Achroma
Seithvelj Elusis
Manteau de Brume : Manteau couleur d'azur fait d'une étoffe légère et cependant chaude, douce et résistante qui couvre entièrement le corps de son porteur et possède une capuche longue. Diffuse une fine brume d'eau de mer qui empêche de localiser le porteur et le rend presque invisible, cache également les vibrations.
-Offert par ses protecteurs avant de rejoindre les navires, pour sa sécurité-
Son regard fiévreux parcourait les étendues glacées. Incapable de se fixer, de s’apaiser, il se gavait de cette vision immaculée d’une neige fraichement tombée. Les prunelles couleur de lagon brûlaient en permanence, démentant l’impression figée que le reste de son être tendait à laisser, reniant avec férocité l’image de statue lisse, incinérant le calme qu’il s’échinait à conserver, comme un beau mensonge dans lequel il se serait drapé. Parfois vitreuses, les orbes clairs couvaient un brasier monstrueux, imprimant leur touché ardent sur son entourage immédiat, distillant les sentiments dont le reste de son être était drainé : méfiance, douleur, colère, détermination sauvage. Le regard d’un animal blessé prêt à défendre chèrement sa vie si l’on vient à l’attaquer, le regard d’un homme persuadé d’être seul face à un monde emplit d’inimitée, le regard d’une âme au supplice sans savoir ce qu’elle a fait pour mériter de telles tortures. L’empreinte fervente, passionnée, aurait pu sembler le sceau d’une maladie profondément ancrée, d’un mal insidieux, ou tout simplement d’un caractère rétif que l’on s’efforcerait de contrôler.
Il détonnait, dans l’ensemble de son incarnation, béances flamboyantes enchâssées dans un masque blême aux traits racés mais sévères, peu habitués à l’expressivité et dont le dynamisme ressemblait à une blessure. Lèvres fines scellées sur tout hurlement de rage qu’il aurait pu produire, sur toute malédiction qu’il aurait pu proférer, il ravalait son venin et l’apparence de la vie le désertait. Sa longue chevelure au blond presque blanc ressemblait, dans le froid vent des plaines, à un suaire, l’ultime étreinte avant la tombe ou le bûcher. Haute silhouette puissante, dominant ses pairs, il arborait une musculature déliée et nette, qui ne rappelait nullement celle de sa lignée, tout en le distinguant des autres peuplades. Nordique de naissance humaine, on retrouvait en lui les lettres de noblesse de sa maison, et si cela ne suffisait à le caractériser, il restait le léger accent qu’il conservait, nuançant sa diction exemplaire d’une note plus marquée. Peu réactif, étreint par des griffes glacées, ses réactions se transmuaient uniquement dans les nuances de son regard brisé.
Peu loquace, sauf lorsqu’on l’amadoue, il dissert d’une voix profonde, d’un baryton bas et vibrant de ce quelque chose lacé à son être, qu’il exsude sans même le savoir, une lassitude pleine de rancœur, se refusant à avouer la souffrance qui lui raidit le corps et le fait parfois trembler. Ses manières restent empreintes d’une forme naturelle de dignité, d’un semblant de grâce instinctive auquel il ne prête guère d’attention, l’esprit tourné vers d’autres considérations.
Elle l’observait avec inquiétude, en retrait, ses traits froids et altiers figés en un masque illisible, mais le questionnement poignant en son cœur mort. Depuis qu’il s’était éveillé, elle ne cessait de se fustiger, partagée entre la joie, le soulagement de le revoir, et cet interminable doute qui continuait de la ronger implacablement. La perte d’Achroma avait été catastrophique, non seulement pour tous, puisqu’elle avait entraîné la mort de sa dragonne, mais pour eux plus particulièrement… Le don de Skade, ce retour de l’Aîné du royaume de Mort, non pas par réincarnation mais bien en personne, était un miracle. Et pourtant, il y avait quelque chose qui la perturbait, en lui. Ce n’était pas tant son amnésie qui la gênait, elle était sans doute très bénéfique en fin de compte car elle lui permettrait de ne pas devenir fou après ce qui lui était arrivé. Non c’était autre chose. Quelque chose qui la gênait dans sa façon d’être. Cela avait commencé à l’étriller dès leur installation dans les montagnes, mais à présent qu’elle le voyait sur le navire, au milieu des autres vampires, ça devenait de plus en plus vif. Par instant, cela l’étouffait presque tant elle devait se retenir de le confronter brutalement pour dissiper enfin toute ce marasme… C’était pathétique ! Elle ne s’était plus inquiétée de lui comme ça depuis ses premières années en tant que vampire plus d’un millénaire plus tôt ! Pourquoi fallait-il que ce soit si difficile ! Mais cela lui restait quoi qu’il en soit. Une paire de questions la glaçant davantage que tout le reste en ce qui concernait leur petit groupe. Était-ce bien Achroma qu’ils avaient ramené ? Et si c’était bien le cas… avait-il bien été totalement ramené ? Au départ, elle avait pensé que ses hallucinations signifiaient que le Conteur avait encore un pied dans la tombe, puis elle avait vite compris qu’il s’agissait probablement de tout ce qu’il avait oublié qui venait le torturer inconsciemment. Ce n’était pas un problème. Pas fondamentalement. Lorsque sa mémoire commencerait à lui revenir, il ferait la paix avec son passé, il était bien assez fort pour cela. Mais le reste ?
Achroma avait été un homme d’un grand calme, au sang-froid impressionnant, au maintien impérial. Un être sur lequel on pouvait se reposer sans douter, que l’on savait capable de prendre des décisions dans l’urgence sans qu’il perde la tête ; et il avait maintes fois prouvé qu’il savait effectivement ce qu’il faisait. Jeune, il avait certes eu un dynamisme entraînant mais les siècles l’avaient assagi et lui avait ôté son acidité. Le Conteur avait toujours été prompte à l’observation, et à conserver sa courtoisie autant qu’il le pouvait, au point qu’on l’eut parfois dit ampoulé. Il avait été une figure paternelle autant que politique, bien qu’il eût toujours esquivé l’idée de devenir prince, un porteur d’espoir, prêcheur d’ouverture d’esprit dans un univers aveuglé par la guerre. Voilà qui il avait été, les ans pesant sur lui naturellement lorsqu’il avait éveillé le reste des anciens après le retour des dragons. Sa dragonne lui avait rendu un peu de l’entrain de sa jeunesse, et elle l’avait rendu un peu plus féroce, mais il n’avait pas fondamentalement perdu l’essence même de son identité. Il n’était pas fondamentalement bon, mais il avait grandi hors de sa cruauté initiale pour devenir meilleur et c’était là le plus beau des accomplissements. Et pour eux, sa famille, il avait été affectueux, prompt à plaisanter, plein de camaraderie et tout prêt à aider chacun d’entre eux, refusant de les abandonner. Voilà l’image qu’elle gardait de lui. Et si elle pouvait comprendre l’apparition de quelques différences en raison de son état, elle ne parvenait pas, au demeurant, à se faire à ce qu’elle subodorait et qu’elle voyait se dessiner sous ses yeux sans savoir comment l’empêcher Ni d’ailleurs si elle en avait le droit, quand bien même cela pouvait s’avérer dangereux. Lui aurait peut-être eut la réponse, ce lui qu’elle ne retrouvait pas. Le don avait-il finalement été vide de sens ?
L’autre était… étrange. Il lui manquait cette connexion aux autres qui l’avait toujours poussé en avant, la capacité à se projeter émotionnellement, à comprendre intimement et à se sentir tenu d’aider, de soulager, de conseiller. Il avait fallu qu’ils le poussent tous les trois pour qu’il daigne s’approcher de qui que ce soit, et encore maintenant, il lui semblait, à elle, qu’il ne le faisait pas en toute sincérité. Il y avait quelque chose d’étrange, dans sa façon d’agir, quelque chose de mal placé… Quelque chose qui lui faisait personnellement grincer des dents chaque fois qu’elle le voyait. Pourtant, elle ne parvenait pas à mettre un nom définitif sur ce ressentit. Mais sans doute était-ce moins alarmant que l’instant tragique où il lui avait craché détester Silaraë. Oh, ça n’avait pas été énoncé en ces termes, tout simplement parce qu’il ne savait plus qui était Coeur d’Argent, mais il lui avait décrit ses hallucinations, et elle avait rapidement fait le rapprochement. Objectivement, ces visions subites et douloureuses devaient provenir de la perte de la dragonne et de l’essence de sa mort. Ça, elle aurait pu s’y attendre. Mais certainement pas à ce qu’il la rejette avec tant de violence, au lieu de se questionner. La prise de position subite ne lui ressemblait pas. Achroma était un être réfléchit, et en un sens il l’était encore, cela se voyait, mais… mais il lui arrivait de prendre désormais position promptement, la surprenant à chaque fois. C’était d’ailleurs extrêmement perturbant, de le voir se faire une idée affirmée de quelque chose mais ne rien faire en un sens ou un autre, ne pas agir ne lui ressemblait pas. L’Aîné ne se permettrait jamais de biaiser ainsi, ou en tout cas, pas dans son souvenir… mais c’était pourtant le cas, c’était bien ce qu’il faisait, ses arguments logiques et recevables mais non moins gênants.
Sa résilience en revanche n’avait pas changée, sa capacité à se relever à la seule force de sa volonté lorsque ses forces l’abandonnait. Les douleurs fantômes, les hallucinations, et plus encore, il subissait tout cela, mais se relevait toujours, bien qu’il semblât de plus en plus amer, de plus en plus cynique chaque fois… La lueur dans ses yeux la glaçait parfois, tant elle lui rappelait le prince noir, et elle s’était fermement opposée, dès les premiers instants, à ce qu’il teste ses sortilèges sur les animaux, après l’avoir vu aspirer lentement l’énergie d’une pauvre marmotte, faisant volontairement traîner la ponction pour voir combien de temps l’animal tiendrait avant d’abandonner. L’Aîné invoquait la curiosité, mais elle ne cessait de se demander s’il n’essayait pas tout simplement de passer sa propre souffrance sur autre chose, ou s’il avait irrémédiablement écopé d’une fascination morbide pour la peine sous toutes ses formes. Ce qui était certain, c’était que son attitude rogue semblait avoir été choisie sur mesure… et qu’elle était décernée arbitrairement. Elle voyait la façon dont il l’observait du coin de l’œil, parfois, prédateur et froid, et elle se demandait toujours ce qu’il pouvait penser en de tels instants. En revanche, ce qui était certain, c’était que son amnésie n’était apparemment pas quelque chose à même de le ralentir. Son esprit vif reprenait rapidement pied sur de nombreux sujets, et il s’avéra que de nombreuses connaissances n’avaient pas quitté son crâne. Tout comme pour les jeunes vampires, l’oubli se concentrait sur tout ce qui tenait de sa vie personnelle, des noms, et des compétences, qu’il s’agisse de la vie de tous les jours, ou de portée martiale. Mais… parfois ? Parfois, elle avait l’impression qu’il faisait exprès de ne pas savoir, ou de ne pas comprendre. Pourquoi ? Il y avait cette méfiance naturelle qu’il semblait porter. Il s’était confié à eux depuis le départ, mais plus le temps passait, plus elle avait l’impression que malgré sa docilité, il se méfiait, instinctivement. Mais pouvait-elle le blâmer ? S’il se souvenait, inconsciemment, de Vanaël, de Eliowir, de Saeros… Alors oui, elle pouvait imaginer que, viscéralement, il s’attende à être de nouveau trahit.
En fin de compte, elle conservait à son sujet l’impression d’une page nettement écrite sur laquelle on venait raturer, la tâchant d’une encre sombre sans parvenir à lui donner une cohérence réelle. Il était trop tôt, il était encore en train de se reconstruire. Affirmer qu’il fut mauvais aurait été prendre trop d’avance. Il avait encore la possibilité de bien tourner. Après tout, n’était-ce pas pour cela que la souveraine des nuées l’avait ramené ?
Alignement : Attaché à un petit nombre d’individus, Achroma n’a pour l’instant qu’eux, en plus de son propre bien être, à l’esprit. Dépourvu des souvenirs qui concernent sa propre existence, le vampire s’est laissé porté par l’existence et par la volonté de ses gardiens successifs jusque-là. Néanmoins, opportuniste et calculateur, il n’hésitera pas jouer de ce qu’il découvre pour atteindre ses buts lorsque ceux-ci se dessineront au-delà des préoccupations les plus immédiates. Voulant à tout prix retrouver sa famille, Achroma ne s’intéressera pas aisément à autre chose… à moins que cela ne pique son éternelle curiosité.
Proposition d'esprits-lié :
Inséparables (en duo avec Aldaron)
Pourquoi ? Aldaron a été proche de mon personnage dès le départ, nous n’avions pas du tout forcé les choses pour leur relation, tout est venu au fil du rp, naturellement ce qui rend leur donne une complicité et une affection profondes et pas du tout factices. Ils se sont agencés l’un avec l’autre tous seuls petit à petit et ont une dynamique et un vis-à-vis semblable. Outre ça, in rp, Aldaron a été le seul mortel qui comprenne ce que Achroma a ressenti à être esclave du tyran, le seul à avoir compris ses espoirs et les doutes qu’il taisait. Il a été le seul à ne pas le juger dans un sens ou un autre. Ils se sont appuyés l’un à l’autre lorsqu’ils n’avaient plus rien ou presque, ont trouvé de la force l’un dans l’autre et avaient esquissés de se reconstruire ensemble. Après la mort de mon personnage, Aldaron a été celui qui s’est occupé de son bûcher et des derniers rites et il a été le plus affecté par sa mort. En gardant un souvenir aussi vif de Achroma, Aldaron a un peu continué de le faire vivre au travers de lui. Aldaron lui-même disait que son personnage ressentait le manque et la perte de ce lien comme une blessure qui continuait de le faire souffrir. Et mon personnage, à côté de ça, a des visions de lui sans se souvenir de qui il s’agit mais en en ressentant une grande tristesse.
