7 mai 1764 — Demeure Elusis, Cendre-Terre, Nyn-Tiamat
Le retour à la maison était… étrange. Tout était différent, désormais. De bien des façons. Après le voyage, fort chaotique, qui les avait ramenés, il fallait retrouver ses marques. En prendre de nouvelles. Compenser l’absence, terrible, douloureuse, déchirante. Accommoder la présence, nouvelle, rayonnante, douce, apaisante. Sentiments contradictoires, équilibre délicat et encore incertain.
Liv s’efforçait d’alléger la tâche de son Père avec ses nouvelles responsabilités, transmettant ses directives et gérant lui-même les menues affaires du quotidien pour le laisser se consacrer aux points les plus importants. CendreLune avait fort à faire en tant que nouveau Prince Noir, pour asseoir son autorité et se faire accepter sous ce titre qu’il avait repris de son époux. Peu, toutefois, s’aventuraient à le contester. Tous se souvenaient qui maniait l’épée qui avait fait tomber tant de têtes après la chute d’Irina Faust.
Mais il n’y avait, bien sûr, pas que la politique. Le jeune vampire soutenait également, ou du moins essayait, son Père dans leur deuil partagé, lui rappelant par sa présence qu’il n’était pas seul dans cette épreuve. Il n’était pas certain de vraiment parvenir à l’aider, mais il faisait, comme toujours, de son mieux. Et bien sûr, il veillait également sur sa sœur, nouvelle-née, à peine éveillée, qui avait encore tout à apprendre et à découvrir, et devait trouver sa place dans ces circonstances particulières.
C’était pour le moins déroutant pour lui de se retrouver, aussi brusquement, à la fois aux deux pôles des émotions. La douleur de sa perte, encore bien présente, ne le quittait jamais vraiment, et se mêlait au bonheur indicible de découvrir sa sœur, son Inséparable, celle qui, si vite, était presque devenue Tout pour lui, mais qui pour autant ne remplaçait pas celui qu’il avait perdu. Liv avait encore du mal à faire la part des choses entre ces extrêmes, et essayait d’éviter d’y penser autant que possible. Ce qui ne lui était pas si difficile, tant il n’avait plus guère de temps pour lui. Il ne s’en plaignait pas au demeurant, son seul regret étant qu’il avait également moins de temps à consacrer à Ombrenuit.
Il parvenait, malgré tout, à trouver le temps de s’occuper d’elle chaque jour. Les promenades, en revanche, n’était plus à l’ordre du jour, mais il avait de toute façon perdu ses privilèges de monte : la jument n’avait guère apprécié d’être ainsi délaissée, certes entre des mains fort capables, mais néanmoins abandonnée par son bipède de choix, et elle ne manquait pas de le lui faire bien sentir depuis son retour. Il allait devoir faire preuve de patience pour se faire pardonner. Désormais que le temps était plus clément, elle pouvait profiter des prés pour se dépenser en extérieur, aussi Liv l’y amenait-il consciencieusement chaque matin, et la ramenait-il à l’écurie chaque soir, avant de la brosser et de la panser.
Le premier jour, si elle avait daigné se laisser sortir, après avoir manifesté son mécontentement, la faire rentrer avait été tout une aventure, et lorsqu’il y fut enfin parvenu, et qu’il tenta d’entrer à son tour dans le box, elle lui avait très clairement fait comprendre qu’il ne valait mieux pas y compter s’il voulait repartir entier. Depuis, les choses s’étaient quelque peu arrangées : elle l’autorisait à entrer s’occuper d’elle, non sans prendre un malin plaisir à lui rendre la tâche aussi difficile que possible ; refusant de lever le sabot qu’il voulait curer, le repoussant contre la paroi du box, déchirant allègrement ses vêtements d’un coup de dents bien placé. Mais petit à petit, jour après jour, elle se faisait moins virulente dans les manifestations de son mécontentement, et il avait bon espoir qu’elle finirait par le pardonner — heureusement pour lui, il avait pensé à se réapprovisionner en friandises, et la générosité avec laquelle il les lui distribuait aidait sans aucun doute. Peut-être lui faudrait-il malgré tout demander conseil à Sorel…
Mais il aurait le temps de le considérer plus tard, si la situation ne s’arrangeait pas d’elle-même. Pour l’heure, il avait d’autres projets. Après avoir fini de subir l’ire équine, il rentra et prit le temps de se changer, pour des vêtement tout aussi simples et confortables, mais moins déchirés, avant de se diriger vers la chambre de sa sœur. Ce soir, il avait reçu l’autorisation de leur père de lui faire visiter la ville — sous bonne escorte, naturellement, même s’il avait réussi à s’arranger pour que les gardes restent à certaine distance pour leur laisser un peu d’intimité. Il avait, bien entendu, proposé à CendreLune de se joindre à eux, mais malheureusement ce dernier avait dû décliner, ayant des affaires urgentes à régler. Liv avait prévu sortie à la nuit tombée, pour épargner à la nouvelle-née les rayons du soleil, et était parvenu à l’organiser sans en éventer la surprise à la concernée. Il avait vu, en rentrant, les gardes finir de se préparer, tout n’attendait plus qu’eux. Mais il avait prévu encore une autre surprise tout d’abord, qu’il jugeait préférable de lui faire dans la sécurité de la demeure familiale plutôt qu’une fois qu’ils seraient dehors.
Une fois rhabillé, et après avoir rattaché Brise d’Argent à sa ceinture comme à son habitude, il attrapa dans un tiroir le petit écrin qu’il avait préparé pour l’occasion, puis se dirigea vers la chambre de sa sœur où il savait la trouver. Arrivé à la porte, il frappa, par habitude autant que pour annoncer son arrivée, mais n’attendit pas de réponse pour entrer, sachant déjà qu’il était toujours le bienvenu ici, tout comme elle pouvait aller et venir dans sa chambre à lui à sa guise. Comme à chaque fois qu’il posait le regard sur elle, un doux sourire se dessina sur ses lèvres.
« Bonsoir, petite sœur. Puis-je t’enlever à tes importantes occupations ? »
Tout en parlant, il était entré tout à fait dans la pièce, refermant la porte derrière lui, n’envisageant de toute évidence pas la possibilité d’une réponse négative.
Dernière édition par Ivanyr Elusis le Mer 10 Fév 2021 - 16:14, édité 2 fois