Claudius était attentif aux avancements de l’enquête, bien qu’il ne participât pas à tous les échanges qui eurent lieu autour de lui. Comme prévu, on amena les elfes de Cordont dans le hall du bâtiment, et Vex’Hylia tâcha d’assurer son travail de lieutenante et d’aller les accueillir pour interrogation.
Ce qu’il en ressortait ? Plusieurs choses. Des rumeurs crasses d’abord, qui titillèrent les muscles d’un Empereur déjà bien trop agacé par la situation pour que l’on ramène sur la table des sujets autrement plus … Fâcheux. Le Havremont se frotta les poings et soupira, passablement agacé. Quoiqu’il se soit passé à Cendre-Terre lorsque la délégation impériale s’était rendu là-bas, il maudissait son ami Aldaron coureur de jupons, son entourage d’empaffés qui auraient colporté ces rumeurs stupides qui sapaient la crédibilité de l'armée impériale. Intégrité et probité, murmura Claudius. Deux valeurs de l’armée sélénienne chère à son cœur, qu’il regrettait profondément de voir bafouer par des dires comme ceux-ci. Claudius savait d’où il venait. Il plaçait beaucoup d’espoir en chacun de ses soldats. Peut-être un peu trop, songea-t-il, si ceux-ci n’hésitaient pas à s’acoquiner avec un ennemi déclaré.
Alors que la scène se passait sous ses yeux, Le Havremont soupira, en faisant son introspection. Après tout l’Empereur avait encouragé cette dynamique. Peut-être que la détente s’était faite trop vite ces dernières semaines. Le Royaume Erlië et l’Empire avait tout juste signé un pacte de non-agression, et non pas un traité d’alliance. Ils restaient ennemis déclarés. L’Empereur songea à faire un discours devant l’intégralité de son armée, une fois que ce cirque dans cette salle de conseil serait fini. Les libertés qu’avait prise Vex’Hylia dans l’exercice de ses fonctions était peut-être un sentiment partagé par tous. Il était grand temps de remettre un tour de vis, et de faire un point sur ce qui était acceptable et sur ce qui ne l’était assurément pas.
Claudius n’avait pas eu le temps d’en reparler avec elle, mais il soutiendrait sa lieutenante, car il savait que sa nièce y était attachée. Mais aussi parce que pour l’heure, aucun acte de haute-trahison n’avait été formellement prouvé, et parce qu’il connaissait le caractère volage d’Aldaron, si celui-ci n’avait pas disparu depuis la mort d’Achroma. Mais cela n’empêcha pas que chacun devait rester à sa place.
Claudius eut un long soupir, alors qu’il entendit les éléments se déchainer au dehors. Les elfes essayaient de se défendre, encore, alors qu’ils étaient faits comme des rats depuis plusieurs minutes. Un baroud d’honneur bien inutile, qui ne fit même pas frémir l’Empereur. Il y eut un grand fracas causé par le tonnerre, dont la lumière fit plisser les yeux à l’Empereur. Mais la lieutenante Aërendhyl s’en était bien sortie, et toute la salle était saine et sauve. Il n’en attendait pas moins d’elle.
Des gardes cordontais amenèrent ensuite l’assassin jusqu’à Claudius, cependant l’Empereur attendit que Vex’Hylia eut fini de prononcer sa sentence. D’ailleurs celle-ci lui demanda « un peu de clémence ». Claudius haussa les sourcils, surpris, et lui fit pour toute réponse un non de la tête. Demande rejetée, on ne badinait pas avec les traitres à sa nation. Ces trois elfes, tous autant qu’ils étaient, étaient tous complices du meurtre du Dominus Dalis, une femme de confiance du Havremont, qui avait mérité par ses valeurs et ses actions de siéger au Conseil, comme les autres Dominus. Quand bien même avait-elle une réputation sulfureuse, personne ne devait contester l’autorité suprême de l’Empereur.