Dernière édition par Orfraie K. Ataliel le Jeu 21 Mar 2019 - 13:52, édité 1 fois
Seithvelj Elusis
Identité et caractéristiques
- Race : Vampire
- Sexe : Homme
- Surnom : Ivanyr Veanya (faux nom utilisé depuis qu’ils ont rejoint les navires)
- Date de naissance : Hivers 552 du 3eme âge
- Age réel : 1204 ans
- Age en apparence : La trentaine
- Lieu de naissance : Glacern l’Oubliée
- Lieu de vie : Voyageur
- Rang social :Noble de naissance
- Poste/Emploi : Voyageur
- Force : Faible
- Endurance : Bon
- Coordination (agilité/réflexe) : Bon
- Furtivité : Faible
- Perception : Bon
Caractéristiques physiques
- Force mentale : Maître
- Education : Très bon
- Charisme : Très bon
- Intuition : Très bon
- Espérance/chance : Moyen
Caractéristiques mentales
- Résistance physique : Moyen
- Résistance magique : Maître
Résistances
- Magie : Exceptionnel
- Expertise :
- Arme 1 : Armes contondantes : Faible
- Arme 2 : /
- Arme 3 : /
- Arme 4 : /
- Habileté : Faible
- Navigation : Moyen
- Equitation : Moyen
- Dressage : Médiocre
Compétences
- Bonus : Perception (Marché noir)
Bonus
Équipements
Manteau de Brume : Manteau couleur d'azur fait d'une étoffe légère et cependant chaude, douce et résistante qui couvre entièrement le corps de son porteur et possède une capuche longue. Diffuse une fine brume d'eau de mer qui empêche de localiser le porteur et le rend presque invisible, cache également les vibrations.
-Offert par ses protecteurs avant de rejoindre les navires, pour sa sécurité-
Description physique
Son regard fiévreux parcourait les étendues glacées. Incapable de se fixer, de s’apaiser, il se gavait de cette vision immaculée d’une neige fraichement tombée. Les prunelles couleur de lagon brûlaient en permanence, démentant l’impression figée que le reste de son être tendait à laisser, reniant avec férocité l’image de statue lisse, incinérant le calme qu’il s’échinait à conserver, comme un beau mensonge dans lequel il se serait drapé. Parfois vitreuses, les orbes clairs couvaient un brasier monstrueux, imprimant leur touché ardent sur son entourage immédiat, distillant les sentiments dont le reste de son être était drainé : méfiance, douleur, colère, détermination sauvage. Le regard d’un animal blessé prêt à défendre chèrement sa vie si l’on vient à l’attaquer, le regard d’un homme persuadé d’être seul face à un monde emplit d’inimitée, le regard d’une âme au supplice sans savoir ce qu’elle a fait pour mériter de telles tortures. L’empreinte fervente, passionnée, aurait pu sembler le sceau d’une maladie profondément ancrée, d’un mal insidieux, ou tout simplement d’un caractère rétif que l’on s’efforcerait de contrôler.
Il détonnait, dans l’ensemble de son incarnation, béances flamboyantes enchâssées dans un masque blême aux traits racés mais sévères, peu habitués à l’expressivité et dont le dynamisme ressemblait à une blessure. Lèvres fines scellées sur tout hurlement de rage qu’il aurait pu produire, sur toute malédiction qu’il aurait pu proférer, il ravalait son venin et l’apparence de la vie le désertait. Sa longue chevelure au blond presque blanc ressemblait, dans le froid vent des plaines, à un suaire, l’ultime étreinte avant la tombe ou le bûcher. Haute silhouette puissante, dominant ses pairs, il arborait une musculature déliée et nette, qui ne rappelait nullement celle de sa lignée, tout en le distinguant des autres peuplades. Nordique de naissance humaine, on retrouvait en lui les lettres de noblesse de sa maison, et si cela ne suffisait à le caractériser, il restait le léger accent qu’il conservait, nuançant sa diction exemplaire d’une note plus marquée. Peu réactif, étreint par des griffes glacées, ses réactions se transmuaient uniquement dans les nuances de son regard brisé.
Peu loquace, sauf lorsqu’on l’amadoue, il dissert d’une voix profonde, d’un baryton bas et vibrant de ce quelque chose lacé à son être, qu’il exsude sans même le savoir, une lassitude pleine de rancœur, se refusant à avouer la souffrance qui lui raidit le corps et le fait parfois trembler. Ses manières restent empreintes d’une forme naturelle de dignité, d’un semblant de grâce instinctive auquel il ne prête guère d’attention, l’esprit tourné vers d’autres considérations.
Description psychologique
Elle l’observait avec inquiétude, en retrait, ses traits froids et altiers figés en un masque illisible, mais le questionnement poignant en son cœur mort. Depuis qu’il s’était éveillé, elle ne cessait de se fustiger, partagée entre la joie, le soulagement de le revoir, et cet interminable doute qui continuait de la ronger implacablement. La perte d’Achroma avait été catastrophique, non seulement pour tous, puisqu’elle avait entraîné la mort de sa dragonne, mais pour eux plus particulièrement… Le don de Skade, ce retour de l’Aîné du royaume de Mort, non pas par réincarnation mais bien en personne, était un miracle. Et pourtant, il y avait quelque chose qui la perturbait, en lui. Ce n’était pas tant son amnésie qui la gênait, elle était sans doute très bénéfique en fin de compte car elle lui permettrait de ne pas devenir fou après ce qui lui était arrivé. Non c’était autre chose. Quelque chose qui la gênait dans sa façon d’être. Cela avait commencé à l’étriller dès leur installation dans les montagnes, mais à présent qu’elle le voyait sur le navire, au milieu des autres vampires, ça devenait de plus en plus vif. Par instant, cela l’étouffait presque tant elle devait se retenir de le confronter brutalement pour dissiper enfin toute ce marasme… C’était pathétique ! Elle ne s’était plus inquiétée de lui comme ça depuis ses premières années en tant que vampire plus d’un millénaire plus tôt ! Pourquoi fallait-il que ce soit si difficile ! Mais cela lui restait quoi qu’il en soit. Une paire de questions la glaçant davantage que tout le reste en ce qui concernait leur petit groupe. Était-ce bien Achroma qu’ils avaient ramené ? Et si c’était bien le cas… avait-il bien été totalement ramené ? Au départ, elle avait pensé que ses hallucinations signifiaient que le Conteur avait encore un pied dans la tombe, puis elle avait vite compris qu’il s’agissait probablement de tout ce qu’il avait oublié qui venait le torturer inconsciemment. Ce n’était pas un problème. Pas fondamentalement. Lorsque sa mémoire commencerait à lui revenir, il ferait la paix avec son passé, il était bien assez fort pour cela. Mais le reste ?
Achroma avait été un homme d’un grand calme, au sang-froid impressionnant, au maintien impérial. Un être sur lequel on pouvait se reposer sans douter, que l’on savait capable de prendre des décisions dans l’urgence sans qu’il perde la tête ; et il avait maintes fois prouvé qu’il savait effectivement ce qu’il faisait. Jeune, il avait certes eu un dynamisme entraînant mais les siècles l’avaient assagi et lui avait ôté son acidité. Le Conteur avait toujours été prompte à l’observation, et à conserver sa courtoisie autant qu’il le pouvait, au point qu’on l’eut parfois dit ampoulé. Il avait été une figure paternelle autant que politique, bien qu’il eût toujours esquivé l’idée de devenir prince, un porteur d’espoir, prêcheur d’ouverture d’esprit dans un univers aveuglé par la guerre. Voilà qui il avait été, les ans pesant sur lui naturellement lorsqu’il avait éveillé le reste des anciens après le retour des dragons. Sa dragonne lui avait rendu un peu de l’entrain de sa jeunesse, et elle l’avait rendu un peu plus féroce, mais il n’avait pas fondamentalement perdu l’essence même de son identité. Il n’était pas fondamentalement bon, mais il avait grandi hors de sa cruauté initiale pour devenir meilleur et c’était là le plus beau des accomplissements. Et pour eux, sa famille, il avait été affectueux, prompt à plaisanter, plein de camaraderie et tout prêt à aider chacun d’entre eux, refusant de les abandonner. Voilà l’image qu’elle gardait de lui. Et si elle pouvait comprendre l’apparition de quelques différences en raison de son état, elle ne parvenait pas, au demeurant, à se faire à ce qu’elle subodorait et qu’elle voyait se dessiner sous ses yeux sans savoir comment l’empêcher Ni d’ailleurs si elle en avait le droit, quand bien même cela pouvait s’avérer dangereux. Lui aurait peut-être eut la réponse, ce lui qu’elle ne retrouvait pas. Le don avait-il finalement été vide de sens ?
L’autre était… étrange. Il lui manquait cette connexion aux autres qui l’avait toujours poussé en avant, la capacité à se projeter émotionnellement, à comprendre intimement et à se sentir tenu d’aider, de soulager, de conseiller. Il avait fallu qu’ils le poussent tous les trois pour qu’il daigne s’approcher de qui que ce soit, et encore maintenant, il lui semblait, à elle, qu’il ne le faisait pas en toute sincérité. Il y avait quelque chose d’étrange, dans sa façon d’agir, quelque chose de mal placé… Quelque chose qui lui faisait personnellement grincer des dents chaque fois qu’elle le voyait. Pourtant, elle ne parvenait pas à mettre un nom définitif sur ce ressentit. Mais sans doute était-ce moins alarmant que l’instant tragique où il lui avait craché détester Silaraë. Oh, ça n’avait pas été énoncé en ces termes, tout simplement parce qu’il ne savait plus qui était Coeur d’Argent, mais il lui avait décrit ses hallucinations, et elle avait rapidement fait le rapprochement. Objectivement, ces visions subites et douloureuses devaient provenir de la perte de la dragonne et de l’essence de sa mort. Ça, elle aurait pu s’y attendre. Mais certainement pas à ce qu’il la rejette avec tant de violence, au lieu de se questionner. La prise de position subite ne lui ressemblait pas. Achroma était un être réfléchit, et en un sens il l’était encore, cela se voyait, mais… mais il lui arrivait de prendre désormais position promptement, la surprenant à chaque fois. C’était d’ailleurs extrêmement perturbant, de le voir se faire une idée affirmée de quelque chose mais ne rien faire en un sens ou un autre, ne pas agir ne lui ressemblait pas. L’Aîné ne se permettrait jamais de biaiser ainsi, ou en tout cas, pas dans son souvenir… mais c’était pourtant le cas, c’était bien ce qu’il faisait, ses arguments logiques et recevables mais non moins gênants.
Sa résilience en revanche n’avait pas changée, sa capacité à se relever à la seule force de sa volonté lorsque ses forces l’abandonnait. Les douleurs fantômes, les hallucinations, et plus encore, il subissait tout cela, mais se relevait toujours, bien qu’il semblât de plus en plus amer, de plus en plus cynique chaque fois… La lueur dans ses yeux la glaçait parfois, tant elle lui rappelait le prince noir, et elle s’était fermement opposée, dès les premiers instants, à ce qu’il teste ses sortilèges sur les animaux, après l’avoir vu aspirer lentement l’énergie d’une pauvre marmotte, faisant volontairement traîner la ponction pour voir combien de temps l’animal tiendrait avant d’abandonner. L’Aîné invoquait la curiosité, mais elle ne cessait de se demander s’il n’essayait pas tout simplement de passer sa propre souffrance sur autre chose, ou s’il avait irrémédiablement écopé d’une fascination morbide pour la peine sous toutes ses formes. Ce qui était certain, c’était que son attitude rogue semblait avoir été choisie sur mesure… et qu’elle était décernée arbitrairement. Elle voyait la façon dont il l’observait du coin de l’œil, parfois, prédateur et froid, et elle se demandait toujours ce qu’il pouvait penser en de tels instants. En revanche, ce qui était certain, c’était que son amnésie n’était apparemment pas quelque chose à même de le ralentir. Son esprit vif reprenait rapidement pied sur de nombreux sujets, et il s’avéra que de nombreuses connaissances n’avaient pas quitté son crâne. Tout comme pour les jeunes vampires, l’oubli se concentrait sur tout ce qui tenait de sa vie personnelle, des noms, et des compétences, qu’il s’agisse de la vie de tous les jours, ou de portée martiale. Mais… parfois ? Parfois, elle avait l’impression qu’il faisait exprès de ne pas savoir, ou de ne pas comprendre. Pourquoi ? Il y avait cette méfiance naturelle qu’il semblait porter. Il s’était confié à eux depuis le départ, mais plus le temps passait, plus elle avait l’impression que malgré sa docilité, il se méfiait, instinctivement. Mais pouvait-elle le blâmer ? S’il se souvenait, inconsciemment, de Vanaël, de Eliowir, de Saeros… Alors oui, elle pouvait imaginer que, viscéralement, il s’attende à être de nouveau trahit.
En fin de compte, elle conservait à son sujet l’impression d’une page nettement écrite sur laquelle on venait raturer, la tâchant d’une encre sombre sans parvenir à lui donner une cohérence réelle. Il était trop tôt, il était encore en train de se reconstruire. Affirmer qu’il fut mauvais aurait été prendre trop d’avance. Il avait encore la possibilité de bien tourner. Après tout, n’était-ce pas pour cela que la souveraine des nuées l’avait ramené ?
