Amaury Ataliel
Identité de votre personnage
Race : ElfeNom : Ataliel
Prénom : Amaury
Surnom : Amaury du Désert
Date de naissance : 8 mai 1190 du troisième âge
Age réel : 573 ans
Age en apparence : Dans les 25 ans
Lieu de naissance : Royaume elfique d'Ambarhùna
Lieu de vie : Nomade, depuis qu'il a été contraint de quitter sa terre natale, son seul véritable refuge est le nouveau Domaine Baptistral.
Rang social : Noble
Poste/emploi : Cawr Chantebrise, musicien itinérant
Caractéristiques (Cliquez ici pour les compétences)
Force physique : Très faible
Agilité : Moyen
Furtivité : Faible
Réflexes : Bon
Endurance : Bon
Résistance : Moyen
Force mentale : Très bon
Perception : Bon
Intelligence : Bon
Beauté/charisme : Très bon
Navigation : Médiocre
Magie : Bon
Epée : Médiocre
Dague et poignards : Médiocre
Armes d'hast : Médiocre
Armes contondantes : Médiocre
Hache : Médiocre
Fouet : Médiocre
Art du lancer : Médiocre
Bouclier : Médiocre
Armes de trait : Médiocre
Mains nues/pugilat : Médiocre
Equitation : Faible
Dressage : Moyen
Equipement
Arme principale : Son éloquence, aucun objet susceptible de blesser n'aura jamais sa place entre ses mains.
Autres objets :
- Sticharion de lumière
- Chaleur maternelle
- Tirith (personnalisation de la bague des murmures)
- Harpe bardique
- Flûte de paix (x2)
- Manteau de Brume
- Costume Terrae
- Destrier elfique et chien domestique
Description physique
Au loin, il apparaît comme un fantôme. Haute, fine silhouette faite d'une blancheur immaculée, c'est avec autant d'étonnement que de curiosité qu'on le regarde. Il n'y a que ses vêtements pour trancher et donner un peu de présence à cet homme fait d'une unique couleur, mais on apprécie cette pureté, reflet tout entier de son âme généreuse et bienveillante. Sa stature ne dépasse pas la moyenne chez les siens, mais le rend tout de même assez grand auprès des humains et d'autant plus que sa carrure n'a rien de très impressionnant, alors qu'il semble tout juste assez large pour paraître mince et non maigre.
Au premier coup d’œil, on le devine aussitôt comme quelqu'un de simple. Ses vêtements ne sont pas vraiment chatoyants et leur étoffe n'a rien de riche, il ne porte pas de bijoux et se contente de ces couleurs neutres qui n'attirent jamais vraiment l'attention. Au cœur du désert, il revêt cet habit couleur de sable et d'ébène qui masque chaque parcelle de sa peau, à l'exception d'une partie de son visage, découvrant surtout son nez et ses oreilles, pour qu'il puisse respirer, s'orienter et surtout rester en contact avec l'extérieur pour entendre les vibrations du monde.
Son allure, le rythme de ses pas et ses gestes emplis de douceur, sans jamais faire preuve de brutalité lui donnent une aura très pure, presque candide. Il est gracieux, élégant dans sa simplicité. Ses longs cheveux aussi blancs que la neige la plus pure glissent le long de son corps comme une rivière calme et infinie, s'alliant à son visage immaculé.
Sa peau de porcelaine et ses traits d'une grande finesse lui donnent un air presque féminin, même pour un elfe et ses longues oreilles se dévoilent discrètement à travers sa belle chevelure. Discret de nature, on le voit souvent arborer cet air rêveur, un léger sourire sur ses lèvres pâles et s'il paraît toujours doux, il sait rapidement se montrer très expressif, bien qu'il soit plutôt rare de voir la colère ou tout autre sentiment négatif se peindre sur son visage.
C'est son regard qui attire autant qu'il choque et qui termine le portrait de cet homme simple. Autrefois, ses prunelles semblables à deux lapis-lazuli ont pris un bleu lunaire à cause de sa cécité, d'une pâleur qui les feraient presque se fondre avec le reste de son regard, rehaussées juste assez pour qu'on puisse les discerner. Vides, ils se posent au hasard sans parvenir à se fixer sur quiconque, mais ils ne laissent jamais sur ses traits l'expression d'un visage sans vie.
Description mentale
À l’instar de cette blancheur qui caractérise son apparence, c’est un être tout aussi candide que l’on découvre peu à peu. D’un naturel des plus bénéfiques, il ne peut s’empêcher de se montrer bienveillant et attentionné à l’égard d’autrui, incapable de faire quoi que ce soit de mal. Le mensonge, la tromperie sont des actes qui le déchirent à chaque instant et il ne rêve que d’un monde où ces sentiments aussi négatifs que néfastes n’existent pas. Un brin idéaliste et rêveur, il met toute sa gentillesse et sa générosité à l’épreuve pour estomper ce qui lui déplaît, sans pour autant toujours vivre dans son propre univers. Le monde lui a appris la dureté de la vie, n’a jamais fait que le plonger dans des difficultés extrêmes et s’il ne supporte pas les conflits en général, il a appris à se montrer compréhensif et conciliant.
Sa sensibilité l’a pourtant rendu plutôt fragile et parfois craintif, si bien qu’il ne s’impose que lorsqu’il a pleine confiance dans son entourage et reste discret le reste du temps, souvent un peu absent. Lorsqu’il est seul un peu trop longtemps, il perd alors sa voix pour sombrer dans un certain mutisme et vagabonde dans un autre univers. Sa solitude a fait de lui quelqu’un d’autonome et il n’a pas de mal à survivre aux conditions difficiles grâce à sa longue vie dans le désert. Devenu indépendant, il ne se soucie pas du regard et des remarques des autres concernant sa propre vie et en profite comme il l’entend, il devient alors têtu et rien ni personne ne saurait lui faire entendre raison. Il chérit plus que tout cette liberté durement acquise et n’est absolument pas prêt à y renoncer.
Mais en dépit de cette distance qu’il peut parfois mettre avec les autres, il se révèle comme un être passionné, exalté même, et son visage expressif n’a pas peur de dévoiler ses propres sentiments. En tant que baptistrel, il ne saurait être autrement et se montre toujours sincère. Avec ceux qu’il aime, il devient alors extrêmement dévoué et loyal.
Une fois son silence brisé, son éducation de courtisan et son amour pour les siens, plutôt que pour le combat, font de lui un bon orateur qui sait placer les mots justes pour convaincre. À cela s’ajoute son côté mélomane qu’il exprime aussi souvent que possible, préférant bien souvent jouer ou chanter pour apaiser les cœurs plutôt que de lever la voix.
