- Coeur d'Obsdienne -
l'Archipel, 1761, Rives de Nyn-Tiamat
Un son aigü, désagréable provoquant un intense sentiment de déchirure, le bruit du bois qui crissait sous ses griffes aiguisées, rapidement réduit en charpie tant elles s'y enfonçaient profondémment, mais ne séctionnant pas un cheveux de la belle liée, étendue sur le sol, haletante les yeux mit-clos, ses longs cheveux menaçaient de s'éparpiller sur le passage de ses griffes. Elle humait le sang, un sang tout aussi maudit que le siens, son sang, que le bois et les draps buvaient avidement se teintant d'une couleur écarlate, rendant fou le regard de la dragonne. Elle humait le sang, qui coulait d'une plaie qu'elle ne pouvait pas voir, qui ne venait pas de son armure, elle humait la mort qui déjà s'y engoufrait, les yeux fatigués de Mëryl qui fermaient, la petite lune, la petite rose, qui fannait.
Dans la cale du navire, elle tenait à peine, mais elle avait enfoncé le passage pour parvenir jusqu'à sa liée. C'était la nuit, le soir, son heure, et c'était les lueurs orangées de multiples bougies parsemées autour du corps qui mettaient tant en valeur le liquide rougeâtre en s'y reflétant momentanément. Se tenaient là le maris, et une sage femme, à ses affaires, la seule autorisée à toucher Mëryl, Zadkiel s'y essaya mais manqua d'y perdre son bras, se furent les réflèxes légendaires des elfes qui le sauvèrent des crocs de la dragonne. Recroquevillée devant le corps de Mëryl, elle tenait par la pensée en otage tout ceux qui se trouvaient dans la pièce. Les ronses s'éparpillaient tout autour du navire, de leurs épines accrochaient le cuir et la peau, déchiquetaient la chair des innocents aux alentours, les poussant à s'éloigner de la terrible emprise draconique de cet esprit rendu fou par la souffrance. Les passagers du bateaux s'étaient ammassés en ronde autour du navire échoué, hors de portée, à attendre le dénouement final, la naissance d'un nouvel elfe ou le décès d'une dragonnière.
Sous le joug de la nuit, le décor macabre inspirait à la pire des fins pour les soeurs d'âmes, le joug d'une nuit dont l'astre s'était refoulé derrière les nuages, le joug d'une nuit sans lune. Aïasil avait placé de véritables lames sous la gorge de la sage-femme, elle partagerait le sort de Mëryl, de même que tout les bipèdes qu'elle croiserait, si elle vivait, bonheur et joie à tous, fêtons la naissance du fils pendant que la mère se remet de son épreuve, si elle mourrait, alors tous, sans exceptions, tous les suivraient dans leurs tombes. Mais si sa menace paranoïaque avait été comprise, elle était à peine capable de l'exécuter, son souffle lui manquait, son ventre se déchirait et ses entrailles lui donnaient la sensation d'être gangrenées de vers. Et les ronces sanglantes proliféraient, et le monde entier sombrait sous leurs épines, qui instillaient la haine, le sang, la douleur et la mort ! La haine ! Celle du baroud d'honneur, ou l'on pointait son arme et tirait d'un dernier jeu de regard. Aïasil avait soif du liquide qui s'écoulait sur le sol, elle avait besoin d'entasser des corps dans sa gorge, besoin de sentir la chair se découper sous ses crocs, sous ses griffes. Mais elle en était à peine capable, tant la douleur était insoutenable ! De concert, Mëryl et Aïasil hurlaient à la mort en un cris monstrueux qui n'avait plus rien ni d'humain, ni de dragon.
Une petite tête, puis un corps minuscule fut extirpé des draps sanguinolants pour être enrobé dans un tissu plus propre. A peine né on mettait cet immonde poison loin de sa mère, loin de sa main tremblante et ensanglantée qui tentait d'atteindre le nourisson. Sous le regard de braise et le violent sentiment de douleur instillé par la dragonne, la bipède rapprocha la tête du nourisson de la petite rose. Mais les doigts de la main se recroquevillèrent comme les pattes d'une araignée morte, et se laissa tomber sur le sol. SOIGNE ! Hurlait la dragonne. Pour qu'immédiatement l'humaine tente de régénérer les tissus lésés, elle soulageait la douleur, mais la vie s'écoulait déjà en dehors du corps.
En dehors de Mëryl.
En dehors d'Aïasil.
Non !
En dehors d'Aïasil.
Non !
Le souffle était saccadé, irrégulier, brisé. Aïasil n'arrivait plus à respirer, elle s'étouffait. Son coeur se serrait plus fort que s'il avait été sous l'emprise de toute magie. Les yeux de la petite rose la contemplaient maintenant sans aucune peur, sans aucunes souffrances, si cela ne lui coutait pas tant d'énergie, peut-être aurait-elle sourie. Et elle pouvait voir toute la terreur dans la pupille argentée d'Aïasil, toute deux savaient qu'elle allait mourrir.