Alignement : Attaché à un petit nombre d’individus, Achroma n’a pour l’instant qu’eux, en plus de son propre bien être, à l’esprit. Dépourvu des souvenirs qui concernent sa propre existence, le vampire s’est laissé porté par l’existence et par la volonté de ses gardiens successifs jusque-là. Néanmoins, opportuniste et calculateur, il n’hésitera pas jouer de ce qu’il découvre pour atteindre ses buts lorsque ceux-ci se dessineront au-delà des préoccupations les plus immédiates. Voulant à tout prix retrouver sa famille, Achroma ne s’intéressera pas aisément à autre chose… à moins que cela ne pique son éternelle curiosité.
Proposition d'esprits-lié :
Inséparables (en duo avec Aldaron)
Pourquoi ? Aldaron a été proche de mon personnage dès le départ, nous n’avions pas du tout forcé les choses pour leur relation, tout est venu au fil du rp, naturellement ce qui rend leur donne une complicité et une affection profondes et pas du tout factices. Ils se sont agencés l’un avec l’autre tous seuls petit à petit et ont une dynamique et un vis-à-vis semblable. Outre ça, in rp, Aldaron a été le seul mortel qui comprenne ce que Achroma a ressenti à être esclave du tyran, le seul à avoir compris ses espoirs et les doutes qu’il taisait. Il a été le seul à ne pas le juger dans un sens ou un autre. Ils se sont appuyés l’un à l’autre lorsqu’ils n’avaient plus rien ou presque, ont trouvé de la force l’un dans l’autre et avaient esquissés de se reconstruire ensemble. Après la mort de mon personnage, Aldaron a été celui qui s’est occupé de son bûcher et des derniers rites et il a été le plus affecté par sa mort. En gardant un souvenir aussi vif de Achroma, Aldaron a un peu continué de le faire vivre au travers de lui. Aldaron lui-même disait que son personnage ressentait le manque et la perte de ce lien comme une blessure qui continuait de le faire souffrir. Et mon personnage, à côté de ça, a des visions de lui sans se souvenir de qui il s’agit mais en en ressentant une grande tristesse.
Histoire
Que pouvaient bien représenter deux vies, en comparaison de milliers d'autres ? Sans même leur ôter leur unique préciosité, la seule force écrasante du nombre, de toutes ces sublimes individualités en danger, suffisait à rendre la question inepte, superflue. Deux vies, ou bien des milliers d'autres ? Voilà ce qui battait en son cœur, en son esprit, alors qu'il délaissait Victoire à même la terre profanée, pour se concentrer tout entier sur la tâche qu'il voyait se profiler. Son devoir, en un sens, et peut-être une part de la raison qui avait permis qu'il vive jusqu'en cet instant, qu'il existe pour accomplir ce geste à la place d'un autre, un être hypothétique avec lequel le destin n'en aurait pas encore fini. Il avait toujours été une créature de devoir, d'aussi loin qu'il s'en souvienne, et ce depuis sa première naissance, bien avant de recevoir le don nocturne de ses parents vampiriques. Et il ressentait l'appel de cette tâche comme un devoir inéluctable. Il y avait deux dragonnes, en face d'eux, des créatures asservies qui ne méritaient nullement le sort terrible qu'on leur infligeait, tout comme les pauvres malheureux qui mourraient sous leurs coups ne méritaient pas de finir d'une aussi grotesque façon. Tout autour de lui battait la complainte sauvage de la guerre, dans le cliquetis des armes, le rugissement des sortilèges et des armes, le fracas des deux masses ennemies poussées à se battre par la folie des plus grands. Tout autour de lui, de valeureux guerriers de trois quatre peuples rivaux se massaient, ensemble, pour préserver ce qui leur était le plus cher… ils savaient la mort proche, tendre amante, douce mère venue pour les emporter, leur offrir la paix après le trépas, en récompense de leur bravoure, de leur profonde abnégation. Il n'avait pas même besoin d'imaginer la terreur, sauvage et instinctive, tordant les tripes de tous ces soldats, car il la partageait. La seule différence, c'est qu'il n'avait pas peur pour lui-même. Non. Il avait peur pour eux. Ces enfants qui s'étripaient en ce jour fatidique. Jamais il n'avait voulu ça… La guerre était une chose sale, mais elle recelait également des trésors, il le savait, et elle était un mécanisme naturel de leur monde. Mais ça ? Ce n'était pas une guerre, et il n'avait pas les mots pour décrire sa pensée. Lui, le Conteur, se trouvait réduit au silence par le spectacle viscéral qui s'offrait à lui, et auquel il avait choisi de participer.
Et alors que l'air se mettait à vibrer sous la pression des immenses ailes, il ne put s'empêcher de superposer l'image de ces formidables créatures à celles de son passé. Cette scène, cette bataille, le ramenait à l'époque de sa jeunesse, quand les dragonniers s'affrontaient et mourraient pour des empires et des causes désuètes. Et son cœur, tout mort qu'il fut, saignait de savoir qu'un tel crime serait de nouveau perpétré. Dans son esprit défilait, en litanie mortuaire, tous les noms des dragons et des dragonniers d'antan qu'il avait vu périr… Non, il ne pouvait pas laisser cela se reproduire. Il devait agir, il devait empêcher cela. Plus jamais, plus jamais cette abomination ne devrait se produire, plus jamais les dragons et dragonniers ne devraient être les esclaves d'une puissance supérieure, ils étaient trop précieux, trop rares, trop importants. Ils étaient sa famille ! Liés par l'âme, tous ensemble, par-delà les éons et le sang. Quel rassembleur, quel meneur serait-il s'il restait là sans rien faire alors qu'il savait avoir la capacité de changer tout cela ? La peur l'étreignait, alors même qu'il se laissait porter par la férocité et la force impérieuse de sa liée qui soutenait son âme jusque dans ses fondations. Oui, il devait agir, il devait forcer la poigne du tyran sur les siens, quel que soit le prix à payer pour cela. Et ce fut sur cette pensée qu'il plongea dans le flot de magie avec lequel il était si familier, parfaitement assuré de savoir exactement ce qu'il voulait et pouvait faire. Tout comme il savait que le prix à payer risquait d'être terrible. Mais… que pouvaient bien représenter deux vies en comparaison de milliers d'autres ? Il n'avait pas le droit de reculer. Et alors qu'il trouvait l'attache originelle dans la cuirasse de la domination du tyran, commençant à la ronger lentement, il ne put s'empêcher de repenser à Edwyn, à ce qu'il avait été déjà contraint de faire par le passé. En fin de compte, ce n'était rien de plus que la continuité d'un meurtre qui le hantait depuis qu'il l'avait réalisé. Ses yeux se fermèrent, et l'impression de la bataille s'estompa au profit d'un monde fait d'énergie et de pur esprit. Lié à la magie de l'âme, il y puisait les secrets de sa réussite, sans jamais remarquer que plus il avançait, plus il s'affirmait, et plus sa propre vie s'estompait. Une vie pour des milliers.
Et pourtant… pourtant peut-être était-ce également de l’égoïsme, que de se lancer ainsi dans cette incroyable pied de nez à la résignation de mois entiers écoulés. Peut-être, au fond de lui, espérait-il réellement payer sa victoire de sa vie, accéder, enfin, au repos, à la paix. Son âme était éreintée, son esprit usé, et pourtant jusqu’à présent, jamais il n’avait osé se l’évoquer, cette solution finale à la tourmente d’une existence devenue fardeau consommé, s’étirant uniquement pour le bien des autres sans jamais y trouver l’espoir d’un quelconque salut, l’aube d’un havre intouché. Avec détachement, il se prit à penser à tout ce qui l’avait conduit jusqu’à cet instant, jusqu’à aspirer à un repos que tant redoutaient. Sans même le vouloir, il remonta lentement le fil de sa propre vie comme un tourne les pages d’un livre corné et tâché… avec douceur, une présence fraternelle vint le rejoindre, suivant pas à pas son cheminement, avant de s’estomper à son tour, alors que se rejouaient devant ses yeux aveugles les scènes de son passé. L’énergie continuait à s’écouler de son être, directement dans la faille des dispositions magiques de son adversaire, comme le sang d’une plaie ouverte, mais l’immense ponction continue n’était pas douloureuse, elle était… libératrice. Le sang immatériel qui le quittait portait avec lui tout ce qu’il supportait, la douleur, la désillusion, la culpabilité, la honte, le manque, tous les composants de la cangue qui l’écrasait jusque-là. Quel poids immense ! Il n’avait pas eu conscience qu’il transportait tout cela, il n’avait pas compris à quel point il était affecté, comme une hémorragie interne dont la gravité n’apparaît que trop tard, à l’instant fatidique. S’il n’avait pas décidé d’agir, peut-être serait-il tout simplement mort un beau matin, lorsque son esprit aurait refusé d’en accepter davantage. L’euphorie le gagna un instant, avant qu’il ne s’apaise et ne laisse faire, donnant plus encore de lui, se perdant dans l’exquise sensation de légèreté qui l’envahissait. Comment est-ce que cela avait commencé déjà ? C’était il y a longtemps, même pour lui. Oui, c’était il y a très longtemps. Etrange, les souvenirs se faisaient imprécis, les scènes brouillées, bien plus que les faits froids et immuables. S’il l’avait pu, il aurait sans doute essayé de retrouver ceux de ses proches qui se trouvaient là, quelque part… mais il ne pouvait pas, il était trop occupé. Comment est-ce que cela avait commencé déjà ? Ah oui, avec de la magie…
Héritier de la maison princière Elusis de Glacern, il avait vécu dix années bercées par le rythme de la vie militaire du peuple du froid. Dix rudes années, dont il gardait encore, comme un souvenir impérissable, le hurlement du vent et la clarté immaculée de la neige fraichement tombée, les chants graves et profonds dans l’obscurité des nuits d’hiver et le tintement de l’acier nordique. Mais les visages durs et marqués, eux, n’étaient que des formes floues, aux couleurs brouillées : cheveux blonds, yeux bleus ou verts, puissantes carrures… Il se souvenait vaguement des trophées arrachés aux vampires : dents, têtes tranchées et empaillées et tant d’autres. Quelque part, il parvenait presque à entrevoir les visages froids et sévères, auréolés de crinières sombres, de la famille Svenn, dominant l’assemblée. Glacern était sa patrie, il était l’un des leurs. C’était la magie qui l’en avait chassé. Dans une citadelle où la magie était synonyme d’amertume et d’honneur brisé, l’existence d’un individu tel que lui n’était pas désirée, et il pouvait tout juste remercier le seigneur de l’hiver d’avoir eu un reliquat de délicatesse en prétextant l’envoyer en tutorat plutôt que de parler d’exile. Ainsi fut-il offert à la charge de la princesse Alianna Kohan, qui tout comme lui ne correspondait pas aux critères que l’on associait à ce qu’elle était. Glacern ne lui fut plus jamais ouverte, et il ne reposa jamais les yeux sur la magnifique citadelle, gravant dans ses yeux cette dernière image tandis qu’elle s’éloignait, bientôt engloutie dans l’étreinte protectrice des montagnes. A dix ans, il comprit que la perte n’était pas discernable, qu’il était impossible de la décrire, ou même de la dire, le mot seul bien trop pauvre, l’imagination limitée alors que le cœur n’avait nulle forme de mesure. A dix ans, il voyait ses parents se détourner de lui, l’abandonner, alors qu’une parfaite inconnue lui ouvrait les bras et l’accueillait comme un fils. Encore endoctriné, il lui faudrait des années encore avant de comprendre l’ampleur de ce qu’on lui infligeait, d’en concevoir de la honte et du regret en plus de la tristesse qui imprégnait son être, de la mélancolie qu’il ressentait dans cette ville du sud trop chaude, trop bruyante et désorganisée.
A l’âge de quinze ans, il jurait fidélité à sa princesse, émettant le souhait de devenir lame noire lorsqu’elle l’en jugerait digne. Il se la rappelait, brillante dans son armure, Amirïa la lame légendaire à son flanc, tandis qu’elle lui donnait sa bénédiction. Pour la première fois depuis son exile, il se sentait fier, en paix avec lui-même. Pour la première fois, il avait l’impression de pouvoir atténuer la déception de sa famille. Recevoir les éloges de cette femme aimée et respectée par tout un royaume n’avait pas de prix, et il aurait donné tout ce qu’il avait pour que l’instant dure éternellement. Jamais Gloria ne lui avait plus et ce ne serait jamais ni sa patrie ni sa demeure, mais pour elle, pour cette femme, il aurait accepté d’y demeurer le restant de ses jours, pour lui payer l’immense dette qu’il avait à son égard. Née dans le sud, elle avait pourtant tout d’une femme de Glacern, la dignité, la férocité, la droiture, l’indépendance… Mais l’instant s’étiola, et Alianna Kohan partit pour la guerre contre l’avis de son frère pour ne jamais fouler de nouveau de son pas la ville-capitale de Gloria. Il s’enquérait régulièrement de son bien-être, se plongeant à corps perdu dans ses études pour espérer pouvoir la protéger, et buvant les récits de ses exploits. Elle était son modèle, et peut-être même son premier amour. Mais un paria tel que lui n’avait pas la moindre chance d’espérer obtenir la main d’un joyau de la famille impériale. Son nom ne valait rien sans la fortune et le soutient de sa famille. Mais être son bouclier lui suffisait. Et pendant dix ans, il étudia auprès des maîtres de la cité d'Aldaria, se rendant également parfois à Althaïa pour y parfaire ses connaissances. Ce fut son zèle et sa dévotion envers la princesse qui furent sa perte. Voyager de nuit sur des routes dangereuses pour rejoindre la capitale dans l'espoir d'y revoir celle qui lui avait offert une raison de vivre ne pouvait qu'offrir de grandes chances de mener à de tragiques événements pour un convoi mal gardé. Ou bien gardé d'ailleurs. Les deux vampires qui s'attaquèrent au cortège ne laissèrent aucun survivant.