Alignement : Bénéfique et bienveillant, Amaury est parfaitement incapable de faire du mal à qui que ce soit, de mentir, de tromper ou de voler, quand bien même il n'aurait pas prononcé de serment. Il ne cherche pas à favoriser les uns ou les autres, mais bien un juste équilibre qui le pousse à aider et à aimer tous ceux qui croisent son chemin, amis comme ennemis.
Histoire
Prologue – Les Ennemis Mortels
Avant 1189 du troisième âge
Avant 1189 du troisième âge
Le sentiment de satisfaction qui l'envahit, alors qu'un joli sourire se dessinait sur ses lèvres, lui semblait des plus délicieux. Serrant un peu plus fort la main qui s'était emparée de la sienne, elle n'eut qu'à prononcer un mot pour briser l'attente oppressante du jeune elfe. Dans ses yeux brillait une flamme passionnée, une flamme qu'elle aimait tout particulièrement et qui avait toujours su nourrir son plaisir d’intrigante. Même si elle avait voulu l'épouser pour sa situation, son cœur n'était pas tout à fait froid à son égard.
Enfin, après tant d'attente, elle allait s'élever socialement et se hisser un peu plus haut vers son ambition dévorante de pouvoir ! Bien sûr, sa famille n'était pas à plaindre, mais elle se trouvait inflexiblement en-dessous des Ataliel et eux, sans être totalement au sommet, savaient briller d'une toute autre manière. En cette douce journée sonnait l'accomplissement de ses ambitions. Plus rien maintenant ne saurait la défier et l'avenir brillait devant elle sans aucun nuage pour assombrir son horizon.
Le chemin qui les menait jusqu'à la demeure familiale la laissait à chaque pas plus orgueilleuse que jamais et l'on pouvait aisément se méprendre sur l'air réjoui qui se peignait sur son visage. L'annonce fut accueillie avec une joie non dissimulée par ses parents, tandis que son frère se contenta d'un regard froid à leur égard. Depuis des siècles, l'ambition dévorait leur famille et se transmettait de génération en génération, n'épargnant que quelques rebuts dont on avait depuis longtemps oublié le nom. Aussi, lorsque l'un d'entre eux parvenait finalement à accomplir ses objectifs, on ne pouvait que le célébrer ou le haïr. Pour ses parents, il commençait à être temps de laisser la place aux plus jeunes et ils voyaient en eux tout le chemin qu'ils n'avaient pas eu l'occasion de parcourir. Le frère comme la sœur méritaient amplement leur estime et ils semblaient déjà s'élever comme si rien ne pourrait jamais les arrêter. Astaroth, contre toute attente et malgré son talent inné pour les discours, avait choisi la voie des armes ; Leokadia qui avait longtemps vu en lui son complice de toujours ne lui pardonna jamais ce choix.
En grandissant, chacun avait choisi ses propres directions et, comme deux aimants, ils savaient autant s'attirer que se repousser. Avec les années, la déception de Leokadia n'avait fait que grandir, tout comme la distance qu'elle se bornait à laisser entre eux et qu'il ne semblait plus capable de raccourcir. La fierté d'Astaroth l'avait rendu froid et dédaigneux, mais ce fut elle pourtant, qui en ramenant cet homme sous son toit, brisa toute apparence de sympathie dans son regard.
Bien qu'irritée par son attitude aussi froide que silencieuse, elle ne dit rien lorsqu'il lui tourna le dos et la laissa seule avec le reste des siens. Qu'il en profite, ce serait l'une de dernières fois où il serait encore au-dessus d'elle !
Évidemment, pendant toute la semaine de leur mariage, il ne fit que l'insulter, montrant clairement à elle seule qu'il n'était là que par convenance et qu'il méprisait chacun de ses plaisirs tout comme il se moquait de sa petite victoire. Il y avait toujours eu une guerre entre eux, une de ces rivalités orageuses qui sans être contenue aurait pu facilement faire trembler le monde. Elle aurait dû se réjouir face à ce mauvais perdant, et pourtant, il y avait toujours quelque chose en lui qui faisait gronder une rage sourde dans son cœur. Elle aurait pu le haïr farouchement si elle n'avait pas tant voulu qu'il lui tende la main, qu'il la regarde comme autrefois.
La rupture définitive s'acheva dans un dernier moment d'hypocrisie où, témoin de son inexorable ascension, il demeura à ses côtés sur l'autel, attestant sans un mot de la véracité de cette union. Les mots qui les séparèrent furent d'une rare violence, comme s'ils s'étaient mutuellement poignardés, sans hésitation aucune.
Il aurait fallu sans doute plus que ces quelques décennies pour qu'il lui pardonne son abandon. Fier et jaloux, il n'avait en fait jamais accepté que cet homme à peine mieux né que lui prenne possession de sa sœur, quand bien même il n'avait pas eu son mot à dire, et Eriu Ataliel n'avait pu que subir ses sarcasmes déguisés, jamais assez brillant pour rivaliser avec son éloquence sans faille. Heureusement pour lui, l'homme d'ivoire avait choisi son propre exil et s'était définitivement détaché de la cité pour se plonger au cœur de sa carrière militaire.
Acharné, il poussa l'insolence dans sa célébrité, faisant parler de lui sur les terres des elfes même là où il n'était pas et le couple ne put que subir ses attaques lointaines, sans aucun moyen de riposter, quand bien même il se dressait encore parfois devant leur porte. Cependant, ses tentatives restaient vaines, son talent n'était jamais assez suffisant et il était contraint de se borner dans l'attente. C'était toujours dans l'adversité qu'il se révélait, mais il n'y avait point de guerre pour satisfaire son appétit de conquérant. Pire encore, chaque année les affaiblissait un peu plus, alors que les dragons emportaient avec eux la magie si nécessaire à leur bonne santé.
L'envol du dernier dragon le rappela à la cité. Leokadia avait toujours été une femme de magie, un puissant flux coulait dans ses veines, mais il avait fini par se tarir lui aussi, l'abandonnant à la faiblesse d'un corps dont on aurait retiré l'essence première. Ce fut Eriu lui-même qui le ramena à son chevet, faisait fi pour un temps de leur rivalité. Au cours de ses délires, elle prononçait parfois son nom, le réclamait même, et il était prêt à tenter tout ce qui pourrait la sauver, même le plus improbable, même le plus insupportable.
Comme revenu depuis un autre univers, Astaroth précipita leurs retrouvailles et se trouva aussitôt à serrer sa main quand elle dépérissait dans ce lit qui lui servait d'écrin. Si lui, comme tous les siens, se sentait affaibli en ces tristes heures, elle ne pouvait pas l'abandonner maintenant, pas encore.
