Nouveau Départ

Orfraie n’avait jamais cautionné la vengeance. Elle l’avait souvent ressentit au cours de son existence, ce sentiment si puissant qui dévore de l’intérieur jusqu’à être assouvi… ou contrôlé. Elle avait souhaité donner la mort par pur égoïsme, seulement pour apaiser son coeur trop douloureux, son esprit en colère. Elle l’avait fait, en fait. Plusieurs fois. Pendant la guerre, par exemple, alors que les vampires massacraient ses hommes, puis contre les almaréens. Contre les mortels, aussi, quelques années plus tôt alors qu’elle était encore si difficilement contrôlable.
La princesse des ombres n’était pas aussi pure qu’elle aimait s’en souvenir, elle qui avait été une baptistrelle autrefois. Ce temps lui semblait si loin, à présent, dans une toute autre vie. Et tandis qu’elle fixait Firindal, qu’elle plongeant dans ses prunelles couleur océan, elle déversa dans son esprit une mise en garde.

# La haine mène à la souffrance #

Le regard de la Lié de feu se fit plus appuyé, celle-ci souhaitant marquer au fer rouge cet avertissement dans l’esprit du dragon. Ensuite, sa présence se fit plus douce dans l’esprit du saurien tandis qu’elle revenait s’appuyer contre son poitrail – elle n’avait pas eu conscience de s’être redressée pour le fixer – comme si de rien n’était.

# Ce que tu dis là me fait grandement penser à ce qu’était la Caste des Dragonniers, autrefois. Peut-être cela vaut-il le coup de se pencher sur son éventuelle remise en place. Qu’en dis-tu? Elle pourrait être la base de ce que tu suggères. De ce que je sais, des bipèdes venus de tous les horizons travaillaient avec la Caste, dans notre ancien foyer. #

La tension disparut aussi rapidement qu’elle était arrivée et, comme si de rien n’était, Orfraie observait paisiblement le profil de son Lié, les mains jointes sur son ventre et le dos reposant contre le large poitrail de Firindal. A l’abri du soleil grâce à l’aile de ce dernier, elle pouvait sans doute rester dans cette position pendant des heures sans en ressentir le moindre inconfort.

La discussion entamée avec le saurien de jade avait prit un tournant inattendue. Orfraie avait imaginé se détendre un peu en compagnie de son Lié, pas réfléchir à la meilleure façon de fédérer les races une bonne fois pour toute ! Mais force est de constater que l’échange entre les deux individus était utile et les idées fleurissaient dans l’esprit de l’un et de l’autre. Le lien s’avérait utile pour les comprendre parfaitement.

Soudain, la générale se releva. Elle prit appui sur sa main droite pour se remettre sur ses pieds, puis ses doigts se posèrent sur la joue de Firindal lorsqu’elle passa à côté de sa tête. Elle se mit ensuite à faire les cent pas devant ce dernier, réfléchissant. Ses sourcils fortement froncés en témoignaient.

“ La Caste a prouvé ses limites autrefois. Pourquoi ne pas voir plus grand et un peu différent ? Une coalitions, par exemple. La définition même de ce mot est l’alliance de plusieurs partie dans un but commun. ” elle s’arrêta subitement et se tourna vers Firindal. “ Imagine une organisation qui lie les quatre peuples ensemble sous l'égide d’un chef. Ce chef pourrait lui-même être conseiller par un représentant de chacun des peuples, tels que les souverains de chacune des races ou quelqu’un désigné par ce dernier… Toutefois le souverain garde le contrôle sur son peuple et son royaume, du moins temps qu’il respecte les lois de la coalition. Ce pourrait être l’occasion d’arrêter cet esclavage des autochtones… “ Fit sombrement Orfraie, pensive. “ Un tel fonctionnement est une occasion de fédérer les races tout en laissant suffisamment de libertés à chacun des peuples pour qu’ils gardent leur identité propre. Qu’en dis tu ? “

Deux doigts posés sur sa tempe droite, elle observait le saurien de Jade en attendant son verdict. Les idées se bousculaient dans la tête d’Orfraie. Il se dessinait sous ses yeux le schéma d’une organisation nouvelle, un brouillon pour quelque chose de grand, espérait-elle.

Mais Firindal pointait du doigt un élément majeur, une chose qu’il était difficile d’obtenir, voir même impossible : l’armée. La Générale le savait trop bien : Aucun peuple accepterait de léguer son pouvoir militaire à une organisation. Le simple fait de penser aux Elfes découragea quelque peu la Dragonnière, qui joignit ses mains dans son dos en une attitude plus fermée. Toutefois, elle ne coupa pas la parole au saurien et laissa ce dernier poursuivre son exposé, car il soulevait des points très importants tout en réfrénant les ardeurs de sa Liée, qui en avait besoin.
L’aspect financier était autre chose, secondaire pour Orfraie. Mais c’était un point qui méritait d’être davantage pensé. La Liée de Feu avait besoin, ici, de conseil. Elle avait quitté la politique depuis trop longtemps pour voir de ses propres yeux les coûts engendrés par l’entretien d’une armée. Soudainement, la vision de Firindal faisait écho en son coeur. Elle aussi aimerait pouvoir s’asseoir sur un tas d’or pour simplement y dormir, pas en dépendre pour vivre.
Le dernier point soulevé par Firindal n’était, étrangement, pas celui qui faisait le plus peur à l’ancienne princesse. Par le passé, les peuples avaient été capables de s’entendre. Et bien que cela fut contre une menace commune, Orfraie pensait qu’il était possible de reforger ces liens. En effet, ces derniers s’étaient brisés lors de la guerre civile Humaine, entre Sélénia et les Cités Libres. Le traité des trois peuples avait été brisé à cette époque, bien que les circonstances de cette rupture furent parfaitement compréhensibles.

— C’est une bonne idée, fit-elle. Son regard croisa celui du Jade et elle lui offrit un sourire. Mais les Dragonniers et les Dragons Liés se regroupent chez les Hommes et chez les Elfes. Il n’y en a pas parmi les Enfants de la Nuit. Je suis Vampire, je le sais, mais je vis et travaille pour mon peuple d’origine… se sentit-elle obligée de rajouter. Je pense que c’est une idée qui mérite de mûrir… Peut être pourrais-je en discuter avec Aramis.

Et Luna pensa t-elle pour elle même, dans un coin de son esprit qu’elle gardait fermer pour préserver Firindal. Bien que très naïve, la petite blonde et sa vision simple de la vie pouvaient lui apporter des réponses.

— Et si nous rentrions, mon doux Lié d’amour ? proposa Orfraie en prenant l’immense tête du saurien entre ses mains.