Vampire il devint donc, fils de Cyrène et Erin Veanya, éduqué par eux, membre d'un petit groupe de vampires talentueux et audacieux se battant pour leur peuple. Et il se battit également, mage de guerre sous les ordres d'un dragonnier du peuple de la nuit. Il se battit des années durant, prenant sa part de ravage, jusqu'à ce que les siens soient repoussés. Peu importait les heures de gloire et les stratégies insensées… au bout du compte, lorsque les luttes de pouvoir du peuple sombre vinrent à l'engager plus qu'il ne le désirait, il prit la fuite. Prince lui ? Jamais ! Il préférait encore vagabonder. Et ce fut exactement ce qu'il fit, pendant des centaines d'années. Combien de fois avait-il plaisanté en affirmant avoir été dompté par les humains ? Au fond, sans doute y avait-il une part de vérité là-dedans, qu'il dissimulait derrière le grotesque de la perspective. Mais puisque rien ne dure vraiment en ce bas monde, il fut bien vite de retour au sein de son peuple, pour servir. Par devoir. Par patriotisme. Mais ce n'étaient pas les vampires qui étaient à l'origine de ces enseignements… qui était-ce d'ailleurs ? Son nom lui échappait de plus en plus, tout en revenant parfois, subitement, à l'image de la saison qu'elle représentait, dame de l'été. Mais le prince noir avait tué son fils, et sa tentative de le venger ne servit à rien. De nouveau perdu quant à ses motivations, la raison de ses actions, une réponse lui vint en l'éclosion d'un œuf argenté. Silaraë, la dragonne d'argent, l'autre moitié de lui-même qui l'avait finalement rejoint par-delà le mur du temps. Dès son apparition elle emplissait déjà sa vie et son cœur, dès le premier contact il sut qu'il l'aimait comme il ne pourrait aimer quoi que ce fut en ce monde, et qu'elle le lui rendait. Cette frêle créature aux écailles lunaires était la plus magnifique création des esprits, et il voulait la chérir… et la protéger. Saeros, seigneur des vampires, ne la voyait que comme une arme, et incidemment, comme un moyen de faire pression sur lui. Et pendant un temps ils se trouvèrent éloignés. Mais pas indéfiniment. Lyroë, puis Kedrildan, et avant peu, il se retrouvait seul à tenter de reconstruire une Caste pour les dragonniers tout en tentant tant bien que mal de préserver l'alliance des exactions du prince noir.
L’alliance… l’incarnation même d’un célèbre dicton : « L’ennemi de mon ennemi est mon ami ». Face à la menace des Almaréens, la solution était sans doute bien de s’unir, mais entre l’utopie de la pensée et sa réalisation, il y avait plus qu’un monde. Il y avait les inimités séculaires des différentes races, et la mauvaise volonté de certains, au nombre desquels se trouvait le célèbre tueur de dragon. Et en fin de compte, malgré tous ses propres efforts, et ceux de tant d’autres, l’Aube Rouge vit bien la fin de cette coalition. Mais lui n’était pas partit avec l’armée vampirique, fidèle à la parole donnée plus qu’à une quelconque loyauté envers un traître comme Saeros, il avait décidé, avec les anciens, de rester auprès des hommes et des elfes. Ainsi prit fin la dangereuse coexistence entre le prince noir et l’Aîné, rivaux se jaugeant, se méfiant l’un de l’autre tout en faisant confiance en leurs capacités pour le bien du peuple de la nuit. S’il n’y avait eu son fils, ils auraient pu être frères de pouvoirs, s’il n’y avait eu son refus d’abandonner sa quête insensée de pouvoir, son opiniâtreté à empêcher leur peuple d’évoluer, le dragonnier aurait pu le voir comme l’avenir des sang-froids. S’il n’y avait eu les torts répétés aux dragonniers, peut-être aurait-il décidé de ne pas s’en mêler. Il ne niait pas ses qualités et faits d’armes, ceux-ci n’étaient juste pas suffisant pour équilibrer tout le reste. Pourtant, une fois de plus, il ressentit la perte, le vide… qu’est-ce qui lui restait, s’il ne protégeait plus les vampires ? Il ne lui restait plus que la Caste. Mais comment ne pas le considérer comme une évidence ? Silaraë était le centre de son monde, la Caste pouvait le devenir… et elle représentait leur meilleur espoir de paix.
Et alors qu’il endossait le rôle et se proclamait, avec quatre autres dragonniers membres de cette caste en gestation, sa route croisa celle du Voyageur. Créateur du lien, il fut la révélation que l’Aîné attendait, recevant de lui les secrets vitaux pour construire ce qu’ils esquissaient gauchement. Cette créature, ce Tarenth, leur remettait non seulement les clefs d’un avenir moins morne, mais également des réponses personnelles, presque intime sur tant de choses qu’il en vint, naturellement, rapidement, à lui faire confiance. Il connaissait son passé, il avait senti en lui le regret et la tristesse, y trouvant là un écho de ses propres sentiments. Le Voyageur avait, de plus, sauvé plus d’un dragon et dragonnier, et l’aide précieuse qu’il apportait, le soutient qu’il offrait indéniable… l’image même d’un père ou d’un frère, et n’était-ce pas ce qu’il était ? Lié à eux par la magie de l’âme qu’il lui confiait ? Pourquoi alors aurait-il décidé de le tuer ? Peut-être, en vérité, parce que la décision ne lui appartenait pas, qu’il y était forcé ? Dragonnier d’une créature mauvaise et destructrice, menaçant tout ce qui existait, porte vers le salut des peuples, vers un avenir qui ne serait pas couvert par les ailes de l’albinos… Lorsque la fille du Voyageur lui confia la pierre pouvant tuer son géniteur, il n’osa pas y croire, lorsque, pourtant, ce frère mourut de sa main, se sacrifiant pour leur offrir un avenir, il fut dévasté. Ce n’était pas le premier être qui mourrait de sa main, et Mort ne lui était en rien étranger, mais ça ? Ça il ne s’en remettrait jamais. Mettre à mort le père du Lien était à ses yeux une abomination, mais son sacrifice pour que sa création perdure était quelque chose que dans son immense chagrin, il respectait. Son regret, pourtant, n’était rien comparé à la vengeance que le tyran souhaitait exercer. La créature qui avait arraché le cœur de Néant voulait le punir d'avoir tué son dragonnier. Et il y réussi. Il l'avait brisé. La trahison de son fils, de Vanaël, l'abandon de Silaraë, la corruption de chacune de ses valeurs, et de chacun de ses espoirs, pour le plonger dans un cauchemar éveillé, sous la cangue écrasante de sa domination. Haut jugé craint et détesté, il avait été obligé d’œuvrer à tout ce qui lui répugnait, pour le plus grand plaisir de son tourmenteur.
La perte… une notion qui l’avait accompagné durant toute sa vie, la plus importante qu’il eut jamais apprise. Une notion qu’il avait vécue à chaque étape de son existence. Pourtant cette fois, quelque chose c’était irrémédiablement brisé, quelque chose qui ne pourrait jamais être réparé. Et il en était épuisé. Malgré toute sa bonne volonté, ses tentatives de mettre cela de côté, de continuer d’avancer, malgré ceux qui l’entouraient au sein de la théocratie… il n’y parvenait plus. Son millénaire d’existence commençait enfin à prendre l’ascendant, aidé par les tortures, les déconvenues, les horreurs. Alors s’il mourait en accomplissant cette tâche… il n’en serait pas si chagriné. Sa seule préoccupation, son seul regret, aurait été de ne pas passer plus de temps avec sa sœur d’âme. Pour une fois dans sa vie, ne pouvait-il être égoïste ? Un léger sourire lui vint aux lèvres, il se rendit compte de l’ironie de tout cela. Tout avait commencé avec de la magie, et tout s’achevait… avec de la magie. Tout avait commencé au temps des dragons, tout finissait avec leur retour. Et à présent ? Il avait presque achevé sa tâche, Trissi et Skade étaient presque libérées. Et lui ne ressentait presque plus sa propre fatigue. En vérité ? Il ne ressentait presque plus rien. Au loin, la magie de domination exercée par le Tyran se fracassait enfin. Une onde de violence inouïe le parcourut, il sentit la chose s’insinuer dans sa colonne, remonter vers l’essence de son être. Tendrement, il étreignit sa partenaire, lui confiant une ultime fois, sans avoir besoin du moindre mot, combien il l’aimait, son âme enroulée à la sienne avant qu’elle ne s’effrite… et que le monde ne plonge lentement dans l’obscurité. Dans un ultime sursaut, il la repoussa, ses dernières forces s’étiolant, puis il n’y eut plus rien. Rien que le silence… et la paix, enfin.
Les flammes dévoraient ce qui restait de lui au son des rites communs, le chant de passage détachant les derniers lambeaux de son être de la coque de chair qui l’avait abrité, lui permettant le repos complet. Un dernier instant, alors que le vent se lever, les cendres tourbillonnèrent, venant caresser la silhouette elfique qui se tenait près du brasier en une ultime étreinte aimante et complice avant la lente descente vers l’oubli. S’il avait pu formuler un souhait en l’instant, sans doute aurait-il été que l’elfe connaisse de nouveau la félicité, celle qu’il lui avait mille fois souhaitée sans être capable de la lui apporter. Dans le vent courut le chuchotement des âmes dérivant vers le royaume de Mort, les braises du souvenir prêtes à s’éteindre lentement dans les flots d’un deuil à peine entamé.
La première chose que son âme connue, lorsqu’elle fut tirée du royaume de Mort, fut la douleur. Une souffrance atroce, monstrueuse, sans limite, qui venait vriller l’essence profonde de son être exposé tandis que la magie le malmenait avec violence. Intangible, ce qui avait été Achroma Seithvelj, Sylath,Elusis et Rune était traîné depuis les limbes de la mort et du repos fatidique jusqu’à la terre de misère qu’il avait quitté sans regret. Conduit par la volonté de la dragonne de l’orage, l’essence fut forcée, pliée pour s’accrocher de nouveau au monde des vivants, portée par un gigantesque vent de magie draconique. La seconde chose que son âme connue fut l’agonie, lorsque son essence s’enfonça dans un corps de chair et de sang, et la vibration de sa déchirante lamentation instilla le doute dans l’esprit de celle qui le torturait, sans qu’elle se décide à arrêter. Faiblement, l’âme tenta de s’échapper, de retourner d’où elle venait, sans réussir, et bientôt elle fut complètement réintégrée, scellée à son réceptacle de chair froide, prenant lentement possession de celle-ci. La troisième chose que connue son âme fut le désespoir, quand, en s’éveillant à ce monde, encore baignée dans l’immense conscience de la Souveraine des nuées, il comprenait instinctivement ce qui lui arrivait et manquait s’en fêler encore davantage qu’il ne l’était. Son être n’avait pas séjourné assez longuement au sein du royaume de Mort pour guérir de ce qui l’avait frappé dans l’incarnation qu’il aurait dû quitter. Dans un sursaut de préservation frileuse, elle décida, subjectivement, d’oublier tout de ce qui venait de se passer, refusant d’accepter l’hérésie qu’on lui avait fait subir pour un but encore inconnu. Comme une forme de défiance, l’âme oublia ce qu’elle avait été, qui elle avait été, le refoulant au plus profond de son être fracturé, l’engloutissant en espérant ne plus jamais le voir se manifester. La dragonne, encore reliée à sa création par des lambeaux de magie, le comprit intuitivement, et en réponse, vint s’enrouler autour du frêle corps mortel, l’enveloppant dans sa chaleur. Ainsi, la quatrième chose que son âme connue en revenant en ce monde fut le son profond de la respiration reptilienne, la chanson douce de son vrombissement, comme une berceuse séculaire tentant d’apaiser son immense peine, et le son profond d’un cœur immense battant près de lui.
Le temps n’avait pas encore de sens pour lui, ainsi enfermé dans un cocon de magie, dissimulé au monde extérieur par la gigantesque barrière d’écailles du corps de sa protectrice. Avait-il rêvé de cette éternité ? était-ce donc un songe fiévreux ? Lorsqu’il s’éveilla enfin, tout était silencieux, froid et gris. Disparu la luminosité constante mais tamisée, disparue la chaleur profonde qui lui caressait doucement la peau, et plus encore, le monde était muet… où était la douce mélodie qui l’avait apaisé ? Sa disparition, plus que tout le reste, perturba l’esprit ressuscité qui, enfin, prenait conscience du monde autour de lui. Ce fut en la cherchant qu’il s’aventura hors du clôt étrange dans lequel il était dissimulé, découvrant une étendue grise, terne, et vide. Un ancien champ de bataille au cœur des montagnes, bien qu’il n’eût aucune conscience de cela sur l’instant même. Son corps lui paraissait lourd, comme fait de plombs et chaque geste lui coûtait énormément, pourtant la perspective de retrouver la présence chaleureuse l’encouragea à persévérer dans son exploration. Quelque chose se mouvait, dans le fond de ses esprits, tandis qu’il avançait, des ombres bougeaient sous ses yeux, en une étrange pantomime, coite et sinistre, retraçant un affrontement dont il ne savait rien. Plus il s’éloignait de son lieu d’éveil, plus il apercevait de ces silhouettes fugitives, tout juste ébauchées, plus il semblait entendre des sons, lointains, des fracas et des cris, et des rugissements vibrants de rage… Oppressé, la gorge nouée, il se serait sans doute perdu et blessé s’il n’avait pas été rattrapé par ses gardiens. Leur subite apparition l’épouvanta tout d’abord, mais il était trop faible pour leur faire le moindre mal et il fut bien vite maîtrisé et placé en sécurité une fois encore. Ils étaient trois, trois anciens, vampires millénaires qui avaient survécus envers et contre tout. Désormais sa seule famille restante, ils étaient là pour le protéger. A tout le moins était-ce là ce qu’ils affirmèrent, mais pourquoi en aurait-il douté ? Il avait besoin d’eux, l’évidence fit jour rapidement, ne pouvant se préserver seul dans l’état où il se trouvait, sa faiblesse perpétuelle consumant le peu d’énergie qu’il possédait. Mais la garde qu’on lui avait attribué était aussi vigilante que zélée.