Il fallut plusieurs années pour qu'elle s'en remette suffisamment et autant de temps pour que les hommes s'accommodent à la présence de l'autre, refusant chacun de quitter cette femme qu'ils aimaient tous deux à leur manière. Ce fut une période étrange où il ne régnait qu'amour en sa compagnie, tandis qu'un long et intense conflit grandissait de l'autre côté de cette porte. Si les deux hommes n'avaient pas tant cherché à garder pour eux-mêmes cette haine qu'ils cultivaient farouchement, ils en seraient certainement venus aux mains.
Pourtant, un jour, ils retrouvèrent tout à fait cette femme qu'ils adoraient et ils n'eurent donc plus aucune raison de se trouver dans la même pièce. Cela n'empêcha pas Astaroth de revoir sa sœur, leur réconciliation ne faisant plus aucun doute après toutes ces années à être hantés par le spectre de la mort.
Chapitre I – Un cadeau des Esprits
De 1189 à 1291
De 1189 à 1291
Cela faisait si longtemps qu'il en rêvait qu'Eriu ne crut pas à son bonheur quand on lui annonça la nouvelle. Pour la première fois depuis des siècles, des larmes coulaient sur ses joues, alors qu'il serrait contre lui sa femme. Il allait être père ! La magie les avait peut-être abandonnés, il avait presque failli perdre Leokadia, mais voilà que maintenant l'avenir lui souriait à nouveau !
Ce fut aussi certainement les plus longs mois de sa vie, tant il était impatient de voir naître ce petit être qui tiendrait pour moitié de lui, mais aussi parmi les plus heureux qu'il ait pu vivre et la fuite de sa nièce ne l'irrita pas longtemps, tant il était centré sur sa propre famille.
À l'aube du 8 mai 1190, il put enfin faire la connaissance d'Amaury, Amaury Ataliel. Il avait hérité de la chevelure blanche de sa mère et était si minuscule qu'il avait peur de le blesser en le tenant dans ses bras. Mais c'était son fils, le plus beau cadeau qu'on ait pu lui offrir.
Puis les années avancèrent à mesure qu'il grandissait, gravant dans la mémoire de ses parents de merveilleux souvenirs, marqués par l'innocence de cette enfance qu'on lui permettait encore avec plaisir. Ce fut des années de bonheur dont Amaury ne se souvient pas tout à fait, mais un temps où ils formaient encore une belle famille, loin de l'hypocrisie, de l'exigence et de la haine, ou du moins, c'était ce qu'il croyait.
*
Lorsqu'il fut assez grand, on commença à le former pour ce qu'il serait plus tard, un courtisan dévoué à la cause des Ataliel et plus précisément à l'ambition familiale. On lui apprit donc très tôt à bien se tenir, à parler correctement et à intégrer toute l'étiquette des elfes, dans sa forme la plus complète, de manière à ce qu'il soit tout à fait irréprochable. Il fallait aussi qu'il sache réfléchir, analyser la situation, prendre des décisions et comprendre tout ce qui pouvait se cacher derrière les mots ou le langage corporel. Le mensonge ne devait pas être une contrainte et il lui faudrait savoir comment se servir des autres, comment les utiliser pour son propre intérêt.
C'était une foule de notion subtiles qu'il acquerrait avec les années, mais que l'on commençait déjà à aborder quand le petit elfe, lui, n'aspirait encore qu'à aller s'amuser et profiter de la nature. Mais plus ce temps passait et plus on le restreignait, si bien qu'il devait passer de longues heures à étudier et à s'ennuyer, n'ayant pas vraiment de plaisir à rester enfermé toute la journée.
Ce fut son oncle qui lui accorda un peu de distraction en lui apportant une petite flûte et en lui montrant comment en jouer. Il ne venait pas souvent à la maison, disant être souvent trop occupé par son travail, mais ils allaient parfois chez lui avec sa mère ou se rencontraient à l'extérieur, se donnant quelques secrets rendez-vous. L'enfant se prit rapidement de passion pour la musique, pour cet instrument en particulier, et passait facilement plusieurs heures par jour à en jouer, ravissant bientôt les oreilles de ses parents, qui acceptèrent finalement de lui trouver un professeur.
Il parvenait aussi à s'échapper à la fin de la journée pour s'amuser avec une bande d'enfants qu'il connaissait depuis quelques années. Amaury n'était pas vraiment bavard, il était même plutôt timide et réservé avec la plupart des elfes, mais sa gentillesse naturelle et sa préoccupation des autres étaient telles qu'on ne pouvait l'embêter pendant très longtemps. Et puis, il y avait Aneirin, son meilleur ami, toujours prêt à le défendre et avec qui il était parfaitement inséparable, même s'il le retenait bien souvent de faire des bêtises.
Mais ses parents finirent par l'arracher à la douceur de cette vie insignifiante. Ce n'étaient que des gamins des rues, bien loin de leur statut de haute famille et maintenant qu'il était plus grand, il ne pouvait plus les revoir. On lui présenta à la place d'autres professeurs et d'autres jeunes elfes, souvent plus âgés que lui et dont le sérieux lui faisait regretter les facéties incessantes de ses anciens amis. Personne ici n'aurait pu le faire rire avec autant de force qu'Aneirin et c'est au moment où il réalisa qu'on les avait définitivement séparés qu'il comprit à quel point il était malheureux.
Il n'eut alors d'autre choix que de s'enfermer dans sa musique, la seule chose qui lui permettait encore de s'évader et de rêver un peu, quand on voulait l'enfermer dans un monde pour lequel il ne partageait aucune conviction. Il n'avait jamais menti, n'avait jamais eu envie de le faire, tout comme l'idée de vouloir consciemment nuire aux autres ou ne serait-ce que de penser à soi avant les autres échappait totalement à sa compréhension. Il ne voulait tout simplement pas être ce genre de personne, il en était trop éloigné de caractère pour y arriver, même s'il avait voulu faire des efforts.
D'ailleurs personne n'était content de lui, on voyait bien qu'il ne faisait aucun progrès et qu'il s'obstinait à ne pas intégrer certaines leçons qui étaient pourtant cruciales ! Il se faisait gronder souvent, on était de plus en plus sévère avec lui, même ses parents qui l'aimaient plus que n'importe qui n'étaient pas satisfaits. Ils ne comprenaient pas comment ce fils pouvait être si différent d'eux et pourquoi il ne partageait pas la moindre de leurs convictions quand eux-mêmes, à son âge, savaient déjà bien plus de choses que lui.