C’était ce qu’il comptait rappeler, quand il toussa légèrement pour prendre la parole à la suite des propos de Vex’Hylia. Il fixa les trois elfes et fit :
« Moi, Claudius de Havremont, Empereur et Gardien de Sélénia, vous déclare complice du meurtre du feu-Dominus Dalis. Je vous condamne tous les trois à vivre le reste de votre longue vie dans les geôles impériales. Vous qui aviez la rancune tenace à propos du Prince Noir du Royaume Erlië, vous serez condamné en outre à donner éternellement votre sang pour la survie de tous ceux que vous auriez voulu voir brûler sur Nyn-Tiamat. Ma sentence prend effet immédiatement, et ne saurait être remis en cause par quelconque forme de grâce, ou de remise de peine. »
Le Havremont soupira. Il avait hésité à prononcer une condamnation à mort, mais il avait finalement estimé que c’était trop facile. Cette condamnation était peut être cruelle, mais il devait faire des exemples, pour éviter que cette situation ne se reproduise … Et Claudius voulait intérieurement qu’ils souffrent. Qu’ils regrettent chaque instant ce qu’ils avaient fait ces dernières semaines. En conséquence, ce châtiment était largement suffisant.
Il détourna le regard, et se permis d’ajouter à demi-mot pour Vex’Hylia :
« Aucune clémence envers les traîtres à l’Empire. »
L’Unité de la Nation ne s’était reconstituer que trop récemment. Il était hors de question que des trublions ne vienne saccager tout le travail qu’avait fait l’Empereur ses derniers mois. Il était persuadé qu’à défaut d’aujourd’hui, avec un peu de temps, sa lieutenante comprendrait ses choix.
Sur ces entrefaites, Claudius appris plus tard de la bouche d’Asolraahn que l’homme présent n’était en fait pas Thörmyr, mais bien un alchimiste répondant au nom de Demens Torqueo, celui-ci étant à la solde des pirates. Le Havremont eurent soudainement les yeux qui s’ouvrirent en grand, tentant de digérer l’information … S’il était persuadé d’avoir déjà entendu ce nom quelque part, l’alchimiste ne trouva un écho dans l’esprit de Claudius qu’après quelques instants. Il était persuadé d’avoir entendu au moins son nom à l’époque de l'arrivée des humains sur Calastin. Il était à l’époque un tortionnaire craint de tous. L’accusation ne fit pas démenti le moins du monde par l’accusé. Au contraire, il affirma son appartenance aux pirates sans broncher plus que cela.
Le Havremont pencha sa tête sur la droite, puis sur la gauche, ne réalisant pas totalement la situation. Il retint sa respiration. Claudius eut envie de se déplacer jusqu’à lui pour le gifler, mais se ravisa aussitôt. Le Havremont avait promis que tous ceux qui parleraient ne seraient pas jugés … Mais que ce soit au nom de la science ou pas, il aurait certainement beaucoup de choses à lui dire, plus tard. Car bien des affaires avaient agités l’Empire dernièrement, et la Confrérie avait été impliqué en de très nombreuses reprises.
L’Empereur jugea d’un regard ledit Demens Torqueo avant de répondre à ses dires le concernant :
« Sachez que tout acte qu’aurait pu faire Nolan Kohan en son temps est aujourd’hui révolu, Pirate. Seul ma parole fait loi, à présent. Et vous pouvez vous estimer heureux que je n’en ai qu’une. » Claudius adressa un regard lourd au grand alchimiste. A situation exceptionnelle, sentence exceptionnelle. Cordont était un terrain neutre, sous le joug de l’Alliance, et bien qu’Autone lui glissa qu’elle n’interfèrerait pas si l’Empereur décida quelque chose, Claudius se ravisa.