Il n’avait aucun souvenir d’eux, bien qu’ils affirmassent être sa famille, aussi apprit-il à les connaître comme s’ils s’agissaient de parfaits étrangers. D’eux, il recevait aide et bienfaits, dissimulé dans d’anciennes ruines distordues par ce qui avait frappé les montagnes ces dernières années. Son existence s’avérait être un fléau, perpétuellement épuisé, il découvrit bien vite être la proie de visions étranges. Ses compagnons n’osaient se prononcer sur leur origine, bien qu’il eût à plus d’une reprise sollicité leur sagesse. Les anciens se bornaient à affirmer qu’il s’agissait d’hallucinations, et que ce qu’il voyait n’avait aucune teneur réelle. Pourtant il sentait leur attente, quand bien même ils se montraient parfaitement lisses à la lecture. Il sentait qu’il y avait plus que cela, sans parvenir à comprendre ce qui lui échappait. Ses cauchemars éveillés ne se faisaient que plus violents, chaque fois qu’il tentait de les comprendre, aussi finit-il par abandonner, espérant simplement endurer sans se briser. La violence de ces occurrences le perturbait presque autant que leur contenu. Un instant tout allait bien, l’instant suivant, il devait lutter pour garder pieds dans la réalité de l’instant. Souvent il voyait se dessiner une puissante forme ailée, aux écailles ternies, appelant dans le lointain, cherchant… qui ? le nom lui échappait, le vent le couvrait toujours, ou bien quelque tour de son esprit l’empêchait de le comprendre. Pourtant, son cœur se serrait, son âme frémissait et souffrait, sans qu’il comprenne ce qu’il subissait. La perte, cette compagne de tous les instants, l’étrillait de sa présence sans raison. Rapidement, dans les tréfonds de son intimité, de son esprit, il en vint à avoir peur de cette vision fantomatique, la redoutant plus encore que les douleurs qui l’assaillait parfois subitement. Chaque fois, la vision de la créature grise le laissait aux portes de l’inconscience, tant et si bien, qu’après la peur, le poison de l’inimité commença à l’envahir. Il détestait ces visions, il détestait la douleur, il détestait même qui que soit l’être que sa vision cherchait…
Avec le temps, et une santé se renforçant, les visions se firent moins nombreuses mais plus vivace, plus violentes encore. Et la créature ailée n’était plus la seule qui le tourmentait. Ils étaient des dizaines, figures bipèdes pour la grande majorité. Et ils venaient tour à tour. Il y avait une elfe à la chevelure flamboyante, armée d’un arc, et il sentait en elle une langueur similaire à la sienne. Il y avait un vampire, un seigneur de guerre, qui s’opposait à lui et le défiait en duel. Qui le maudissait. Il y avait une femme, humaine, qui se détournait, éplorée, parcourant un champ de bataille encore fumant. Il voyait un elfe aux cheveux sombres s’avancer pour l’étreindre et disparaître lorsqu’il essayait de le toucher, se dispersant en cendres étouffantes. Il voyait une guerrière armée d’une lame entourée d’eau tomber sous les coups d’un puissant sortilège. Il voyait… un homme ? un être… se flétrir et dépérir à cause d’une pierre…Il entendait, sentait, confusément, ne comprenant rien à tout cela. Et aucun des habitants de son esprit ne parvenait à répondre à sa seule question : pourquoi ? La seule vision qui ne le torturait pas autant que les autres était, ironiquement, très semblable à la pire d’entre elle. Une créature ailée, énorme, dominant les cieux, dissimulant le ciel. Son apparition seule, un beau jour, vint atténuer son ressentiment et sa perdition. A une occasion, le bris vint de ses gardiens, lorsqu’ils tentèrent de lui présenter le manche d’argent d’une arme, et qu’en tentant de la prendre, il se trouva plongé dans un univers de larmes et de sang, qui ne trouva son échappatoire que dans le rejet. Cette chose, aussi belle fut-elle, lui causait une douleur immense. Une douleur qu’il ne pouvait accepter de porter, surtout pour un don aussi peu usité. L’histoire de l’arme ne l’intéressait pas, seul comptait le poids moral qu’elle infligeait.
Mais cette incartade n’était qu’une exception, au sein des innombrables efforts consentis par sa famille. Eux s’occupaient de tout, sa seule motivation personnelle était de se remettre, de se renforcer, de perdurer au-delà de l’état léthargique qu’il expérimentait depuis le premier instant où il avait ouvert les yeux. Tel une infranchissable frontière, cet instant marquait le début de ses souvenirs, tout ce qui se trouvait au-delà n’était qu’un brouillard sans forme. Longtemps, il n’eut pas de nom, jusqu’au jour où ils furent contraints de quitter le Havre et de rejoindre le reste des peuples. Cela ne l’avait à aucun moment dérangé, son existence se définissait autrement, unique en son genre, et il n’avait pas senti le besoin d’être nommé. Ce n’était pas qu’ils n’échangeaient pas, bien au contraire. Lors de ses phases d’éveil, il tirait pleinement partie de la présence des trois autres, les questionnant et échangeant avec eux, parfois même à bâtons rompus. En vérité, cette absence de définition personnelle leur ôtait par instant de communes hésitations de langage, leur permettant d’échanger autrement. Mais ce confort subjectif ne pouvait durer, pas devant le besoin de se mêler à un groupe aux normes bien établies. Lui-même n’ayant aucune inspiration, et un grand inconfort à se choisir un patronyme, sa jeune sœur décida de prendre les devants et de l’affubler du nom qu’aurait souhaité lui donner sa mère vampirique un millénaire plus tôt : Ivanyr Veanya. N’ayant aucun argument à lui opposer, il le lui concéda sans se rebiffer. Pour autant, il lui fallut de nombreuses semaines pour parvenir à répondre à sa nouvelle dénomination, il lui arrivait encore d’avoir d’instinctives hésitations lorsqu’on l’interpellait. Mais pour l’expliquer, tout du moins selon ses protecteurs, il n’y avait rien de plus simple, n’importe quel jeune vampire encore mal dégrossit aurait sans doute du mal à se reconnaître, et il était bien plus simple de justifier son appartenance ethnique à présent que les Glacernois ne vivaient plus claquemurés dans leurs montagnes.
Le voyage, l’exile puis le départ de leurs terres, il le supporta sans un mot, plongé dans les affres de ses questions intérieures, n’ayant qu’un minimum de contact avec les autres, ou autant que faire ce peu sur l’espace restreint d’un navire. Répondre à un nom fut de plus en plus aisé, et le vampire put commencer à se forger une identité, en particulier grâce à l’aide de sa sœur, Cymoril. S’il restait sensiblement plus délicat que tous ses congénères, son état de santé s’était néanmoins stabilisé et les visions qu’il subissait s’espaçaient, se contentant désormais d’apparition spasmodique toujours violente et incompréhensible, mais qu’il pouvait à présent anticiper. Se trouver soudain entouré d’êtres lui ressemblant s’avérait curieux, mais pas vraiment des plus agréables, et il ne goûtait pas leur compagnie, pas comme il goûtait celle de sa famille. Leur incertitude, leurs questionnements, ne l’atteignait pas complètement… ce n’était pas réellement qu’il ne comprenait pas, au contraire, mais… il ne parvenait pas à agiter en lui les sentiments nécessaires à un tel partage empathique. L’esprit de groupe l’avait déserté. La projection plus encore. Mais il y avait matière à penser, et porté par les exhortations des siens, il fit l’effort de se mêler au nombre et de mettre de coté leurs manières parfois horripilantes. Puis le jeu vint tout seul, lorsqu’il décida de les approcher simplement pour satisfaire sa sinistre curiosité à l’égard de leur fonctionnement, gardant pour lui ses conclusions mais tendant l’oreille à ce qui se disait. Dépourvu de tout but concret, il ne lui restait que ses découvertes, et à poursuivre le tutorat qui devait lui rendre ses facultés, qu’ils avaient débutés de longs mois auparavant au sein des montagnes.
Son inquiétude à lui vint lorsqu’ils touchèrent enfin terre et qu’il se trouve, par un caprice climatique, séparé des siens. Perdu et sans repères, battu par le blizzard, il eut bien du mal à survivre dans une réalité déformée tant par les éléments que par la calamité qu’il supportait. Elle était revenue, cette créature ailée, ce dragon, comme Cymoril l’appelait et elle le poursuivait, lançant son incompréhensible appel. Pourquoi ? Pourquoi est-ce que cette chose venait le hanter ? Plutôt que de la fuir, il tenta de la chasser, et fut vite renseigné sur l’étendue de sa propre folie… Loin de s’avérer une bonne idée, son accès de colère le conduisit directement dans une nasse, un ravin enneigé dans il ne parvenait plus à sortir tant la position était délicate et dangereuse. La fantasmagorie disparue, il ne restait que le vide béant tout près de lui et le vent qui hurlait comme un des damnés du Tyran Blanc. Revenu à lui, l’ancien ne put que se fustiger et attendre une accalmie pour tenter de s’en tirer. Son salut prit la forme d’une curieuse créature à fourrure, et au mufle félin. Celle-ci l’aida non seulement à quitter son perchoir mais également à se dissimuler… Communiquer avec l’être s’avéra tout d’abord impossible, sans grande surprise, mais cela ne l’empêcha pas d’essayer de trouver des solutions, non seulement parce que la créature ne semblait pas décidée à le croquer, mais aussi parce qu’il s’agissait de son seul allié face à cette terre inconnue au sein de laquelle il s’était manifestement perdu. Rapidement, il devint évident que sans son aide, il risquait de nouveau de se retrouver en fâcheuse posture… et plus encore, il ne pourrait pas retrouver les siens. Bien vite, il s’avéra que la créature était non seulement bien disposée à son égard, mais plus intelligente encore que ce qu’il avait tout d’abord pensé. Tous deux s’apprivoisèrent, lui profitant de l’aide que pouvait apporter le félin, et tentant de lui apprendre la langue commune, l’autre… et bien il ne savait toujours pas, même un an après, pourquoi l’autre l’aidait.
La question était, en fin de compte, tombée en désuétude, inutile au-devant de la camaraderie qui s’était installée entre eux. Purnendu était une créature fascinante, dont il appréciait la compagnie, et qui s’avérait bien plus subtile que son apparence le laissait à penser. Il savait se faire oublier quand il le fallait et sa vie isolée dans les plaines venteuses et froides était paisible… L’impression d’immensité des étendues sauvages, l’immaculée blancheur, la pureté de l’air ambiant, glacial et net, l’enivrait. Le silence naturel des lieux l’apaisait. Il ne se sentait plus observé ni poursuivit. D’ailleurs, il ne voyait presque plus ces ombres et ces silhouettes effacées qui s’accrochaient à son esprit, à peine quelques souffles de ci de là. En vérité, ce fut un épisode de son existence où il n’y prêta presque plus aucune attention, trop occupé qu’il était à s’interroger sur le peuple des Graarh et à se donner une discipline pour ne pas péricliter. S’il l’avait pu, il aurait été ravi d’approcher le peuple félin, hélas, ses rares tentatives, en compagnie de l’herboriste, se soldaient toutes par des échecs. En soit, cela ne dérangeait que sa curiosité, puisqu’il ne se sentait pas proche de ces peuplades, pas plus que des vampires, mais cela restait un regret et une frustration. Et à force d’y réfléchir, et de tourner le problème dans tous les sens possibles, il n’en concevait qu’une solution : d’autres êtres comme lui avaient dû faire mauvaise impression, si ce n’était pas davantage. Pour autant, ça ne l’encourageait pas à retrouver ces individus. Ils ne lui manquaient pas, et ne lui servaient à rien. En revanche sa famille…. Elle, elle lui manquait quelque peu. Il avait fini par s’attacher à eux, et leur disparition l’ennuyait. Mais qu’y pouvait-il ? Non seulement il ne savait pas où ils pouvaient se trouver, mais pire que ça, il ignorait presque tout du lieu où lui-même résidait. La réponse vint de Purnendu, qui lui proposa de l’accompagner dans ses recherches et il accepta malgré son incrédulité.
Ensemble, ils parvinrent jusqu’en Calastin, ayant décidé de débuter leurs fouilles de l’archipel par un haut lieu de brassage racial et culturel : Caladon la Revenante.
Et alors que l'air se mettait à vibrer sous la pression des immenses ailes, il ne put s'empêcher de superposer l'image de ces formidables créatures à celles de son passé. Cette scène, cette bataille, le ramenait à l'époque de sa jeunesse, quand les dragonniers s'affrontaient et mourraient pour des empires et des causes désuètes. Et son cœur, tout mort qu'il fut, saignait de savoir qu'un tel crime serait de nouveau perpétré. Dans son esprit défilait, en litanie mortuaire, tous les noms des dragons et des dragonniers d'antan qu'il avait vu périr… Non, il ne pouvait pas laisser cela se reproduire. Il devait agir, il devait empêcher cela. Plus jamais, plus jamais cette abomination ne devrait se produire, plus jamais les dragons et dragonniers ne devraient être les esclaves d'une puissance supérieure, ils étaient trop précieux, trop rares, trop importants. Ils étaient sa famille ! Liés par l'âme, tous ensemble, par-delà les éons et le sang. Quel rassembleur, quel meneur serait-il s'il restait là sans rien faire alors qu'il savait avoir la capacité de changer tout cela ? La peur l'étreignait, alors même qu'il se laissait porter par la férocité et la force impérieuse de sa liée qui soutenait son âme jusque dans ses fondations. Oui, il devait agir, il devait forcer la poigne du tyran sur les siens, quel que soit le prix à payer pour cela. Et ce fut sur cette pensée qu'il plongea dans le flot de magie avec lequel il était si familier, parfaitement assuré de savoir exactement ce qu'il voulait et pouvait faire. Tout comme il savait que le prix à payer risquait d'être terrible. Mais… que pouvaient bien représenter deux vies en comparaison de milliers d'autres ? Il n'avait pas le droit de reculer. Et alors qu'il trouvait l'attache originelle dans la cuirasse de la domination du tyran, commençant à la ronger lentement, il ne put s'empêcher de repenser à Edwyn, à ce qu'il avait été déjà contraint de faire par le passé. En fin de compte, ce n'était rien de plus que la continuité d'un meurtre qui le hantait depuis qu'il l'avait réalisé. Ses yeux se fermèrent, et l'impression de la bataille s'estompa au profit d'un monde fait d'énergie et de pur esprit. Lié à la magie de l'âme, il y puisait les secrets de sa réussite, sans jamais remarquer que plus il avançait, plus il s'affirmait, et plus sa propre vie s'estompait. Une vie pour des milliers.
