, la licorne faiblissait continuellement en dépit de sa hargne, sa fourrure ne tardant pas à être poisseuse d’humeurs et de sang. Sa virulence déclinait, mais elle n’était pas pour autant moins mortelle tant qu’elle perdurait. Sentant sans doute la fin approcher, la créature tenta un ultime coup contre leurs rangs, une explosion de magie qui soufflerait sans doute plus que la clairière improvisée qu’ils avaient créés. Une volonté meurtrière qui fut promptement, et de façon fort spectaculaire, soufflée par Nahui. La dracène avait attiré à elle les flux de magie alentours afin de les refuser à la voracité destructrice de l’équidé cauchemardesque. Pattes et échine brisée, colonne vertébrale fendue, les flancs ouverts et le crâne atteint, la créature se vit ainsi déposséder de son ultime recours tandis que les flammes diminuaient et la quittaient, se nichant dans les crevasses et les écueils des écailles de la dracène blanche. Vidée de sa substance vitale, l’équin cauchemar devint une proie facile pour Aldaron, qui plongea sa lame en son coeur d’un mouvement fluide, scellant définitivement son destin.
Le grand corps poisseux eut un ultime frémissement avant de s’effondrer dans un bruit sourd, ne laissant que le silence en manière de leg. Le haut mage approcha de son lié, Kaalys, mais Purnendu se proposa pour soigner les blessures du dragon de jais, lui permettant de sauvegarder une part de son énergie. Remerciant son ami, Achroma se tourna ensuite vers Aldaron et Nahui. Tous deux semblaient en bon état également, en dehors de quelques blessures légères pour la dracène couleur de neige, qui seraient aisées à effacer. Conscient de son importance, le vampire posa un genoux à terre pour amasser ce qui restait de la corne de leur adversaire à présent défait et en était à examiner le crin emmêlé et sale lorsqu’un battement de coeur vint vibrer au creu de ses tympans. Aux premiers instants, Achroma pensa qu’il s’agissait du coeur de Purnendu, ou des dragons mais le rythme ne correspondait aucunement, et il entendait chaque membre de cette triade au même moment. Se redressant, il interrogea les autres membres de leur équipée. Le rythme était sourd, lent et lourd, ressemblant à un tambour de guerre dépourvu de vibrations, ou à l’agonie d’un antique béhémoth. De source inconnue, le son emplissait lentement l’atmosphère, prélude à l’étrange.
Une brume dense, froide et étouffante commença à suinter du cadavre encore tiède, remontant en appendices sinueux au travers de l’air ambiant jusqu’à s’accrocher à leurs formes alertes. Comme un voile opaque et insidieux, ce brouillard alla en s’épaississant, jusqu’à parfaitement occulter le paysage alentours, réduisant le monde à leur union physique, corps encore proches les uns des autres. La forêt ondoya avant de cesser d’exister, ne laissant, pendant quelques instants, qu’un univers anthracite délavé, qui, à sa plus grande horreure, sembla continuer de s’épaissir jusqu’à avoir la consistance d’un mur de pierres. Et pourtant, cela ne semblait pas influencer leur état physique. Cela n’excluait pas le moins du monde la possibilité que cela soit tout de même dangereux mais en tout état de cause, ils disposaient d’un répit. Avec moultes précautions, le haut mage vérifia ce que sa magie pouvait lui apprendre, puis étendit son bâton de guerre pour essayer de fendre cette brume solide grâce aux glyphes de vent apposés sur le bois antique. Le geste sembla, aux premiers battements de coeur, n’avoir aucun effet et une part primitive de son être tendu et méfiant fut soulagée. Il déchanta pourtant bien vite lorsque les cornes sculptées semblèrent toucher quelque chose de dur qui eut une très légère résistance avant de céder.