A la différence des elfes qui étaient ses sujets, le Havremont était en face d’un homme qui était un ennemi de l’Empire, mais qui pouvait trouver en Cordont une terre d’asile politique. La neutralité totale étant le bien peu de chose qui restait à cette cité, le Havremont décida de s’y tenir. Il ajouta quelque chose pour l’alchimiste :
« Cependant … Si vous n’êtes à la solde de personne si ce n’est la science, Alchimiste Torqueo, j’aimerai avoir une … Discussion avec vous, plus tard. Celle-ci n’engagera pas plus de choses que les mots qui y seront prononcés. Mon confrère Tribyoon Asolraahn a notamment porté à mes oreilles des affaires ayant secoué l’Empire … Dans laquelle la Science pourrait bien être impliqué… Oui c’est cela, j’aimerai discuter de Science avec vous. Et de la Confrérie, aussi.»
Claudius regarda son ami graärh avec un air à demi désolé : il savait qu’Asolraahn aurait payé cher pour voir la tête de l’alchimiste au bout d’une pique, mais même avec toute la fermeté du monde à son égard, l’Empereur était pieds et poings liés du fait qu’ils ne se trouvèrent pas sur son territoire. Au moins pourraient-ils profiter du fait que Demens ne soit pas trop loin pour tenter d’en apprendre plus sur tout ce qu’ils venaient de traverser. Si celui-ci était disposé à parler bien entendu.
L’Empereur écouta ensuite sagement les propositions de la Monarque de Caladon, qui renchérit sur le fait qu’ils devaient effectivement prendre des décisions tous les deux. Claudius acquiesça poliment, approuvant ce qu’elle disait, avant d’ajouter :
« Ce congrès n’aura peut-être pas été comme nous le pensions, mais j’aurai plaisir à prendre ces quelques minutes avec vous pour échanger à propos de tout … Ce cirque, et du reste. Je pense qu’il est grand temps que nos deux peuples passent à autre chose en effet. Prenez votre pause bien méritée, Dame Falkire, j’en profiterai très certainement pour aller rassurer mes armées, et mes proches. »
Sur ces quelques mots, Claudius tourna les talons, laissant la Monarque à ses affaires. Il s’étira, avant de se rapprocher de Vex’Hylia. Il trouva une chaise en face d’elle, avant de s’y affaler sans aucune retenue, et de souffler un grand coup. Quelle journée … songea Claudius. Il redressa sa tête, croisant le regard de sa lieutenante, et en profita pour lui glisser un sincère :
« Merci. »
En un soupir. La retenue empêcha Claudius d’aller plus loin – ne voulant pas se fâcher avec un elfe de naissance de plus qui l’aurait pris pour un malotru –, mais c’est en ce genre de moments de décompression intense que tout l’esprit de camaraderie de l’ancien soldat qu’il était ressortait, et tout le côté tactile qui allait avec. Dans les moments intenses comme ceux-ci, il appréciait donner des petites tapes sur l’épaule, ou prendre dans ses bras ses camarades, qui avait « combattu » avec lui. Mais son statut d’Empereur, en plus du reste, l’en empêchait. Vex’Hylia méritait toutefois toutes ces choses-là.
Là, sur sa chaise, Claudius eut un autre regard envers Asolraahn, qui se trouvait non loin. Il lui fit, discrètement :
« Je suis désolé, mon grand ami. Cette rencontre doit renvoyer une bien piètre image de nous autres humains, en plus de vous décevoir, concernant votre … Connaissance. Je vous remercie cependant pour toute l’attitude dont vous avez fait preuve pendant ces dernières heures. Vous êtes assurément un allié précieux pour nous autres impériaux. Cela fait deux fois que nous avons une dette envers vous. Si je puis faire quoi que ce soit qui soit en mon pouvoir, n’hésitez pas à le demander. »
Une fois qu’il eut fini, Claudius pencha sa tête vers le plafond.
« Il y avait un rêve qui s’appelait Calastin …»
Lui avait un rêve qui s’appelait l’Empire. Mais quel prix était-il prêt à payer pour que celui-ci existe ?