[INTRIGUE] La forge des cauchemars

Voilà donc ce qu’étaient devenus les graärh ? Voilà donc ce qu’était devenu l’archipel ? Le constat était mitigé bien qu’empreint d’une profonde tristesse. Sa race avait été profondément marquée par les actions des gardiens du Bâoli. Avaient-ils eu raison de faire ce qu’ils avaient fait ? Avait-il eu raison d’abandonner la cause ? Devait-il se réjouir de l’échec passé de ses comparses ou pleurer celui-ci ? Devait-il se réjouir du retour de la cause ou trembler face à celle-ci ?

Le regard de feu du félin se posa sur les visiteurs disparaissant lentement à mesure que les portes de l’ascenseur se refermaient sur eux. L’Administrateur les conduirait jusqu’à la sortie. Très vite, la couronne de cendre se retrouva à nouveau seule. Un instant de doute vint faire vaciller l’égoïsme d’Udyog avant que, sentant une présence sur son épaule, il ne vienne poser sa main dessus.

« Oui, nous verrons bien maitre. Observons comment les choses évoluent et avisons. »

L’esprit-lié du scarabée s’envola, quittant son élève pour retourner sur son plan. Reprenant son marteau en main, Udyog laissa une salve d’énergie traverser la salle. Le métal en fusion aux abords des pieds de l’enclume s’éleva, venant former des vrilles qui se rejoignirent au-dessus de l’outil avant de s’en retourner dans leurs lits. Le graärh commença alors à marteler la masse informe suspendue au-dessus de l’enclume, poursuivant son œuvre.



L’Administrateur avait invité les visiteurs à le suivre. Les faisant à nouveau rentrer dans la pièce amovible les ayant conduit jusqu’à la forge de la couronne. Une nouvelle fois, il s’approcha du socle dépassant du mur, une sphère lumineuse apparue et l’automate l'a pris entre ses mains. La pièce commença à nouveau à bouger, mais dans un sens différent cette fois. Elle sembla se diriger vers la droite, puis la gauche, puis à nouveau vers la droite, avant de monter. Après une bonne minute, la porte s’ouvrit à nouveau. De l’autre côté, il n’y avait que l’obscurité. Celle-ci ne tarda cependant pas à être chassée lorsque des lumières aux sols vinrent s’activer. Tous purent alors reconnaitre l’endroit. Ils étaient de nouveau à l’extérieur Aadphorjmik, dans les profondeurs obscures de Calastin, là où le sol était encore tapissé de cet étrange alliage.

« Chers visiteurs, les entreprises Ychgama vous remercient pour votre visite et espèrent que celle-ci vous aura été agréable. Nous vous souhaitons un bon retour chez vous. Bien que les visites soient toujours à l’arrêt pour le moment, nous vous invitons à l’avenir à vous présenter à l’entrée Est du bâtiment plutôt que de passer par les canalisations. »

L’Administrateur fit un petit signe de la main et les araignées-oreillettes sautèrent hors des oreilles des visiteurs avant de se mettre à gambader pour retourner vers l’automate. Au dernier moment, l’androïde vint saisir le bras de Reynagane comme pour l’arrêter avant de la libérer.

« Jeune graärh. Il m’a été demandé de vous remettre quelque chose avant votre départ. L’Araignée ne souhaite pas que son ancien protégé mette la main dessus. Aussi le Scarabée a-t-il demandé au Président des entreprises Ychgama de le dissimuler. Le savoir des graärh a terriblement périclité durant les siècles de sommeil du Président, mais il semble penser que vous seriez quoi faire. »

Un cylindre sortit du torse de l’Administrateur qui vint ensuite récupérer quelque chose dedans avant que celui-ci ne se referme. L’automate déposa un flacon de métal dans la patte de la guérisseuse. Puis, sans un bruit, l’androïde recula pour retourner dans la pièce amovible. Les portes se refermèrent et celle-ci s’enfonça dans le sol qui se résorba rapidement, effaçant toute trace de son passage.

Lentement, les lumières commencèrent à s’éteindre. Dans l’obscurité ils étaient venus, dans l’obscurité ils repartiraient.


L’ascenseur retourna au niveau de la forge et l’Administrateur pénétra une nouvelle fois dans la pièce où le chant du métal se réverbérait contre les murs.

« Président Ychgama, je ne souhaitais pas vous interrompre durant votre entretien, mais j’ai une information à vous transmettre. Les systèmes d’Aadphorjmik ont capté une transmission en provenance de la capitale. »

La couronne de cendre s’arrêta, son masque de contenance se fissurant sous une profonde surprise.

« Mets-la sur les haut-parleurs. »

L’automate s’exécuta et c’est bientôt un grincement d’acier atroce et strident ébranla la forge.