Le paysage sembla se craqueler, autours de la forme de son bâton, comme une couche de mercure ou d’argent liquide à peine durcit. Alarmé, le haut mage resta immobile une poignée de secondes, puis expira profondément, empêchant sa main de trembler, et ramena l’arme vers lui, lentement. Hélas, le mal semblait être fait, la craquelure ne fit que grandir, par lignes nettes et tranchantes, jusqu’à consteller leur univers entier de fissures sombres. Leurs corps n’étaient pas touchés, quand bien même une fêlure épousait leurs silhouettes. Les claquements et crissements s’intensifiaient, tout comme le battement de ce coeur invisible et inconnu. Par réflexe, le vampire dressa un bouclier autours d’Aldaron, Purnendu et lui-même afin de protéger les membres les plus délicats de leur équipée. Le monde semblait arriver à ses limites, prêt à s’effondrer en millions d’éclats. Par pur réflexe, Achroma se mit à retenir son souffle dans l’ambiance emplie de craquements, l’air lourd de cette tension qui atteignit son point culminant dans un souffle de silence plein sinistre. Frémissant, les sens en alertes, le vampire se tourna très légèrement pour pouvoir croiser le regard de son Inséparable, prêt à user de télépathie pour échanger sur leur situation…
Son pied heurta une racine, causant un sursaut involontaire, et il entendit très clairement le bruit d’une vitre se brisant alors que les éclats du monde tombaient au sol dans un vacarme assourdissant. Contrairement à sa crainte affolée, ils ne se tinrent pourtant pas dans un vide absolu mais dans un paysage à la fois familier et complètement étranger. La forêt était bien là, ses arbres immenses dominant même les dragons, sa futaie dense occultant le soleil. La neige absorbait toujours le bruit de leurs pas. La ressemblance, cependant, s’arrêtait là. La forêt était sombre, très sombre, mais ils n’étaient pas pour autant aveugles dans cette noirceur. Les feuilles des arbres portait une luminescence naturelle d’un bleu profond, ressemblant à celui d’une opale, tandis que les rares fougères résistantes au froid possédaient un halo d’un bleu océanique, en contrepoint à la futaie illuminée. Les troncs et la neige étaient constellées d’étoiles turquoises à peine visibles, mais dont le nombre constituait un halo délicat. La roche se parait de lignes luisantes violettes et vertes alors que les flocons de neige fraîchement tombée scintillaient d’une couleur dorée pâle comme un songe. Des champignons glaciaux, eux, changeaient de couleur par ondoiements.
Le paysage mirifique s’enlaçait de haubans enténébrés et d’une brume qui adoucissait les contours des formes présentes. Comme les lueurs d’un feu sur le sol, les couleurs dansaient, disparaissant par instant dans les ombres, tandis qu’à d’autres, elles étaient éclatantes et chatoyantes. Ce fut sur la valse d’une de ces volutes qu’il entrevit la forme équine, seul témoignage de la présence d’une licorne : le cadavre avait disparu. Sa silhouette éthérée, pourtant, narguait tandis qu’elle galopait au loin, fuyant leur présence. Et en dépit de l’étrangeté de la situation et le curieux de ce nouveau monde aux arbres distordus et parfois fongiques, la hargne revancharde du parangon chassa curiosité comme prudence pour se lancer à la poursuite de sa proie. Tandis qu’ils suivaient la piste laissée par l’être de brume, la détermination du haut mage s’émoussa juste assez pour lui permettre de se rendre compte de l’évolution du monde autours de lui, car si la toile de fond restait sombre et obscurcit, la végétation prenait des teintes en camaïeux de bleus et de verts, alors que le drapé de la nuit s’intensifiait et qu’une aurore boréale vienne jouer dans les feuilles d’un arbre plus gigantesque encore, à la forme impossible à décrire, comme une couronne le surplombant.
Parvenant aux pieds de cet impressionnant spécimen, il s’arrêta enfin et prit soudain conscience que ce qui lui faisait face n’était pas de même nature que le reste. L’arbre était pâle d’écorce, parcourut d’arborescences sombres, noires, comme des vaisseaux sanguins corrompus, mais solides. Lianes et parasites fongiques ne ressemblaient que vaguement à la flore de la forêt réelle, et il ne connaissait leur nature que grâce au flux d’érudition. D’un rouge pâle tirant parfois sur le mauve, elle ornait le tronc comme les racines avec opulence. Comme le drapé d’un jupon, la végétation aux nuances carmines protégeait les racines, dans une sorte de cuvette ou de cratère, et il réfréna l’envie de descendre plus près : il sentait un danger, diffus mais bien présent. Tout autours de lui, la magie abondait, et à présent rié hors de sa fureur première, il ne pouvait plus l’ignorer. Elle semblait provenir d’une source unique, qui la diffusait avec largesse sur l’ensemble de la forêt alentours, et elle avait quelque chose d’exotique, dans les sensations qu’elle invoquait, quelque chose d’unique. Cette magie lui rappelait énormément celle de la Licorne, qu’il avait déjà pu observer à deux reprises. étaient-ils donc tombés dans une illusion ou un cauchemar créé par la bête ?