Mais Amaury voulait être musicien. S'il dormait ou n'écoutait pas ses leçons, il faisait en revanche preuve d'une assiduité hors du commun avec son professeur de musique et ses progrès au cours de toutes ces années avaient été prodigieux. On voyait donc parfaitement qu'il ne manquait pas d'intelligence, ni de capacité d'apprentissage, s'il en avait eu simplement la volonté, il aurait été sans conteste brillant, peut-être plus qu'eux-mêmes.
Il trouvait peut-être un peu de réconfort auprès de son oncle, ignorant encore que ses encouragements à persévérer sur la voie qui lui plaisait n'étaient pas tout à fait désintéressés et qu'il en profitait largement pour alimenter son conflit avec Eriu. Mais en atteignant l'adolescence, bien des choses commencèrent à se faire plus claires dans son esprit. Malgré son déni vieux de nombreuses années, il dut un jour se rendre à l'évidence : sa famille l'aimait, mais elle aimait avant tout qu'il soit comme eux, même Astaroth n'était pas si différent d'eux.
Un mur de plus en plus solide semblait se dessiner entre eux, même si Amaury avait toujours eu la volonté de leur faire plaisir, il y avait certaines choses sur lesquelles il était incapable de céder, comme si c'était franchir une frontière qu'il était totalement incapable d'atteindre. Curieusement, cette réflexion le poussa à cesser son insolence et à faire de son mieux : s'il ne pouvait se résoudre à mentir, tromper, tricher, cela ne l'empêchait pas d'apprendre correctement tout le reste et avec un peu de chance, ses parents seraient peut-être assez fiers de lui pour ne pas lui en demander plus.
Sa résolution sembla corriger les choses. Ses relations avec sa famille furent de moins en moins tendues, alors qu'il se montrait enfin discipliné et obéissant, rattrapant rapidement le retard qu'il avait pris dans son enseignement. Son éloquence grandissante était comme un don qu'il n'avait jamais osé découvrir en plein jour, une pierre qu'on avait fini par réussir à tailler parfaitement et qui brillait de plus en plus. S'il n'avait pas été aussi bénéfique, il aurait parfaitement pu se transformer en un impitoyable manipulateur, mais Amaury voulait toujours agir pour le bien et il voyait du bon en chaque être, étant bien le premier à ne faire aucune différence entre les races, malgré les conflits et la haine héréditaire qui rongeaient les siens.
Puis, le juste retour des choses fut brutal tant il ne l'avait pas vu venir : évidemment sa famille n'était jamais assez contente, il fallait aller toujours plus haut et il partageait lui-même ce trait, mais malheureusement pas dans le même domaine. S'ils avaient eux-mêmes cessé de lui demander ce qu'il ne voulait pas en voyant ses innombrables efforts pour leur plaire, ils avaient fini par oublier qu'il était si différent d'eux. Lorsqu'on lui demanda de mentir pour avantager sa famille, il ne put finalement s'y résoudre.
Chapitre II – Une flèche en plein cœur
De 1292 à 1388
De 1292 à 1388
C'était la première fois qu'il décidait de braver concrètement l'autorité de sa famille. Il s'était senti malade, écœuré, déçu et n'avait rien pu faire d'autre que s'enfuir dans la ville pour pleurer contre un arbre, dans un coin de la forêt vide de passants. Les larmes avaient longuement coulé sur ses joues, il avait pleuré tout ce qu'il avait pu donner, jusqu'à ce que ses sanglots se calment enfin et qu'il retrouve une certaine lucidité d'esprit. Cette cassure semblait avoir fêlé quelque chose au fond de lui-même qu'il ne savait pas comment réparer et il se sentait maintenant envahi par l'incertitude et le vide.
Mais il se releva pourtant et en faisant quelques pas, il rejoignit le marché de la ville. Il n'avait pas encore envie de rentrer à la maison, il n'avait pas envie de revoir ses parents qu'il aimait tant, mais qu'il était incapable de satisfaire et il aurait aimé avoir la force de s'enfuir ici et maintenant pour vivre sa propre vie de flûtiste. Pourtant, il était totalement incapable de les abandonner.
En se mêlant à la foule, il espérait que le brouhaha et la joie collective lui fassent un peu retrouver le sourire, mais il ne faisait qu'errer comme une âme en peine. Quand il aperçut deux elfes en train de se disputer, alors que leur ton montait de plus en plus, son cœur se serra. Il ne put se retenir et s'élança à leur rencontre, tentant d'apaiser ce conflit dont il ignorait tout par de simples mots amicaux. Pourtant, si cela sembla avoir son effet sur l'un d'entre eux, l'autre s'offusqua encore plus.
« Je n'ai pas besoin de votre aide ! De quoi est-ce que vous vous mêlez ? » Lui cracha-t-il au visage, comme si c'était lui qui avait initié la dispute et qui l'avait offensé de la pire des manières.
Puis il s'était empressé de se retourner pour sortir du marché, maintenant que son conflit avait été abrégé, il ne pourrait rien faire et, par fierté, il lui avait même lancé un regard noir, furieux. Amaury, blessé, mais plus offensif qu'il n'aurait jamais pu l'être avec sa propre famille, décida de ne pas en rester là et se mit à lui courir après.
« Attendez ! » Lança-t-il.
Mais l'homme se mit à courir et, naturellement, le distança rapidement puisqu'il n'avait jamais vraiment développé ses capacités physiques. Il finit par s'arrêter à un moment, l'ayant perdu de vue et ne voyant plus personne, il s'apprêta à rentrer, peut-être pas chez lui, mais au moins au cœur de la ville, quand une voix l'interpella.
« Que voulez-vous ? »
C'était l'homme qu'il avait suivi. C'était un elfe plus grand que lui, aux longs cheveux sombres et avec une cicatrice sur le visage, lui barrant tout l’œil gauche qui arborait désormais une couleur livide. Il n'était pas vêtu si pauvrement que ça, mais on pouvait comprendre qu'il voyageait beaucoup et qu'il ne connaissait pas toujours la prospérité. Le tissu de sa tenue était assez usé, parfois troué sans qu'on ait pris la peine de tout raccommoder et puis, il portait une épée à sa ceinture, objet de défense ou d'attaque, il n'aurait su le dire.
« Je… je voulais simplement m'excuser. » Annonça-t-il d'un air aussi sincère qu'attristé. « Je ne voulais pas vous offenser, mais de vous voir vous disputer si farouchement avec votre ami m'a touché... Je voulais juste vous aider à vous réconcilier... »
« Ce n'est pas... »
Il lui avait offert un joli sourire, lumineux et bienveillant, mais le jeune elfe ne fit pas un mouvement pour le lui renvoyer, il était perdu dans la contemplation de son visage, le fixant de manière plus qu'indiscrète. Un long silence s'ensuivit, alors qu'il se laissait dévisager en baissant les yeux. Que voulait-il ? Le mettre mal à l'aise ?