« Sssshâââ …. Ggrrrrryyyyy …. Läääääää … »

La mine d’Udyog vint s’assombrir alors qu’il posa son marteau sur son enclume. Lentement il se retourna et s’en éloigna, venant s’approcher de l’établi du fond sur lequel était accroché le schéma de Chheen-Srot. D’une main hésitante, il ouvrit l’un des tiroirs, venant en sortir un cadre au sein duquel figurait une photographie. Avec précaution, le félin passa sa main dessus, chassant la poussière la recouvrant.

« Peut-être aurait-il fallu que je te soutienne ce jour-là. Que j’accepte mon impuissance au lieu de m’en remettre à la solution de Laalach. Mes travaux ne seraient peut-être pas tombés entre de mauvais. »

Chassant une larme, le président des entreprises Ychgama s’en retourna à son travail, laissant là le cadre où figurait une sublime graärh avec un enfant entre les mains. Se tenant à ses côtés et l’enlaçant, au milieu de la photographie, il y avait un félin à la carrure impressionnante dont le pelage rappelait celui d’un tigre. Un peu plus en retrait, sur la droite, deux félins faisaient des grimaces, l’un aux yeux de feu et l’autre bossu. Enfin, sur la gauche, se dressait un graärh en tenue religieuse dont l’allure noble était légèrement fendue par le regard réprobateur lancé à l’adresse de ceux figurant à droite.

Assise proche d'un soufflet, ma tête poilue s'ébouriffait au rythme des battements de l'air. Mon cœur n'avait de cesse de faire des envolés. Moi, Reynagane Shäa, je venais de m'adresser à une Couronne de Cendres. Une véritable et historique Couronne.
Remise comme je le pouvais de mes premières émotions, je sortais à l'arrache mon petit carnet de voyage pour venir y écrire les principales informations que récoltaient tout mes camarades qui passaient l'interrogatoire. Gribouillant aussi rapidement que je le pouvais, chacune des informations que voulez bien nous transmettre Udyog était une véritable explosion pour mon petit cerveau.

Ce n'était qu'une impression, mais au fil des passages, j'avais l'impression que la Couronne déliait un peu plus sa langue. Son front de plus en plus plissé donnait, quant à lui, une image de plus en plus ronchonne mais pour l'heure, il ne semblait pas vouloir encore nous jeter à la porte. Je regardais avec des yeux tout aussi ébahis qu'Udyog, Alkhytis s'adresser au Gräarh. Certes je voyageais avec lui depuis qu'on était descendu dans le gouffre, mais que voulez-vous, c'était un dragon ! À côté d'une Couronne... L'extraordinaire dans une forge inimaginable.

Les dernières paroles d'Udyog envers le cuivré me fit cependant froid dans le dos. La Couronne elle-même n'était pas claire sur ses intentions. Il souhaitait plus que tout protéger sa forge ? Quand serait-il si comme il le disait lui-même, ses comparses arrivaient à leurs fins ? Quels fins ? J'avais mes idées et tout mes scénarios n'étaient pas très joyeux.

Le dernier à passer était Seigneur Avente. Je reprenais mes gribouillages, toujours avec acharnement et un petit bout de langue sortant de ma gueule. L'erreur de ses prédécesseurs ? Je me souvenais de l'aspect visqueux qui semblait recouvrir l'autre groupe lorsqu'il s'était rejoins mais je n'avais pas plus d'information pour comprendre exactement ce que voulais dire le Gräarh.
Enfin, la conversation se dirigea sur Laalach. Le simple fait de repenser au regard du prêtre et je sentais mes poils se dresser sur mon échine. La peur ou encore l'empreinte des souvenirs, je me souviendrai toujours de ce que dégageait cette Couronne au domaine.

Avec tout ça, nous avions trouver nombre réponses à nos questions et l'enquête pouvait ainsi se poursuivre.

Je me relevais, écoutant Ilhan terminer sur un bijou qu'il semblait avoir reconnu en proposant de le retrouver pour le forgeron. Je dressais mes oreilles curieuses en rejoignant le groupe qui semblait se préparer à partir du four dans lequel ils se trouvaient. En rentrant dans l'ascenseur, je jetais une dernière fois un coup d’œil en arrière en sentant que se serait sûrement la seul et unique fois que je me trouverais en ce lieu. Si d'aventure Udyog devait recroiser ma route, le monde connaîtrait à ce moment là une période bien effrayante j'en étais persuadée.