Et pourtant… pourtant peut-être était-ce également de l’égoïsme, que de se lancer ainsi dans cette incroyable pied de nez à la résignation de mois entiers écoulés. Peut-être, au fond de lui, espérait-il réellement payer sa victoire de sa vie, accéder, enfin, au repos, à la paix. Son âme était éreintée, son esprit usé, et pourtant jusqu’à présent, jamais il n’avait osé se l’évoquer, cette solution finale à la tourmente d’une existence devenue fardeau consommé, s’étirant uniquement pour le bien des autres sans jamais y trouver l’espoir d’un quelconque salut, l’aube d’un havre intouché. Avec détachement, il se prit à penser à tout ce qui l’avait conduit jusqu’à cet instant, jusqu’à aspirer à un repos que tant redoutaient. Sans même le vouloir, il remonta lentement le fil de sa propre vie comme un tourne les pages d’un livre corné et tâché… avec douceur, une présence fraternelle vint le rejoindre, suivant pas à pas son cheminement, avant de s’estomper à son tour, alors que se rejouaient devant ses yeux aveugles les scènes de son passé. L’énergie continuait à s’écouler de son être, directement dans la faille des dispositions magiques de son adversaire, comme le sang d’une plaie ouverte, mais l’immense ponction continue n’était pas douloureuse, elle était… libératrice. Le sang immatériel qui le quittait portait avec lui tout ce qu’il supportait, la douleur, la désillusion, la culpabilité, la honte, le manque, tous les composants de la cangue qui l’écrasait jusque-là. Quel poids immense ! Il n’avait pas eu conscience qu’il transportait tout cela, il n’avait pas compris à quel point il était affecté, comme une hémorragie interne dont la gravité n’apparaît que trop tard, à l’instant fatidique. S’il n’avait pas décidé d’agir, peut-être serait-il tout simplement mort un beau matin, lorsque son esprit aurait refusé d’en accepter davantage. L’euphorie le gagna un instant, avant qu’il ne s’apaise et ne laisse faire, donnant plus encore de lui, se perdant dans l’exquise sensation de légèreté qui l’envahissait. Comment est-ce que cela avait commencé déjà ? C’était il y a longtemps, même pour lui. Oui, c’était il y a très longtemps. Etrange, les souvenirs se faisaient imprécis, les scènes brouillées, bien plus que les faits froids et immuables. S’il l’avait pu, il aurait sans doute essayé de retrouver ceux de ses proches qui se trouvaient là, quelque part… mais il ne pouvait pas, il était trop occupé. Comment est-ce que cela avait commencé déjà ? Ah oui, avec de la magie…
Héritier de la maison princière Elusis de Glacern, il avait vécu dix années bercées par le rythme de la vie militaire du peuple du froid. Dix rudes années, dont il gardait encore, comme un souvenir impérissable, le hurlement du vent et la clarté immaculée de la neige fraichement tombée, les chants graves et profonds dans l’obscurité des nuits d’hiver et le tintement de l’acier nordique. Mais les visages durs et marqués, eux, n’étaient que des formes floues, aux couleurs brouillées : cheveux blonds, yeux bleus ou verts, puissantes carrures… Il se souvenait vaguement des trophées arrachés aux vampires : dents, têtes tranchées et empaillées et tant d’autres. Quelque part, il parvenait presque à entrevoir les visages froids et sévères, auréolés de crinières sombres, de la famille Svenn, dominant l’assemblée. Glacern était sa patrie, il était l’un des leurs. C’était la magie qui l’en avait chassé. Dans une citadelle où la magie était synonyme d’amertume et d’honneur brisé, l’existence d’un individu tel que lui n’était pas désirée, et il pouvait tout juste remercier le seigneur de l’hiver d’avoir eu un reliquat de délicatesse en prétextant l’envoyer en tutorat plutôt que de parler d’exile. Ainsi fut-il offert à la charge de la princesse Alianna Kohan, qui tout comme lui ne correspondait pas aux critères que l’on associait à ce qu’elle était. Glacern ne lui fut plus jamais ouverte, et il ne reposa jamais les yeux sur la magnifique citadelle, gravant dans ses yeux cette dernière image tandis qu’elle s’éloignait, bientôt engloutie dans l’étreinte protectrice des montagnes. A dix ans, il comprit que la perte n’était pas discernable, qu’il était impossible de la décrire, ou même de la dire, le mot seul bien trop pauvre, l’imagination limitée alors que le cœur n’avait nulle forme de mesure. A dix ans, il voyait ses parents se détourner de lui, l’abandonner, alors qu’une parfaite inconnue lui ouvrait les bras et l’accueillait comme un fils. Encore endoctriné, il lui faudrait des années encore avant de comprendre l’ampleur de ce qu’on lui infligeait, d’en concevoir de la honte et du regret en plus de la tristesse qui imprégnait son être, de la mélancolie qu’il ressentait dans cette ville du sud trop chaude, trop bruyante et désorganisée.
A l’âge de quinze ans, il jurait fidélité à sa princesse, émettant le souhait de devenir lame noire lorsqu’elle l’en jugerait digne. Il se la rappelait, brillante dans son armure, Amirïa la lame légendaire à son flanc, tandis qu’elle lui donnait sa bénédiction. Pour la première fois depuis son exile, il se sentait fier, en paix avec lui-même. Pour la première fois, il avait l’impression de pouvoir atténuer la déception de sa famille. Recevoir les éloges de cette femme aimée et respectée par tout un royaume n’avait pas de prix, et il aurait donné tout ce qu’il avait pour que l’instant dure éternellement. Jamais Gloria ne lui avait plus et ce ne serait jamais ni sa patrie ni sa demeure, mais pour elle, pour cette femme, il aurait accepté d’y demeurer le restant de ses jours, pour lui payer l’immense dette qu’il avait à son égard. Née dans le sud, elle avait pourtant tout d’une femme de Glacern, la dignité, la férocité, la droiture, l’indépendance… Mais l’instant s’étiola, et Alianna Kohan partit pour la guerre contre l’avis de son frère pour ne jamais fouler de nouveau de son pas la ville-capitale de Gloria. Il s’enquérait régulièrement de son bien-être, se plongeant à corps perdu dans ses études pour espérer pouvoir la protéger, et buvant les récits de ses exploits. Elle était son modèle, et peut-être même son premier amour. Mais un paria tel que lui n’avait pas la moindre chance d’espérer obtenir la main d’un joyau de la famille impériale. Son nom ne valait rien sans la fortune et le soutient de sa famille. Mais être son bouclier lui suffisait. Et pendant dix ans, il étudia auprès des maîtres de la cité d'Aldaria, se rendant également parfois à Althaïa pour y parfaire ses connaissances. Ce fut son zèle et sa dévotion envers la princesse qui furent sa perte. Voyager de nuit sur des routes dangereuses pour rejoindre la capitale dans l'espoir d'y revoir celle qui lui avait offert une raison de vivre ne pouvait qu'offrir de grandes chances de mener à de tragiques événements pour un convoi mal gardé. Ou bien gardé d'ailleurs. Les deux vampires qui s'attaquèrent au cortège ne laissèrent aucun survivant.
Vampire il devint donc, fils de Cyrène et Erin Veanya, éduqué par eux, membre d'un petit groupe de vampires talentueux et audacieux se battant pour leur peuple. Et il se battit également, mage de guerre sous les ordres d'un dragonnier du peuple de la nuit. Il se battit des années durant, prenant sa part de ravage, jusqu'à ce que les siens soient repoussés. Peu importait les heures de gloire et les stratégies insensées… au bout du compte, lorsque les luttes de pouvoir du peuple sombre vinrent à l'engager plus qu'il ne le désirait, il prit la fuite. Prince lui ? Jamais ! Il préférait encore vagabonder. Et ce fut exactement ce qu'il fit, pendant des centaines d'années. Combien de fois avait-il plaisanté en affirmant avoir été dompté par les humains ? Au fond, sans doute y avait-il une part de vérité là-dedans, qu'il dissimulait derrière le grotesque de la perspective. Mais puisque rien ne dure vraiment en ce bas monde, il fut bien vite de retour au sein de son peuple, pour servir. Par devoir. Par patriotisme. Mais ce n'étaient pas les vampires qui étaient à l'origine de ces enseignements… qui était-ce d'ailleurs ? Son nom lui échappait de plus en plus, tout en revenant parfois, subitement, à l'image de la saison qu'elle représentait, dame de l'été. Mais le prince noir avait tué son fils, et sa tentative de le venger ne servit à rien. De nouveau perdu quant à ses motivations, la raison de ses actions, une réponse lui vint en l'éclosion d'un œuf argenté. Silaraë, la dragonne d'argent, l'autre moitié de lui-même qui l'avait finalement rejoint par-delà le mur du temps. Dès son apparition elle emplissait déjà sa vie et son cœur, dès le premier contact il sut qu'il l'aimait comme il ne pourrait aimer quoi que ce fut en ce monde, et qu'elle le lui rendait. Cette frêle créature aux écailles lunaires était la plus magnifique création des esprits, et il voulait la chérir… et la protéger. Saeros, seigneur des vampires, ne la voyait que comme une arme, et incidemment, comme un moyen de faire pression sur lui. Et pendant un temps ils se trouvèrent éloignés. Mais pas indéfiniment. Lyroë, puis Kedrildan, et avant peu, il se retrouvait seul à tenter de reconstruire une Caste pour les dragonniers tout en tentant tant bien que mal de préserver l'alliance des exactions du prince noir.
L’alliance… l’incarnation même d’un célèbre dicton : « L’ennemi de mon ennemi est mon ami ». Face à la menace des Almaréens, la solution était sans doute bien de s’unir, mais entre l’utopie de la pensée et sa réalisation, il y avait plus qu’un monde. Il y avait les inimités séculaires des différentes races, et la mauvaise volonté de certains, au nombre desquels se trouvait le célèbre tueur de dragon. Et en fin de compte, malgré tous ses propres efforts, et ceux de tant d’autres, l’Aube Rouge vit bien la fin de cette coalition. Mais lui n’était pas partit avec l’armée vampirique, fidèle à la parole donnée plus qu’à une quelconque loyauté envers un traître comme Saeros, il avait décidé, avec les anciens, de rester auprès des hommes et des elfes. Ainsi prit fin la dangereuse coexistence entre le prince noir et l’Aîné, rivaux se jaugeant, se méfiant l’un de l’autre tout en faisant confiance en leurs capacités pour le bien du peuple de la nuit. S’il n’y avait eu son fils, ils auraient pu être frères de pouvoirs, s’il n’y avait eu son refus d’abandonner sa quête insensée de pouvoir, son opiniâtreté à empêcher leur peuple d’évoluer, le dragonnier aurait pu le voir comme l’avenir des sang-froids. S’il n’y avait eu les torts répétés aux dragonniers, peut-être aurait-il décidé de ne pas s’en mêler. Il ne niait pas ses qualités et faits d’armes, ceux-ci n’étaient juste pas suffisant pour équilibrer tout le reste. Pourtant, une fois de plus, il ressentit la perte, le vide… qu’est-ce qui lui restait, s’il ne protégeait plus les vampires ? Il ne lui restait plus que la Caste. Mais comment ne pas le considérer comme une évidence ? Silaraë était le centre de son monde, la Caste pouvait le devenir… et elle représentait leur meilleur espoir de paix.
Et alors qu’il endossait le rôle et se proclamait, avec quatre autres dragonniers membres de cette caste en gestation, sa route croisa celle du Voyageur. Créateur du lien, il fut la révélation que l’Aîné attendait, recevant de lui les secrets vitaux pour construire ce qu’ils esquissaient gauchement. Cette créature, ce Tarenth, leur remettait non seulement les clefs d’un avenir moins morne, mais également des réponses personnelles, presque intime sur tant de choses qu’il en vint, naturellement, rapidement, à lui faire confiance. Il connaissait son passé, il avait senti en lui le regret et la tristesse, y trouvant là un écho de ses propres sentiments. Le Voyageur avait, de plus, sauvé plus d’un dragon et dragonnier, et l’aide précieuse qu’il apportait, le soutient qu’il offrait indéniable… l’image même d’un père ou d’un frère, et n’était-ce pas ce qu’il était ? Lié à eux par la magie de l’âme qu’il lui confiait ? Pourquoi alors aurait-il décidé de le tuer ? Peut-être, en vérité, parce que la décision ne lui appartenait pas, qu’il y était forcé ? Dragonnier d’une créature mauvaise et destructrice, menaçant tout ce qui existait, porte vers le salut des peuples, vers un avenir qui ne serait pas couvert par les ailes de l’albinos… Lorsque la fille du Voyageur lui confia la pierre pouvant tuer son géniteur, il n’osa pas y croire, lorsque, pourtant, ce frère mourut de sa main, se sacrifiant pour leur offrir un avenir, il fut dévasté. Ce n’était pas le premier être qui mourrait de sa main, et Mort ne lui était en rien étranger, mais ça ? Ça il ne s’en remettrait jamais. Mettre à mort le père du Lien était à ses yeux une abomination, mais son sacrifice pour que sa création perdure était quelque chose que dans son immense chagrin, il respectait. Son regret, pourtant, n’était rien comparé à la vengeance que le tyran souhaitait exercer. La créature qui avait arraché le cœur de Néant voulait le punir d'avoir tué son dragonnier. Et il y réussi. Il l'avait brisé. La trahison de son fils, de Vanaël, l'abandon de Silaraë, la corruption de chacune de ses valeurs, et de chacun de ses espoirs, pour le plonger dans un cauchemar éveillé, sous la cangue écrasante de sa domination. Haut jugé craint et détesté, il avait été obligé d’œuvrer à tout ce qui lui répugnait, pour le plus grand plaisir de son tourmenteur.