« Amaury ? » Prononça-t-il soudainement. Cela le fit réagir et il releva aussitôt la tête pour le fixer dans les yeux. Comment pouvait-il connaître son nom ? Voyant qu'il ne le reconnaissait pas, l'elfe poursuivit : « C'est moi ! Aneirin ! »
Depuis combien de décennies ne s'étaient-ils pas vus ? Amaury avait soudainement disparu, il n'était plus jamais revenu jouer avec eux et lorsqu'il était allé frapper à sa porte, de trop nombreuses fois, elle était toujours restée fermée. Il avait dû finir par laisser tomber et passer à autre chose… Aujourd'hui, ils avaient bien changé tous les deux et il n'était pas étonnant qu'Amaury ne le reconnaisse pas, son visage avait évolué et sa cicatrice n'était pas aussi vieille pour qu'il l'ait connue. Lui, il n'était pas si différent et, à l'entendre, il l'avait aussitôt reconnu, le poussant simplement à chercher sur son visage la confirmation de ce que son cœur lui criait déjà.
Mais c'est sans attendre que le visage de son ancien meilleur ami s'illumina et qu'il se jeta dans ses bras pour le serrer contre lui.
« A… Aneirin ! Je suis si content de te revoir ! » S'exclama-t-il d'une voix réjouie.
L'instant d'après, il fondait à nouveau en larmes. L'inquiétude d'Aneirin ne fit rien pour le calmer et il dut faire preuve de patience pour que celui-ci soit à nouveau capable de parler. Pendant les heures qui suivirent, il lui raconta tout ce qui s'était passé dans sa vie et la raison pour laquelle il se trouvait au marché ce jour-là. C'était certainement les dieux qui avaient guidé ses pas et il ne saurait jamais assez les remercier pour ça.
Puis ce fut le tour d'Aneirin. Lui n'avait pas eu la chance de naître dans une haute famille et quels que soient les soucis d'Amaury, ce n'était finalement rien par rapport aux siens, quand tant de fois il n'avait même pas de quoi remplir son ventre. Une fois qu'il fut assez grand pour se débrouiller tout seul, il avait quitté le foyer familial pour les soulager de ce poids et vivre sa propre vie. Il était donc devenu mercenaire, accomplissant toutes sortes de missions, parfois plus ou moins douteuses, mais qui lui permettaient finalement de gagner le pain dont il avait tant besoin. Il avait donc dû apprendre sur le tas à se servir de son épée et ses premiers combats lui avait valu pas mal de blessures, dont son œil gauche. Mais il avait quand même fini par se débrouiller pour arriver jusque-là, vivant tant bien que mal avec ses maigres ressources. Comme aujourd'hui, il lui arrivait parfois de n'avoir plus d'argent et aucun contrat en vue, le poussant à vivre parfois bien maigrement.
À l'écoute de son histoire, Amaury se sentit soudainement stupide et arrogant. Il se plaignait de sa vie et de choses qu'il n'arrivait pas à faire, alors qu'il vivait finalement grassement et sans connaître le moindre danger. Pourtant, il ne savait pas comment faire, il était incapable de résoudre son problème, de trouver un moyen pour tout arranger, et c'était bien là la cause de toutes ses souffrances.
Malgré les années, leur amitié n'avait en rien changé et ils laissèrent de côté leurs problèmes mutuels pour s'abandonner à la joie de leurs retrouvailles. Comme s'il s'était agi d'une autre vie, ils passèrent le reste de la journée ensemble et Amaury eut le plaisir d'offrir un bon repas chaud à son ami avant qu'ils ne se quittent.
Quand il put enfin se résoudre à retourner chez lui, il dut faire face à un orage comme il n'en avait alors jamais connu.
*
Leokadia aimait son fils comme jamais elle n'aurait pu aimer autre chose, il était tout pour elle et elle s'était donc consacrée toute entière à le modeler tel qu'elle aurait toujours voulu le voir. Malheureusement, son fils semblait vouloir sans cesse s'échapper à ce moule qu'elle avait spécialement créé pour lui et cela la rendait plus que furieuse. Ce fils ingrat ne faisait que la rejeter, elle et ses principes ! Comment pouvait-il être aussi égoïste, alors qu'elle avait toujours tout fait pour son bonheur ?
Leur incompréhension mutuelle avait fini par creuser un gouffre entre eux et elle le voyait échapper à son contrôle jour après jour, sans jamais pouvoir trouver de solution. Cela l'avait rendue déçue, aigrie, avait déchiré les relations qu'elle avait avec son mari et avec le temps, l'un comme l'autre avait fini par le lui reprocher. Comment avaient-ils pu donner naissance à un fils qui soit aussi différent d'eux ? Amaury semblait détester chacune des choses qu'ils lui demandaient et faisait tout pour les contrarier, comme s'il n'avait pas le moindre amour ou respect pour eux.
Le temps qui passait n'arrangeait en rien les choses puisqu'il devenait de plus en plus impossible de lui faire entendre raison. Qu'allaient-ils faire de lui s'il continuait de refuser de se plier à leurs exigences ? Leurs affrontements n'étaient qu'à un seul sens tandis qu'Amaury ne faisait que se taire et subir leur colère grandissante. Pire encore, voilà qu'il s'enfuyait régulièrement de la maison et devenait introuvable ! Leokadia n'aurait pas pu être plus déçue à son sujet. Il était brillant, prédisposé à toutes ces choses, elle avait pu le voir dans son apprentissage et pourtant, il refusait toujours d'accepter sa vraie nature. Il ne faisait que vivre encore et toujours dans ce monde enfantin où toutes les choses étaient belles et gentilles. Mais la vie, ce n'était pas cela et il semblait impossible de lui inculquer cette notion pourtant bien rudimentaire.
Que n'aurait-elle pas donné pour lui venir en aide, le ramener jusqu'à elle quand il semblait vouloir toujours la fuir ? Mais il n'y avait rien qui soit capable de lui rendre la raison et ses efforts ne menaient qu'à du vide.
*
Jour après jour, Aneirin réparait les morceaux de son cœur que sa famille s'évertuer à briser à chaque fois, sans aucun scrupule. Il n'était pas rare qu'il le voit pleurer chaque nuit, moment le plus propice pour qu'il s'échappe à cette vie qui lui était insupportable. Cela le déchirait et il faisait toujours tout ce qui était en son possible pour lui remonter le moral.
Son niveau de vie s'était considérablement amélioré depuis qu'il avait accepté l'aide de son ami et il avait décidé de rester le plus possible en sa compagnie, ne partant de la forêt que pour effectuer des missions intéressantes.