Ce que je n'avais pas prévue cependant c'est que l'on ne puisse pas retraverser les grandes salles de l'entreprise. L'Administrateur sortit le premier lorsque la salle s'arrêta de bouger et nous nous retrouvions malheureusement de nouveau dans les profondeurs de Calastin. Je ne cachais pas ma tristesse. J'aurais tellement voulu en profiter encore un peu. Imprimer dans ma tête chaque innovation pour les décrire à quiconque voudrait bien m'écouter là-haut. Là-haut ! Un frisson bien plus grand encore me parcourut tout le corps jusqu'à la pointe des griffes. Pendant des lunes je m'étais fixée pour objectif de rejoindre le gouffre de Cordont pour en apprendre plus sur ces Couronnes. Voilà qui était chose faite, mais maintenant ?! Une chose auquel je ne pensais pas une seule seconde avant de pénétrer dans ces sous-sols. Je ne pouvais tout de même pas revenir sur Néthéril comme si de rien n'était... Pourquoi faire de toute manière ? Nyana ne voulait plus me voir et...

L'Administrateur coupa mes pensées obscures par sa voix qui allait étrangement me manquer. Les bouchons d'oreilles s'en allèrent comme elles étaient venues ce qui eut pour effet de me surprendre légèrement mais la suite me laissa encore plus pantoise lorsque l'Administrateur me saisit le bras. Je faillis d'ailleurs presque gifler la machine de peur mais heureusement rien ne put être perçut. Enfin je l'espérais.

 "Jeune graärh. Il m’a été demandé de vous remettre quelque chose avant votre départ. L’Araignée ne souhaite pas que son ancien protégé mette la main dessus. Aussi le Scarabée a-t-il demandé au Président des entreprises Ychgama de le dissimuler. Le savoir des graärh a terriblement périclité durant les siècles de sommeil du Président, mais il semble penser que vous seriez quoi faire."

Les pupilles s'ouvrant, les moustaches frémissantes, je prenais le cylindre mes pattes devenues tremblantes. Les Esprit-Liés eux-même me confiait une mission ? Ou était-ce Udyog ? Comment ? Pourquoi ? Je pouvais au moins être persuadée d'une chose pendant ces brèves secondes, je ferais tout ce qui était en mon pouvoir pour protéger... cette chose d'on je ne connaissais encore rien. Peut-être n'étais-je pas, LA meilleure personne à qui confier cette chose mais je ne pouvais être que touchée par ce geste.

L'Administrateur nous quitta ainsi et je suivais le groupe à l'endroit ou les chevaux avaient été laissé. Aucun n'était décédé ou manquait à l'appel ce qui, on pouvait le dire, était un bon point. Je reprenais ma place derrière le prêtre Naal en observant le cylindre en me posant moult questions à son sujet. La fatigue se faisait également sentir sur mon visage et la longue marche me donna de nouveau l'envie de somnoler contre le dos de Naal serrant le cylindre comme s'il s'agissait d'une peluche.

Puis les bruits du monte-charge me réveillèrent. Jamais je n'aurais cru, après tout ce que nous venions de vivre, que la lumière du jour me manquerait tant. L'air du dehors, je le respirais à plein poumon. Ma joie du dehors fut malheureusement bien vite arrêter lorsque l'ambiance changea radicalement.

Sans que je ne comprenne quoi que se soit, voilà qu'Alkhytis fonçait sur nous. Enfin, plutôt sur Naal de ce que je compris en le voyant plaquer au sol par une patte de dragon. Avant que je ne puisse voir la scène cela dit, le cheval sur lequel nous nous tenions s'emballa à une vitesse folle. J'échappais un grand « Hiiiiiiiii » en grondant tout en serrant avec toute ma force le cylindre dans mes pattes. La chute fut brutale. Est-ce que j'avais déjà dis que je n'appréciais guère monter à cheval ? Voilà qui était fait !
Les douleurs dans les fesses et ma pauvre queue qui avait bien faillit se tordre, je me relevais en jetant un coup d’œil apeuré vers la scène qui se passait à côté de moi. Non... Pas ça, enfin ! Pas maintenant ! Rien n'allait plus chez le cuivré qui semblait soudainement être contrôlé par sa haine débordante.

- Enfin, arrêtez ! Hurlais-je en vain, complètement décontenancée par la situation.

Je n'osais rien faire en imaginant déjà le pire se réaliser si Alkhytis décidait de vider ses flammes sur le prêtre du Néant. Par les Esprits, nous venions de survivre dans les entrailles du monde et le chaos s'abattait maintenant sur eux ? Je me décidais à intervenir dans la parole, bien consciente que cela ne servait à rien. C'est qu'en plus j'avais bien faillit déjà faire tomber l'objet que l'on m'avait confier et que j'avais mal aux fesses.

- Grand Alkhytis, calmez votre haine par pitié, vous vengez ne servira à rien d'autre qu'à alimenter votre colère ! Vous ne voulez pas de ça !

Comment diable pouvait-on résonner un dragon ? J'en avais aucune idée mais j'avais soudain très peur pour la suite.