La perte… une notion qui l’avait accompagné durant toute sa vie, la plus importante qu’il eut jamais apprise. Une notion qu’il avait vécue à chaque étape de son existence. Pourtant cette fois, quelque chose c’était irrémédiablement brisé, quelque chose qui ne pourrait jamais être réparé. Et il en était épuisé. Malgré toute sa bonne volonté, ses tentatives de mettre cela de côté, de continuer d’avancer, malgré ceux qui l’entouraient au sein de la théocratie… il n’y parvenait plus. Son millénaire d’existence commençait enfin à prendre l’ascendant, aidé par les tortures, les déconvenues, les horreurs. Alors s’il mourait en accomplissant cette tâche… il n’en serait pas si chagriné. Sa seule préoccupation, son seul regret, aurait été de ne pas passer plus de temps avec sa sœur d’âme. Pour une fois dans sa vie, ne pouvait-il être égoïste ? Un léger sourire lui vint aux lèvres, il se rendit compte de l’ironie de tout cela. Tout avait commencé avec de la magie, et tout s’achevait… avec de la magie. Tout avait commencé au temps des dragons, tout finissait avec leur retour. Et à présent ? Il avait presque achevé sa tâche, Trissi et Skade étaient presque libérées. Et lui ne ressentait presque plus sa propre fatigue. En vérité ? Il ne ressentait presque plus rien. Au loin, la magie de domination exercée par le Tyran se fracassait enfin. Une onde de violence inouïe le parcourut, il sentit la chose s’insinuer dans sa colonne, remonter vers l’essence de son être. Tendrement, il étreignit sa partenaire, lui confiant une ultime fois, sans avoir besoin du moindre mot, combien il l’aimait, son âme enroulée à la sienne avant qu’elle ne s’effrite… et que le monde ne plonge lentement dans l’obscurité. Dans un ultime sursaut, il la repoussa, ses dernières forces s’étiolant, puis il n’y eut plus rien. Rien que le silence… et la paix, enfin.
***
Les flammes dévoraient ce qui restait de lui au son des rites communs, le chant de passage détachant les derniers lambeaux de son être de la coque de chair qui l’avait abrité, lui permettant le repos complet. Un dernier instant, alors que le vent se lever, les cendres tourbillonnèrent, venant caresser la silhouette elfique qui se tenait près du brasier en une ultime étreinte aimante et complice avant la lente descente vers l’oubli. S’il avait pu formuler un souhait en l’instant, sans doute aurait-il été que l’elfe connaisse de nouveau la félicité, celle qu’il lui avait mille fois souhaitée sans être capable de la lui apporter. Dans le vent courut le chuchotement des âmes dérivant vers le royaume de Mort, les braises du souvenir prêtes à s’éteindre lentement dans les flots d’un deuil à peine entamé.
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La première chose que son âme connue, lorsqu’elle fut tirée du royaume de Mort, fut la douleur. Une souffrance atroce, monstrueuse, sans limite, qui venait vriller l’essence profonde de son être exposé tandis que la magie le malmenait avec violence. Intangible, ce qui avait été Achroma Seithvelj, Sylath,Elusis et Rune était traîné depuis les limbes de la mort et du repos fatidique jusqu’à la terre de misère qu’il avait quitté sans regret. Conduit par la volonté de la dragonne de l’orage, l’essence fut forcée, pliée pour s’accrocher de nouveau au monde des vivants, portée par un gigantesque vent de magie draconique. La seconde chose que son âme connue fut l’agonie, lorsque son essence s’enfonça dans un corps de chair et de sang, et la vibration de sa déchirante lamentation instilla le doute dans l’esprit de celle qui le torturait, sans qu’elle se décide à arrêter. Faiblement, l’âme tenta de s’échapper, de retourner d’où elle venait, sans réussir, et bientôt elle fut complètement réintégrée, scellée à son réceptacle de chair froide, prenant lentement possession de celle-ci. La troisième chose que connue son âme fut le désespoir, quand, en s’éveillant à ce monde, encore baignée dans l’immense conscience de la Souveraine des nuées, il comprenait instinctivement ce qui lui arrivait et manquait s’en fêler encore davantage qu’il ne l’était. Son être n’avait pas séjourné assez longuement au sein du royaume de Mort pour guérir de ce qui l’avait frappé dans l’incarnation qu’il aurait dû quitter. Dans un sursaut de préservation frileuse, elle décida, subjectivement, d’oublier tout de ce qui venait de se passer, refusant d’accepter l’hérésie qu’on lui avait fait subir pour un but encore inconnu. Comme une forme de défiance, l’âme oublia ce qu’elle avait été, qui elle avait été, le refoulant au plus profond de son être fracturé, l’engloutissant en espérant ne plus jamais le voir se manifester. La dragonne, encore reliée à sa création par des lambeaux de magie, le comprit intuitivement, et en réponse, vint s’enrouler autour du frêle corps mortel, l’enveloppant dans sa chaleur. Ainsi, la quatrième chose que son âme connue en revenant en ce monde fut le son profond de la respiration reptilienne, la chanson douce de son vrombissement, comme une berceuse séculaire tentant d’apaiser son immense peine, et le son profond d’un cœur immense battant près de lui.
Le temps n’avait pas encore de sens pour lui, ainsi enfermé dans un cocon de magie, dissimulé au monde extérieur par la gigantesque barrière d’écailles du corps de sa protectrice. Avait-il rêvé de cette éternité ? était-ce donc un songe fiévreux ? Lorsqu’il s’éveilla enfin, tout était silencieux, froid et gris. Disparu la luminosité constante mais tamisée, disparue la chaleur profonde qui lui caressait doucement la peau, et plus encore, le monde était muet… où était la douce mélodie qui l’avait apaisé ? Sa disparition, plus que tout le reste, perturba l’esprit ressuscité qui, enfin, prenait conscience du monde autour de lui. Ce fut en la cherchant qu’il s’aventura hors du clôt étrange dans lequel il était dissimulé, découvrant une étendue grise, terne, et vide. Un ancien champ de bataille au cœur des montagnes, bien qu’il n’eût aucune conscience de cela sur l’instant même. Son corps lui paraissait lourd, comme fait de plombs et chaque geste lui coûtait énormément, pourtant la perspective de retrouver la présence chaleureuse l’encouragea à persévérer dans son exploration. Quelque chose se mouvait, dans le fond de ses esprits, tandis qu’il avançait, des ombres bougeaient sous ses yeux, en une étrange pantomime, coite et sinistre, retraçant un affrontement dont il ne savait rien. Plus il s’éloignait de son lieu d’éveil, plus il apercevait de ces silhouettes fugitives, tout juste ébauchées, plus il semblait entendre des sons, lointains, des fracas et des cris, et des rugissements vibrants de rage… Oppressé, la gorge nouée, il se serait sans doute perdu et blessé s’il n’avait pas été rattrapé par ses gardiens. Leur subite apparition l’épouvanta tout d’abord, mais il était trop faible pour leur faire le moindre mal et il fut bien vite maîtrisé et placé en sécurité une fois encore. Ils étaient trois, trois anciens, vampires millénaires qui avaient survécus envers et contre tout. Désormais sa seule famille restante, ils étaient là pour le protéger. A tout le moins était-ce là ce qu’ils affirmèrent, mais pourquoi en aurait-il douté ? Il avait besoin d’eux, l’évidence fit jour rapidement, ne pouvant se préserver seul dans l’état où il se trouvait, sa faiblesse perpétuelle consumant le peu d’énergie qu’il possédait. Mais la garde qu’on lui avait attribué était aussi vigilante que zélée.
Il n’avait aucun souvenir d’eux, bien qu’ils affirmassent être sa famille, aussi apprit-il à les connaître comme s’ils s’agissaient de parfaits étrangers. D’eux, il recevait aide et bienfaits, dissimulé dans d’anciennes ruines distordues par ce qui avait frappé les montagnes ces dernières années. Son existence s’avérait être un fléau, perpétuellement épuisé, il découvrit bien vite être la proie de visions étranges. Ses compagnons n’osaient se prononcer sur leur origine, bien qu’il eût à plus d’une reprise sollicité leur sagesse. Les anciens se bornaient à affirmer qu’il s’agissait d’hallucinations, et que ce qu’il voyait n’avait aucune teneur réelle. Pourtant il sentait leur attente, quand bien même ils se montraient parfaitement lisses à la lecture. Il sentait qu’il y avait plus que cela, sans parvenir à comprendre ce qui lui échappait. Ses cauchemars éveillés ne se faisaient que plus violents, chaque fois qu’il tentait de les comprendre, aussi finit-il par abandonner, espérant simplement endurer sans se briser. La violence de ces occurrences le perturbait presque autant que leur contenu. Un instant tout allait bien, l’instant suivant, il devait lutter pour garder pieds dans la réalité de l’instant. Souvent il voyait se dessiner une puissante forme ailée, aux écailles ternies, appelant dans le lointain, cherchant… qui ? le nom lui échappait, le vent le couvrait toujours, ou bien quelque tour de son esprit l’empêchait de le comprendre. Pourtant, son cœur se serrait, son âme frémissait et souffrait, sans qu’il comprenne ce qu’il subissait. La perte, cette compagne de tous les instants, l’étrillait de sa présence sans raison. Rapidement, dans les tréfonds de son intimité, de son esprit, il en vint à avoir peur de cette vision fantomatique, la redoutant plus encore que les douleurs qui l’assaillait parfois subitement. Chaque fois, la vision de la créature grise le laissait aux portes de l’inconscience, tant et si bien, qu’après la peur, le poison de l’inimité commença à l’envahir. Il détestait ces visions, il détestait la douleur, il détestait même qui que soit l’être que sa vision cherchait…
Avec le temps, et une santé se renforçant, les visions se firent moins nombreuses mais plus vivace, plus violentes encore. Et la créature ailée n’était plus la seule qui le tourmentait. Ils étaient des dizaines, figures bipèdes pour la grande majorité. Et ils venaient tour à tour. Il y avait une elfe à la chevelure flamboyante, armée d’un arc, et il sentait en elle une langueur similaire à la sienne. Il y avait un vampire, un seigneur de guerre, qui s’opposait à lui et le défiait en duel. Qui le maudissait. Il y avait une femme, humaine, qui se détournait, éplorée, parcourant un champ de bataille encore fumant. Il voyait un elfe aux cheveux sombres s’avancer pour l’étreindre et disparaître lorsqu’il essayait de le toucher, se dispersant en cendres étouffantes. Il voyait une guerrière armée d’une lame entourée d’eau tomber sous les coups d’un puissant sortilège. Il voyait… un homme ? un être… se flétrir et dépérir à cause d’une pierre…Il entendait, sentait, confusément, ne comprenant rien à tout cela. Et aucun des habitants de son esprit ne parvenait à répondre à sa seule question : pourquoi ? La seule vision qui ne le torturait pas autant que les autres était, ironiquement, très semblable à la pire d’entre elle. Une créature ailée, énorme, dominant les cieux, dissimulant le ciel. Son apparition seule, un beau jour, vint atténuer son ressentiment et sa perdition. A une occasion, le bris vint de ses gardiens, lorsqu’ils tentèrent de lui présenter le manche d’argent d’une arme, et qu’en tentant de la prendre, il se trouva plongé dans un univers de larmes et de sang, qui ne trouva son échappatoire que dans le rejet. Cette chose, aussi belle fut-elle, lui causait une douleur immense. Une douleur qu’il ne pouvait accepter de porter, surtout pour un don aussi peu usité. L’histoire de l’arme ne l’intéressait pas, seul comptait le poids moral qu’elle infligeait.
Mais cette incartade n’était qu’une exception, au sein des innombrables efforts consentis par sa famille. Eux s’occupaient de tout, sa seule motivation personnelle était de se remettre, de se renforcer, de perdurer au-delà de l’état léthargique qu’il expérimentait depuis le premier instant où il avait ouvert les yeux. Tel une infranchissable frontière, cet instant marquait le début de ses souvenirs, tout ce qui se trouvait au-delà n’était qu’un brouillard sans forme. Longtemps, il n’eut pas de nom, jusqu’au jour où ils furent contraints de quitter le Havre et de rejoindre le reste des peuples. Cela ne l’avait à aucun moment dérangé, son existence se définissait autrement, unique en son genre, et il n’avait pas senti le besoin d’être nommé. Ce n’était pas qu’ils n’échangeaient pas, bien au contraire. Lors de ses phases d’éveil, il tirait pleinement partie de la présence des trois autres, les questionnant et échangeant avec eux, parfois même à bâtons rompus. En vérité, cette absence de définition personnelle leur ôtait par instant de communes hésitations de langage, leur permettant d’échanger autrement. Mais ce confort subjectif ne pouvait durer, pas devant le besoin de se mêler à un groupe aux normes bien établies. Lui-même n’ayant aucune inspiration, et un grand inconfort à se choisir un patronyme, sa jeune sœur décida de prendre les devants et de l’affubler du nom qu’aurait souhaité lui donner sa mère vampirique un millénaire plus tôt : Ivanyr Veanya. N’ayant aucun argument à lui opposer, il le lui concéda sans se rebiffer. Pour autant, il lui fallut de nombreuses semaines pour parvenir à répondre à sa nouvelle dénomination, il lui arrivait encore d’avoir d’instinctives hésitations lorsqu’on l’interpellait. Mais pour l’expliquer, tout du moins selon ses protecteurs, il n’y avait rien de plus simple, n’importe quel jeune vampire encore mal dégrossit aurait sans doute du mal à se reconnaître, et il était bien plus simple de justifier son appartenance ethnique à présent que les Glacernois ne vivaient plus claquemurés dans leurs montagnes.