Non. Son premier avis fut d’écarter la possibilité d’une illusion. Il l’aurait vu, s’il s’agissait d’une illusion, sans parler de son expérience à bord du Maelström et de sa visite dans un autre monde fait de sable et de vers géants, qui tendait à lui faire accepter avec plus d’abandon l’idée d’un autre monde. Comment étaient-ils parvenus ici exactement ? En tuant la licorne ? Devaient-ils en tuer une autre pour repartir dans ce cas ou un simple sortilège de téléportation fonctionnerait-il ? Il allait interroger ses compagnons pour entendre leurs pensées sur leur situation présente quand une voix impromptue vint troubler son intention. Achroma mit quelques instants à retrouver l’identité du propriétaire de la voix et fronça les sourcils, perturbé.
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Pendant de nombreux siècles je pus rêver en paix. Nul ne vint troubler mon domaine. Nul ne vint le mettre en danger. Tout juste les enfants des étoiles venant braver l'interdit, se soumettant malgré eux à l'épreuve pour laquelle ils n'étaient pas encore prêts, pas encore dignes. Puis vint le cauchemar, jetant le trouble sur mon domaine, violant mes frontières, répandant le sang, appâtant l'appétit. En réponse, je m'évertuai à le chasser le plus loin possible, sortant même de mes frontières. Et pourtant le revoilà, étendant plus loin encore le trouble. Il désire à présent mettre fin à cette bataille qu'il a pourtant déclenché? Est-ce sincère? Êtes-vous ses émissaires? L'Arbre-songe est prêt à discuter, mais la paix aura un prix.-
Nous ne sommes pas hostiles à l’idée d’une paix. Naturellement la paix aura un prix, mais quel sera ce prix ? Nous sommes prêts à entendre vos demandes. Bien entendu nous ne pouvons garantir de les accepter, mais nous pouvons garantir d’y réfléchir et de négocier un accord qui sera profitable à nos deux parties. Dites-nous donc quelles sont vos revendications.-
Mon domaine doit retrouver sa sérénité. Mes frontières ne doivent plus être violées. Le cauchemar devra se tenir loin du rêve. L’appétit éveillé devra être comblé, le sang devra être versé et la chair devra être déposée”
Avec qui exactement discutait-il ?
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Je ne suis pas sûr que ce bougre et sa pléiade de licornes soient prêt à négocier. C’est un ultimatum et il me semble attendre que toutes ses requêtes soient suivies à la lettre. Le prix de la paix. Dommage qu’il se nourrisse de la vie, une caractéristique dont vous êtes dépourvus je crois.Vous voulez envoyer des esclaves à votre place ? Quelle générosité… Et dans une semaine, lorsqu’il ne sera plus rassasié et qu’il reviendra hanter Nevrast pour en demander d’autres ? On ne parle pas d’un fenrisúlfr affamé. Si lui et ses larbins s’éveillent chaque fois que quelqu’un pose une patte sur une branche, le maléfice demeurera à tout jamais. Il nous faut trouver un moyen de l’empêcher de nuire, et mettre fin à cette sorcellerie”
Il ne connaissait pas cette voix mais il avait l’impression très nette qu’il valait mieux intervenir tout de suite s’il s’agissait vraiment de Nathaniel et de… quoi ? Qu’est-ce qui discutait avec lui ? La dernière voix était celle d’un graarh, semblait-il, avec son accent et ses grondements. Mais l’autre ? Son domaine ? Enfants des étoiles ? Ses frontières ? Est-ce qu’il s’agissait d’un gardien quelconque de la forêt ? Si c’était véritablement le cas, il allait lui toucher deux mots ! On envoyait pas des licornes comme ça sur les braves gens sous prétexte qu’on ne savait pas contrôler ses nerfs tout de même ! Mais avant d’en arriver là, il allait devoir essayer de calmer les ardeurs des deux individus qui discutaient de la suite à cette affaire.
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Calmez-vous messieurs” fit-il d’une voix ferme et sonore qui se répercuta dans l’air figé.