Il aurait aimé pouvoir arracher Amaury à cette vie qu'il détestait tant, mais jamais il ne réussit à le convaincre de s'enfuir d'ici. Il tenait trop à sa famille, trop à réparer les choses, cherchait inexorablement un moyen où tous pourraient s'entendre et vivre heureux ensemble. Même ses aspirations ne semblaient pas assez fortes pour le convaincre et quand il lui parlait de son envie de devenir baptistrel, une ombre planait toujours dans son regard.
Sa famille n'était pas au courant de ce qu'il voulait ou, tout du moins, cela faisait longtemps qu'il ne leur en parlait plus. Amaury savait très bien que c'était l'opposé extrême de ce qu'ils désiraient pour lui. Baptistrel ? Oh c'était une fonction tout à fait indispensable et appréciable pour eux, oui, tant qu'elle ne concernait pas leur propre fils. Lui, serait conseiller. Le rôle en lui-même ne le dérangeait pas tant, mais ce qu'il impliquait l'était beaucoup plus. Sa famille ne tolérait pas la faiblesse et n'aurait jamais accepté qu'il puisse se faire écraser pour la simple et bonne raison qu'il refusait de se livrer aux manœuvres des politiciens.
Amaury essayait de faire des efforts, il acceptait de développer ses relations et de se rendre au palais, acceptait ce métier pour lequel ils avaient tracé tout entier son avenir, en prenant toujours garde de ne pas s'aliéner. Cette résolution fut difficile, tant sa famille était devenue impitoyable avec lui et, pendant plusieurs années, il ne fit qu'être malheureux. Il n'y avait que la présence d'Aneirin pour le réconforter, mais il continuait d'étouffer. À mesure que le temps avançait, il sombrait dans ce lac profond dans lequel on l'avait jeté et l'air commençait sérieusement à lui manquer, mais ses bras étaient liés et il ne trouvait aucune force, aucun moyen pour remonter à la surface.
*
Eriu avait fini par admettre le premier qu'il n'obtiendrait rien de son fils. Sa femme avait beau vouloir le rassurer et faire tout ce qui était en son pouvoir pour l'orienter vers le bon avenir, c'était loin d'être suffisant. Son regard avait fini par tomber froidement sur lui et ce jour-là, il avait accepté sa déception toute entière et cessé de croire au moindre changement. Depuis cet instant, il avait commencé à former une autre idée, beaucoup plus sombre.
Comment avait-il pu arriver à un tel résultat ? Son fils se bornait dans une médiocrité que ses capacités auraient pourtant dû balayer avec aisance. Il était beaucoup trop doux, naïf et gentil, rien de ce qui le caractérisait, lui qui se montrait froid, tranchant et impitoyable envers le monde tout entier. Si éloigné de lui-même qu'il pouvait tout aussi bien ne pas le considérer comme son fils.
Son amour, déjà réduit à de simples braises, avait totalement fini par s'éteindre et le garçon qui habitait dans sa maison s'était transformé en un inconnu dont il ne voulait pas. La présence de son oncle lui était déjà bien assez insupportable et cette complicité qu'ils avaient ensemble, celle-là même qu'il avait perdue depuis des décennies avec Amaury, l'excédait au plus haut point. Pire, il ne faisait que trop bien s'entendre avec sa propre femme.
Il avait fini par devenir sec et sarcastique avec lui, n'hésitant plus à lui faire part de son avis tranchant, sans jamais mâcher ses mots. Sa cruauté avait beau atteindre sa cible en plein cœur et marquer son visage tout entier, le désespoir de son fils semblait ne plus l'affecter et il s'attachait à détruire cet elfe qui n'avait plus sa place sous son toit.
S'il n'était pas capable de satisfaire ses exigences, alors il n'avait plus de raison d'être, plus sa place ici.
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Amaury aurait-il été capable de retrouver le sourire, sans la présence de son ami ? L'acharnement dont il était la victime et qui s'était transformé en véritable torture psychologique avait vidé son esprit de toute émotion positive. Il avait cessé de chercher des solutions et ne restait là que pour son attachement irrépressible à sa famille. Il ne pouvait s'empêcher de les aimer, encore moins de ne pas se sentir coupable, sachant parfaitement qu'il était la source même de l'enfer qu'il vivait. Le pire était sans doute d'avoir vu sa propre famille se déchirer entre elle à cause de lui. Son père avait peut-être toujours détesté son oncle, mais ses parents qui avaient auparavant été un couple uni et fort finissaient eux-mêmes par vouloir se détruire. Le sujet de leur dissension, c'était lui, encore lui, toujours lui.
Porté par un chagrin qui avait effacé de son visage toute lumière, il avait essayé de réparer les choses, mais chacune de ses actions semblait les aggraver encore plus. Son père ne le regardait plus et lorsqu'il le faisait, c'était pour lui adresser un regard terrible ; sa mère, elle, voulait encore et toujours le pousser vers ce qu'il était fondamentalement incapable de faire, mais ils n'avaient jamais cessé de partager ces moments d'amour qui lui étaient si chers. Quand elle cessait d'être en colère après lui et qu'elle l'enlaçait pour le serrer contre elle, ses malheurs tout entiers semblaient disparaître. Cela ne durait jamais très longtemps, malheureusement. Son oncle avait peut-être été sa plus grande perte quand il avait compris qu'il était parmi les trois le pire manipulateur. Il avait beau le voir comme son propre fils et l'aimer au plus haut point, chacune de ses actions n'avait été qu'un mouvement déguisé dans sa guerre éternelle contre son père. Cette flûte, ces encouragements à faire ce qui lui plaisait plutôt que d'écouter son père ? Il ne savait plus maintenant s'il avait fait tout cela par amour ou pour blesser et il devenait peu à peu incapable de lui faire confiance, d'écouter ses paroles qui se révélaient encore et toujours pleines de sens cachées. Ce fut peut-être la seule chose qui fit plaisir à son père.
Aneirin était le seul rayon de lumière qui lui soit donné et leurs escapades dans l'obscurité de la forêt semblaient le sauver pour quelques instants encore de son désespoir dévorant. Mais son ami pouvait très sérieusement s'avancer dans son inquiétude, tant il se découvrait peu à peu incapable de suffire à son propre bonheur. Il s'était alors senti comme déchiré lui-même et hanté par le même spectre de malheur.