Le voyage, l’exile puis le départ de leurs terres, il le supporta sans un mot, plongé dans les affres de ses questions intérieures, n’ayant qu’un minimum de contact avec les autres, ou autant que faire ce peu sur l’espace restreint d’un navire. Répondre à un nom fut de plus en plus aisé, et le vampire put commencer à se forger une identité, en particulier grâce à l’aide de sa sœur, Cymoril. S’il restait sensiblement plus délicat que tous ses congénères, son état de santé s’était néanmoins stabilisé et les visions qu’il subissait s’espaçaient, se contentant désormais d’apparition spasmodique toujours violente et incompréhensible, mais qu’il pouvait à présent anticiper. Se trouver soudain entouré d’êtres lui ressemblant s’avérait curieux, mais pas vraiment des plus agréables, et il ne goûtait pas leur compagnie, pas comme il goûtait celle de sa famille. Leur incertitude, leurs questionnements, ne l’atteignait pas complètement… ce n’était pas réellement qu’il ne comprenait pas, au contraire, mais… il ne parvenait pas à agiter en lui les sentiments nécessaires à un tel partage empathique. L’esprit de groupe l’avait déserté. La projection plus encore. Mais il y avait matière à penser, et porté par les exhortations des siens, il fit l’effort de se mêler au nombre et de mettre de coté leurs manières parfois horripilantes. Puis le jeu vint tout seul, lorsqu’il décida de les approcher simplement pour satisfaire sa sinistre curiosité à l’égard de leur fonctionnement, gardant pour lui ses conclusions mais tendant l’oreille à ce qui se disait. Dépourvu de tout but concret, il ne lui restait que ses découvertes, et à poursuivre le tutorat qui devait lui rendre ses facultés, qu’ils avaient débutés de longs mois auparavant au sein des montagnes.
Son inquiétude à lui vint lorsqu’ils touchèrent enfin terre et qu’il se trouve, par un caprice climatique, séparé des siens. Perdu et sans repères, battu par le blizzard, il eut bien du mal à survivre dans une réalité déformée tant par les éléments que par la calamité qu’il supportait. Elle était revenue, cette créature ailée, ce dragon, comme Cymoril l’appelait et elle le poursuivait, lançant son incompréhensible appel. Pourquoi ? Pourquoi est-ce que cette chose venait le hanter ? Plutôt que de la fuir, il tenta de la chasser, et fut vite renseigné sur l’étendue de sa propre folie… Loin de s’avérer une bonne idée, son accès de colère le conduisit directement dans une nasse, un ravin enneigé dans il ne parvenait plus à sortir tant la position était délicate et dangereuse. La fantasmagorie disparue, il ne restait que le vide béant tout près de lui et le vent qui hurlait comme un des damnés du Tyran Blanc. Revenu à lui, l’ancien ne put que se fustiger et attendre une accalmie pour tenter de s’en tirer. Son salut prit la forme d’une curieuse créature à fourrure, et au mufle félin. Celle-ci l’aida non seulement à quitter son perchoir mais également à se dissimuler… Communiquer avec l’être s’avéra tout d’abord impossible, sans grande surprise, mais cela ne l’empêcha pas d’essayer de trouver des solutions, non seulement parce que la créature ne semblait pas décidée à le croquer, mais aussi parce qu’il s’agissait de son seul allié face à cette terre inconnue au sein de laquelle il s’était manifestement perdu. Rapidement, il devint évident que sans son aide, il risquait de nouveau de se retrouver en fâcheuse posture… et plus encore, il ne pourrait pas retrouver les siens. Bien vite, il s’avéra que la créature était non seulement bien disposée à son égard, mais plus intelligente encore que ce qu’il avait tout d’abord pensé. Tous deux s’apprivoisèrent, lui profitant de l’aide que pouvait apporter le félin, et tentant de lui apprendre la langue commune, l’autre… et bien il ne savait toujours pas, même un an après, pourquoi l’autre l’aidait.
La question était, en fin de compte, tombée en désuétude, inutile au-devant de la camaraderie qui s’était installée entre eux. Purnendu était une créature fascinante, dont il appréciait la compagnie, et qui s’avérait bien plus subtile que son apparence le laissait à penser. Il savait se faire oublier quand il le fallait et sa vie isolée dans les plaines venteuses et froides était paisible… L’impression d’immensité des étendues sauvages, l’immaculée blancheur, la pureté de l’air ambiant, glacial et net, l’enivrait. Le silence naturel des lieux l’apaisait. Il ne se sentait plus observé ni poursuivit. D’ailleurs, il ne voyait presque plus ces ombres et ces silhouettes effacées qui s’accrochaient à son esprit, à peine quelques souffles de ci de là. En vérité, ce fut un épisode de son existence où il n’y prêta presque plus aucune attention, trop occupé qu’il était à s’interroger sur le peuple des Graarh et à se donner une discipline pour ne pas péricliter. S’il l’avait pu, il aurait été ravi d’approcher le peuple félin, hélas, ses rares tentatives, en compagnie de l’herboriste, se soldaient toutes par des échecs. En soit, cela ne dérangeait que sa curiosité, puisqu’il ne se sentait pas proche de ces peuplades, pas plus que des vampires, mais cela restait un regret et une frustration. Et à force d’y réfléchir, et de tourner le problème dans tous les sens possibles, il n’en concevait qu’une solution : d’autres êtres comme lui avaient dû faire mauvaise impression, si ce n’était pas davantage. Pour autant, ça ne l’encourageait pas à retrouver ces individus. Ils ne lui manquaient pas, et ne lui servaient à rien. En revanche sa famille…. Elle, elle lui manquait quelque peu. Il avait fini par s’attacher à eux, et leur disparition l’ennuyait. Mais qu’y pouvait-il ? Non seulement il ne savait pas où ils pouvaient se trouver, mais pire que ça, il ignorait presque tout du lieu où lui-même résidait. La réponse vint de Purnendu, qui lui proposa de l’accompagner dans ses recherches et il accepta malgré son incrédulité.
Ensemble, ils parvinrent jusqu’en Calastin, ayant décidé de débuter leurs fouilles de l’archipel par un haut lieu de brassage racial et culturel : Caladon la Revenante.
Liens
- Aldaron Triade [Amant-Elfe-Vivant]
Il ne se souvient plus de lui, pourtant, même dans son amnésie, ses hallucinations lui dépeignent encore cet elfe si cher à son cœur. Celui qui, seul parmi les mortels, a accompagné ses derniers jours. Ce qui n’avait été, au départ, qu’une banale affaire d’attraction physique, avait finalement bourgeonné en une relation plus profonde, faite d’une intuitive compréhension, de douleurs partagées, d’espoirs tissés secrètement… pour finir, semblait-il, dans les cendres de son décès. La vision de ce visage ravagé par la tristesse et une attente indéfectible lui fait presque aussi mal que d’être pourchassé arbitrairement par un dragon. - Cymoril Veanya [Sœur Vampirique-Vampire-Vivante]
Jeune vampire qui n’a que quelques années, Cymoril a été transformée par Cyrène, la mère d’Achroma. Chargée par elle de veiller sur son frère convalescent pendant qu’elle-même retournait aider Aldaron, la Caste, et les défenseurs contre les Chimères, Cymoril a pris très au sérieux son devoir bien qu’il ait représenté, au début, une gêne pour elle. Après avoir progressivement retrouvé sa conscience et sa maîtrise, Achroma et elle se sont bien mieux entendues. Elle est, de fait, une des rares personnes avec qui il ait re développé une certaine complicité, et qu’il considère sincèrement comme sa famille. Cymoril s’est d’ailleurs acharnée à le retrouver lorsqu’il a disparu sur Nyn-Tiamat, et n’a abandonné que par la force des choses. - Cybele Paulus [Compagne d’arme-Vampire-Vivante]
Dans la vie, Cybele était une Althaïenne et une artiste. Devenue vampire, elle a appris à survivre de toutes les façons possibles et imaginables, à tirer parti de tout ce qu’elle pouvait influencer. C’est sans doute la raison qui en a fait une des ultimes anciennes survivantes. Autrefois, elle était amie avec Achroma, aujourd’hui, elle est l’une de ses gardiennes, mais leur relation reste ambiguë. Elle n’est pas certaine que celui qu’elle a suivi pendant des centaines d’années soit bien là. Elle ne sait pas si la dragonne d’orage l’a totalement ramené. Elle espère sincèrement que ce soit le cas, mais le doute la ronge et l’empêche de s’ouvrir totalement à lui. Et en retour, lui ressent son malaise et en conçoit de la méfiance à son égard. - Elric Dorne [Compagnon d’arme-Vampire-Vivant]
Vampirisé par un dragonnier vampirique d’antan, Elric a également participés aux guerres de l’époque et en a conçu, outre une bonne maîtrise martiale, un profond dégoût pour les batailles. C’est pour cela qu’il a laissé Cyrène et les autres prendre part à la défense contre les chimères plutôt que de se proposer lui-même. Bouclier du groupe, il espère ne jamais avoir à tirer sa lame pour leur défense. Plus à l’aise avec Achroma que Cybele, Elric et lui ont réussi à retrouver une part de leur entente d’antan. Tous deux parviennent à se comprendre à demi-mot et partagent nombre de points de vue, même à présent. Lorsque les gardiens ont de nouveau perdu leur protégé, Elric a été obligé de forcer Cymoril à abandonner les recherches pour rejoindre Caladon. Il espère cependant pouvoir retourner sur Nyn-Tiamat par la suite, ne voulant pas le laisser là-bas indéfiniment. - Silaraë Cœur d’Argent [Dragonne liée-Morte]
Elle était sa compagne d’écailles, sa liée, l’autre partie de lui, qu’il aimait d’un amour inconditionnel et inimitable. Décédée de chagrin, après sa propre mort, Achroma ne l’a pas revue et ne se souvient pas vraiment d’elle. Elle lui apparaît au cours d’hallucinations violentes, cherchant ou pourchassant quelqu’un dont il ne connaît rien, ne sachant plus qu’il s’agit de lui, ni quel était son nom avant sa mort. Pour lui, l’épreuve de ces visions est terrible à supporter et il en est venu à détester cette créature, ou tout au moins, cette image d’elle. - Purnendu [Protecteur-Graarh-Vivant]
Le félin l’a sorti d’un très mauvais pas sur Nyn-Tiamat et s’est occupé de lui, achevant de lui rendre la santé, si ce n’était pas la force. Curieuse créature, intéressante et bien plus profonde qu’il n’avait pensé de prime abord, ils ont finalement tissé une relation équilibrée, qui a permis au vampire de se dérider quelque peu. Vivre avec Purnendu pendant un an a provoqué chez le mage une intense fascination à l’égard de ce peuple, et une reconnaissance réelle pour son protecteur. La décision de celui-ci de l’accompagner pour tenter de retrouver sa famille vampirique n’a été à ses yeux qu’une preuve supplémentaire de la bonté de cette créature. - Alianna Kohan [Marraine-Humaine-Morte]
Princesse impériale voilà près de mille ans, Alianna est entrée dans la légende comme une figure des dernières guerres. Porteuse de l’épée légendaire de l’eau, elle refusa de s’en tenir au traditionnel rôle d’une femme et d’une princesse dans la société humaine. A force de volonté et de prises de position, elle se fit accepter comme une générale de l’armée impériale et mena plusieurs assauts contre les vampires. Achroma a été son pupille, son protégé, et il l’adulait, la portant presque au rang de déesse personnelle. Pour lui, elle représente toute la noblesse humaine : force, dignité, justice, courage, acceptation… - Skade, Mère de l’orage [Dragonne-Morte]
C’est la souveraine des nuées qui lui a permis de revenir à la vie sans attendre le cycle de réincarnation. Il n’en a évidemment aucune idée et ses gardiens se sont bien gardés de le lui dire. Elle fait partie de ses visions cependant, semblant vouloir apaiser son esprit tourmenté. Contrairement à Silaraë, il ne lui voue aucune inimité… mais sans doute cela changerait-il lorsqu’il saura ce qu’elle a fait pour lui. - Saeros [Prince noir-Vampire-Mort]
Relation faite de méfiance, de respect, de haine et de questionnement mutuel, ils se sont longtemps jaugés mais ne se sont affrontés qu’une seule et unique fois. A la fois frères et ennemis, ils partageaient la même ambition pour le peuple vampirique, la même capacité à user de toutes les opportunités qu’ils jugeaient profitables, la même loyauté au peuple sombre… mais leurs différences et oppositions ont finalement été la fin de leur collaboration. La traîtrise du prince à l’égard de la rébellion s’avéra de trop pour Achroma, qui ne déserta pas avec le reste de l’armée vampirique.
Derrière le clavier
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Dernière édition par Orfraie K. Ataliel le Jeu 21 Mar 2019 - 13:52, édité 1 fois