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Nathaniel ? C’est bien vous ? Je vous entend mais je ne vous vois pas. Je pense que vous devez être dissimulé par le tronc avec le reste de votre groupe.. enfin le tronc et probablement un plan d’existence ou un autre monde. On a tué notre licorne mais sa mort a ouvert une sorte de passage. Je n’ai pas pu en étudier les détails sur le moment. Arrêtez moi si je me trompe, mais vous discutez avec un gardien de la forêt, c’est cela ?”
Il attendit un peu pour avoir la réponse avant de détourner son attention vers l’arbre. Est-ce que c’était ça le gardien ? Vu la différence avec le reste de ce lieu, le doute était bien mince. Nathaniel n’avait pas tort, mais son interlocuteur félin non plus. Il fallait s’assurer que, quelle que soit la décision qui devait être prise, elle soit sécurisé et dans leur sens à eux. Pour autant, il n’était pas prompte à simplement faire la guerre à tout pouvoir étranger auquel ils étaient confronté si celui-ci avait plus de jugeote que ses licornes affamées. Pourtant simplement décider d’une solution sans réellement comprendre ce qui se passait lui semblait dangereux.
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Auriez-vous l’amabilité de vous expliquer davantage Gardien ? De quel cauchemar parlez-vous ? Quel sang a été répandu ? Vous vous attaquez aux vampires mais que je sache les vampires ne faisaient que traverser vos terres, ils n’avaient rien de plus à voir avec votre domaine. Comprenez qu’il est impossible de jeter la faute sur les autres quand ces autres ne savent pas de quoi il est question. Vous dites avoir tenté de chasser ce qui vous faisait vous sentir menacé mais avez-vous tenté d’entrer en contact pour prévenir ? Vous dites êtes sortis de vos frontières mais vous attaquez les vampires pour être rentrés dans les vôtres, n’est-ce pas biaisé et injuste ? Avant de parler de prix ou de négociations, j’aimerais beaucoup que vous nous expliquiez ce que vous êtes ou qui vous êtes et ce qui s’est passé de votre point de vue. Mon peuple ne voulait pas de guerre avec la forêt et ne l’a jamais voulu, si un bris a été commis c’est sans connaissance de la réalité des choses”
Pour le moment, il tu son idée exacte sur la situation. Ils avaient défaits les licornes, ils étaient arrivés jusque là. Ils étaient conquérants… et les conquérants ne payaient pas de prix aux vaincus. Mais l’histoire de son propre peuple était si parsemée d’injustices à leur égard qu’il était aussi prêt à être raisonnable envers cette créature si elle l’était également. Il avait également besoin d’en apprendre plus, pour concrétiser ses idées. Se tournant vers le reste de l’équipée qu’ils partageaient, il glissa avec plus de douceur.
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Qu’est-ce que vous en pensez ? J’ai quelques idées pour établir une entente avec cette entité mais avoir toute l’histoire me semble plus adéquat avant tout… comment vous-vous les choses ?”
Directives :
La stratégie d'Achroma fonctionne, le reste du groupe lui gagne suffisamment de temps pour lui permettre de finaliser son sort. Après une lutte magique, la licorne commence à subir de lourds dégâts, à s'affaiblir, permettant à Aldaron de pouvoir la chevaucher avec moins de difficulté et lui enfoncer son épée jusqu'au coeur.
L'incroyable intervention magique de Nahui est salutaire, la bête qui se saturait en magie au point d'atteindre un seuil critique faisant planer le risque d'une explosion, se retrouve soudainement à plat. La licorne s'effondre au sol, totalement interne.
Plusieurs minutes de calme s'imposent, jusqu'au moment où des battements de coeur se font entendre. Le bruit est sourd, le bruit est lointain. Un brouillard commence à s'échapper du cadavre de l'équidé. L'environnement se fait instable, la réalité se brise autour de vous tel un miroir révélant une nouvelle forêt dans laquelle le groupe se retrouve très rapidement projeté.
Ce nouveau paysage est coloré, singulier, les arbres ont une apparence tout sauf naturelle, les plantes couvrant le sol sont luminescentes et les ombres sont mouvantes. Ici, le cadavre de la licorne n'est plus. Le brouillard, en revanche, demeure. Peu à peu, il prend l'apparence de l'équidé avant de s'enfuir, laissant dans son sillage une aurore boréal.