Ce fut comme un coup de poignard lorsque Aneirin l'attendit, pour la première fois, pendant une nuit entière. Sa prudence arrachée par son angoisse, il avait même eu l'audace de rôder jusqu'à sa propre demeure, mais les lumières étaient restées inexorablement éteintes et il n'avait osé pousser le moindre cri, pas même le plus petit murmure. Cette absence fut toute différente des autres. D'ordinaire, c'était lui qui s'évanouissait, se dérobait à sa présence et, plongé au cœur de choses nouvelles, leur séparation ne lui avait jamais semblé trop difficile. Éprouvait-il cet arrachement insoutenable lorsqu'il l'abandonnait pour une quelconque mission, loin des terres elfiques ? Il avait toujours su à quel point son inquiétude était forte quand il lui était si facile de se faire blesser ou pire, d'être tué, mais il se demandait aujourd'hui à quel point il avait pu attiser les propres tourments de son ami.
La faim et le froid n'étaient rien face à l'image de ce visage qui avait perdu tout éclat, face à ce regard givré qui s'était figé dans une souffrance éternelle. Il aurait tout donné pour lui redonner un peu de sa dorure, mais il avait été comme impuissant, borné par une muraille qu'il ne pouvait franchir. Aujourd'hui, son absence lui avait ôté tout pouvoir et son cœur pleurait en silence.
La torture dura plusieurs jours, affolant son tourment et le poussant, dans son agitation à sonder de son regard désespéré la rivière non loin, s'imaginant si vivement qu'il aurait pu s'y jeter. Avait-il abandonné sa propre existence sans lui faire un dernier adieu ? Il y croyait presque, s'imaginant qu'il n'aurait pas voulu le faire souffrir, pas voulu lui laisser l'opportunité de le convaincre. Il ne se serait pas enfui sans lui, son dernier espoir restait donc peut-être le pire : il vivait-là, enfermé dans les lieux de sa torture, constamment face à ses propres bourreaux. Mais que pouvait-il faire ? Il n'allait pas rentrer brusquement et les attaquer, alors qu'il n'avait pas la moindre preuve qu'il se trouvait là. Il ne pouvait même pas vraiment surveiller longtemps sa maison, on finissait par se douter de sa présence, et il n'avait pas vraiment l'allure d'un elfe de haute lignée, lui, le misérable vagabond.
Refusant d'abandonner, pourtant, il veillait chaque nuit au lieu de leur rendez-vous, immobile, silencieux, déchiré. Le temps s'égrenait comme si on arrachait un à un les lambeaux de son âme et il perdait peu à peu de vue sa propre raison d'exister.
Son cœur sembla s'arrêter lorsque après tant de jours, il l'aperçut enfin, arrivé avant lui et attendant leurs retrouvailles tant attendues. Sa silhouette n'était peut-être que de dos, mais elle lui offrait toute entière l'expression d'un bonheur indicible. De riches parures semblaient avoir déguisé l'homme si simple qu'il connaissait, alors qu'on avait soigneusement entretenu et pensé tout ce qu'il revêtait, mais il s'en fichait bien. L' « Amaury » qui s'échappa de sa gorge sembla comme brisé, vibrant de cette espérance à peine crue, quand tout cela n'aurait pu être qu'un rêve bien douloureux.
Pourtant, le visage candide qui se tourna dans sa direction, porteur de ce sourire adoré, écrasa tout doute dans son esprit. Mais il ne prit pas le temps de le détailler, s'élançant déjà à sa rencontre pour se plonger dans ces bras qui étaient restés trop longtemps éloignés de lui. Sans réfléchir, ses lèvres s'étaient liées aux siennes et il l'avait serré plus fort contre lui qu'il ne l'aurait imaginé. Dans cette étreinte qui ramenait à lui tout ce qu'il avait perdu, il réalisa à quel point cet amour aussi indéniable que fervent qu'il avait depuis longtemps pour lui n'avait plus rien d'une simple amitié.
*
Amaury avait accepté cet accueil passionné comme une évidence et lorsqu'ils se sentirent redevenus assez eux-mêmes pour s'éloigner d'un pas ou deux à peine, il put enfin lui narrer les raisons de son abandon. Il avait cédé et s'était rendu presque aux limites de son propre univers. Il avait troqué son air rêveur et ses allures simples pour se montrer plus déterminé et plus éloquent, il avait brandi les intérêts de sa famille et s'était avancé sur le chemin de leur dignité. Tout ce qui avait été en son pouvoir, il y avait renoncé, il n'y avait eu ni véritables victimes ni mensonges, mais il s'était senti si sali qu'il n'avait plus osé se montrer en face de lui. Sa pureté s'était comme étiolée, tandis qu'il avait abandonné sa gentillesse pour davantage de hauteur et il avait détesté chaque seconde de cette nouvelle existence. Son esprit muré dans une cage, il avait agi sans être maître de lui-même et s'était effrayé à envisager jusqu'à quel point cet être inconnu dont il ignorait tout aurait pu aller sans sa propre présence.
À chaque instant où il aurait pu briser ce serment qu'il n'avait pas encore prononcé, il s'était retenu, parfois inconsciemment, parfois en se rappelant vers quoi il aspirait depuis toujours. Peu importait qu'il réalise ses propres espérances, il ne serait peut-être jamais ni ce musicien, ni ce baptistrel, mais il ne renoncerait pas à cette nature qui fondait toute entière sa véritable vie. Sans elle, il ne serait plus que néant, rien qu'un corps et un être vidé de toute son âme, un horrible pantin.
Des jours entiers avaient dû s'écouler pour qu'il retrouve le courage de venir l'affronter ici, il l'aurait cru furieux, en colère, mais les choses avaient été bien différentes et il se sentait affreusement idiot maintenant. Ce fut pourtant un mal pour un bien, alors qu'il était miraculeusement parvenu à améliorer les relations au sein de sa famille, il se mit à attendre patiemment chacun de ces soirs où il pouvait s'abandonner dans les bras d'Aneirin. Il semblait guérir de ce profond désespoir qui l'avait tenu en déséquilibre constant sur le fil de sa propre destinée.
Amaury pressentait là qu'il touchait à un bonheur si lumineux qu'il lui serait bientôt interdit, tant par sa famille que par la société elle-même, les elfes ayant toujours eu goût pour s'enfermer dans les traditions les plus étriquées. Aussi n'eut-il jamais peur de s'exprimer ou de montrer à quel point il tenait à lui, son cœur se serrant à leurs séparations toujours trop longues à ses yeux et qui menaçaient sans cesse de l'ôter définitivement de sa vue. Il était devenu le principal assistant de sa mère, fort occupée par son poste de conseillère et, avec l'expérience, savait mieux que personne servir cette femme d'une exigence sans limites. Son amour l'avait poussée à une légère indulgence envers son fils et elle avait encore trop de choses à accomplir pour envisager de lui céder prochainement cette place qu'elle lui destinait. Tant qu'il continuait de faire des efforts, ce n'était pas si grave et, avec le temps, il finirait bien par briser sa gentillesse pour la remplacer par davantage de détermination. Leokadia ne voyait dans son bonheur affiché que l'expression de son changement, ignorant alors que ça n'avait rien à voir avec son travail et encore moins les desseins de sa famille.
Mais le repos ne savait exister au sein de leur foyer et quand le fils indigne semblait enfin se ranger, les nuages sombres d'un tout autre chaos se dessinaient déjà sur leur horizon. Il avait fallu des décennies entières pour que Eriu finisse de se flétrir tout à fait. Les efforts de son fils ne furent jamais assez suffisants pour qu'il parvienne à redorer son image et il n'avait fait que se battre pendant trop longtemps contre cette femme qui semblait toujours vouloir rire de son amour. La rage incertaine de cet homme pourtant si calme faisait trembler leurs âmes et Amaury avait pris pour habitude de s'évader aux premiers éclats de voix qui les déchiraient peu à peu, ignorant tout des raisons profondes qui rendaient leurs querelles si destructrices. Cela se transformait pourtant en moments heureux pour Aneirin comme pour lui, libres de s'aimer au détour d'un coin de forêt déserté. Leur abnégation était si forte qu'ils en étaient venus à oublier le reste du monde et peu importait leurs malheurs, tant qu'ils étaient là l'un pour l'autre.
Le jour où Eriu se décida à agir arriva enfin. Si sa femme refusait de se plier à ses exigences, alors il les réglerait de lui-même. Il était parvenu à jouer suffisamment de ses relations pour éloigner pour longtemps ce beau-frère auquel il vouait maintenant une haine des plus farouches et était venu constater avec un certain plaisir ce départ qu'il allait plutôt vivre comme un exil.
Le manque de pouvoir d'Astaroth l'avait laissé impuissant face à son avenir. Il avait bien senti que sa sœur n'avait plus la maîtrise de son mari et qu'elle s'était montrée trop faible pour le borner à un silence plaisant. Mis en échec par sa condition plus faible, la rage qu'il avait envers lui s'était décuplée à cette annonce et, rancunier à l'extrême, il avait aussitôt ruminé une cruelle vengeance.
Lorsque les deux hommes se firent face, ils se délectèrent d'un long silence hostile. Leokadia, objet de leur dissension, s'était abstenue d'intervenir, admettant presque son échec sur ce pan de sa vie. D'un sourire mauvais, il laissa le vainqueur savourer son instant de plaisir, il méritait au moins cela avant qu'il ne lui porte son dernier coup, espérant qu'il soit assez fort pour le réduire à néant. Son visage réjoui sembla agacer Eriu : comme toujours, il fallait qu'il se montre impertinent, refusant encore et encore de se soumettre à son autorité naturelle, découlant des coutumes de leur peuple. Mais les mots qui s'ensuivirent finirent à la fois d'amplifier sa colère et de le glacer. Achevant de lui avouer chacun de ses méfaits, chacune de ces petites choses qui le rendait supérieur à lui, Eriu aurait pu tout nier en bloc s'il ne connaissait pas déjà une grande partie de la vérité. Prononcée à voix haute, c'était comme un poignard qu'il lui plantait en plein cœur, mais il avait fait plus que cela. Assez précis pour qu'il sache désormais où chercher et comment briser ce qu'il restait de sa famille, c'était comme intolérable pour lui, qui avait jadis placé cette valeur si haut à ses yeux.
En repartant, il maudit les Selembr, il les maudit eux et toute leur ignoble lignée, maudit ce jour où il avait rencontré Leokadia et l'avait aimée comme jamais. Ses sentiments avaient fini par se borner à la haine quand ils auraient pu être si doux, si seulement elle ne l'avait pas trahi. Le soir, à peine arrivé, il suivit lui-même Amaury avec un dernier, mais si maigre espoir, décidant que ce serait la dernière chance qu'il lui donnerait. Il s'incarna pourtant une nouvelle fois en cette trop amère déception et il ferma son poing de rage, refrénant cette furieuse envie de les frapper. Usant de tout son contrôle, il tourna le dos, se jurant que ce serait là leur dernier soir. Les décennies avaient rendu les amants faciles à suivre, mais il ne leur restait aujourd'hui plus qu'à profiter de cet instant à la fois fragile et fugace.
Le lendemain, Amaury ne put accueillir Aneirin en souriant que de loin. À quel moment leur prudence avait-elle cédé ? Quand s'étaient-ils crus assez assurés pour oublier toute notion d'inquiétude ou de danger ? Il n'y eut qu'un sifflement, qu'un coup, pour les stopper tous deux à jamais dans leurs retrouvailles. On avait comme tranché ses jambes, le bornant à une immobilité soudaine, quand la flèche arrivée dans son dos avait transpercé sa poitrine, déchirant son cœur d'une pointe mortelle. Figé par la surprise, il ne lui fallut pourtant qu'un bref instant pour se jeter dans sa direction, hurlant son nom d'une voix si déchirée qu'aucun des témoins présents ne pourrait plus jamais l'oublier.
Aneirin s'était effondré au sol et Amaury l'avait pris dans ses bras, pleurant son impuissance à la vue de sa blessure. Il n'y avait rien en ce monde qui aurait pu le guérir et leurs secondes même étaient comptées. Tremblant, il détacha ses yeux de la blessure, cherchant simplement à en contenir le sang de sa main, pour mêler son regard au sien. Ils étaient tous deux effrayés, mais Aneirin sut se reprendre pour lui murmurer ses derniers mots d'amour et lui faire promettre d'être heureux, de prendre le chemin qu'il avait toujours souhaité. Lorsque leurs lèvres se détachèrent, la froideur avait envahi son regard et n'allait plus tarder à s'emparer de son corps tout entier. Ses cris et ses pleurs brisèrent le silence étrange qui avait suivi toute cette scène et, inconsolable, il serrait si fort son corps sans vie qu'il semblait ne plus jamais vouloir le quitter. Pourtant, des hommes attrapèrent ses bras pour le tirer de force et il résista autant que ses maigres forces le pouvaient. Il n'entendait pas ce qu'on lui disait, avait basculé dans un autre univers où il était en train de chuter sans jamais toucher le sol. Ce fut ses forces l'abandonnant qui leur permirent d'arracher Amaury à son aimé, non sans davantage de cris et de pleurs, mais cela ne dura pas longtemps. Son cœur et son âme brisés, piétinés, dispersés, il sombra bientôt dans l'inconscience et on le porta jusqu'à cette demeure familiale dont il ne sortirait plus.